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conseil ou en adoptant des vues pacifiques. Les ministres d'une nation commerçante traitèrent avec légèreté une ouverture d'un şi grand intérêt pour son commerce. Ils répondirent que l'Angleterre ne pouvait rien au sort de la Hollande. Dans les illusions de lenr orgueil, ils méconnurent les motifs de cette démarche; ils feignirent d'y voir l'aveu de l'efficacité de leurs ar rêts du conseil, et la Hollande fut réunie. Puisqu'ils l'ont voulu, Sire, je crois utile aujourd'hui, et je propose à V. M. de consolider cette réunion par les formes constitutionnelles d'un sénatus-consulte.

La réunion des villes anséatiques du Lawenbourg, et de toutes les côtes depuis l'Elbe jusqu'à l'Ems, est commandée par les circonstances. Ce territoire est déjà sous la domination de V. M.

Les immeuses magasins d'Héligoland menaceraient toujours de s'écouler sur le continent si un seul point restait ouvert an commerce anglais sur les côts de la mer du Nord, et si les embouchures de l'lade dụ Weser et de l'Elbe ne lui étaient pas mées pour jamais.

fer

Les arrêts du conseil britannique ont entièrement détruits les priviléges de la navigation des neutres, et V. M. ne peut plus approvisionner ses arsenaux et avoir une route sûre pour sou commerce avec le Nord, qu'au moyen de la navigation intérieure.

La réparation et l'agrandissement du canal déja existant entre Hambourg et Lubeck, et la construction d'un nouveau canal qui joindra l'Elbe au Weser et le Weser à Ems, et qui n'exigera que quatre ou cinq ans de travaux et une dépense de quinze à vingt millions dans un pays où la nature n'offre pas d'obstacles, ouvriront aux négociants français une voie économique, facile et à l'abri de tout danger. Votre empire pourra commercer en tout tems avec la Baltique, envoyer dans le Nord les produits de son sol et de ses manufactures, et en tirer les productions nécessaires à la marine de V. M.

Les pavillons de Hambourg, de Brême et de Lubeck, qui errent aujourd'hui sur les mers dénationalisé par les arrêts du conseil britannique, partageront le sort du pavillon français et concourront avec lui, pour l'intérêt de la cause commune, au rétablissement de la liberté des mers.

La paix arrivera enfin ; car tôt ou tard les grands intérêts des peuples, de la justice et de l'humanité, l'emportent sur les passions et sur la haine; mais l'expérience de soixante années nous a appris que la paix avec l'Angleterre ne peut jamais donner au commerce qu'une sécurité trompeuse. En 1756, en Février, 1793, en 1801 à l'égard de l'Espagne, comme en Mai 1803 à l'époque de la violation du traité d'Amiens, l'Angleterre commença les hostilites avant d'avoir déclaré la guerre. Des bâtimens qui naviguaient sur la foi de la paix furent surpris; le commerce fut dépouillé; des citoyens paisibles perdirent leur Liberté, et les ports de l'Angleterre se remplirent de ses honteux

trophées. Si de tels exemples devaient se renouveler un jour, les voyageurs, les négociants anglais, leurs propriétés et leurs personnes saisies dans nos ports depuis la mer Baltique jusqu'au golfe Adriatique, répondraient de ces attentats; et si le gouvernement anglais, pour faire oublier au peuple de Londres l'injustice de la guerre, lui donnait encore le spectacle de ces prises faites au mépris du droit des nations, il aurait aussi à lui montrer les pertes qui en seraient la conséquence,

Sire, aussi long-temps que l'Angleterre persistera dan ses arrêts du conseil, V. M. persistera dans ses décrets. Elle opposera au blocus des côtes le blocus continental, et au pillage sur les mers la confiscation des marchandises anglaises sur le continent.

Il est de mon devoir de le dire à V. M.; elle ne peut espérer désormais de ramener ses ennemis à des idées plus modérées que par sa persévérance dans ce système. Il en doit résulter un tel état de mal aise pour l'Angleterre, qu'elle sera forcée de reconnaître enfin qu'on ne peut violer les droits des neutres sur les mers et en réclamer la protection sur le continent; que l'unique source de ses maux est dans ses arrêts du conseil, et que cet agrandissement de la France qui long-temps excitera son dépit et sa jalouise, elle le doit aux passions aveugles de ceux qui, violant le traité d'Amiens, rompant la négociation de Paris, rejetant les propositions de Tilsit et d'Erfurth, dédaignant les ouvertures faites avant la réunion de la Hollande, ont porté les derniers coups à son commerce et à sa puissance, et conduit votre empire à l'accomplissement de ses hautes destinées.

Je suis avec respect, Sire,

de Votre Majesté impériale et royale.

le très-fidèle et très-dévoué serviteur et sujet, CHAMPAGNY, duc de CADORE.

Paris, le 8 Décembre, 1810.

RECUEIL DE PIÈCES RELATIVES AUX NÉGOCIATIONS AVEC L'ANGLETERRE.

Les pièces relatives aux négociations entreprises avec l'Angleterre, avant la guerre de Prusse, ont déjà été publiées. La dernière de ces publications, faite en Octobre 1806, est celle de la négociation entamée à Paris par lord Yarmouth, ensuite continuée et rompue par lord Lauderdale. Mais cette publication, ne comprenaut que les notes officielles échangées entre les plénipotentiaires respectifs, n'a pas fait suffisamment connaître les circonstances qui ont accompagné la rupture. L'extrait du compte des deux dernières conférences entre les deux plénipotentiaires français et anglais, qui fut rendu dans le tems au ministre des relations extérieures, parti alors de Paris à la suite de S. M. atteint mieux ce but. On y verra que l'Angleterre a pu empêcher la guerre de Prusse, et qu'elle ne

l'a pas voulu et que c'est en vain que les résultats de cette campagne et l'augmentation de puissance qu'elle devait donner à la France ont été annoncés à son plénipotentiaire : le gouvernement anglais a voulu en courir les risques.

Quatre ans plus tard, il a pu également sauver la Hollande. On verra, dans les pièces d'une négociation, que le ministère hollandais essaya d'ouvrir avec le gouvernement britannique, que l'Angleterre a préféré la continuation de la guerre à l'in-, dépendance de la Hollande, comme il l'avait préférée au salut de la Prusse,

La France n'a donc été conduite au degré de grandeur of elle est parvenue que par l'obstination de l'Angleterre à prolonger cette guerre qu'elle déclare devoir être perpétuelle. Chaque époque où elle a rejeté la paix, est devenue pour la France une époque de gloire et d'accroissement de puissance.

1.

NÉGOCIATION DE LORD LAUDERDALE.

No. I.

Extrait du compte rendu au ministre des relations extérieures par le plénipotentiaire français.

Monsieur,

Paris, le 26 Septembre 1806.

...D'après

l'autorisation que m'en avait donnée S. M. l'empereur, j'ai déclaré à lord Lauderdale qu'une paix signée et ratifiée promptement avant que les opérations militaires eussent acquis une certaine importance, pouvait sur le champ en arrêter le cours, et qu'il se trouvait en position de jouer et de faire jouer à l'Angleterre le beau rôle de pacificateur du continent; róle d'autant plus beau, que l'Angleterre acquerrait par là le mérite de sauver une puissance contre laquelle elle est actuellement en guerre, mais dont son intérêt lui prescrit cependant de protéger l'existance. Lord Lauderdale a paru sentir la noblesse de cette proposition, et ce qu'elle a d'avantageux pour son pays. J'ai ajouté qu'il n'y avait qu'un moment pour cela : qu'une fois la guerre recommencée, il fallait de part et d'autre en courir les chauces, et que ni lui ni moi ne pouvions prévoir où la fortune de la France et le génie de son chef pourraient porter nos armes, notre influence et notre gloire.

C'est en réfléchissant sur cette déclaration et en se rappelant ma réponse sur l'impossibilité de céder la Dalmatie, que lord Lauderdale m'a dit qu'il enverrait un courier à sa cour; et il m'a demandé une seconde conférence.

Cette seconde conférence a eu lieu aujourd'hui à deux heures. Lord Lauderdale avait reçu un courier de Londres, qui lui avait apporté la nouvelle de la composition du ministère, et des instructions relatives à la négociation,

Mylord s'est montré plus invariable que jamais dans les propositions qu'il avait mises en avant et dans sa résolution de demander ses passeports; il m'a rappelé la déclaration que je lui avais faite de l'impossibilité d'arrêter par la paix la marche de l'armée française prête à entrer en campagne. Ce que vous n'avez déclaré, m'a-t-il dit, je vous l'aurais demandé au nom de mon gouvernement : j'en avais reçu l'ordre; mais je n'en rendrai pas moins au gouvernement français cette justice, que c'est lui qui a fait volontairement cette déclaration.

C'est immédiatement après cette conférence que lord Lauderdale écrivit au ministre des relations extérieures, la note Suivante;

No. II.

A. S. Exc. M. de Talleyrand, ministre des relations extérieures.

Monsieur,

Paris, le 26 Septembre 1810.

Je ne perds pas un moment à faire connaître à V. Exc. que le résultat de la conférence que j'ai eue aujourd'hui avec S. Exc. M. de Champagny ne me laisse malheureusement aucun espoir de pouvoir amener les négociations de la part de la Grande-Bretagne et de la Russie, à une issue favorable. Dans cet état de choses, et d'après mes instructions, il ne me reste d'autre parti à prendre, que de m'adresser à V. Exc. pour les passeports nécessaires, afin que je puisse retourner auprès de mon souverain.

En faisant ainsi cette demande à V. Exc. je ne saurais me refuser au plaisir que je ressens à témoigner ma réconnaissance de toutes les attentions personnelles que V. Exc. a bien voulu me marquer pendant mon séjour à Paris, et à exprimer en même tems les sentimens d'estime que j'ai toujours ressentis, et que je ressentirai dans tous les teins pour V. Exc. LAUDERDALE.

(Signé)
No. III.

A. S. Exc. mylord Lauderdale.

Mayence, le 30 Septembre, 1806,

Le soussigné, ministre des relations extérieures a mis sous les yeux se S. M. l'empereur et roi la note que S. Exc. mylord comte Lauderdale lui a fait l'honneur de lui adresser, le 26 de ce mois.

S. M. après s'être prêtée, dans le désir de la paix, à toutes les propositions qui auraient pu la rendre durable et respectivement utile aux deux puissances contractantes et à leurs alliés verra avec peine la rupture d'une négociation dont ses dispositions personnelles lui avaient fait espérer d'autre résul tat. Si le cabinet anglais veut renoncer à la perspective de la

paix si son ministre plénipotentiaire doit quitter la France, S. M. se flatte cependant que le cabinet anglais et lord Lauderdale, lorsqu'ils mesureront l'étendue des sacrifices qu'elle était disposée à faire pour avancer le retour d'une sincère réconciliation, auront la conviction intime que S. M. voulait, pour le bonheur du monde, ne mettre en balance aucun avantage avec ceux de la paix, et que l'intention d'en assurer les bienfaits à ses peuples, pouvait seule décider son cœur paternel à des sacrifices, non-seulement d'amour-propre, mais de puissance plus considérable que ne l'aurait indiqué l'opinion même du peuple anglais, au milieu d'une guerre où il aurait obtenu, sans aucun mélange de revers, de constans avantages. Toutefois, s'il était dans la destinée de l'empereur et du peuple français de vivre encore au milieu des guerres et orages que la politique et l'influence de l'Angleterre auraient suscités, S. M. après avoir tout fait pour mettre un terme aux maux de la guerre, se voyant déçue dans ses plus chères espérances, compte sur la justice de sa cause, sur le courage, l'amour, la puissance de ses peuples.

Mais se rappelant encore les dispositions qu'elle avait toujours exprimées dans le cours de la négociation, S. M. ne peut voir qu'avec regret que l'Angleterre, qui pouvait illustrer sa vaste puissance par le bienfait de la paix, dont le besoin se fait sentir à la génération actuelle et au peuple anglais, comme à tous les autres, en laisse volontairement échapper la plus belle occasion. L'avenir fera connaître si une coalition nouvelle sera plus contraire à la France que les trois premières. L'avenir dévoilera si ceux qui se plaignent de la grandeur et de l'ambition de la France, n'ont pas à imputer à leur haine, à leur injustice, et la grandeur et l'ambition dont ils accusent. La France ne s'est agrandie que par les efforts, renouvelés tant de fois pour l'opprimer.

Néanmoins, quelles que soient les inductions que l'on puisse tirer pour l'avenir du passé. S. M. sera prête, si les négociations avec l'Angleterre doivent être rompues, à les reprendre, au milieu de toutes les chances des événemens; elle sera prête à les rétablir sur les bases posées de concert avec l'illustre ministre que l'Angleterre a perdu, et qui, n'ayant plus rien à ajouter à sa gloire pour le rapprochement des deux peuples, en avait concu l'espérance, et a été enlevé au monde au milieu de son ouvrage.

Le soussigné a l'honneur de prévenir S. Exc. mylord comte Lauderdale, que M. de Champagny a été autorisé à lui délivrer les passeports qu'il lui a demandés.

Il saisit l'occasion de lui renouveler l'assurance de sa haute considération.

(Signé).

CH. MAU. TALLEYRAND.

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