Page images
PDF
EPUB

les batteries de la brigade que je commande, m'a conduit le patron et l'équipage dont s'est servi M. le général Sarrazin; je me suis empressé de faire subir uu interrogatoire à ces pêcheurs. Voici leur déclaration.

M. le général Sarrazin s'est embarqué ce matin, 10 Juin, sur un bateau de Camier, qui l'attendait près du poste de la Petite-Garenne, en disant qu'il voulait aller à Etaples; étant vis-à-vis la batterie de Danues, il passa sur un autre bateau, dit le Saint-Laurent, de Camier; il commanda alors au patron de cette dernière embarcation de s'éloigner du rivage pour pouvoir pêcher en allant à Etaples; aussitôt que ledit bateau fut loin des forts, on aperçut un brick ennemi au large. M. le général Sarrazin donna l'ordre de le conduire à bord, les pêcheurs refusèrent, en alléguant pour raison, qu'il leur était défendu expressément de mener quelqu'un chez l'ennemi; alors le général fit voir un poignard et des pistolets à la main, obligea lesdits pêcheurs à gouverner sur le brick, en disant qu'il avait ordre de S. Exc. le général en chef d'aller en parlementaire en Angleterre; l'équipage voyant le nègre domestique du général aussi armé, obéit et aborda le bâtiment anglais, où M. le général Sarrazin donna lui-même, par écrit, l'ordre que m'a rapporté le patron du bateau qui est revenu à terre, après cette expédition. Je garde l'original de cet ordre, qui est bien écrit de la main de M. le général Sarrazin,

Comme ces rapports et tous les renseignemens que je viens de prendre au sujet de cette affaire, out eu lieu de me surprendre, surtout par la certitude que j'ai acquise que le général Sarrazin a employé les menaces pour aller en parlementaire, j'ai l'honneur de vous prévenir que je viens de changer à l'instant les mots d'ordre et de railliement pour cette nuit, dans tous mes postes de la côte, sur la droite et la gauche de la Gauche.

Espérant recevoir des ordres de vous, mon général, je vais seulement pour cette nuit, ordonner de redoubler de surveillance sur la côte; moi-même, j'irai faire une ronde.

L'équipage du bateau pêcheur qui a conduit le général Sarrazin à bord du brick anglais, est en prison, et y restera jusqu'à ce que je puisse recevoir la certitude que le passage du général a été commandé par le général en chef.

Pour copie conforme,

(Signé) RENAUD.

Le secrétaire-général du ministre de la guerre,

(Signé)

FRIRION.

Copie du rapport du capitaine de la 7e compagnie de canonniers gardes-côtes, stationnée prés d'Etaples, au capitaine Renaud, adjoint à l'état-major, employé à Etaples.

Le 10 Juin, 1810. M. le général Sarrazin s'est embarqué ce matin à la PetiteGaronne, avec un pêcheur de Camier, pour faire la pêche.

Etant au large, il a aperçu un brick anglais; il a forcé l'équi page de le conduire à bord dudit brick, leur disant qu'il avait l'ordre du général en chef d'aller en Angleterre en parlementaire. Le batcau pêcheur est rentré à la batterie à 4 heures. Je vous fais passer l'ordre du général donné à l'équipage.

Copie de la déclaration que le général Sarrazin a remise à l'équipage du bateau pêcheur, le Saint-Laurent.

Le général Sarrazin déclare avoir ordonné à son équipage du bateau de pêche le Saint-Laurent, de Camier, de le conduire à bord d'un brick anglais, pour affaire de service.

A bord du brick le Neynolas, le 10 Juin, 1810.

Pour copie conforme,

(Signé)

Le secrétaire-général du ministre de la guerre.

(Signé)

MARION.

FRIRION.

Copie du rapport d'un brigadier des douanes, à M. Cavalier, capitaine des douanes à Etaples.

Mon capitaine,

Je vous dirai que le Général Sarrazin est passé en Angleterre: à une heure après-midi, il est entré dans un brick anglais : il a fait avancer la barque de force par les pêcheurs qui le conduisaient, en leur disant qu'il allait en parlementaire: il leur a promis qu'il viendrait après demain diner chez Madame Vergeanon, à Etaples; les pêcheurs l'ont refusé; il leur a mis le pistolet à la gorge et le poignard à la main, lui et son nègre. (Signé) TOLLAT, brigadier.

Pour copie conforme,

Le secrétaire-général du ministre de la guerre,

(Signé)

Ordre du jour, du 11 Juin, 1810.

FRIRION.

L'armée vient d'être témoin d'un événement le moins attendu, et qui n'a pu que la frapper de la plus vive indignation.

Le général Sarrazin s'est rendu traître à la patrie et au souverain, qui, par ses nombreux bienfaits, a su commander la reconnaissance et l'amour de tous les Français. Ce général a abandonné le poste qui lui était confié, pour passer chez l'ennemi. Par cet acte abominable, il se convre du plus grand opprobre, et se voue au profond mépris de toutes les nations, même de celle dont il vient d'embrasser la cause. L'armée peut avoir l'assurance que toutes les mesures sont prises pour que ce crime n'ait aucun résultat fâcheux; que tous les calculs que le général Sarrazin pourroit avoir formés seront aisément renversés, et que la honte seule restera au coupable, qui a pu fouler aux pieds les devoirs les plus sacrés, pour adopter des sentimens eriminels, et dignes de la punition la plus rigoureuse.

Le général en chef recommaude expressément à MM. les

généraux et à tous les officiers commandant sur les côtes, de prendre toutes les mesures pour que le général Sarrazin, dans le cas où, sous un prétexte quelconque, il reparaîtrait ici, soit de suite arrêté partout où il se trouveroit, et soit conduit, sous bonne et sûre escorte, au quartier-général du général en chef. Cette disposition très-importante doit être ponctuellement suivie. VANDAMME.

(Signé)

3 Juillet, 1810.

La fête du prince de Schwarzenberg a eu lieu hier. LL. MM. II. et RR. y ont assisté. Elles sont arrivées à dix heures. Le jardin était illuminé avec beaucoup de goût. Il offrait différentes vues des pays que l'impératrice chérissait pendant son enfance. Les artistes de l'opéra exécutaient des danses, vêtus dans le costume des différens peuples de la monarchie autri、 chienne. Cette partie de la fête a été suivie d'un beau feu d'artifice. Douze cents personnes avaient été invitées. Pour recevoir une société aussi nombreuse, le prince, selon l'usage suivi à Paris, avait fait construire en planches une salle de bal, ornée de peintures, de gazes, de mousselines, et autres étoffes légères. Cette salle offrait un très-beau coup-d'œil. La reine de Naples a ouvert le bal avec le prince Estherazi, et le viceroi avec la princesse Pauline de Schwarzenberg, femme du frère aîné de l'ambassadeur. Après les quadrilles, on a dansé une écossaise, pendant laquelle LL. MM. se sont levées pour faire le tour du cercle et parler aux dames. L'impératrice était déjà retournée à son fauteuil, et l'empereur se trouvait à l'autre extrémité de la salle, et venait de passer auprès de la princesse Pauline de Schwarzenberg, qui lui avait présenté les princesses ses filles, lorsque la flamme d'une bougie atteignit les draperies d'une croisée. Le comte Dumanoir, chambellan de l'empereur, et plusieurs officiers qui se trouvaient près de lui, voulurent arracher les rideaux, mais la flamme gagua plus haut. On prévint sur-le-champ l'empereur, qui n'eut que le tems d'aller auprès du fauteuil de l'impératrice, et qui fut aussitôt entourée par l'ambassadeur et les officiers de la légation autrichienne, qui l'engagèrent à sortir. Le feu se propageant avec la rapidité de l'éclair, et S. M. se retira au petit pas avec l'impératrice, recommandant le calme, afin de prévenir tout désordre. Les issues de la salle étaient heureusement très-spacieuses, et la foule put facilement s'écouler et se répandre dans le jardin ; mais beaucoup de mères perdirent du tems en cherchant leurs filles, dont elles avaient été séparées par l'écossaise, et beaucoup de jeunes personnes, en cherchant à se réunir à leurs mères. La rapidité de l'incendie fut telle que la reine de Na.

[ocr errors]

ples, qui marchait à la suite de l'empereur, étant tombée, ne fut sauvée que par la présence d'esprit du grand duc de Wurz. bourg. La reine de Westphalie fut conduite hors de la saile, donnant le bras an roi de Westphalie et au comte de Metternich. Le viceroi, qui était resté au fond de la salle, et qui craignait de s'engager dans la foule avec la vicereine, s'aperçut que la chute des lustres et du plafond lui interceptait le passage, il avait par bonheur remarqué une petite porte qui donnait dans les appartemens de l'hôtel, et par laquelle il sortit. Persoune, henreusement, n'a péri. Une vingtaine de dames ont été plus ou moins blessées. La princesse de la Leyen, la femme du consul de Russie, celle du général baron Tousard, et celle du préfet de l'Istrie, ou saisies par l'évanouissement, ou arrêtées dans leur marche par quelques obstacles, l'ont été grièvement. Le prince Kurakin, ambassadeur de Russie, a eu le malheur de faire une chute sur les marches qui conduisaient de la salle au jardin, et qui étaient alors enflammées. Il a été un moment sans connoissance. Deux officiers de la légation autrichienne, et deux officiers de la garde impériale, l'out sauvé. Il est au lit et assez souffrant.

Le jardin, fort vaste et très-bien éclairé, a offert pendant une demi-heure le spectacle de pères et de mères appelant leurs femmes, leurs époux, et leurs enfans, et qui, au moment où ils se retrouvaient, s'embrassaient avec transport, comme si une longue absence les eut séparés.

L'empereur et l'impératrice montèrent en voiture à la porte du jardin. Lorsque l'empereur eut rejoint ses équipages de campagne qui l'attendaient au Champs-Elysées, et y eut remis l'impératrice, il revint chez le prince de Schwarzenberg, avec un aide-de-camp.

La princesse Pauline de Schwarzenberg étant restée une des dernières dans la salle du bal, elle tenait une de ses filles par la main. Un débris embrâsé fit tomber cette jeune personne, qu'un homme qui se trouvait près d'elle, releva et porta hors de la salle. Elle fut elle-même entraînée dans le jardin. Ne voyant plus sa fille, elle courait partout, l'appelant à grands cris. Elle rencontra le roi de Westphalie, qui chercha à la calmer. Elle s'adressa de même au prince Borghèse et au comte Regnaud. Après un quart-d'heure de recherche, poussée par l'héroïsme de l'amour maternel, elle rentra dans la salle enflammée, et depuis ce moment, on ne sut plus ce qu'elle était devenue. On devint alors maître du feu, et l'hôtel de l'ambassadeur fut préservé et le calme se rétablit,

Le prince Joseph de Schwarzenberg passa la nuit à chercher sa femme, qui ne se trouva ni chez son frère, l'ambassadeur, 'ni chez Mme. de Metternich. Il doutait encore de son malheur, lorsqu'au point du jour on trouva dans les débris de la salle un corps défiguré, que le docteur Gal crut reconnaître pour celui

de la princesse Pauline Schwarzenberg. Il ne resta plus de doute, lorsqu'on reconnût ses bijoux et le chiffre de ses enfans qu'elle portait à son cou,

La princesse Pauline de Schwarzenberg étoit fille du sénateur d l'Aremberg; elle était mère de huit enfans et grosse de quatre mois. Elle était aussi distinguée par les grâces de sa personne que par les qualités de son esprit et de son cœur. L'acte de dévouement qui lui a coûté la vie, prouve combien elle est digne de regrets, car la mort était évidente; les flammes sortoient en tourbillons; une mère seule était capable d'affronter un tel danger.

On craint pour les jours de la princesse de la Leyen; de la femme du consul de Russie, et de la baron Tousard. Quinze ou seize personnes, plus ou moins blessées, sont sans danger, Le prince Kurakin a dormi, et l'on avait ce soir lieu d'espérer que son accident n'aurait pas de suites funestes.

L'ambassadeur d'Autriche, dont il est facile de se peindre horrible position, a montré pendant toute la nuit ces soins, cette activité, ce calme, cette présence d'esprit, qu'on devait attendre de lui. Les officiers de sa légation et de sa nation ont donné les marques les plus signalées de courage et de dévouement. Le public a su le plus grand gré à l'ambassadeur de le voir accompagner l'empereur et l'impératrice jusqu'à leur voiture, oubliant les dangers auxquels était exposée sa famille, qui a heureusement été préservée de tout accident. L'empereur s'est retiré à trois heures du matin. Il a envoyé plusieurs fois pendant le reste de la nuit pour s'informer du sort de la princesse Pauline de Schwarzenberg, qui était encore incertain. Ce n'est qu'à cinq heures du matin qu'on lui a rendu compte de sa mort. S. M., qui avait une estime particulière pour cette princesse l'a vivement regrettée.

S. M. l'impératrice a montré le plus grand calme pendant cette soirée. Lorsque ce matiu, à son réveil, elle a appris la mort de la princesse Pauline de Schwarzenberg, elle a répandu beaucoup de larmes.

4 Juillet, 1810.

Paris, le 3 Juillet.

Rapport à S. M. l'empereur et roi, du 30 Juin, 1810,
Sire,

Votre Majesté m'a chargé, par son ordre en date du 18 de ce mois, de lui faire un rapport sur ce qui regarde l'ex-général Sarrazin.

Jean Sarrazin est né au bourg de Saint-Silvestre, canton de Penne, département de Latet-Garonne, le 15 Août, 1770. Ses parens étaient cultivateurs.

« PreviousContinue »