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II. 516. En effet, la règle de l'art. 1014, d'après lequel le légataire, quoique propriétaire de l'objet à compter de l'ouverture, c'està-dire du décès, n'a droit à la jouissance qu'à partir de la délivrance obtenue (ou demandée) forme un principe avec lequel notre article n'a et ne peut avoir aucune espèce de rapport, puisqu'il s'agit ici, non pas de savoir à partir de quelle époque existe pour un usufruitier en général le droit aux fruits; mais tout simplement de savoir quel sera, sur ce droit aux fruits, l'effet du retard de donner caution!... Pour qu'un texte fasse exception à un autre, ou seulement pour qu'on puisse demander s'il y fait exception, il faut, bien entendu, qu'il s'occupe de l'un des cas prévus par l'autre. Or, l'art. 1014 examine depuis quand un légataire particulier, quel qu'il soit, aura droit aux fruits; donc, pour que notre article pût y faire exception, il faudrait qu'il examinât depuis quand le légataire particulier d'un usufruit aura droit aux fruits. Mais, encore une fois, ce n'est pas là son objet; son objet est de nous dire si le retard de donner caution restreindra ou non le droit aux fruits, et il décide que non.

Ainsi, le retard de donner caution n'empêchera pas l'usufruitier d'avoir droit aux fruits du moment même où il y aurait eu droit, s'il avait donné cette caution immédiatement voilà tout ce que dit l'article. Mais maintenant depuis quand y aurait--il eu droit ? C'est, nous dit l'art. 1014, lorsqu'il s'agit d'un usufruit créé par un legs, du jour de la délivrance obtenue ou demandée de ce legs.

Il est vrai que la seconde partie de notre article se sert, inexactement et d'une manière trop absolue, des mots du moment où l'usufruit a été ouvert; mais on conçoit parfaitement que le rédacteur ait parlé ainsi en pensant à l'usufruit en général, sans reporter sa pensée sur le cas particulier d'un usufruit arrivé par un legs, lequel subit des règles différentes. Dans tous les autres cas d'usufruit, l'usufruitier aura droit aux fruits du jour même de l'ouverture, et c'est en parlant de eo quod plerumque fit, que le Code s'est exprimé comme il l'a fait; il n'avait pas ici à s'occuper des legs. Il est banal de répéter qu'une phrase doit toujours s'entendre secundum subjectam materiam; or il ne s'agissait que d'expliquer le retard de donner caution.

Et cela est si vrai, que si l'on acceptait pour un instant l'interprétation absolue que Merlin et Toullier donnent à la seconde phrase de notre article, personne n'oserait admettre le résultat ridicule qu'elle amènerait. En effet, à qui les fruits seraient-ils dus du jour de l'ouverture, d'après cette seconde phrase? C'est à l'usufruitier en retard de donner caution; c'est de celui-là seul que s'occupe notre article, et aussi les articles précédents. Ainsi, en argumentant judaïquement, comme on veut le faire, des termes de notre disposition, on trouverait qu'elle fait exception à l'art. 1014 pour l'usufruitier qui retarde de donner caution. Celui-là seul aurait droit aux fruits depuis l'ouverture; quant à celui qui donne la caution immédiatement, aucun texte ne le faisant échapper à la règle de cet art. 1014, il n'aurait les fruits que du jour de la délivrance!!!... N'est-il pas évident que nous sommes dans le

faux; que notre article ne peut pas se prendre à la rigueur de la lettre, et que la seconde phrase signifie tout simplement du jour où ils lui auraient été dus s'il avait donné caution de suite?

A côté de cet argument de texte qui s'évanouit devant l'examen, les partisans du système que nous combattons présentent un argument de principes qui n'a pas plus de force. Suivant eux, la prétendue exception apportée par notre article à l'art. 1014 tiendrait à la nature mème des choses. En effet, dit-on, quand l'objet légué est un usufruit, il n'est plus possible de dire que le légataire aura la propriété de cet objet dès le décès du testateur, et qu'il n'aura droit aux fruits qu'à partir de la délivrance obtenue ou demandée. Car l'objet du legs, c'est l'usufruit; or, l'usufruit c'est précisément ce droit aux fruits; il serait donc contradictoire de dire que le légataire, pendant un temps quelconque, aura l'usufruit sans avoir droit de prendre les fruits.

Ceci est une erreur provenant des deux sens différents dans lesquels on emploie les mots droit aux fruits. Dans l'usufruit comme dans tout autre bien, on distingue le bien et les produits, les fruits de ce bien. L'usufruit, ou si l'on veut la propriété de l'usufruit, c'est le droit même de jouir, ipsum jus fruendi: c'est là le bien, bien incorporel qui est tantôt meuble et tantôt immeuble; les produits, ce sont les fruits que l'on recueille et qui sont toujours des choses mobilières. Si par sa propre volonté ou par toute autre cause, ún usufruitier restait pendant plusieurs années sans louer ni exploiter la ferme soumise à son usufruit, il est clair que pendant ce temps il aurait toujours un usufruit, mais il n'aurait pas les produits de cet usufruit; il ne jouirait pas de son droit d'usufruit. Or, telle sera la position du légataire d'usufruit depuis le décès du testateur jusqu'à l'obtention ou la demande de la délivrance: il sera usufruitier; il sera maître, propriétaire du bien incorporel, meuble ou immeuble, qu'on appelle usufruit; il pourra le vendre, le donner, le transmettre comme il l'entendra; mais il n'en jouira pas encore, il n'en recueillera pas les produits.

605.-L'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu'elles n'aient été occasionnées par le défaut de réparations d'entretien depuis l'ouverture de l'usufruit; auquel cas l'usufruitier en est aussi tenu.

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606. Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières; Celui des digues et des murs de soutenement et de clôture aussi

en entier.

Toutes les autres réparations sont d'entretien.

607. Ni le propriétaire, ni l'usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit.

SOMMAIRE.

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II.

Le propriétaire n'est jamais tenu, comme tel, d'aucune réparation ni reconstruction. Grave erreur de Delvincourt.

Quid si l'usufruitier a fait lui-même les grosses réparations? Si les dépenses étaient faites par le propriétaire ou pour son compte, ce serait à l'usufruitier d'en acquitter les intérêts.

III. L'usufruitier est tenu des réparations d'entretien. Il peut, en renonçant à l'usufruit. se décharger des réparations à venir; mais non de celles qui sont actuellement nécessaires, quand même il offrirait de rendre les fruits qu'il a perçus. Erreur de Proudhon, M. Duranton et M. Zachariæ.

IV. L'usufruitier peut, non plus comme usufruitier, mais par son fait particulier, se trouver tenu des grosses réparations et même des reconstructions; le propriétaire, par cette même cause, peut devoir aussi les reconstructions ou les réparations.

V.

Quelles sont les grosses réparations.

I. 517. Ces trois articles sont relatifs aux réparations plus ou moins considérables, et aux reconstructions, qui peuvent devenir nécessaires pendant la durée de l'usufruit. Or, de la nature même du droit d'usufruit, il résulte que le nu propriétaire n'est jamais tenu, comme tel, vis-à-vis de l'usufruitier, à aucune réparation ni reconstruction. L'usufruitier a, ni plus ni moins, le droit de jouir de la chose, en se mettant lui-même et immédiatement en rapport avec elle, et sans pouvoir réclamer l'intervention de personne ; il n'a pas, comme le locataire, le droit de forcer le propriétaire à le faire jouir. Ainsi, ce locataire peut exiger que le propriétaire relève les bâtiments brûlés, renversés par une tempête, tombés de vétusté ou détruits par toute autre cause; qu'il rétablisse les toitures, qu'il répare tout ce qui est en souffrance, etc.; car de même que le propriétaire est tenu au commencement du bail de livrer la chose en bon état, il est tenu également de l'entretien dans cet état pendant toute la durée de ce bail (art. 1729, alin. 2). L'usufruitier, au contraire, ne peut rien demander de tout cela de même qu'à l'ouverture de l'usufruit, il lui faut se contenter des choses dans l'état où elles sont, sauf à y faire lui-même telles réparations et tels travaux qu'il trouvera bon, ou à refuser l'usufruit s'il ne le trouve pas avantageux; de même pendant toute la durée de cet usufruit, il lui faut garder les choses dans l'état où elles viennent à se trouver, sauf à lui d'y faire à ses frais les travaux qu'il juge utile de payer, ou de renoncer à son droit pour l'avenir si les travaux nécessaires lui paraissent trop coûteux. Quant au nu propriétaire, aucune obligation ne peut frapper sur lui, en cette qualité de nu propriétaire.

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Delvincourt, cependant, prétend que le propriétaire est obligé de faire les grosses réparations. Il se fonde sur le sentiment de Pothier dans son traité du Douaire, et sur les termes de l'art. 605, qui déclare que ces réparations demeurent à la charge du propriétaire. Mais c'est là une erreur (1).

(1) Toullier (III-443), Proudhon (IV-1675), Duranton (IV-615), Zachariæ (II, p. 18).

Les deux bases de la décision de Delvincourt lui échappent entièrement. Et d'abord, il n'est pas vrai que Pothier ait enseigné la doctrine qu'on lui prête; loin de là, il enseigne le contraire : Le mari en se mariant, dit-il, contracte envers sa femme l'obligation de lui laisser son douaire après sa mort. Cette obligation renferme l'obligation secon— daire que le mari contracte également, et qui passe par sa mort à ses héritiers, de mettre et maintenir dans l'état voulu les choses sujettes au douaire... Il est vrai que LE Droit d'usufruit n'oblige pas le nu proPRIÉTAIRE A FAIre quelque chose aussi, ce n'est pas du droit d'usufruit que naît l'action qu'a la douairière pour obliger l'héritier du mari à faire les réparations; elle naît de l'obligation personnelle que son mari a contractée (du Douaire, no 239). » Ainsi, Pothier professait notre doctrine, qui est la doctrine du droit.romain, la doctrine de l'ancien droit, la doctrine du Code. Aussi, tandis que la douairière pouvait, en conséquence de l'obligation contractée par son mari, contraindre l'héritier de celui-ci, lors de l'ouverture de son usufruit, à lui livrer les héritages en bon état de réparations, le Code, au contraire, déclare dans l'art. 600 que l'usufruitier devra recevoir les choses dans l'état où elles se trouveront.

Quant aux termes de l'art. 605, ils n'ont nullement le sens que leur attribue Delvincourt, sens qui serait le renversement des principes romains et de la doctrine de Pothier, et une contradiction flagrante avec l'art. 600. Comment l'usufruitier, qui ne peut pas, d'après cet art. 600, exiger les grosses réparations nécessaires au commencement de l'usufruit, pourrait-il exiger ici celles qui deviennent nécessaires dans le cours de sa jouissance ?... Tel n'est pas le sens de l'article; les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire; mais il n'est pas tenu de les faire. Les grosses réparations demeurent à sa charge, c'està-dire qu'elles y sont comme avant l'existence de l'usufruit; or, il est clair qu'avant l'existence de l'usufruit, il n'était pas obligé de les faire, car nul n'est forcé de restaurer le bâtiment qui lui appartient: elles demeurent à sa charge pendant comme avant l'usufruit, c'est-à-dire que s'il veut qu'elles scient faites (et c'est ce qui arrive ordinairement), il doit les faire lui-même; mais s'il ne tient pas à ce qu'elles soient faites personne ne peut les exiger: elles y sont comme auparavant, c'est-àdire que la présence d'un usufruitier ne l'en débarrasse pas comme elle le débarrasse des réparations d'entretien.

II.-518. Que si l'usufruitier, soit au commencement, soit dans le cours de sa jouissance, avait fait à ses frais les grosses réparations sans les ordres du propriétaire, le point de savoir s'il peut réclamer le montant de ses dépenses dépendrait d'une distinction qui se présente d'ellemême. Cette distinction est un point de fait que les tribunaux décideraient d'après les circonstances. En effet, si malgré les dénégations d'un propriétaire peu loyal, on voit que ce propriétaire aurait certainement fait les réparations, comme alors l'usufruitier a vraiment géré utilement l'affaire du propriétaire, celui-ci devra être condamné à l'inderniser; si, au contraire, il paraît assez probable que le propriétaire

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n'aurait pas voulu faire ces réparations et aurait mieux aimé laisser tomber le bâtiment (par exemple, s'il s'agit d'une grange à peu de distance de laquelle il en a une seconde sur un terrain qui n'est pas soumis à l'usufruit), l'usufruitier n'aurait rien à réclamer. En vain, dans ce dernier cas, il dirait à la fin de l'usufruit que s'il n'y a pas gestion d'affaire utile pour tout le montant des dépenses faites (puisque le propriétaire aurait laissé tomber et va jeter bas cette grange), il a au moins droit à la somme, assez modique il est vrai, que le propriétaire peut retirer des quelques matériaux qu'il a mis; il ne serait pas écouté, à cause de l'art. 599, qui lui refuse toute indemnité pour les améliorations par lui faites. Que si c'était une reconstruction, et non une simple réparation, qu'il eût faite (toujours dans des circonstances qui permettent de croire que le propriétaire n'aurait pas voulu la faire), ce serait le cas de l'art. 555, et il lui serait permis de démolir pour enlever ses matériaux.

Au reste, dans le cas même où l'on jugera en fait que le propriétaire aurait fait les réparations, et où il sera en conséquence condamné à rembourser les dépenses de l'usufruitier, comme aussi quand ce propriétaire consentira à faire lui-même les réparations, il ne devra payer les dépenses ou les rembourser à l'usufruitier, que sous l'obligation par cet usufruitier de lui payer les intérêts de la somme pendant la durée de sa jouissance. En effet, il est bien clair que l'usufruitier ne peut pas avoir la prétention de jouir d'une valeur plus considérable que la valeur totale du bien soumis à l'usufruit; si ce bien vaut 80,000 fr., l'usufruitier ne peut pas exiger qu'on le laisse jouir de 100,000. Donc, quand on vous confère, par un legs ou autrement, l'usufruit d'un bien qui vaudrait 100,000 fr., s'il était en bon état, mais qui demande 20,000 fr. de réparations, il est évident que ce bien ne valant réellement que 80,000 fr., c'est seulement de 80,000 fr. que vous avez droit de jouir. Si donc le propriétaire, qui n'est pas tenu à ces réparations, consent cependant à les faire, il est clair qu'il peut exiger de vous l'intérêt des 20,000 fr. qu'il va débourser, et par le déboursement desquels vous allez avoir sous votre jouissance une valeur de 100,000 fr. au lieu de la valeur de 80,000 à laquelle vous aviez droit. Une hypothèse va rendre ceci palpable.

Supposez qu'on vous lègue l'usufruit d'une ferme dont on me lègue la nue propriété, à moi qui n'ai pas un sou. Si les bâtiments exigent 20,000 fr. de réparations que je veux bien faire, n'est-il pas clair que le moyen tout direct, tout naturel, de payer cette dépense, c'est de vendre, jusqu'à concurrence de 20,000., une portion des terres ; or, qu'arrivera-t-il par là? c'est que cette portion de terre, cette yaleur de 20,000 fr., sera perdue pour moi quant à la propriété, et pour vous quant à la jouissance; il y a pour vous comme pour moi une perte qui est compensée par la consolidation des bâtiments. Que si, au lieu de vendre des terres, on empruntait avec hypothèque sur le bien, la dette étant celle de l'immeuble, c'est à l'usufruitier, qui l'a consentie d'accord avec le propriétaire, à en acquitter les intérêts,

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