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« Les actions, dit-il, sont mises par le Code au nombre des biens, a parce que la réclamation forine pour le plaideur un véritable droit, a celui d'obtenir justice des tribunaux auxquels elle est soumise. «Avant la demande formée, on ne conçoit pas l'action comme un << droit distinct de celui qui la pro luit; ce qui est dans les biens, c'est « ou une chose corporelle, ou un usufruit, une servitude, une créance; « mais la reclamation forme l'action, qui entre alors dans les biens, et « se classe parmi les meubles ou parmi les immeubles. >>

Ceci est profondément inexact.

D'abord, il y a contradiction dans la théorie du savant professeur. En effet, il definit lui-même l'action (dans la même note) la réciamation, en justice, d'un droit prétendu. Or, si l'action est la réclamation, c'est donc un simple fait; mais si l'action est un fait du plaideur, comment est-elle un droit pour ce plaideur ?....... Dira-t-on que M. Demante, par ces mots : « la réclamation forme pour le plaideur un véritable droit, » entend parler, nou pas d'un droit qui serait la réclamation même, mais d'un droit qu'engendre cette réclamation? Mais ce droit, qui, selon M. Demante, devient pour moi un bien particulier, étant alors le résultat de la réclamation, tandis que l'action est la réclamation même, notre article aurait donc encore tort de présenter les actions comme des biens spéciaux : dans ce système, ce ne serait pas l'action, ce serait le droit résultant d'une action qui constituerait un bien.

Mais supposons que, pour faire disparaître cette contradiction et donner une base à sà théorie, M. Demante change sa definition et appelle action non plus la réclamation faite en justice, mais le droit résultant de cette réclamation; où nous conduiront ces idées subtiles?... A reconnaître que cette theorie est inacceptable pour deux raisons : d'abord parce que la definition de l'action serait complétement fausse; ensuite parce que ce droit résultant de la réclamation aurait nécessairement pour unique objet le jugement qui devrait être prononcé, et qu'il ne pourrait pas encore, par conséquent, constituer un bien spécial. En effet, un jugement n'etant rien autre chose que la constatation d'un droit, il ne peut pas être un bien distinct du droit lui-même ; et le droit, l'action, dont ce jugement serait l'objet, ne le pourrait pas davantage... Ce jugement, évidemment, n'est ni un meuble ni un immeuble; il est la proclamation d'un droit meuble ou immeuble: c'est le droit lui-même judiciairement reconnu. Donc, le jugement, quand on veut le considerer comme un bien et rechercher sa nature mobilière ou immobilière, cesse d'avoir une existence propre et se confond avec le droit sur lequel il prononce. Mais s'il en est ainsi du jugement, il en sera donc également ainsi du droit, de l'action, dont ce jugement est l'objet.

Ainsi, soit que l'on entende par action la réclamation même, la demande en justice (ce qui est exact), soit que l'on eutende le droit d'obtenir jugement et résultant de la réclamation (ce qui serait inexact), on n'arrivera jamais à trouver dans l'action un bien spécial et distinct

du droit qui a engendré cette action, et sur lequel le jugement a prononcé ou doit prononcer. L'action ne peut pas être un autre bien que le droit qui la produit; et il ne fallait pas, après avoir déterminé la nature d'un droit, déterminer séparément et différemment la nature de l'action qui l'accompagne : il ne fallait pas, après m'avoir dit que le droit de propriété d'une maison me donne un bien immeuble par nature et de la première classe, me dire que l'action en revendication de cette maison est pour moi un bien immeuble par son objet et de la troisième classe

L'inexactitude de la théorie que nous combattons devient palpable par une simple observation. Acceptons pour un instant l'idée de M. Demante, et voyons quelle conséquence en découlerait... Il me prend fantaisie de me dire propriétaire d'un immeuble sur lequel je sais parfaitement n'avoir aucun droit, par exemple, du Palais des Tuileries, et j'intente une action en revendication devant le tribunal de la Seine... «Ma réclamation, dit M. Demante, forme pour moi un véritable droit; « elle forme une action qui entre dans mes biens et se classe parmi « mes immeubles; » en sorte que pendant le procès j'aurai à moi un bien immeuble par l'objet auquel il s'applique!... C'est-à-dire qu'il me suffirait de signifier des assignations ridicules à une douzaine de personnes pour faire entrer à l'instant douze biens immeubles dans mon patrimoine!!!

Nous ne comprenons pas les efforts que fait M. Demante pour justifier la rédaction d'un alinéa que lui-même est forcé de reconnaître vicieux d'ailleurs, ainsi qu'on va le voir; et il faut dire avec un autre professeur de l'école de Paris, M. Pellat : « L'action qui tend à revena diquer un immeuble, soit qu'on entende par là l'action déjà intentée << ou l'action qu'on a droit d'intenter, n'est pas un bien distinct de la « propriété même de l'immeuble. Voilà donc qui fait double emploi. « Chez les Romains du moins, quelque peu philosophique que soit la « division adoptée par eux, il n'y avait pas double emploi et confusion» (Princ. génér, du dr de propriété, p. 9).

369. Et maintenant cet alinea, qui dit ce qu'il ne fallait pas dire, ne dit rien de ce qu'il devait dire. En effet, il parle (et à tort) de l'action en revendication, du jus in re; mais il ne parle pas des droits et actions personnels (ad rem) tendant à se faire transférer la propriété d'un immeuble ou quelque démembrement de cette propriété; or, ce sont précisément ces droits qui forment notre seconde espèce de droits immobiliers. Un droit ne pouvant pas appartenir à une autre classe de biens que son objet, il est clair que tout droit ad rem immobilem est immobilier; et il n'y a pas plus à distinguer ici que dans le cas d'un jus in re, si le droit est ou non réclamé en justice, s'il est ou non à l'état d'action. L'art. 526 ne déclare mobiliers que les droits ayant pour objets des choses mobilières; donc, les droits dont nous parlons ici ne sont pas meubles. Or, les droits, comme les divers autres biens, sont tous meubles ou immeubles (art. 516); donc les droits dont nous parlons ici sont immeubles, et l'on peut accepter comme très-exacte la

règle Mobilis est actio quæ tendit ad quid mobile, immobilis quæ tend it ad quid immobile...

Ainsi, par exemple, quand j'ai la faculté de rémérer un immeuble (art. 1659); ou celle de faire annuler (art. 4440, 4114, 1146), révoquer (953), ou rescinder (1774) l'aliénation d'un immeuble, j'ai là un bien immobilier par son objet seulement. Car je n'ai pas actuellement la propriété de l'immeuble corporel; j'ai seulement un droit qui tend à cette propriété et qui doit me le faire avoir..

M. Demante professe ici la même doctrine que nous, et adresse le même reproche au texte.

VIII. 370. Ainsi, c'est par la nature mobilière ou immobilière de l'objet d'un droit, que l'on voit si ce droit est meuble ou immeuble; et ce, aussi bien quand ce droit est réclamé en justice (c'est-à-dire quand il est à l'état d'action) que dans le cas contraire; et aussi bien pour le droit ad rem que pour le droit in re (avec cette observation, toujours, que quand le droit in re est un droit de propriété, ce n'est plus le droit que l'on considère et que l'on qualifie, mais la chose qui en est l'objet). It importe donc de comprendre d'une manière exacte ce qu'on entend par l'objet d'un droit.

L'objet d'un droit, c'est la chose sur laquelle le droit repose et s'exerce (in re) ou tend à s'exercer et à se reposer (ad rem); on peut encore dire, pour le droit ad rem, que c'est la chose que le créancier est en droit de demander. Ce droit ad rem demande quelques observations.

Si une personne me doit un immeuble, mais avec faculté de se libérer en me donnant un meuble à la place; par exemple, si un testateur a obligé son héritier à me livrer telle maison, avec faculté pour lui cependant de se décharger du legs de la maison en me comptant 10,000 fr., mon droit (ou mon action, puisque nous avons établi la synonymie de ces expressions pour la matière qui nous occupe), mon droit reste immeuble. Car, ce que j'ai le droit de demander, c'est la maison, et la maison seulement; les 10,000 fr. ne sont pour le débiteur que in facultate solutionis c'est là ce qu'on appelle obligation facultative, laquelle n'a qu'un seul objet. Si donc, dans ce cas, je léguais tous mes biens meubles à Pierre, et tous mes immeubles à Paul, c'est Paul qui aurait mon droit à cette maison, comme droit immobilier; et ce quand même le débiteur preférerait se libérer par le versement de la somme d'argent; Paul, une fois devenu maître du droit immobilier, aurait seul droit à cet argent, remplaçant pour lui la maison objet de son action.

Il en serait autrement si le meuble et l'immeuble avaient été légués comme les deux objets alternatifs de l'obligation; par exemple, si le testateur avait dit : «Mon héritier donnera à Titius ou telle maison, où 10,000 fr.» Dans ce cas, ce que j'ai droit de demander, ce n'est ni la maison seule ni l'argent seul, c'est la maison ou l'argent. L'obligation alors est alternative, elle a deux objets. On ignore donc, quant à présent, si le droit est mobilier ou immobilier, et c'est par le choix que

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fera plus tard le débiteur, de tel ou de tel des objets, que la nature du droit sera connue. Le droit sera meuble et appartiendra au légataire de mes meubles, si le débiteur paye les 10,000 fr.; il appartiendra au légataire de mes immeubles, s'il livre la maison.

Que si le choix à faire entre les deux objets appartenait à moi, créancier, c'est moi qui serais libre de rendre mon action mobilière ou immobilière en demandant tel ou tel des deux objets.

IX. — 374. Les droits ou actions ayant pour objet des immeubles ne sont plus aujourd'hui les seuls droits immobiliers: trois décrets postérieurs au Code sont venus permettre, par dérogation à la règle qui donne à un droit la nature de son objet, d'immobiliser certains droits ayant pour objet de l'argent, des capitaux.

Un décret du 16 janvier 1808, art. 7, permet aux propriétaires d'actions de la Banque de France d'imprimer à ces actions le caractère d'immeubles, en déclarant leur volonté dans la forme voulue pour le transfert des rentes. Un décret du fer mars même année permet d'immobiliser de la même manière les rentes sur l'État, pour la formation d'un majorat. Enfin, un décret du 16 mars 1810 applique ces dispositions aux actions de la compagnie des canaux d'Orléans et du Loing. Donc, il existe aujourd'hui d'autres biens immobiliers que les immeubles 1o par nature, 2o par destination, ou 3o par leur objet. Pour embrasser maintenant tous les immeubles, il faut, ou bien élargir la 3e classe, ce le dés biens incorporels, en disant qu'elle se compose des droits immobilisés par la détermination de la loi; ou bien laisser les trois classes du Code telles qu'elles y sont présentées, et ajouter pour les droits dont nous parlons dans ce no IX une 4e classe, sous cette même dénomination d'immeubles par la détermination de la loi.

372. On voit que notre art. 526 donnait lieu à plus d'une observation; et on peut s'étonner que M. Duvergier n'ait rien ajouté aux trois lignes dans lesquelles Toullier donne, pour toute explication, le texte même de l'article (III, no 17).

CHAPITRE II.

DES MEUBLES.

527. — Les biens sont meubles par leur nature, ou par la dé– termination de la loi.

373. Il n'y a que deux classes de meubles : 1o les vrais meubles, les choses corporelles susceptibles de se transporter d'un lieu à un autre, moins pourtant celles de ces choses que la loi déclare immobilisées à cause de leur destination (art. 522-523), 2o les droits que la loi déclare meubles à cause de leur objet mobilier.

Le Code s'occupe des vrais meub es, des biens meubles par leur nature, dans l'article suivant, puis dans les art. 531 et 552 que nous placerons de suite après celui-ci. It indique les droits mobilisés par la

détermination légale, dans les art. 529 et 530, que nous reporterons après l'art. 532.

523.Sont meubles par leur nature, les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par euxmêmes, comme les animaux, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère, comme les choses inanimées.

374. On comprend que cet article n'est exact que sous l'exception des meubles immobilisés par leur destination.

531. Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur baleaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison, sont meubles la saisie de quelques uns de ces objets peut cependant, à cause de leur importance, être soumise à des formes particulières, ainsi qu'il sera expliqué dans le Code de la procédure civile.

532. Les matériaux provenant de la démolition d'un édifice, ceux assemblés pour en construire un nouveau, sont meubles jusqu'à ce qu'ils soient employés par l'ouvrier dans une construction.

375. Ces deux articles n'ont pas une grande utilité; car toutes les choses qu'ils énumèrent se trouvaient comprises dans la règle générale de l'art. 529 ce sont là des « corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, et changer de place par l'effet d'une force étrangère, »

Si le législateur, dans l'art. 534, a parlé des bâtiments de mer ou de rivière, des bains ou autres établissements sur bateaux, et en général des diverses constructions non adhérentes au sol, c'est parce qu'il a craint qu'on n'eût l'idée de les regarder comme des immeubles, à cause de leur volume et de leur importance. Mais cette disposition spéciale n'était pas nécessaire; et du moment qu'u e exception ne venait pas restreindre la règle de l'art, 529, votre trois mâts de 800 tonneaux restait meuble tout comme le fauteuil dont je me sers.

On aurait également pu être tenté de declarer immeubles (par destination) les pierres, briques, pièces de bois et autres matériaux assemblés pour une construction. C'eût été one idée inexacte; car la destination n'immobilise les choses que quand elles sont mises dans l'état où elles doivent rester : mon troupeau n'est pas immeuble par cela seul que je le destine à être mis sur ma ferme, mais seulement quand il y est mis. C'est pour prévenir cette idée fausse qu'est écrite la seconde ligne de l'art. 532. — Quant à la première phrase, qui prend la peine de déclarer meubles les matériaux provenant de la démolition d'un édifice, elle exprime une idée si simple, qu'elle n'a pu être formulée qu'à l'occasion de l'autre. Quand ma maison est démolie, elle cesse évidemment d'être immeuble, et le dessein que j'aurais de bâtir im

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