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La session dernière avait offert tant de débats et d'attaques de ce genre, qu'on pouvait encore espérer de voir ceux-ci passer comme un orage. Mais les adversaires habitués du ministère y mettaient cette fois plus de suite et d'acharnement. Ils se sentaient plus d'appui. Ainsi, le 8 décembre, à l'occasion d'une pétition du sieur Haly, qui demandait, non pas la conservation de la censure des journaux, mais une loi organique qui, en traçant aux journalistes leurs devoirs, les forçât de se renfermer dans de justes bornes, M. de Castelbajac, s'élevant de nouveau contre les ministres, leur reprocha, « après avoir périodiquement demandé la censure pour un an, en promettant un projet de loi répressive à la session prochaine », de venir la demander maintenant pour cinq ans. Et à ce sujet, reproduisant avec plus d'énergie les agressions précédentes:

«C'ester t pour se maintenir dans son pouvoir, dit l'orateur, que le ministère présente une chambre loyale et fidèle comme une chambre ennemie de la monarchie. Car il n'y a pas de milieu; si l'adresse contient des expressions injurieuses à la majesté royale, nous ne sommes que des factieux. Or, si la chambre est factieuse, si elle est indigne de la confiance du monarque, hâtez-vous de la renvoyer; appelez-en à l'opiniou publique. Mais si réellement vous l'avez calomniée, alors le seul parti qui vous reste cst de vous retirer. Rendez-nous le cœur du monarque et sa confiance que nous méritons, et ne venez pas sans cesse calomnier nos intentions près de lui........ »

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Il ne se trouvait encore à ce moment au banc des ministres que M. le garde des sceaux. En se levant pour répondre à cette nouvelle attaque, il observait d'abord qu'en sortant des voies établies par la charte et par les règlemens de la chambre, on meltait les ministres dans une fausse position, on amenait des questions qu'ils ne peuvent pas discuter dans toute leur étendue, que, dans l'occasion actuelle, il ne pouvait ni reproduire la discussion de l'adresse et du discours du roi, ni anticiper celle de la liberté des journaux soumise à la chambre.

!

« Quant au passé, dans lequel on englobe habituellement tous les minis

tères qui se sont succédés, dit S. G., c'est une question générique de ministère. Il est cependant bien difficile de dire aux ministres que ce passé leur a fait perdre la confiance des chambres, puisqu'enfin toutes les mesures qui ont soutenu le système qu'ils avaient adopté, et qu'ils ont cru devoir adopter pour le bien de l'Etat et du pays ont été sanctionnées par les chambres... Pour l'ave nir, sans doute ce serait un malheur si les hommes que le roi a daigné honorer de sa confiance avaient perdu celle de la majorité des deux chambres, Cependant cela ne serait pas encore une raison déterminante pour faire abandonner le timon des affaires. (Murmures à gauche... Une voix : Qu'attendezvous done?) Ce ne serait pas une raison qui pût autoriser les ministres à supplier le monarque de placer en d'autres mains la confiance qu'il daigne leur continuer. Il faut pour cela, messieurs, qu'il se présente un système, tout formé, un système capable de succéder au système existant.... Il faut encore qu'il s'élève au-dessus de la chambre des hommes mus par une longue communion de principes qui présentent au roi l'assurance d'une majorité à venir dans les deux chambres, et d'un système de gouvernement possible....

Il est des circonstances qui peuvent embarrasser la conduite d'un gouvernement; mais lorsqu'un ministère se trouve embarrassé dans sa marche, et qu'il ne rencontre pas les circonstances que je viens d'indiquer, il n'est pas embarrassé seul; vous êtes embarrassés avec lui, parce que vous êtes, ainsi que le ministère, solidaires et responsables du bien de votre pays.... La chambre comprendra que, dans la position officielle que j'occupe, ce sont là les explications les plus étendues, les plus claires que je puisse lui donner, les ales sur lesquelles j'appelle toutes ses réflexions, les seules par lesquelles je cris devoir répondre aux attaques vagues, aux observations peu dignes et beaucoup trop violentes qu'on s'est permises. ›

Déjà le centre était impatient d'aller aux voix sur la question de la pétition; mais M. de Salaberry engagea la querelle par une sortie plus violente, non contre le ministère tout entier (il en excepta nommément M. le duc de Richelieu), mais contre le miDistre des affaires étrangères et contre ceux qu'il appelle ses sociétaires ou affranchis, et qu'il regarde « comme liés par un serment maçonique au maintien de l'arbitraire » ; — à quoi M. le garde des sceaux, toujours seul au banc des ministres, se crut encore obligé de répondre,

« Je déclare hardiment, tant en mon nom qu'en celui de ceux de mes collègues que l'on voudrait excepter de ces attaques, qu'il nous est impossible d'accepter pour aucun de nous de telles distinctions on de telles exceptions. Par cela seul que des ministres siègent dans le même conseil, ils participent tous aux résolutions adoptées par ce conseil; ils y participent, dans le cas

même où leur avis particulier n'aurait pas prévalu dans la délibération; ils y participent tant qu'ils restent dans le conseil. Je réclame donc la responsabilité commune à tous, comme l'est la responsabilité, mais une accusation portant sur des faits clairement articulés, et non sur de vaines déclamations; alors je promets de répondre à tout, et j'espère tout réfuter.... »

A ce langage, qui annonçait dans le ministère plus d'accord et de résolution que ses adversaires ne lui en supposaient, le centre, plus rassuré, demandait à grands cris la mise aux voix du renvoi de la pétition. Mais un des orateurs les plus spirituels de la chambre (M. de Chauvelin) se présentait à la tribune. C'était le premier du côté gauche qui se montrait dans cette lutte engagée entre le côté droit et le ministère; il vint à bout de se faire entendre.

D'abord il peignit d'une manière ingénieuse et piquante l'embarras du ministère; il s'éleva contre l'indiscrétion des feuilles soumises à son influence, qui attaquaient la majorité de la chambre, comme le résultat éphémère d'une intrigue et d'une association hétérogène, en même temps qu'on employait les moyens les plus obscurs pour égrainer la majorité de cette chambre.

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« Si tous les élémens de cette chambre sont contraires au ministère, dit l'orateur, qu'il en accuse son imprudence, elle seule les a rassemblés. La nouvelle majorité qui s'élève, et qui lui cause tant de trouble, s'est manifestée dans l'importante délibération de l'adresse...; oui, messieurs, je le répète, de cette adresse si belle et si peu reprochable, que sitôt qu'elle a paru, personnes de la meilleure foi ont dit, en la lisant : C'est bien : la phrase bostile et menaçante en est retranchée! tandis que le ministre cherchait à accréditer cette idée que l'adresse était le résultat d'un complot dont le but était de se partager les places, et que le centre seul devait se trouver pressé et dispersé dans cette occurrence.

« Au milieu de pareils événemens, chacun de nous doit éprouver le besoin d'exposer sa conduite à découvert, et de déjouer tant d'intrigues par la publicité et la franchise. Je dirai donc de bonne foi que je n'ai voté l'adresse par aucun sentiment hostile contre les ministres ; j'irai même plus loin, et j'avouerai que j'ai craint d'abord de m'égarer en marchant de concert avec des homines auxquels j'étais opposé depuis si long-temps, et dont j'étais éloigné par les principes qu'ils avaient professés jusqu'alors, et qui m'ont toujours paru funestes; mais j'ai lu attentivement l'adresse, et j'ai été étonné de la trouver dépouillée de toutes ces phrases banales qu'on avait prodiguées jus

qu'alors contre la révolution, de toutes ces phrases qui excitent à la division et se détournent des intérêts publics.

« Je l'ai votée avec d'autant plus de confiance et de satisfaction, que j'ai senti qu'elle pourrait être signée de tous les Français; je dirai même qu'elle' était favorable au ministre des affaires étrangères qui l'a tant combattue, puisqu'elle lui donnait le moyen de traiter avec plus d'avantage, et d'influer avec plus de poids, au nom de la France, dans la balance politique. Il est à regretter que M. le ministre des affaires étrangères ne se soit pas élevé jusqu'à

celle vue.

Le ministère répand avec affectation, et fait répéter à toutes les oreilles qu'une association monstrueuse a été formée, et que cette singulière alliance doit porter au pouvoir des hommes dangereux et exagérés. Sans doute la perspective d'un pareil danger ne nous a pas échappé à nous-mêmes; mais nous avons en même temps considéré qu'il devait enfin arriver le jour où, la France cessant d'être déchirée par de fatales dissensions, tous les hommes qui ont quelque raison, quelqu'attachement à leur pays, uniront leurs efforts et leurs talens pour le salut de la patrie. (Bravos répétés à droite et à gauche. ) Je n'ai pas écarté cet espoir en votant l'adresse, et c'est avec d'autant plus de plaisir que je ne l'ai pas regardée pour mes honorables amis, près desquels j'ai le bonheur de siéger, comme une porte ouverte au pouvoir.

« Ainsi que je l'ai déjà dit, nous sommes placés depuis long-temps à cet égard loin de l'atteinte du soupçon; et l'on sait que ce n'est pas à nous que peuvent être réservées les faveurs de la puissance : peu nous importe que ces messieurs en disposent, pourvu qu'ils fassent le bien, pourvu qu'ils relisent aque heure de la journée l'adresse que nous avons votée avec eux. Que si, an contraire, ils revenaient aux principes qui nous effrayaient de leur part, depuis si long-temps, nous leur résisterions leur adresse à la main, et la France, qui conserve encore tant de craintes et tant de préventions contre eux, leur résisterait avec nous. Nous serions alors dans une position bien plus nette, bien plus favorable au triomphe de la vérité; nous ne serions pas comme aujourd'hui travaillés par un parti intestin (Eclats de rire prolongés), qui n'est anjourd'hui si remuant, si menaçant, si agile, que parce que l'heure est arrivée où il doit céder sa place aux intérêts français.

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Après ce discours, terminé par quelques réflexions sur un changement de ministère et de majorité, discours qu'on peut regarder à certains égards comme une page d'histoire, à d'autres comme une protestation anticipée dans le cas d'un changement de ministère, le président se hâta de mettre aux voix et de prononcer le renvoi de la pétition à la commission chargée d'examiner les lois sur la pressse, et à M. le président des ministres, comme pour éviter de faire une épreuve délicate pour un objet peu important.

Dans la même séance, un moment après, il s'éleva une ques

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tion qui donna encore quelque mortification au ministère. Il s'agissait simplement de savoir s'il serait créé deux commissions séparées pour examiner la loi répressive des délits de la presse et celle de la prorogation de la censure des journaux pour cinq ans, et laquelle des deux lois serait discutée la première. M. le garde des sceaux, sans s'arrêter à la question des deux commissions, opinait fortement sur la nécessité de discuter d'abord la loi répressive, afin, disait-il, de se former une conviction sur l'insuffisance ou sur l'efficacité de répression, attendu que, dans le cas où on la trouverait suffisante, on pourrait rejeter la censure... » Mais M. de la Bourdonnaye faisait observer que la première discussion devait être fort longue, tandis que celle de la censure était une foi d'arbitraire sur laquelle l'opinion de la chambre devait être toute formée, sur laquelle les députés ne pouvaient différer d'avis que d'après leur confiance plus ou moins grande dans le ministère qui doit en disposer. En conséquence il demandait les deux commissions et la priorité du rapport pour la loi de censure. Il serait trop long de rapporter les détails de cette discussion, où MM. RoyerCollard et Benjamin Constant défendirent l'opinion de M. de la Bourdonnaye. A la fin il fut convenu, sans que le parti ministériel osat tenter de mettre les questions aux voix, qu'il serait nommé deux commissions, et que celle qui aurait fait le plus tôt son travail serait entendue la première.

Cette décision, en apparence accessoire, mais désagréable au ministère, qui voulait gagner du temps, était un préjugé fâcheux sur la question de la censure. (11 décembre. ) Le choix de la commission fit voir plus clairement l'opinion des bureaux : il ne s'y trouva que des adversaires connus de la censure (1), et, comme pour en achever la manifestation, la commission nomma dès le lendemain pour rapporteur M. le comte de Vaublane, le même

(1) 1er bureau, M. le comte Leviste de Montbriant; 2o, M. le marquis de Causans; 3o, M. le comte de Vaublanc; 4, M. le comte Foy ; 5o, M..Delalot; 6o, M. le comte de Granoux; 7o, M. de Bouville; 8, M. le comte de Floirac; 9, M. Boucher.

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