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bles, la filiation adultérine ou incestueuse de l'individu qui vient, en se prétendant étranger au défunt, réclamer une donation ou un legs. Pour frapper par le côté moral, la loi devait dire à l'auteur adultérin ou incestueux : « Ce fruit de ton crime ne sera jamais ton fils à mes yeux, je te défends de jamais lui donner ce nom. Dans le fait, et par une triste réalité, il se peut qu'il soit ton enfant; cette filiation coupable et honteuse, il se peut qu'elle soit vraie et connue de tes voisins et amis; mais dans tout ce qui est de mon domaine, dans toutes les circonstances de la vie civile, tu n'en diras pas un mot, tu lui resteras complétement étranger. Tu ne me prouveras pas, tu ne lui diras pas, qu'il est ton enfant ; lui ne me prouvera pas que tu es son père, et un tiers ne pourra jamais le prouver pour de mesquines questions d'argent.» - On voit que dans chacun de ces deux systèmes, comme dans toute chose humaine, il y avait le bon et le mauvais côté en frappant pécuniairement, on appelait la divulgation de nombreux scandales; en frappant moralement, on assurait aux fruits du crime un moyen de palper la fortune. Eh bien, lequel de ces deux systèmes a embrassé le législateur?... Il a choisi le second, comme il devait le faire : les art. 335 et 342 le prouvent de reste, en prohibant, l'un, la reconnaissance volontaire, l'autre, la recherche judiciaire de la filiation adultérine ou incestueuse. Le législateur, disons-le à sa gloire, a rejeté ici les théories matérialistes, comme nous l'avons vu déjà les rejeter ailleurs, comme nous le verrons les rejeter encore plus loin. Le législateur a mis les intérêts moraux au-dessus des intérêts d'argent; il a cru plus important de jeter un voile sur de criminelles filiations, que de prohiber la transmission des biens; il a cru que la société punissait plus dignement, plus moralement, et même, quoi qu'on en dise, plus énergiquement aussi, en empêchant un père de donner légalement à son fils son nom, ses soins et ses caresses, qu'en l'empêchant de lui donner ses écus. « Cette reconnaissance, a dit M. Duveyrier devant le Corps législatif, sera impossible s'il faut l'appuyer sur l'inceste ou l'adultère. L'officier publique ne la recevra pas; et si malgré lui l'acte contient le vice qui l'infecte, cette reconnaissance NULLE ne pourra profiter à l'enfant... Rendons grâce à cette innovation morale...» (Fenet, X, p. 242-243 ).

On objecte l'art. 762; on nous dit que si le législateur avait ainsi entendu prohiber toutes reconnaissances, soit volontaires, soit forcées, et ne donner aucun effet à celles qui se trouveraient réalisées, il n'aurait pas parlé d'exclure de la succession, pour le réduire à des aliments, l'enfant adultérin ou incestueux. Erreur; cet art. 762 s'explique parfaitement par cette prévision du législateur que, malgré sa prohibition, il se trouverait des cas dans lesquels la filiation adultérine ou incestueuse serait connue légalement par la force même des choses. C'est pour ces cas exceptionnels, dans lesquels la volonté du législateur ne pouvait plus rien, qu'il a été contraint d'abandonner son système de punition morale, pour prendre le système contraire de punition matérielle par la privation de l'argent. Aussi, la

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jurisprudence constante de la Cour suprême est-elle d'accord sur cette question avec la majorité des auteurs et des arrêts des Cours d'appel (1).

-

III. 63. Les cas dans lesquels la filiation incestueuse ou adultérine se trouve connue légalement par la force même des choses se devinent par les explications données dans le chap. IV du Mariage, et dans notre titre.

Ainsi, quand un mariage célébré publiquement est annulé comme contracté au mépris de l'existence d'un premier lien, et que les deux époux sont reconnus être de mauvaise foi, force est bien d'accepter comme adultérins les enfants issus de cette coupable union. Si, dans le cas analogue, c'était pour parenté ou alliance que le mariage fût cassé, il faudrait bien reconnaître à ces enfants la qualité d'incestueux. Le cas d'enfants adultérins forcément connus se présente encore, 2° dans le cas d'un désaveu (art. 312, 313); et 3° dans le cas de contestation de légitimité (art. 325), quand l'enfant ayant prouvé qu'il a été conçu par telle femme pendant son mariage, ses adversaires prouvent qu'il n'est pas l'enfant du mari de cette femme. (On se rappelle qu'entre ce 2o et ce 3o il y a cette différence que, dans le premier cas, pour le désaveu proprement dit, il faut, hormis le cas de séparation de corps, prouver ou l'impossibilité physique de cohabitation, ou l'impossibilité morale accompagnée de l'adultère de la mère et du recel de la naissance; tandis que, dans le second, on peut toujours prouver la non-paternité du mari par tous les moyens possibles.)

Au reste, il y a, entre le cas d'annulation de mariage et les deux cas de désaveu ou de contestation de légitimité, cette différence que, dans le premier, c'est vis-à-vis du père comme vis-à-vis de la mère que la filiation adultérine (ou incestueuse) est connue légalement, tandis que, dans les deux autres, elle ne l'est que vis-à-vis de la mère. Elle ne l'est que vis-à-vis de la mère, même dans le cas d'un désaveu fondé sur l'adultère de celle-ci; car, s'il est alors suffisamment justifié par la triple preuve de l'adultère, du recel et de l'impossibilité morale de cohabitation du mari, que l'enfant n'appartient pas à ce dernier, il ne l'est pas également qu'il appartienne à l'individu reconnu complice de l'adultère de la femme. Quand une femme a méconnu ses devoirs et entretenu des relations coupables avec tel individu, rien ne prouve qu'elle n'en ait pas entretenu avec d'autres: la présomption légale, pater is est, ne peut exister que pour le mari, pour celui quem nuptiæ demonstrant; du moment qu'elle s'évanouit pour lui, elle ne peut exister pour personne. S'il en était autrement, si des relations illicites entre un homme et une femme pouvaient conduire, aux yeux de la loi, à

(1) Maleville (art. 762), Chabot (ib., no 3), Duranton (III, 195-209), Loiseau (p. 732), Dalloz (Succ., ch. 4), Zachariæ (IV, p. 89), Poujol, (art. 762, no 3), Duvergier (sur Toull, loc. cit.), Demolombe (V, 581-587); Rej., 28 juin 1815; Rej., 11 nov. 1819; Rej., mai 1820; Rej., 1er août 1727; Rej., 18 mars 1828; Rej., 8 fév. 1836; Cassat. (de l'arrêt précité de Rennes, de 1834), 4 déc. 1837; Rej., 8 mars 1846; Rej., 19 avril 1847 (Dev., 36, 1, 241; 38, 1, 29; 47, 1, 30 et 562).

faire reconnaître cet homme comme père de l'enfant conçu au moment de ces relations, le Code aurait permis absolument de rechercher judiciairement le père d'un enfant naturel; or, il ne le permet que dans le cas d'enlèvement.

336.- La reconnaissance du père, sans l'indication et l'aveu de la mère, n'a d'effet qu'à l'égard du père.

SOMMAIRE,

I.

Toute reconnaissance est personnelle à celui qui la fait. Erreur adoptée par la jurisprudence.

II. Réfutation de cette erreur par les travaux préparatoires du Code.

I. 64. La reconnaissance volontaire d'un enfant est un fait tout personnel à celui dont elle émane, et qui ne peut dès lors avoir d'effet que vis à-vis de lui. Donc, la reconnaissance faite par celui qui se prétend le père, laquelle aura effet par rapport à lui, tant qu'elle ne sera pas contestée (art. 359), ne pourrait être efficace par rapport à la mère que sous ces deux conditions: 1° qu'elle contiendrait l'indication de cette mère; 2o et que cette indication serait faite du consentement de celle-ci, c'est-à-dire en vertu d'un pouvoir donné par elle pour cet objet. C'est aussi là ce que dit notre article, qui déclare que la reconnaissance du père, quand elle ne contient pas une indication de la mère, faite sur l'aveu de celle-ci, n'a d'effet que pour le père. C'est à-dire que l'article revient tout simplement à dire qu'une reconnaissance n'a jamais d'effet que pour celui qui l'a faite, soit par lui-même, soit par un fondé de pouvoir.

Ce sens si naturel et si logique de notre disposition n'est cependant pas accepté par la jurisprudence. Nos tribunaux, et comme eux la plupart des auteurs, décident que, pour qu'il y ait reconnaissance de la mère, il suffit que le père ait indiqué la mère dans l'acte, et que celle-ci ait avoué sa maternité, de quelque manière que ce soit et à quelque époque que ce soit (1). Ainsi, quand j'ai indiqué telle femme comme mère de l'enfant que je reconnais, il suffira que cette femme, plusieurs années après, ait traité cet enfant comme sien, par les soins qu'elle a pris de lui, pour qu'il y ait reconnaissance légale de cette femme. - Mais c'est là une erreur évidente et une violation flagrante de notre article. Quand la loi, pour lui donner effet vis-à-vis de la mère, demande, par a contrario, une reconnaissance faite avec l'indication de la mère et son aveu, il est bien clair qu'il s'agit d'un aveu précédant cette indication, d'un consentement en vertu duquel précisément cette indication a lieu. Dire que l'indication faite par le père sans mission de la mère (indication qui, par elle seule, on l'avoue, ne

(1) Cassat., 26 avril 1824; Paris, 15 déc. 1834; Rej., 5 mai 1936; Rej., 22 janv. 1^39; Paris, 20 avril 1839 (Dev., t. VII, 1, 443; 1835, 2, 5; 1836, 1, 274; 1839, 1, 5 et 2, 249); Toullier (II-927), Duranton (III-245), Zachariæ (IV, p. 54), Richefort (11-278), Taulier (1-427), Duvergier (sur Toull.).

signifie rien) produit ensuite la reconnaissance quand il vient s'y joindre ce que la doctrine appelle tractatus, c'est dire, ni plus ni moins, que la reconnaissance des enfants naturels s'établit par la possession d'état; or, nous prouverons plus loin, sous l'art. 342, no VI, que la filiation naturelle ne peut jamais s'établir par possession d'état.....

Il n'y aurait aucun doute assurément sur le sens de notre article, et l'interprétation vraiment étrange des tribunaux ne serait plus possible, si cet article était seulement conçu en ces termes : « Une reconnais«sance d'enfant n'aura jamais d'effet qu'à l'égard de celui qui l'a « faite. » Eh bien, c'est uniquement là ce que cet article signifie; c'est uniquement là ce que le législateur a entendu dire en l'écrivant : en voici la preuve péremptoire.

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II. 65. On ne comprenait pas d'abord, au Conseil d'État, qu'un homme pût reconnaître un enfant sans indiquer la femme de laquelle cet enfaut était né, et on pensait qu'une reconnaissance faite par le père sans l'indication de la mère, ou même avec une indication non avouée par celle-ci, ne devait produire aucun effet, même pour le père. La première rédaction de notre article était donc celle-ci : « Toute re« connaissance du père seul, non avouée par la mère, sera de nul « effet, tant à l'égard du père que de la mère. » (Voy. Fenet, t. X, p. 72, 80, 81 et suiv.) Plus tard, on trouva que c'était trop exigé que de demander l'aveu de la mère pour donner effet à la reconnaissance vis-à-vis du père, et on arriva à dire que cette reconnaissance ne serait ainsi dénuée de tout effet que quand il y aurait, de la part de la mère, non pas absence d'aveu, mais un désaveu formel. En conséquence, l'article fut rédigé ainsi : « La reconnaissance du père, si elle est dé« savouée par la mère, sera de nul effet.» (Ibid., p. 111.) Mais on critiqua encore cette rédaction; on comprit enfin que, la reconnaissance étant un fait tout personnel à celui qui la consent, il était inutile de parler du point de savoir s'il y avait aveu ou désaveu de la mère, et l'article fut définitivement, ramené à cette disposition plus simple et plus logique : « La reconnaissance d'un enfant naturel n'aura d'effet « qu'à l'egard de celui qui l'aura reconnu. » (Ibid., p. 115.) C'est dans ces termes que l'article fut adopté et communiqué au Tribunat, qui n'éleva aucune critique sur sa rédaction; et si plus tard, au milieu de cette phrase équivalente : La reconnaissance du père... n'a d'effet qu'à l'égard du père, on a intercalé les mots : sans l'indication et l'aveu de la mère,, ce n'est certainement pas pour en changer ou modifier le sens; c'est pour mieux faire comprendre que, même avec l'indication de la mère, mais sans son aveu positif et légalement constaté, la reconnaissance n'a aucun effet vis-à-vis de cette mère.

Nous le répétons, l'article a été adopté en ces termes : «La recona naissance d'un enfant n'aura d'effet qu'à l'égard de celui qui l'aura « reconnu. » Or, on ne reconnaît que par la déclaration que l'on fait soi-même ou par un mandataire spécial.

Si d'ailleurs le législateur avait entendu consacrer, par une idée qui

résulterait de notre article par argument a contrario, le droit pour le mari de faire une déclaration de maternité devant produire son effet sous la condition d'un aveu postérieur et tacite de maternité de la part de la femme; si telle avait été la pensée du Code, il aurait donné la même mission aux médecins, sages-femmes et autres personnes ayant assisté à l'accouchement. Celles-ci, en effet, ont mission pour déclarer la naissance (art. 56), et nul mieux qu'elles ne peut connaître avec certitude la femme à qui l'enfant appartient. Or, on n'a jamais osé prétendre qu'il en fût ainsi... Et, en effet, le système que nous rejetons ici aurait pour résultat de créer un troisième mode de reconnaissance, au lieu des deux modes seuls admis par la loi. Une reconnaissance volontairement faite par acte authentique, ou une recherche judiciaire, voilà les deux moyens permis. Or, si je puis me dire légalement connu pour fils naturel de la femme qui vient de mourir, parce que mon père l'a indiquée dans mon acte de naissance, ou même dans tout autre acte authentique, et qu'ensuite cette femme m'a élevé comme son enfant; alors, c'est par un troisième mode que je suis connu, car aucune déclaration judiciaire n'est intervenue, et, d'un autre côté, il n'y a pas en reconnaissance volontaire et authentique de la mère, puisque la femme peut bien être morte avant même d'avoir su qu'elle était indiquée comme mère dans un acte dressé, peut-être, chez un notaire éloigné de sa résidence. Aussi, lisez l'Exposé des motifs, il nous apprend que le seul but de l'article a été de décider « que celui qui se re« connaissait pour père ne pourrait point donner des droits contre la « femme qu'il indiquerait. » (Fenet, X, p. 157.)

Le sens de notre article ne peut donc pas être douteux, et si les tribunaux continuent de lui donner l'interprétation que nous combattons, on pourra dire qu'ils ont manqué à leur premier devoir en refaisant la loi, au lieu de l'appliquer (1).

337.- La reconnaissance faite, pendant le mariage, par l'un des époux, au profit d'un enfant naturel qu'il aurait eu, avant son mariage, d'un autre que de son époux, ne pourra nuire ni à celuici, ni aux enfants nés de ce mariage.

Néanmoins elle produira son effet après la dissolution de ce mariage, s'il n'en reste pas d'enfants.

1.

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SOMMAIRE.

En principe, la reconnaissance d'un enfant naturel simple est possible en toutes circonstances. Notre article pose une exception à ce principe, en enlevant à la reconnaissance, pour un cas, une partie de ses effets.

La reconnaissance dont parle l'article ne peut pas plus nuire au conjoint qu'aux enfants du mariage. Le 2o alinéa est incomplet.

III. Il ne s'agit que des droits que le conjoint a comme conjoint. Erreur de M. Du

ranton.

(1) Conf. Valette (II, p. 142), Demolombe (V-383); consultation de MM. Dupin, Sebire, Odilon-Barrot, Parquin, de Vatimesnil, etc. (Dev., 35, 2, p. 6-8).

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