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formes mêmes du langage dont se sert l'adresse, il y avait un fonds d'inquiétude qu'il ne serait pas sage de jeter au milieu de la nation; comme le roi ne saurait compromettre la dignité de sa couronne, et que toute insinuation à cet égard est irrespectueuse, le ministre espérait que la chambre ne voudrait pas en donner l'exemple.

Alors M. Delalot, membre de la commission, à qui l'on attribuait la rédaction de l'adresse, se levant pour la justifier, dit en substance:

Si la réponse au discours de la couronne ne devait être qu'une amplification ornée d'expressions élégantes pour déguiser la vérité et la rendre imperceptible aux yeux de S. M., je concevrais les doctrines que vient d'exprimer ici M. le ministre : mais votre commission s'en est fait, comme la chambre, une tout autre idée. Elle sait que la France veut trouver dans l'adresse l'expression vraie de ses sentimens; et certes, ce n'est pas à l'école des ministres que nous serions allés la chercher. Il faut savoir le but et l'effet du discours de la couronne. Il me semble que le roi y montre la France telle qu'il l'a vue par les yeux de ses ministres, car il ne peut voir que par eux. S'il s'établit des relations constitutionnelles entre nous et le monarque, ce n'est pas pour que vous approuviez tout ce que lui ont dit ses ministres, c'est pour lui dire la vérité. Le roi vous la demande, et la France ne vous ene que pour la dire. Il faut accomplir, par la parole, cette mission que l'habitude de nos mœurs ministérielles à rendue jusqu'à ce jour si difficile. Tout ce qui n'est pas dans cette mesure est de la faiblesse.......

- Dans les gouvernemens représentatifs, ajoute M. de la Bourdonnaye, répliquant à M. le garde des sceaux, qui insistait pour le retranchement du paragraphe, comme injurieux au roi, dans les gouvernemens représentatifs, rien n'est attribué au roi, mais aux dépositaires de son autorité. A quoi servirait la charte si on ne pouvait blâmer aucun de leurs actes? C'est donc pour obéir à un devoir et pour remplir un droit constitutionnel que la commission s'est exprimée comme elle l'a fait: d'ailleurs, pour bien jager, il faut prendre les choses de très-haut; il faut examiner ce qui se passe depuis sept ans dans les cabinets, et voir surtout quel rôle joue la France au milieu de l'Europe étonnée de notre silence.

Parlerai-je de ce traité si honteux du 20 novembre (1), dont le souvenir pése encore sur les cœurs français? mais depuis l'évacuation de notre territoire, depuis qu'une alliance générale a eu pour but de rappeler les principes de l'équilibre de l'Europe, je demande ce qu'est devenue l'intervention de la France. Quand des princes de la maison de Bourbon ont vu leurs penples se soulever contre eux, quand il s'agit de mettre un frein à ces révoltes, quel rôle a joué la France? Et lorsque des pays voisins ont été envahis et que

(1) On trouvera daus la séance du 19 mars de l'année 1822 une éloquente digression de M: Laîné, en justification de ce traité.

T

tant de cités gémissent aujourd'hui sous l'occupation étrangère, quelle voix a fait entendre la France en faveur des princes et des peuples qui ne lui sont pas moins unis par la politique que par les liens du sang? He quoi! messieurs, quand une puissance prépondérante menace l'indépendance de toutes les au'tres; quand on affiche les desseins les plus étonnans, les plus gigantesques; quand il s'agit de savoir si le continent sera esclave, si notre plus ancien allié disparaitra de l'Europe; si même dans quarante ans la France sera encore une puissance; c'est alors que nous restons indifférens à tout ce qui se passe et à tout ce qui se prépare autour de nous! Songez-y, messieurs, ce sont les destinées de l'Orient qui se balancent, et la France verrait froidement la crise qui s'avance, la crise qui est si importante pour son repos et pour son indépendance! Si la puissance gigantesque qui pèse sur le continent s'ouvre encore une porte sur une nouvelle mer, que deviendra le reste de l'Europe, que deviendra la France?

« Je ne pense pas que ce soit outrager le roi que de demander à ses ministres pourquoi son nom ne figure pas dans des actes et dans des stipulations qui intéressent si vivement ses peuples et l'indépendance de sa cou

ronne.»

A ces véhémentes attaques, M. Courvoisier, invoquant les principes et les usages parlementaires, faisait observer qu'il n'était ici question que d'une adresse d'hommages et non d'accusation; que si les ministres s'étaient rendus coupables de faiblesse ou de lâcheté, que s'ils avaient compromis la dignité du trône, il fallait les attaquer franchement par des voies constitutionnelles...... Son discours fut reçu de la double opposition comme la défense des ministres.

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Du côté gauche, d'abord M. de Corcelles, qui ne put achever le discours qu'il avait préparé, parce qu'il parut étranger à la question, ensuite le général Foy, continuèrent l'attaque commencée par le côté opposé. Ce dernier soutint, avec une modération remarquable, le principe que la chambre avait le droit de porter au pied du trône l'expression des vœux et des besoins publics, et même de combattre les allégations des conseillers de la couronne toutes les fois qu'elles paraissaient en opposition avec la vérité et avec l'intérêt du pays.

« Assurément, dit-il, la France veut la paix, et non celle qu'implore la faiblesse.... J'en appelle à toutes les nuances d'opinion, notre diplomatie, par rapport aux affaires de Naples, a-t-elle été digne du roi et de la France? Le chef des Bourbons n'avait-il pas le droit direct d'intervenir principalement et immédiatement dans les décisions prises par les puissances à l'égard d'un prince de sa maison? La France peut-elle rester indifférente à la su

prématie exercée par les souverains du nord sur ce qui se passe au-delà des Alpes?

< Tout récemment encore, nous avons lu dans les gazettes un traité en vertu duquel des troupes étrangères occuperont les Etats du roi de Sardaigne (V. l'Appendice), d'un prince notre plus proche voisin, d'un prince dont les provinces sont, pour ainsi dire, mêlées à nos départemens. Je vois dans ce traité le roi de Prusse et la signature d'un M. Fetit-Pierre son plénipotentiaire; et le roi de France, le roi de 30 millions d'hommes, n'est pour rien dans ce qui se passe à notre porte; son nom n'est pas même prononcé dans un traité dont il eût été si glorieux pour nous de prévenir les suites fu

nestes.... »

sceaux,

.... Et de ces considérations l'honorable membre conclut qu'il y a convenance respectueuse dans les expressions de l'adresse. Quoiqu'attaqué et souvent interrompu des deux côtés de la chambre, le ministère se défendait toujours. M. Laîné s'élevait surtout contre l'expression de paix achetée..... M. le garde des revenant sur la phrase qu'il avait signalée comme injurieuse, la repoussait encore comme équivoque. « L'esprit de parti, disait-il, l'expliquera en deux sens. Ceux-ci, comme M. de Corcelles, y verront la critique du gouvernement du roi en ce qu'il n'a pas assez favorisé les peuples dans leurs révoltes : ceuxla, comme M. de la Bourdonnaye, en ce qu'il n'a pas assez contribué aux mesures de sévérité prises contre eux... » Enfin, après bien des explications, des récriminations, des reproches mutuels et des signes d'impatience de toute l'assemblée, on alla aux voix sur la suppression du paragraphe, qui fut conservé, et l'adresse entière, votée au scrutin secret, fut adoptée sans correction, sans suppression, sans amendement, telle que la commission l'avait proposée, par 176 voix contre 98, sur 274 votans. Cette redoutable majorité était formée des deux côtés opposés de la chambre. Au centre gauche, quatre députés seulement s'étaient levés pour la suppression du paragraphe. Au côté droit, M. de Villèle, qui y avait repris sa place ordinaire, ne se leva ni pour ni contre, circonstance qui fut remarquée comme une preuve de sa rupture avec le ministère.

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C'est la première fois que, dans une discussion où les partis avaient une occasion si naturelle de se diviser sur la question des affaires de Naples et de Piémont, et malgré les efforts que le

pour

garde des sceaux fit les mettre aux prises, afin de rompre un accord si étrange, ils évitèrent scrupuleusement tout ce qui pou vait les blesser.

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( 27-30 novembre. ) Il est d'usage que l'adresse en réponse au discours du trône soit présentée au roi par une grande députation le jour ou le lendemain qu'elle a été volée. Cependant trois jours se passèrent dans l'incertitude des dispositions de S. M., au bout desquels le ministre de l'intérieur fit connaître, par une lettre à la chambre, l'intention où le roi était que cette adresse lui fût remise le 30 à huit heures du soir par le président et deux secrétaires de la chambre. On se souvient que S. M. ne voulut point en entendre la lecture, en disant qu'elle aimait à croire que ceux qui l'avaient votée n'en avaient sans doute pas pesé toutes les expressions. Nous ne répéterons point ici ses paroles, elles sont encore dans la mémoire de nos lecteurs, et nous les avons recueillies pour l'histoire (Voyez l'Appendice.).

D'après l'improbation si solennelle de l'adresse, le triomphe du ministère paraissait assuré. On parlait plus que jamais de la dissolution de la chambre, ou du moins d'abréger cette session où l'on se bornerait à faire passer le budget de 1822 et la censure; et comme la plus grande force du ministère est dans la confiance qu'il inspire de sa durée, il se flattait de briser la coalition hétérogène des deux extrémités, et de se refaire une majorité. On ne fut pas long-temps à le désabuser.

(3 décembre.) A la première séance publique après la réception de l'adresse, M. le garde des sceaux vint présenter à la chambre deux projets de loi. Le premier contenait des dispositions additionnelles sévères aux lois existantes relatives à la répression et à la poursuite des délits commis par la voie de la presse; nous ne nous y arrêterons point, parce que la discussion appartient à l'histoire de 1822. Le second demandait la prorogation de la censure jusqu'à la fin de la session de 1826... Cette proposition, faite au moment où fermentaient la chaleur et l'effervescence des partis, fut reçue des deux extrémités de la chambre avec la répugnance la plus marquée...... On n'attendait pour attaquer le ministère

qu'une occasion trop tardive au gré de l'opposition. M. Delalot la trouva. Sous prétexte qu'il n'avait pas été fait, depuis plus de huit jours, de rapport sur les pétitions, il se leva pour demander le rappel à l'art. 66 du règlement.

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Voudrait-on, dit-il, en éloignant le rapport des pétitions, en vous donnant par-là la couleur de l'indifférence pour les plaintes des opprimés, voudrait-on se ménager un prétexte pour vous calomnier devant la nation, comme on a déjà trouvé le secret de vous calomnier devant le trône? Ou bien, en évitant les discussions publiques, espérerait-on ravir à la chambre le moyen de manifester à toute la France sa profonde douleur, et de tirer devant elle une satisfaction légitime de ses téméraires calomniateurs? >> A ce début violent, plusieurs voix, parties du centre, interrompirent l'orateur. Le président lui-même s'efforçait de le borner à s'expliquer sur l'article 66 du règlement.

• Songez, poursuit M. Delalot, que la censure donne à vos ennemis decharés le pouvoir d'étouffer l'opinion publique, et d'empêcher le cri de la vérité de monter jusqu'au tròne. Vous n'avez que cette tribune pour vous défendre ; ne souffrez pas qu'on vous en écarte sous aucun prétexte, ni qu'on ajourne des débats qui doivent éclairer la nation.

La chambre se doit à elle-même de venger ici la cause la plus sacrée, celle de son amour inaltérable, de son inviolable respect pour le meilleur des rois.

< Elle ne saurait consentir à demeurer sous le poids de l'horrible calomnie qui vient de porter atteinte à ces liens de confiance et de piété filiale, nécessaires à tous les cours français. Cette calomnie, elle la renvoie tout entière à sa source. Elle l'attribue tout entière à ces ministres frappés de vertige, qui ont osé noircir, envenimer, torturer le langage le plus innocent et les intentions les plus pures, pour en forger dans le conseil du roi la supposition la plus révoltante.

La chambre se doit à elle-même de déclarer à la face de l'univers que les conseillers de la couronne ont surpris la religion du monàrque,” expression que l'histoire a consacrée dans la bouche des plus vertueux défenseurs de nos libertés.

.... Et à qui persuadera-t-on, chez le peuple le plus spirituel de la terre, que tout ce qu'il y a dans cette assemblée d'hommes éclairés, d'hommes sincéremment dévoués au roi, aient pu entendre, deux fois, dans le silence le plus profond et sans avoir manifesté l'émotion la plus légère, une adresse qui aurait contenu la plus sanglante injure contre la majesté royale? A qui persuadera-t-on que des hommes, dont toute la vie n'est qu'un long sacrifice de dévouement et de fidélité pour leur roi, aient voulu blesser son cœur paternel par l'endroit le plus sensible? Et si l'on vient à considérer quels sont leurs

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