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devant la loi, la liberté individuelle, la tolérance religieuse, l'émancipation de la presse, l'admissibilité de tous les citoyens aux emplois civils et militaires, l'inviolabilité de la propriété, l'égale répartition des impôts, etc., elle voulut remonter à la source de ses lois, de ses usages, et, demandant à l'histoire les leçons de l'expérience, elle consulta les monumens anciens, et profita de la lumière de quelque part qu'elle vînt.

Parmi ceux qui avaient écrit sur le droit public, nul n'avait mieux compris que Domat les besoins de la société. Il avait tracé les règles naturelles qui sont l'objet de l'entendement et font la véritable science des lois. Les règles arbitraires, qui sont l'objet de la mémoire, n'étaient que l'accessoire de son travail, et ne se trouvaient citées par lui que comme application de ses principes.

La plupart des bases qu'il adopta n'étaient posées ni dans le droit romain, ni ailleurs. Il les tira de la loi divine, guide infaillible de justice et d'équité. Ces immenses recherches ne furent pas perdues pour nous, au jour de la restauration de nos lois. Nous ne pouvions puiser à des sources plus pures. La république, l'empire, le gouvernement royal, vinrent tour-à-tour emprunter à Domat les plus belles pages de son traité du droit public. Son livre est maintenant le patrimoine de la France, nous recueillons sa succession, nous devons vérifier les richesses qu'il nous a léguées, et dresser un inventaire exact et fidèle des acquisitions que nous avons faites, pour en reporter l'honneur et la gloire à l'auteur de nos institutions constitutionnelles.

Tel est le but que nous nous sommes proposé en ajoutant au texte de Domat la conférence des lois nouvelles et de la jurisprudence.

On verra comment il comprenait les droits et les devoirs de ceux qui ont le gouvernement souverain, l'usage des forces nécessaires pour maintenir la tranquillité publique et pour défendre l'état contre les ennemis extérieurs. On cetrouvera dans sa distinction entre la puissance spirituelle et la puissance temporelle, ces maximes de droit naturel qu'il tira des saintes Écritures pour prouver que le gouvernement eivil ne doit pas être l'esclave du clergé; que si les princes temporels doivent être soumis aux puissances spirituelles en ce qui regarde le spirituel, les ministres de l'église doivent être aussi de leur part soumis à l'autorité des princes en ce qui regarde le temporel.

A cette occasion, nous avons inséré la déclaration de 1682, l'édit de Louis XIV de la même année, la loi organique de l'an 10, et enfin le décret du 25 février 1810, confirmatif de la déclaration et de l'édit de mars 1682. Nous n'avons pas négligé de transcrire les ordonnances du 16 juin 1828, conséquences des anciennes lois toujours en vigueur. Malgré leurs imperfections,

ces ordonnances n'en resteront pas moins comme un monument de notre droit public et comme une consécration de ces anciens principes, que certains esprits ambitieux voudraient anéantir en plaçant l'autel sur le trône. Mais quelques efforts qu'ils fassent pour troubler la paix publique, ils ne pourront y parvenir. La loi divine et la raison humaine ne leur accordent que la mission des Apôtres, c'est-à-dire l'autorité sur le spirituel et l'obéissance aux princes. Avec une volonté ferme et la confiance de la nation, un gouvernement sera toujours assez fort pour faire respecter ses droits.

Pour avoir cette volonté et inspirer cette confiance, il faut que le choix du prince, à l'égard des hauts fonctionnaires, ne tombe que sur des hommes amis des libertés publiques. C'est ainsi qu'on voit fleurir le commerce et l'industrie, c'est ainsi qu'on voit s'établir l'ordre dans les finances, et que les impôts sont acquittés saus murmure parce qu'ils ont été réclamés légalement.

On consultera toujours avec fruit les OEuvres de Domat sur l'ordre des finances, sur la police générale des choses qui sont à l'usage du public, sur celle des arts, du commerce, des hôpitaux, des universités et des diverses branches de l'administration publique.

A ces matières nous avons appliqué la législation et la jurisprudence ancienne et nouvelle. Nous regrettons de ne pouvoir y ajouter les lois communale et départementale, si long-temps promises à la France, et dont nous avons vu les projets offerts à nos législateurs, mais retirés avant la discussion. Il n'est pas éloigné le jour où, dans des proportions plus larges, ces lois nous seront rendues. Notre espérance ne sera pas déçue, le temps est gros de l'avenir.

Confians dans la loyauté et l'intégrité de la magistrature, nous attendons avec calme le complément nécessaire de nos institutions. Fidèle à ces anciennes doctrines, si clairement définies par Domat, l'ordre judiciaire est l'orgueil de la France. Toutes les lois qui se rattachent à son organisation actuelle, à ses franchises, ont été recueillies par nous avec une attention scrupulense. Remontant à l'origine de la cour de cassation, des cours royales, des tribunaux inférieurs, du ministère public, nous avons observé la magistrature dans toute la carrière qu'elle a parcourue. Nous avons aussi inséré dans ce travail toute la législation et la jurisprudence sur les notaires, les avoués, les huissiers, et tous les auxiliaires de la justice. Nous n'avons rien omis sur ce qui concerne l'ordre des avocats, que l'ordonnance de 1822 a pu dépouiller de quelques-unes de ses prérogatives, sans lui ôter ce noble désintéressement et cette indépendance d'esprit qui forment son plus bel apanage.

Dans la justice administrative, nous avons suivi pas à pas le

conseil d'état et la cour des comptes. Nous avons aussi consigné la loi du 28 pluviose an 8, qui concerne l'administration et la division générale du royaume par départemens et par arrondissemens communaux, à laquelle se trouvent appliquées toutes les dispositions législatives et réglementaires, ainsi que les décisions qui s'y rapportent. C'est surtout à cette partie de la distribution du pouvoir que de graves réformes sont à faire.

Faut-il dire maintenant, qu'à l'exemple de Domat, lorsque nous ne trouvons pas de règles certaines, ou lorsque nous voulons corroborer ces règles, nous ne craignons pas de nous servir de l'autorité des publicistes? Parmi les anciens, nous avons appelé à notre secours Montesquieu, Filangieri, Burlamaqui, Blackstone, Puffendorf, Mayer; et parmi les modernes, MM. de Châteaubriand, Benjamin Constant, Henrion de Pensey, Devaux du Cher. Dans un ouvrage destiné à être utile, nous ne pouvions mieux choisir que les opinions de ceux qui ont consacré leur existence à donner un noble essor à l'esprit humain.

Nous osons donc affirmer que l'ouvrage de Domat, appuyé par tant d'hommes célèbres, accompagné des lois et arrêts rendus jusqu'à ce jour, et qui justifient ses raisons, est encore le traité le plus complet de notre droit public.

Toutefois, la sagesse des hommes ne pouvant naturellement prévoir que les événemens les plus ordinaires, on rencontre chaque jour des questions nouvelles dont la solution n'existe pas dans le texte de la loi ; c'est alors qu'il faut remédier au silence du législateur, soit en procédant par analogie, mais avec précaution et discernement, soit en se réglant par des motifs d'intérêt public, ou par des exemples tirés des auteurs, bien qu'ils n'aient pas force de loi. Et qui mieux que Domat peut fournir de bons exemples dans les cas difficiles? Il a posé toutes les bases générales; et s'il avait besoin d'éloges, les nombreuses conférences que le droit actuel nous a permis de faire avec son important travail, fourniraient à jamais la preuve de la supériorité de son génie, qui n'a rien perdu de sa force par les changemens survenus dans la société des hommes. Les vrais principes ne varient jamais; les cas particuliers qu'il a pu omettre, parce qu'ils n'existaient pas de son temps, doivent être considérés comme exprimés, si la raison de décider est la même. Au surplus, le but qu'on ne doit pas perdre de vue, c'est qu'en droit public il faut juger par le plus ou moins d'importance des intérêts en conflit, et que l'intérêt général doit toujours dominer l'intérêt particulier. Ces grandes maximes de l'ordre social, le modeste avocat du roi au présidial de Clermont, Domat enfin, les a proclamées avec cette philosophie douce et persuasive, qui nous plaît d'autant mieux qu'elle est revêtue de tout le charme de la vérité; aussi n'a-t-il pas écrit seulement pour son siècle: inspiré par l'amour de la justice et de l'équité, il fut le précurseur de cette charte consti

tutionnelle dont Louis XVIII fit le palladium de la liberté de la France, et que nous avons rappelée presque à chaque page, tant les applications en sont fréquentes! Par la supériorité de son génie, Domat méritait l'honneur d'avoir posé les premières bases fondamentales de nos lois civiles et politiques; notre reconnaissance lui est acquise; il sera le contemporain de tous les âges, il sera immortel comme la charte *.

« Si les lois, dit Bacon, ont été accumulées les unes sur les autres, au point de former un grand nombre de volumes, ou de présenter une confusion telle qu'il soit nécessaire de les refondre et de les réduire en un seul corps dégagé de contradictions et d'obscurité; qu'on s'occupe sans délai d'un tel travail : que la difficulté de l'exécution ajoute à son prix et que ses auteurs soient mis au nombre des hommes qui ont bien mérité de la patrie (1). »

*Il y a des raisons supérieures qui sont de tous les temps, dit un profond jurisconsulte, M. Devaux, député du Cher, et dominent tous les âges de la société parce que la nature des choses où elles puisent leurs inspirations ne change jamais. Domat était du petit nombre de ces esprits privilégiés qui ont eu la force de s'élever au-dessus de notre droit civil pour en apercevoir l'ensemble, en coordonner toutes les parties, en fixer les principes, en exprimer les détails dans un style pur et concis, en distribuer les doctrines dans un enchainement méthodique. Cet esprit d'analyse et de classification des matières qui brille dans les meilleurs traités de Pothier, Domat l'avait mis, plus d'un siècle auparavant, dans le vaste plan de ses lois civiles, véritable panorama d'où l'observateur studieux jouit de la perspective la plus nette de toute l'économie du droit civil et de toutes les richesses de détails éclairés par une lumière douce et pénétrante, qui ne laisse rien dans l'obscurité. Guidé par Domat, on apprend sans peine, parce que l'on conçoit sans efforts ce qui est exprimé en forme de sentences axiomatiques douées de la clarté de l'évidence.

J'ai peur cependant que Domat ne soit pas aussi généralement étudié qu'il le mérite, par notre jeunesse qui se voue au culte des lois. M. Remy a rendu un service à la science en mettant les œuvres de Domat à la portée, pour le prix, de nos jeunes étudians, et en relation avec notre Code civil par les citations de chaque article de ce code, dont on trouve le développement dans chaque maxime de Domat, Pour faire sentir l'utilité de cette conférence, je prends un article au hasard. L'art. 1868 du Code civil dit: que l'héritier n'a droit qu'au partage et non à la continuation de la société. Pourquoi cela? Domat va nous l'apprendre : « parce que le choix est tellement essentiel pour former une société, que les héritiers même des associés ne succèdent point à cette qualité, parce qu'ils peuvent n'y être pas propres, et qu'eux aussi peuvent ne s'accommoder pas, ou du commerce que fait la société ou des personnes qui la composaient.»

Pour compléter l'instruction, M. Remy joint à la citation des articles (1) Bacon, de accumulatione legum nimiâ, aphorism. 59.

du Code civil qui correspondent à chaque point de doctrine de Domat, celle des institutes, des lois romaines, des arrêts de cassation, des lois, arrêtés, sénatus-consultes, décrets, ordonnances, avis du conseil d'état, décisions des ministres, arrêts des cours royales. Ainsi, le jurisconsulte lui-même trouvera dans cette édition, avec la théorie de Domat, qui n'a pas besoin de lui être recommandée, une sorte de manuel qui l'avertira sur-le-champ, par de telles citations, de tout ce qui peut l'éclairer sur la matière qu'il se propose de traiter, et le magistrat sur toutes les difficultés qui lui demandent une solution (1).

De tous les anciens et modernes jurisconsultes, dit M. Delagrange, avocat aux conseils du roi et à la cour de cassation, Domat est celui dont les ouvrages ont acquis le plus de célébrité, soit par la sage économie qui règne dans leur composition, soit par la lucidité de la méthode neuve et ingénieuse avec laquelle il développe tout le système de la législation civile et politique des Romains; aussi ses ouvrages ont-ils été la pierre fondamentale sur laquelle nos législateurs ont élevé l'édifice du Code civil, en adoptant ses principes, ses divisions, sa méthode et quelquefois son texte même.

La vaste science et l'esprit philosophique de Domat avaient élevé un phare dont la lumière éclairait le magistrat dans la recherche de la vérité, donnait du nerf à la logique et échauffait l'éloquence de l'avocat chargé de la faire triompher. Mais le cours inévitable du temps avait dégradé les parties extérieures de ce monument précieux, et son flambeau ne jettait plus sur notre horizon social qu'une lueur incertaine. M. Remy lui a rendu son utilité première. Pénétré de cette vérité, que le meilleur interprète des lois est le législateur lui-même, ce jurisconsulte a eu l'ingénieuse pensée de faire servir de commentaire au Code civil Domat lui-même, ce qui n'avait point encore été exécuté à l'égard de Domat par les jurisconsultes modernes. A cet effet, il a placé à la suite des textes de l'illustre auteur des lois civiles, textes qui font loi aujourd'hui par la sanction qu'ils ont reçue de la puissance législative, l'indication des articles de nos Codes qui s'y rapportent. Ceux-ci ne font qu'énoncer le principe; le lecteur en trouvera dans Domat le développement et le motif, comme, à son tour, le texte précis et impératif de nos Codes sert à fixer la pensée sur le véritable sens des expressions de Domat.

Au lieu de citer des fragmens des textes des lois romaines, M. Remy s'est contenté, dans les notes, de renvoyer à la loi, avec l'indication de tous les textes qui en renferment la source, le développement ou le commentaire, afin que l'on puisse y revenir dans les cas difficiles; il y a judicieusement substitué l'application des lois, arrêtés, sénatus-consultes, décrets, ordonnances du roi, avis du conseil d'état, décisions des ministres, et des arrêts de la cour de cassation et des cours royales, rendus sur ces matières, depuis la promulgation des Codes, c'est-à-dire qu'il reproduit, avec soin et fidélité, les solutions légales des questions controversées, et le sens désormais fixé des articles qui avaient pu diviser les auteurs et les tribunaux. De cette manière, M. Remy a lié et expliqué l'une par l'autre les deux législations; ce qui porte à croire que son ouvrage, fruit d'un immense et consciencieux travail, deviendra, par la suite, aussi populaire que nos Codes eux-mêmes, parce qu'il contient toute la partie positive et la partie doctrinale de notre droit public et privé.

Cette nouvelle édition des œuvres de Domat facilitera au jeune étu(1) Extrait du journal du Commerce, 4 mai 1829.

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