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Théophile, pourquoi n'envoyez-vous pas votre fille à un bon pensionnat: parmi de joyeuses compagnes, ses bonnes qualités se développeraient, et elle perdrait la tendance à la mélancolie qui se trahit si souvent en elle.

Cependant elle n'est pas mélancolique, le regard qui voile de temps en temps ses beaux traits est mieux exprimé par les vers du poète :

"And oft amidst the earnest game,

He stopped as if he music heard;
And heedless of his shouted name,
As of the carol of a bird,
Stood gazing on the empty air,

As if some dream were passing there."

"Tis strange how thought upon a child,

Will like a presence sometimes press;
And when his pulse is beating wild,
And life itself is in excess,
How in his heart will spring

A feeling whose mysterious thrall,
Is stronger, sweeter far than all;

And on its silent wing,

How with the clouds he'll float away,

As wandering and as lost as they!"*

Hélène s'intéresse déjà dans les ouvrages idéals et poétiques; aujourd'hui je la trouvai fort occupée des Méditations de la Nuit; mais je lui défendis un ouvrage qui ne ferait que remplir son cerveau d'idées lugubres.

Vous avez raison, Théophile; il règne dans cette production une tristesse indicible, c'est un chant funèbre, capable d'écraser une âme jeune et sensible. Il me semble que les périls de la vie actuelle m'ont indisposé pour de tels ouvrages; ce n'est

*N. P. Willis.

point en s'extasiant sur le néant des choses humaines que l'homme est porté au bien; je me rappelle que le poète affirme :

"The spider's most attenuated thread

Is cord, is cable, to man's tender tie

On earthly bliss: it breaks at every breeze."

Combien cette idée est fausse et morbide!

Et inimicale à cette courageuse persévérance essentielle pour l'accomplissement de nos devoirs, suggéra M. Seymour; et prenant un livre de dessus la table, il lut ce qui suit :

"Edouard Young, poëte anglais, dont le talent ne semblait avoir de vocation bien décidée que pour la flatterie, ne se lassait pas de préconiser la puissance. Il ne se fit pas scrupule de louer le gouvernement de Walpole, un ministre qui était modèle de ces intriguants corrupteurs qui dominent un pays en achetant les faibles consciences, et en proscrivant les talents qu'ils n'ont pu acheter. Ses ridicules flagorneries procurèrent au poète deux cents livres sterlings de pension. Malgré ce zèle de flatterie, vraiment infatigable, il fallait que le docteur Young manquât de bonheur ou d'adresse, car il n'obtint pas dans l'Eglise Anglicane les dignités où son mérite et son talent de prédication auraient dû le conduire. En 1730, il fut seulement ponrvu d'un rectorat assez modique, dans le comté de Hertford. La conception des Méditations de la Nuit a quelque chose d'original et de hardi, mais on y aperçoit souvent l'homme dont le talent est artificiel. La rêverie vaporeuse, l'emphase doctorale, nuisent aux accents de sa douleur. Il fatigue l'imagination plus qu'il ne l'attendrit: il vous fait éprouver une sorte de satiété dans la sympathie pour sa douleur. Il ne saisit pas le cœur, il ne vous entraîne pas sans distraction, et sans repos. Il excelle à peindre la destruction, à la suivre jusqu'à la dernière parcelle de notre être matériel. C'est le Bridaine de la poésie, il en a les saillies brusques et la trivialité. Des splendeurs du ciel, entrevues par

l'espérance chrétienne, il vous jette, par des allégories familières, dans ce que les misères de la vie ont de plus tristement grotesques. Il bouffonne sur les tombeaux, comme Shakespeare. Tout cela fait un bizarre mélange, mais qui surprend et attache l'âme. Cependant Young n'est pas un bon modèle, il a lui-même trop d'artifice. Enflammé par son sujet, il s'élança dans les profondeurs de l'éternité, mais son enthusiasme refroidi, il s'abaissa au-dessous du niveau de l'humanité. En voulant enchérir sur lui on tombe dans une monotonie sépulcrale, qui est le spleen de la littérature, et qui, en desséchant l'imagination et le goût, se termine par une espèce de suicide. Rien de plus vrai que les parallèles où Chateaubriand montre par l'exemple de Virgile, de Bossuet, de Rousseau, ce qui manque de vraie douleur à la muse du vieux prêtre anglais, dont les lamentations sur la vie humaine trahissent trop le regret de l'ambition trompée."*

* Biographie Universelle, tome 51.

X.

PROMENADES AU CLAIR DE LA LUNE.

"Ah! man can never tell,

How much of all that's blest above,
Within his lowly heart may dwell,

Till he has learnt to love!

I never felt how passing fair
The works of all creation were,
I never saw sweet visions there,

Till when I read as in a book

One name on every bower and bough,
One name so blest-but why that look?
Thank Heaven, I read it now!

My eyelid trembled then,

But 'twas the night wind hurrying by,
It was the shower that swept the glen
In passing, dimmed my eye!

What should I weep for? the thought past
A heaven on earth can never last.....

Farewell! I see yon threatening haze,

Is gathering slowly on our sight;

I do not fear your steady gaze,
But the beclouded night!

R. B. S.

"Viele Wasser nicht mögen die liebe auslöschen, noch die Ströme ersaufen. Wenn einer alles Gut in seinem Hause um die Liebe geben wollte, so gälte es alles nichts." HOHELIEBE, viii. 7.

M. de Macis gagnait de jour en jour l'estime et l'amitié du colonel, sa clientèle augmentait rapidement, ce qui entraînait de

longues courses, et un travail assidu. Hélène souffrait d'autant plus de ces absences qu'elle éprouvait parfois un malaise général dont elle ne pouvait se rendre compte; un sentiment d'apathie l'avait gagnée insensiblement, elle ne trouvait plus dans la lecture et la musique les mêmes jouissances qu'autrefois.

Un jour, en s'approchant du salon, M. de Macis entendit son enfant, qui disait: "Chère maman, vous êtes toujours si triste, et vous ne jouez pas comme autrefois avec votre petite Hélène." En regardant à travers la porte entrebâillée, une scène inattendue s'offrit à sa vue. En s'aidant d'un tabouret et d'une chaise, la petite Hélène avait grimpé jusqu'à la cîme du grand fauteuil où était assise sa mère; s'appuyant d'une main sur la cheminée, elle se penchait au-dessus de l'épaule de madame de Macis, cherchant vainement à s'attirer son attention.

Le médecin s'avança avec précaution, s'apercevant qu'au plus léger mouvement que ferait sa femme, l'enfant serait exposée à une chute dangereuse. A l'approche de son mari, Hélène sortit brusquement de sa rêverie, mais la petite était déjà en sûrété dans les bras de son père.

Est-ce que notre enfant ne vaut pas la peine que vous y fassiez quelque attention? dit M. de Macis.

Une teinte rosée nuança les joues de la jeune femme, mais elle ne répondit pas.

Hélène..... reprit M. de Macis, en s'asseyant à côté de son épouse, tandis que l'enfant faisait à son père un collier de ses deux bras, temoignant par ses douces caresses qu'elle aussi était sensible à la joie que le retour du médecin occasionait toujours.... je quitte à l'instant madame Boviliers.

Ah! vraiment! je me rappelle son air distingué et sa parfaite élégance. Combien de fois j'ai désiré la compter au nombre de mes amies.

La douceur de son caractère et l'ordre qui règne dans sa maison, lui concilient la bienveillance et l'admiration de tous ceux qui ont le bonheur de la connaître. Ce matin, mes fonctions

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