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du fonds dominant conserve le droit de faire tomber cette présomption d'extinction, résultant de plein droit du non-usage de trente ans, en prouvant par les circonstances qu'il n'y a rien à induire de son silence et qu'il est dans le cas de la règle contra non valentem. C'est pour cela aussi, sans doute, que l'art. 665, en parlant des reconstructions de murs ou de maisons sur lesquels frappaient des servitudes, exige, pour que la servitude se continue, non pas que la reconstruction se fasse avant trente ans, mais, d'une manière plus large et qui laisse plus de latitude au droit du fonds dominant, avant que la prescription soit acquise, expression qui réserve le cas où cette prescription ne pourrait pas s'acquérir.

Donc, pour que le non-usage de trente ans éteigne la servitude, il faut que ce non-usage ait été volontaire de la part du maître du fonds dominant. Ainsi, c'est sa maison, à lui, laquelle jouissait d'une servitude de vue, qui a été brûlée ou qu'il a démolie, et il est resté plus de trente ans sans la reconstruire; ou bien, la mare du voisin, sur laquelle il avait un droit de puisage, a été mise à sec par le fait de ce voisin qui a dirigé sur un autre point les pentes de terrain pratiquées pour l'alimenter, et le maître de la servitude n'a pas demandé leur rétablissement, comme il le pouvait faire; ou bien, le voisin lui a enlevé 'eau de source qu'il devait laisser couler chez lui, et il n'a pas agi pour se la faire rendre, etc., etc. Dans tous ces cas, le propriétaire du fonds dominant avait la faculté de reprendre ou de se faire rendre l'usage de la servitude; son silence et son inaction constitueront donc une renonciation tacite, et partant l'extinction de la servitude. Mais il n'en saurait être ainsi quand cette inaction et ce silence étaient forcés pour lui (Conf. Zachariæ, II, p. 86).

III. — 673. C'est une question très-controversée, et délicate en effet, que celle de savoir si les servitudes peuvent s'éteindre par la prescription de dix ou vingt ans au profit d'un tiers acquéreur de bonne foi. Delvincourt, Vazeille (II, 523), M. Duranton (V, 691), M. Troplong (Prescript., 853) et M. Zachariæ (II, p. 90) répondent affirmativement; Toullier (III, 630), Favard (vo Servitude, sect. 3, § 3) et Pardessus (no 306) soutiennent la négative. Quant à nous, la question nous semble devoir se résoudre par une distinction.

Quand la prescription du tiers acquéreur a pour objet unique de lui procurer la libération de la servitude, elle ne doit s'accomplir que par trente ans, conformément à notre article, ainsi que l'enseignent les trois derniers auteurs; mais quand cette prescription a pour objet l'acquisition de la propriété même du fonds, propriété dont la servitude n'est plus qu'un accessoire et une partie, elle s'accomplit par dix ou vingt ans, d'après l'art. 2265, et suivant la doctrine des cinq premiers jurisconsultes.

Ainsi, quand j'acquiers de son véritable propriétaire un fonds que je crois libre de toute servitude, mais sur lequel existe un droit de passage, qu'est-ce que j'ai à prescrire? cette servitude seulement il s'agit d'une prescription à l'effet de libérer mon fonds d'une charge qui

le grève. Or, la prescription à l'effet de libérer d'une servitude est réglée par notre art. 706, qui exige pour cela trente ans de non-usage, comme l'art. 690 exige trente ans de possession pour la prescription à l'effet d'acquérir une servitude active. Ces deux art. 690 et 706 sont corrélatifs, tous deux sont spéciaux pour les servitudes, et excluent l'application à notre matière des règles ordinaires de la prescription, conformément à l'art. 2264, qui déclare que les règles du dernier titre du Code ne s'appliquent pas aux objets pour lesquels des règles particulières sont indiquées dans les titres qui leur sont propres. On doit donc, selon nous, rejeter ici la doctrine de MM. Troplong, Duranton, Zachariæ et autres, pour suivre celle de Toullier, Favard et Pardessus.

Mais, quand j'ai acquis à non domino, qu'est-ce que j'ai à prescrire? Le fonds lui-même, la propriété, le dominium de la chose; et la servitude n'étant qu'une partie, un fragment, un démembrement de ce dominium, cette partie se trouvera acquise comme et avec le reste du dominium, à l'obtention entière duquel je marche, puisque je possède comme mienne la chose tout entière : ce sera le cas de dire tantum præscriptum quantum possessum. Dans ce cas, ce n'est plus précisément à l'extinction d'une servitude que tend ma prescription, c'est à l'acquisition d'une propriété, par laquelle cette extinction se trouvera entraînée virtuellement : ce n'est plus une prescription à l'effet de li bérer mon fonds d'une charge, puisque je n'ai pas de fonds à moi, c'est une prescription à l'effet d'acquérir ce fonds; et puisqu'il ne s'agit plus principaliter d'une extinction de servitude, mais de l'acquisition pleine et entière de l'immeuble, ce n'est plus la règle spéciale de l'art. 706, mais bien la règle générale de l'art. 2265, qu'il faut appliquer. On doit donc alors, mais alors seulement, abandonner la doctrine de Toullier, Favard, etc., pour suivre celle de MM. Duranton, Troplong, Zachariæ, etc.

Ces derniers auteurs, pour établir que la prescription de dix ou vingt ans doit s'appliquer absolument à tous les tiers acquéreurs, disent que dans le cas de celui qui a vraiment acquis la propriété et dont la prescription tend seulement à l'extinction de la servitude, on trouve encore une prescription à l'effet d'acquérir; il s'agit, disent-ils, d'acquérir la propriété pleine de l'héritage, d'usucaper la franchise de cet héritage. Mais l'inexactitude de cette idée est évidente; car je pourrais dire aussi, quand je prescris la créance que vous avez sur moi, que je prescris à l'effet d'acquérir ma libération et de gagner une somme de 10,000 fr. que je vous dois, laquelle n'est pas mienne et le deviendra par la prescription: c'est-à-dire qu'avec ce système, il n'y aurait plus de prescription à l'effet de se libérer!... Il ne faut pas jouer avec les mots il est clair qu'alors vous avez le dominium, vous êtes le propriétaire de la chose, et vous tendez à débarrasser cette chose, à la libérer d'une charge dont elle est débitrice. C'est donc bien le cas de notre art. 706. Aussi cette application de la prescription de dix ou vingt ans au tiers qui a acquis du véritable maître, et qui est pro

une servitude foncière; c'était en tant que propriétaire du fonds, an nom et dans l'intérêt de ce fonds, à qui seul la servitude devait profiter, puisqu'il est défendu d'établir les servitudes en faveur de la personne (art. 686).

M. Duranton dit que, puisque je ne suis pas obligé de souffrir la servitude qu'il aurait imposée à mon fonds, je ne puis pas, par une mème raison, conserver celle qu'on lui a consentie!... L'argument est étrange. Paul a été mon mandataire, mon gérant d'affaires, dans l'intérêt du bien, et non pour son détriment : il a pu faire ma condition meilleure, mais il n'a pas pu la faire pire; ici comme partout je puis conserver les résultats de toute gestion qui m'est utile, sans être tenu de respecter les actes qui me préjudicient, et pour lesquels, par cette raison-là même, il n'avait pas de pouvoir (1).

679. On présente quelquefois comme un nouveau mode d'extinction des servitudes l'abandon que le propriétaire du fonds servant ferait de ce fonds au propriétaire du fonds dominant. Mais il est clair que c'est là un des cas de l'art. 705, un cas de confusion; puisque la servitude ne s'éteint alors que parce qu'il y a réunion des deux fonds dans la même main.

RESUMÉ DU TITRE QUATRIÈME.

des servitudes réelles.

1. La servitude réelle est une charge imposée à un fonds pour l'utilité ou l'agrément d'un autre fonds.

On en distingue deux espèces : 1o les servitudes proprement dites, qui sont établies par le fait de l'homme comme exception au droit commun, et qui constituent dès lors un démembrement de la propriété du fonds auquel elles sont imposées; 20 les servitudes établies par la loi elle-même, et qui, formant dès lors le droit commun des héritages, ne sont que les limites légales de la propriété, au lieu d'en être un démembrement.

La loi range même, et nous rangerons comme elle, parmi ces servitudes improprement dites, des obligations qui sont toutes personnelles, mais qui naissent à l'occasion du voisinage des deux fonds.

(1) Wolf (Just. nat., 5o part.), Pothier (Cout. d'Orléans, tit. 13), Toullier (11, 681), Pardessus (no 318, in fine) présentent comme allant de soi la doctrine que nous soutenons; Delvincourt, Zachariæ et les autres auteurs, en énumérant parmi les causes d'extinction la résolution du droit du concédant, sans jamais parler du concessionnaire, la professent implicitement. Enfin, M. Duvergier n'indique pas même la contradiction élevée sur ce point par M. Duranton, sans doute parce qu'il la trouve d'une inexactitude trop évidente.

II.

CHAPITRE PREMIER.

DES SERVITUDES LÉGALES OU IMPROPREMENT DITES.

Parmi ces servitudes, les unes sont consacrées par la loi à raison de la situation même des lieux; les autres sont créées par elle dans l'intérêt de la propriété foncière.

SECTION PREMIÈRE.

DES SERVITUDES CONSACRÉES PAR LA LOI, A RAISON DE LA SITUATION DES LIEUX.

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III. Les fonds inférieurs sont obligés, sans aucune indemnité pour eux, de recevoir les eaux, les pierres, les terres, qui descendent des fonds supérieurs sans aucun fait de l'homme. Quand c'est par le fait de l'homme que cette chute a eu lieu ou devient plus onéreuse, le propriétaire inférieur peut s'opposer à l'écoulement, s'il y a possibilité de l'empêcher (1); que si c'est impossible, il est bien tenu de subir encore cet écoulement, mais il a droit à une indemnité.

Le droit de s'opposer à l'écoulement ou de réclamer une indemnité appartient à tous les propriétaires lésés, et non pas seulement à celui dont le fonds serait contigu (art. 640).

IV. Celui dans le fonds duquel naît une source en est le propriétaire et peut absorber l'eau ; mais s'il la laisse couler sur les fonds inférieurs, et que le propriétaire de l'un de ces fonds en jouisse pendant trente ans, à partir de la confection d'ouvrages faits pour en faciliter le cours et que le propriétaire de la source a pu voir, celui-ci ne peut plus la lui enlever. Peu importe que les travaux aient été faits sur le fonds même où naît la source, ou sur un fonds immédiatement ou médiatement inférieur. Si donc le propriétaire de la source veut empêcher la prescription, il doit avoir soin, avant les trente ans depuis la confection des travaux, ou de détourner le cours de l'eau, ou d'intenter contre l'auteur des ouvrages une action qui vienne protester contre les conséquences qui en résulteraient (art. 641-642).

Si la source fournit aux besoins d'une commune ou d'un hameau, les habitants ont toujours le droit d'en conserver l'eau, en payant au propriétaire une indemnité que des experts, à défaut d'accord entre les parties, calculeront sur le préjudice que ce propriétaire éprouve. Le droit du propriétaire de faire fixer une indemnité est prescrit lorsque les habitants ont joui pendant trente ans, même sans aucun ouvrage fait par eux; que si l'indemnité avait été fixée, le droit d'en réclamer le payement serait prescrit après trente ans du jour où ce payement

(1) Ainsi, je ne suis tenu de recevoir ni vos eaux de ménage, ni même les eaux pluviales que vous dirigez sur mon fonds par une gouttière; vos gouttières ne doivent pas aggraver pour moi la position naturelle des lieux. Et alors même que votre gouttière ne jetterait aucune eau sur mon terrain, il faut encore qu'elle n'avance pas au-dessus de mon fonds; puisque je suis propriétaire du dessus comme du dessous de ce fonds.

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dès lors aux trois copropriétaires chacun pour un tiers. En un mot, quand un seul des copropriétaires du fonds indivis a usé de la servitude, le résultat est le même que s'ils en avaient fait à eux tout l'usage qu'il en a fait à lui seul.

De même, aucune extinction ni restriction de la servitude ne pouvant s'accomplir par le non-usage contre un propriétaire mineur ou interdit (attendu que la prescription ne court pas contre les mineurs ni contre les interdits, aux termes de l'art. 2252), il s'ensuit que la présence d'un copropriétaire mineur ou interdit conservera la servitude dans son intégralité au profit du fonds entier, et dès lors au profit de tous les copropriétaires.

Au contraire, quand le fonds dominant est partagé entre ses différents propriétaires, il est clair qu'alors il y a autant d'immeubles distincts que de portions; que la servitude est due séparément à chacun de ces imineubles; et que par conséquent l'exercice de l'un des propriétaires, ou bien sa minorité ou son interdiction, n'empêcherait pas la servitude de s'éteindre pour les autres.

I.

II.

APPENDICE AUX CAUSES D'EXTINCTION.

SOMMAIRE.

Les servitudes s'éteignent encore par l'arrivée du terme ou de la condition prévue.

Et aussi par la remise qu'en fait le propriétaire du fonds dominant. Cette remise ne peut pas se présumer, mais elle peut être tacite.

III. Elles s'éteignent enfin par la résolution du droit du concédant. Mais non par celle du droit du concessionnaire. Grave erreur de M. Duranton.

I. 676. A Rome, les servitudes prédiales ne pouvaient pas, dans les principes rigoureux du droit civil, être établies pour commencer ou pour finir à telle époque ou à tel événement, ou sous telle condition, neque ex tempore, neque ad tempus, neque sub conditione, neque ad certam conditionem; mais le droit prétorien s'était éloigné de cette rigueur, et maintenait toutes les modalités dont l'acte constitutif avait affecté la servitude (D., l. 8, t. 1, 4). Il n'est pas douteux que ces diverses modalités seraient parfaitement légales chez nous, et que la servitude établie ad tempus ou ad certam conditionem s'éteindrait quand le terme ou l'événement prévu arriverait.

II. 677. Il est évident aussi qu'un propriétaire peut faire la remise, soit gratuite, soit à titre onéreux, de la servitude qui appartient à son fonds.

Quand la remise est faite par l'un des copropriétaires d'un fonds indivis, elle aura immédiatement effet pour, sa part s'il s'agit d'une servitude dont l'exercice puisse se diviser sans préjudice pour les autres copropriétaires; si cet exercice ne peut pas se diviser actuellement sans préjudice pour les autres copropriétaires, la remise, s'il y a lieu, produira son effet après le partage fait; elle le produirait dans tous les cas si celui qui l'a faite devenait seul propriétaire du fonds do

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