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dra-t-on nous dire qu'il y a désir d'étouffer la libre concurrence, parce qu'un établissement nouveau enlève les pratiques d'une entreprise rivale? L'ancienne maison, jalousant les succès rapides de la maison qui semble s'élever sur ses ruines, serat-elle raisonnablement reçue à réclamer contre cette dernière l'application de l'article 419, parce que celle-ci aura refusé toutes relations avec des correspondans qui voudraient continuer avec la première leurs habitudes de commerce? Non, sans doute. Eh bien! quelle différence existe-t-il entre la société du roulage et cette société idéale dont nous venons de tracer le tableau? Aucune.

Dans l'un et l'autre cas, il ne peut pas y avoir lieu à l'application de l'article 419. Cet article n'a trait qu'aux marchandises; il poursuit les accapareurs d'odieuse mémoire, parce que l'accaparement détruit le bien-être du peuple. Il exclut le monopole des marchandises, parce que les marchandises, les denrées sont des êtres passifs qu'on peut détenir; dont le cours, au grand préjudice des masses, peut être interrompu. Pouvait-il avoir en vue le monopole des faits? Non. Les faits qui s'exécutent à prix d'argent ne sont pas des marchandises. On ne leur donne pas une circulation; ils sont toujours l'expression d'une volonté murement réfléchie, ils sont l'oeuvre d'un être actif qui se rend toujours compte de ses actions. Dira-t-on que ces faits sont une marchandise, parce

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que l'argent paie leur existence? L'argent que l'homme reçoit pour un engagement, n'est que la compensation de la dation qu'il a faite de son temps. Si l'on décidait que les faits, qui s'exécutent à prix d'argent, sont des marchandises, comme l'a dit un des signataires de la consultation qu'on nous oppose, il n'y aurait plus d'association possible. Toujours la société qui s'élèverait aurait pour but, car ce serait la condition de son existence, d'attirer à elle les pratiques qui visitaient auparavant les entreprises rivales.

Bien plus, toute entreprise de théâtre, et ici l'analogie est parfaite, serait déclarée impossible. En effet, c'est dans les entreprises théâtrales que se montre le plus la défiance des rivaux. Là, quand un acteur conclut un marché avec un directeur, il jure de ne pas prodiguer ses talens sur une autre scène, il se livre corps et âme à la dírection pendant toute la durée de son engagement. Là aussi, il y a des statuts, des amendes pour la moindre contravention. Bien plus, le but de tout directeur est d'écraser les théâtres qui lui portent ombrage; il regarde, comme nous, tous concurrens ceux qui luttent avec lui, il hausse le traitement des acteurs pour les attirer chez lui..... Dira-t-on qu'il veut détruire la libre concurrence du commerce? Non, jamais pareille idée n'est venue. Lorsque le théâtre du Gymnase s'est ouvert, lui qui, par des prix forcés,

s'est pourvu des meilleurs acteurs de tous les théâtres, lui qui a dépeuplé toutes les scènes..... a-t-on jamais songé à lui faire l'application de l'article 419? Non, parce qu'on a senti mieux que les adversaires de la société du roulage, qu'il n'y avait pas là monopole; qu'il ne pouvait exister que sur les marchandises et les denrées; que le monopole des faits de l'homme ne pouvait être, puisque l'homme réfléchissait toujours; qu'avant de s'engager il avait toute la liberté, et que s'il se soumettait, c'était par un acte de sa volonté. *Qu'il me soit permis de citer encore un autre exemple qui frappera encore plus fortement l'esprit. L'administration des messageries royales régnait seule dans toute la France, lorsque parurent les messageries Lafitte-Gaillard pour partager avec l'ancienne entreprise les immenses -revenus que lui procurait le transport des voyageurs. Indignées de l'apparition des diligences rivales, les messageries royales voulurent étouffer à sa naissance cette entreprise qui venait enlever la moitié de leur revenu tous les associés se coalisèrent, écrivirent à leur correspondant pour leur défendre toute relation avec l'ennemi; ils baissèrent même leur prix pour attirer les voyageurs. C'était, je crois, plus que jamais le cas d'appliquer l'article 419.. Il y avait intention évidente de ruiner la concurrence. Pensa-t-on à faire usage de cet article? Non, on a bien senti que

c'était au contraire là qu'était la véritable concurrence; que chaque maison ne s'élevait que pour retirer aux autres maisons le públic qui les fréquentait; que cette rivalité était l'âme du commerce; que le public était mieux servi par cette rivalité, puisque la première s'appliquait à le conserver, et la nouvelle à l'attirer à elle. Tant qu'il y a liberté, il y a concurrence possible. Si le gouvernement refusait la concurrence, car lui seul peut fonder le monopole, je concevrais les plaintes; leur légitimité serait fondée. Mais relativement à la société du roulage, le craintes sont imaginaires; toute liberté est accordée aux adversaires pour fonder une entreprise rivale.

Vous vous plaignez, leur dirons-nous, que les commissionnaires vous abandonnent pour se jeter parmi nous; c'est qu'apparemment, malgré la rigueur de nos statuts, ils trouvent plus d'avantages dans notre association. Permis à vous de renchérir encore sur nous; doublez les intérêts que les hommes que nous enrôlons nous enrôlons peuvent avoir dans notre société, et alors ils suivront votre bannière.

Ainsi, en résumé, il n'y a monopole pour les sociétés que si le gouvernement, interposant son autorité, donne à un établissement le droit qu'il refuse à l'autre, parce que lui seul avec son pouvoir peut arrêter la prospérité d'un magasin ouvert malgré sa défense, et ordonner sa fermeture.

Quand le gouvernement se met à l'écart, alors il y a toute liberté de concurrence. Si, après vous être mis en ligne, vous êtes écrasé, c'est à votre industrie qu'il faut vous en prendre... Votre talent commercial, inférieur à celui de vos rivaux, est cause de votre chute.

Il en est autrement pour les marchandises. Il peut y avoir monopole sans l'intervention du gou. vernement. Car, sitôt qu'un individu, avide de gagner, par l'accaparement, des richesses honteuses, s'est rendu adjudicataire de denrées, de marchandises, il a faculté de les retenir chez lui, d'en empêcher la circulation jusqu'aux jours de disette. Là il pourra hausser le prix des denrées, des marchandises, et élever indignement sa fortune sur les débris de la fortune publique. Il n'y a pas de concurrence possible, puisque lui seul détient, qu'il est maître de la vie ou de la mort de ceux qui viennent réclamer des denrées et les acheter à un prix excessif pour ne pas tomber d'épuisement. C'est pour flétrir ce hideux système, qui pendant un temps épouvanta la France de ses horribles conséquences, que fut créé l'article 419. C'est lui seul que l'on a voulu atteindre; l'histoire de la législation en fait foi.

Il en est ainsi pour les journées de travail, elles sont assimilées, quant au prix, à des marchandises. Car on peut, par un prix fixe, vous contraindre à payer au-delà de la valeur des répara

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