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d'où il suit qu'un propriétaire peut, si l'usufruitier mourait immédiatement après avoir passé un bail, se trouver lié pour onze ou douze années après l'extinction de l'usufruit!

495. Nous ne devons pas laisser passer sans observation cette conséquence de notre article; car elle est de la plus haute importance; elle suffirait seule pour faire crouler de fond en comble la théorie de M. Troplong sur la prétendue réalité du droit du locataire d'immeuble. On se rappelle, en effet, que la doctrine du célèbre magistrat repose uniquement sur l'art. 1743, et se résume dans cet argument : « Le preneur, aujourd'hui, contrairement aux anciens principes, peut exerçer son droit non pas seulement contre le propriétaire qui lui a loué l'immeuble, mais aussi contre toute personne à laquelle ce propriétaire vient à vendre ou céder autrement cet immeuble. Or, ce droit du locataire contre le propriétaire nouveau ne repose pas sur une obligation de celui-ci, puisque ce propriétaire n'a pas contracté et n'a rien promis. Donc, c'est parce qu'il est droit réel que ce droit se maintient contre ce propriétaire nouveau ; car un droit n'a de valeur contre un tiers qu'autant 1° que ce tiers est personnellement obligé, ou 2o qu'il s'agit d'un droit réel sur le bien qui lui appartient. >>

A ceci nous avons répondu (après avoir démontré d'ailleurs et directement que le droit du locataire n'est pas et ne peut pas être un droit réel), nous avons répondu que la mineure du syllogisme était complétement inexacte; que le nouveau propriétaire était personnellement et spécialement obligé (obligé, lui et non aucun autre, à mettre et maintenir les choses dans l'état voulu pour en jouir); qu'en supposant que son obligation ne vint pas d'un contrat, ce contrat n'étant qu'une des cinq causes d'obligations, il était facile de trouver sa source soit dans la 2o cause, le quasi-contrat, soit dans la 5°, la loi (voy. art. 526-V, et 578-II). Or, notre article vient démontrer la vérité de notre théorie dont il est une application, et jeter le démenti le plus énergique à la doctrine contraire. En effet, toute l'argumentation de M. Troplong est dans cette phrase: « Du moment que le droit du fermier s'exerce « contre le propriétaire qui ne l'a pas consenti, c'est un droit réel; car a il ne peut pas y avoir d'obligation personnelle contre ce propriétaire. » Toute la base du système, la clef de voûte de l'édifice, est dans cette dernière assertion; c'est par la prétendue impossibilité d'une obligation personnelle qu'on arrive à la prétendue réalité du droit, car si ce droit rencontre, ou plutôt s'il peut rencontrer, une obligation personnelle chez le tiers acquéreur, on n'a plus de raison pour recourir à sa prétendue nature réelle. Est-il possible qu'il y ait une obligation personnelle chez ce propriétaire nouveau qui n'a rien promis, rien consenti? Voilà toute la question. Or, la disposition de notre article statuant sur un cas analogue, est telle que, quand même le droit du fermier serait droit réel dans tous les sens, un jus in rem et un jus in re, il faudrait encore reconnaître une obligation personnelle chez, un propriétaire qui n'a jamais rien promis, ni rien consenti, soit directement, soit indirectement. Méditons ce qui suit.

Un jeune homme de dix-sept ans devient, après la mort de son père, propriétaire d'une ferme que le défunt exploitait lui-même; la mère de cet enfant, usufruitière légale de la ferme de son fils, et que nous supposons n'être pas tutrice de ce fils, loue immédiatement la ferme pour neuf années. Au bout d'un an, l'enfant arrivé à la fin de sa dixhuitième année voit cesser l'usufruit de sa mère et entre en jouissance de son bien; le voilà en face d'un bail qu'il est tenu de respecter pour huit années encore: comment expliquerez-vous ceci? ni l'enfant, ni le tuteur de l'enfant n'ont rien promis au fermier; sur quoi donc repose le droit de ce fermier? Me direz-vous qu'il a un droit réel? je le veux pour un instant, malgré tous les faits qui prouvent le contraire; et j'admets que le bail consenti par l'usufruitier est un véritable jus in re, comme l'est son propre droit d'usufruit. Mais ceci ne suffit pas pour expliquer la validité du bail après l'extinction de l'usufruit; car soluto jure dantis, solvitur jus accipientis; en sorte que le droit du fermier, fût-il vraiment droit réel, serait désormais évanoui et ne pourrait plus s'exécuter. Il faut donc chercher ailleurs la cause du maintien de ce bail; or, puisqu'un droit n'a de valeur à l'encontre d'une personne que par l'une de ces deux causes, ou 1o parce qu'il repose sur une obligation personnelle à cette personnne, ou 2o parce qu'il est droit réel sur le bien appartenant à cette personne, et que cette dernière cause n'existe pas, il faut bien reconnaître l'existence de la première, et dire que le nu-propriétaire est soumis à une obligation personnelle. Et d'où vient cette obligation d'une personne qui n'a rien dit, rien fait pour être obligée ?... Eh! mon Dieu, elle vient directement de la loi, qui se place elle-même en cinquième ligne parmi les causes des obligations. (On sait en effet que d'après l'art. 1370 les causes de nos obligations sont 1° le Contrat, 2° le Quasi-contrat, 3o le Délit, 4o le Quasi-délit, et 5o la Loi).

496. L'art. 1673 nous offre encore un cas analogue, et plus frappant peut-être. Je vous vends ma ferme à réméré; après que vous l'avez achetée et pendant que vous en êtes, non pas seulement usufruitier, mais propriétaire, vous concédez successivement un droit de bail, puis des hypothèques, puis des servitudes de passage, de vue, et autres, Supposons que le bail soit un droit réel ni plus ni moins que les servitudes et les hypothèques; au bout de trois ou quatre ans j'exerce le réméré, qu'arrivera-t-il ?

L'art. 1673 répond que, d'après le principe soluto jure dantis, solvitur jus accipientis, les droits réels que vous avez consentis suivent le sort de votre droit de propriété; que par conséquent la servitude et l'hypothèque s'évanouissent, mais que le bail est maintenu !... Ce n'est donc pas parce que le droit de bail est un droit réel, qu'il demeure valable..... Et si ce n'est pas parce qu'il est réel, c'est donc parce qu'il repose sur l'obligation personnelle de celui qui exerce le réméré. Et d'où vient cette obligation? de la loi toujours.

Ainsi la loi, dans un but d'intérêt général et pour la bonne administration des biens, impose dans l'art. 1673 à celui qui exerce un

réméré l'obligation personnelle de maintenir le bail qu'il trouve établi; dans l'art. 1429 elle impose à la femme, après la dissolution de la communauté, l'obligation personnelle de maintenir le bail consenti par son mari, quand la communauté durait; dans notre article, elle impose aut propriétaire, à l'extinction de l'usufruit, l'obligation personnelle de maintenir le bail consenti par un simple usufruitier; comment donc trouverait-on étrange, comment surtout déclarerait-on impossible que dans l'art. 1743 elle impose à un acquéreur l'obligation personnelle de maintenir le bail sur l'immeuble qu'on iui transmet? Ne voit-on pas que le seul cas d'où l'on voudrait exclure cette théorie est l'un de ceux où elle s'explique plus facilement encore?... En effet, le jeune homme dont nous parlions plus haut n'avait rien fait, n'avait accompli aucun acte d'où l'on pût induire son obligation; au contraire, celui qui achète un immeuble sachant bien que tout acquéreur est tenu de respecter les baux faits par le vendeur, accomplit là un acte personnel et volontaire qui suffirait pour constituer un consentement tacite. Ainsi, tandis qu'à l'obligation qu'on est forcé de reconnaitre chez le premier on ne peut assigner qu'une seule cause, la loi, on peut indiquer comme cause de l'obligation du sous-acquéreur ou la loi, ou le quasi-contrat, ou

même un contrat tacite !

Que devient en face de tout ceci l'impossibilité d'une obligation personnelle dans le cas de l'art. 1743?... Or, cette prétendue impossibilité est l'unique base du système de M. Troplong.

II.497. Au reste, on conçoit que les art. 1429 et 1430 sont ici pleinement applicables, et qu'il n'y a pas lieu de faire pour le cas d'usufruit, la restriction que nous avons vue nécessaire en cas de tutelle (art. 460, no III). Nous avons vu là que le bail consenti par un tuteur pour plus de neuf années, ou par lui renouvelé plus de deux ou trois ans d'avance, pourrait être attaqué immédiatement par ce tuteur au nom de son pupille; tandis que le bail fait par le mari, même pour quinze ans, et cinq ou six ans d'avance, ne peut jamais être critiqué tant que dure la communauté. Or, il est clair que c'est cette dernière règle, et non celle relative au tuteur, qu'il faut appliquer à l'usufruitier. L'usufruitier, en effet, comme le mari, a droit aux fruits, c'est à lui que la jouissance appartient; donc la concession par lui faite de cette jouissance est pleinement valable tant que son droit n'est pas éteint: c'est seulement après l'extinction de l'usufruit qu'un bail peut être critiqué par le propriétaire, comme c'est seulement après la dissolution de la communauté que la femme peut critiquer le bail fait par le mari. A ce moment de l'extinction de l'usufruit ou de la communauté, le bail consenti pour plus de neuf ans, et celui de neuf ans ou même au-dessous fait trop longtemps d'avance, restent nuls si leur exécution n'a pas encore commencé; que si l'exécution est commencée, le premier reste valable pour neuf ans au plus, le second s'exécute en entier (Voy. l'explicat. des art. 1429 et 1430).

III.498. Quoique notre article ne parle que du bail à ferme, ce qui, d'après l'art. 1711, ne doit s'entendre que du louage des biens ru

raux, le louage des maisons et des meubles recevant spécialement le nom de bail à loyer; cependant, il est certain que l'usufruitier peut également donner à loyer, c'est-à-dire louer, soit les maisons, soit les meubles soumis à son usufruit. En effet, il est d'abord évident qu'il peut louer les maisons, car que signifierait, sans cela, l'usufruit à moi concédé sur trois ou quatre maisons?... Je ne peux pas les occuper toutes; il faudrait donc les laisser fermées! le propriétaire lui même est grandement intéressé à ce qu'il n'en soit pas ainsi. Il n'y a que l'usufruit restreint, appelé pour les maisons droit d'habitation, qui ne comporte pas le droit de louer (art. 634); et c'est tout naturel, puisque l'habitation est précisément un usufruit mesuré sur les besoins personwanels de l'usufruitier (art. 633). Si, d'ailleurs, l'usufruitier ordinaire ne pouvait pas louer les maisons, pourquoi l'art. 584 rangerait-il parmi les fruits civils les loyers de ces maisons?... Ainsi l'usufruitier ordinaire peut louer les maisons. Mais puisqu'il en est ainsi, et qu'il faut reconnaître l'inexactitude et la rédaction trop restreinte de notre article, on ne peut donc plus argumenter de ses termes pour refuser à cet usufruitier le droit de louer aussi les meubles, lorsqu'il s'agit de meubles qu'il est d'usage de faire exploiter par d'autres, par exemple un troupeau.

Dans ce cas, d'un troupeau ou d'animaux quelconques, les fruits seront ou naturels ou civils, et subiront tantôt la règle de l'art. 585, tantôt celle de l'art. 586, selon que l'usufruitier recueillera en tout ou en partie les produits en nature de ces animaux, ou qu'il recevra seulement de l'argent. Ainsi, quand l'usufruitier jouira des animaux par lui-même, le propriétaire, à la fin de l'usufruit, aura droit à toutes les laines non encore coupées, à tous les produits non encore perçus; que si les animaux étaient livrés à un preneur ayant droit à la moitié ou à toute autre fraction des fruits, le propriétaire ne pourrait réclamer que la portion de ces fruits à laquelle l'usufruitier aurait eu droit, si son usufruit ne s'était pas éteint; que si enfin les animaux se trouvent sous la jouissance d'un preneur qui garde tous les fruits moyennant une somme de par chaque an, le propriétaire aura droit à une fraction de cette somme, fraction proportionnelle à la partie restant à courir de l'année dans laquelle l'usufruit s'éteint. Si le troupeau dont Titius a l'usufruit avait été donné par lui à cheptel à son fermier en même temps qu'il lui affermait son fonds, en louant tout pour un seul et même prix, il faudrait établir une proportion, sur le prix total de la location, entre le loyer du fonds lui-même, et le loyer du troupeau, et ce serait sur ce dernier que s'exercerait le droit du propriétaire pour ce qui resterait à courir de l'année. Par exemple, si c'est à la fin de septembre 1840 que le troupeau a été livré au fermier avec le fonds, le tout pour un prix unique de 3,000 fr. et que l'usufruitier meure à la fin d'avril; si le troupeau est estimé à 150 fr. de loyer, comme de la fin d'avril à la fin de septembre il reste quatre mois, le tiers d'une année, c'est le tiers de ces 150-fr. qui appartiendra au propriétaire. Il n'y aurait pas de difficulté si l'usufruitier du troupeau n'était aussi qu'usufruitier du

fonds appartenant au même propriétaire; ce dernier aurait alors droit à 1,000 fr., tiers du fermage total.

Ainsi, c'est pour les meubles frugifères et susceptibles de location, aussi bien que pour les immeubles ruraux, que l'usufruitier peut transformer des fruits naturels en fruits civils et réciproquem ent, ainsi qu'il a été expliqué sous l'art. 586, no II.

499. Au reste, aucune disposition spéciale du Code ne permettant pour les meubles une location dépassant la durée de l'usufruit, on reste pour eux sous l'empire du droit commun, et le louage qui en serait fait s'éteindrait, non pas le jour de l'extinction de l'usufruit, mais avec la fin de l'année courante. Nous disons qu'il ne s'éteindra pas le jour même où s'éteint l'usufruit; car ce serait rendre impossible, d'un côté, le louage que de l'autre on déclare permis : aussi avons-nous vu que dans les anciens principes, il en était ainsi pour le louage des immeubles, quoique l'usufruitier ne pût le consentir alors que pour la durée de son usufruit.

IV. 500. Un propriétaire est le maître d'aliéner, comme et quand il l'entend, les biens qui lui appartiennent; or, l'usufruit est un bien, meuble ou immeuble, selon les circonstances, qui fait partie du patrimoine de l'usufruitier. Celui-ci peut donc le vendre, le donner, l'échanger; en un mot, l'aliéner de telle manière qu'il trouvera bon. Ainsi, je puis vous céder l'usufruit que j'ai sur telle maison. Mais, bien entendu, je ne puis que céder mon usufruit; je n'ai pas le droit de créer à votre profit un usufruit nouveau et différent du mien je ne puis que vous transmettre mon usufruit, c'est-à-dire le droit que j'ai (et que vous aurez désormais à ma place) de jouir de cette maison jusqu'à ma mort. Ce sera donc toujours par mon décès, et non par le vôtre, que l'usufruit aliéné à votre profit s'éteindra; autrement il n'y aurait plus aliénation et transmission de mon usufruit, mais création d'un usufruit nouveau, ce qui dépasserait mes pouvoirs. · Sans doute l'usufruitier peut bien créer un usufruit, mais seulement sur son usufruit et non pas sur la chose soumise à cet usufruit. Ainsi, il peut faire un u sufruit de l'usufruit qu'il a sur cette ferme; mais non pas un nouvel usufruit de cette ferme.

On voit donc que notre article s'exprime très-exactement quand, pour indiquer cette idée, il dit que l'usufruitier peut vendre ou céder son droit; et M. Demante a tort, dès lors, de dire que ces mots seraient plus exactement remplacés par ceux-ci : vendre ou céder l'exercice de son droit (Prog., 1-601, al. 2). Ce n'est pas seulement l'exercice du droit, c'est le droit lui-même que l'usufruitier confère alors ; il donne la pleine maîtrise, le dominium, du bien incorporel qu'il avait lui-même... Dans le cas de minorité, d'interdiction ou de mariage, l'incapable n'a pas l'exercice de ses droits (lequel appartient au tuteur et au mari), il n'en a que la jouissance. Mais dans l'aliénation d'un usufruit, l'exercice et la jouissance ne sont pas séparés ; ils passent tous deux au cessionnaire. Si le cessionnaire d'un droit d'usufruit n'en obtenait que l'exercice, à qui donc la jouissance du droit, c'est-à-dire le droit lui-même, appartiendrait-elle ?...

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