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Le Corps législatif délibère et adopte le projet de loi par 213 voix contre 6.

Rappelez-vous, surtout, dans quelle situation se trouvait la société parmi nous il y a cinq ans ; nul papier de circulation qui n'eut ses contrefacteurs, nulle partie da la comptabilité qui fût à l'abri des suppositions de pièces. Une armée de faussaires semblait avoir entrepris l'attaque de toutes les fortunes particulières comme de la fortune publique. Personnages d'autant plus dangereux que leurs talents pervers s'alliaient presque toujours à des dehors séduisants, ils échappaient au soupçon par une aisance apparente, à l'indignation publique par l'extérieur d'une éducation heureuse.

Comment cette calamité s'est-elle apaisée ? Vous le savez, Messieurs, ce n'est pas seulement parce que des peines plus sévères ont frappé les coupables, c'est encore parce que les attributions spéciales ont donné plus de moyens de les découvrir et de s'attacher à leurs traces.

La plus importante de ces attributions est celle qui a été conférée au tribunal criminel de la Seine, par la loi du 2 floréal an XI, et par celle du 22 ventôse an XII. L'une investit du pouvoir de juger tous les faux commis en effets nationaux ou sur des pièces de comptabilité qui intéressent le trésor public; l'autre lui assigne les mêmes fonctions contre les fabricateurs de faux billets de la Banque de France, les contrefacteurs du timbre national et leurs complices.

Les raisons qui justifient ces lois sont encore présentes à votre pensée.

Les faux qui se commettent sur des effets publics ou sur des billets de banque ne sont pas ordinairement circonscrits à une seule personne ni à un seul lieu. Leur émission, but principal des efforts des coupables, se répand dans plusieurs contrées et par plusieurs mains à la fois. D'un autre côté l'émissionnaire n'est presque jamais le fabricateur, et il est rare que de l'un à l'autre il ne se trouve pas des intermédiaires qui servent à la fois de voile et de lien à leurs communications. Faudra-t-il donc établir une procédure séparée dans chacun des départements où se manifeste quelqu'une de ces circonstances? Non, ce n'est pas ainsi qu'un tel complot peut être découvert. Pour en saisir tous les fils épars dans l'ombre, il faut qu'un même il les recherche, qu'une même main les déroule. Par sa position, le tribunal criminel du département de la Seine est le plus propre à pénétrer ces trames. Paris est presque toujours le lieu où elles aboutissent, et une police plus active y seconde avec plus de succès le zèle du magistrat.

La nature même du délit l'indique plus positivement encore, lorsqu'il s'agit de punir les faux commis dans les pièces de comptabilité; comme c'est contre le trésor public que sont dirigés ces crimes, le siège du trésor doit être aussi le siége de la juridiction destinée à les éclairer et à les punir.

A ces motifs il s'en joint un autre plus persuasif encore, celui de l'expérience une mesure qui a produit de bons effets porte avec soi sa première sanction, et l'ordre public ne saurait mieux être conservé que par les moyens qui ont servi à le rétablir.

Le projet de loi qui vous est présenté, Messieurs, est le juste complément des travaux de votre session. Après avoir créé une garantie au commerce, el un nouvel ordre à la comptabilité, il sera digne de vous d'écarter du commerce et de la comptabilité les attentats des faussaires et les alarmes qu'ils y répandent.

Les sections du Tribunat ont voté pour l'adoption.

M. le président fait lecture d'une lettre de S. Exc. le ministre secrétaire d'Etat, qui l'informe que des orateurs se rendront vendredi 18, à la séance du Corps législatif, pour y faire une communication au nom de SA MAJESTÉ, et y porter la parole relativement à la clôture de la session législative de la présente année.

La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.
PRÉSIDENCE DE M. FONTANES.

Séance du 18 septembre 1807.

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. M. Chappuis (de Vaucluse) fait hommage au Corps législatif, au nom de M. Crivelli, jurisconsulte d'Avignon, d'une brochure intitulée : Observations sur le danger d'interpréter les lois.

M. Nougarède. Messieurs et chers collègues, M. Pardessus, notre collègue, fait hommage au Corps législatif d'un ouvrage intitulé: Traité des servitudes, suivant les principes du Code civil.

Les peuples modernes se glorifient avec raison d'avoir réduit à ses justes bornes la matière des servitudes. Telle fut jadis son étendue, que la servitude des personnes avait été comprise parmi les bases de la société civile.

Au sein même de la barbarie et des victoires qui démembrèrent l'empire romain, les conquérants établirent leur législation sur des bases moins odieuses. La servitude imposée aux terres conquises ne s'étendit qu'en partie à ceux qui les cultivaient. L'esclave, chez les anciens, ne pou vait acquérir de propriété. Chez les peuples modernes, le serf ne fut soumis à des entraves que pour les produits de ses champs : les richesses de l'industrie lui restèrent comme le moyen et le présage de son futur affranchissement.

Ce présage fut réalisé par la seule marche de l'organisation sociale. Le système des anciens avait également corrompu le maître et l'esclave; l'atrocité des lois de l'esclavage s'était accrue par les progrès même de la civilisation, qui eût dû les adoucir.

Les lois de servage se modifiant par degrés, offrent un spectacle bien différent chez les peuples modernes. On se plaît à considérer dans leur histoire la liberté renaissante au milieu des villes, et avec elle toutes les richesses de l'industrie et des arts. Elle pénètre ensuite dans les campagnes, abolissant tous les genres de servitude, jusqu'à ce qu'enfin il ne reste plus dans les lois de distinctions contraires à la franchise originelle des biens et des personnes.

Alors il n'a plus été permis de soumettre les propriétés foncières qu'à ces services légitimes, qui résultent de leur position respective; mais ces services portent encore le nom de servitude. Quand la chose a été abolie, le mot est resté dans la langue des jurisconsultes, comme un monument des abus dont elle ne conserve que le souvenir.

On peut alors observer, jusque dans les rapports des propriétés, les heureux effets de cette organisation sociale, qui a fait disparaître tant de causes de division entre les hommes. Les maisons des particuliers furent longtemps séparées comme des iles, dont on leur avait même donné le nom chez les Romains. Les murs mitoyens n'étaient qu'une exception; ils sont devenus d'un usage habituel, les mêmes principes s'étendant au fonds de terre, ont réglé jusqu'au cours

des ruisseaux; et cette source, que le propriétaire supérieur eût pu détourner arbitrairement, va porter la fécondité sur toutes les terres inférieures.

En envisageant sous ces rapports la matière des servitudes, nous nous féliciterons qu'elle ait perdu de son importance, si toutefois l'équité de ses règles ne doit pas suppléer à l'étendue de leur objet, et s'il n'est pas vrai de dire que, dans une société bien ordonnée, toutes les lois qui intéressent la propriété, doivent, par ce seul motif, acquérir un grand intérêt.

Le droit romain avait réglé que la prescription pourrait suffire dans tous les cas, pour établir des servitudes. Le droit français, au contraire, l'avait rejetée, parce que les relations amicales qui doivent exister entre des propriétaires voisins en étaient sans cesse troublées. Une simple tolérance dégénérait en abus; il fallait n'accorder qu'avec precaution jusqu'aux égards mutuels; le laps de quelques années suffisait pour les changer en un droit irrévocable.

Comme le législateur ne pouvait se dissimuler néanmoins les grands avantages de la prescription, il s'efforça d'y suppléer dans la matière des servitudes, en donnant une sanction légale aux servitudes qui résultent de la destination du père de famille. C'est surtout lorsque divers immeubles appartiennent au même propriétaire, que leurs rapports mutuels s'établissent avec le plus de sagesse. Son intérêt personnel lui inspire une prévoyance qu'aucune loi ne peut suppléer, et cette sorte de convention avec soi-même doit être d'autant plus respectée qu'elle est moins susceptible d'erreur ou de mauvaise foi.

Mais le législateur avait dépassé le but qu'il voulait atteindre. Il est indispensable de conserver la prescription pour certaines servitudes, et la destination du père de famille ne doit pas être trop aisément présumée. Aussi les maximes trop générales du droit commun de la France, inégalement appliquées dans les diverses coutumes, avaient-elles produit des discussions sans nombre entre les jurisconcultes.

Ces discussions, qui avaient occupé un si grand espace dans tous les traités antérieurs, ont cesse avec le Code Napoléon. Cette partie de la législalation des servitudes, jadis si compliquée, offre la même simplicité de règles et de principes que toutes les autres dans le traité que j'ai l'honneur de vous présenter.

Le principal hommage en appartient sans doute au législateur; mais il faut accorder aussi quelque estime au jurisconsulte. Vous remarquerez avec plaisir dans son ouvrage tout le parti qu'il a su tirer des discussions sans nombre les que principes ont produites avant d'arriver à cette heureuse simplicité. Par leur étude approfondie, il s'est assuré cette richesse d'idées, qui féconde un sujet, ingrat en apparence, et qui donne de l'intérêt aux matières les plus arides.

Tels sont les titres que notre collègue me paraît présenter à votre estime, et à la mention honorable de son ouvrage dans le procès-verbal de vos séances. Vous l'encouragerez, par cet accueil, dans la noble carrière qu'il commence de s'ouvrir. Ce premier succès lui garantira ceux qu'il peut se promettre encore, lorsque des matières plus difficiles offriront un nouveau but à ses efforts. et de nouveaux motifs pour justifier vos suffrages.

Le Corps législatif ordonne la mention de ces hommages au procès-verbal et le dépôt des ouvrages à la bibliothèque.

MM. Boulay, Ganthaume et Bégouen, conseillers d'Etat, sont introduits.

M. Boulay, monte à la tribune et donne lecture du SÉNATUS-CONSULTE suivant :

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les constitutions, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D'ITALIE ET PROTECTEUR DE LA CONFÉDÉRATION DU RHIN, à tous présents et à venir, salut.

Le Sénat, après avoir entendu les orateurs du conseil d'Etat, a décrété et nous ordonnons ce qui suit: Extrait des registres du Sénat conservateur du 19 août 1807.

Le Sénat conservateur, réuni au nombre de membres prescrit par l'article 90 de l'acte des constitutions du 22 frimaire an VIII;

Vu le projet de sénatus-consulte rédigé en la forme prescrite par l'article 57 de l'acte des constitutions en date du 16 thermidor an X;

Après avoir entendu, sur les motifs dudit projet, les orateurs du Gouvernement et le rapport de sa commission spéciale nommée dans la séance du 14 de ce mois; l'adoption ayant été délibérée au nombre de voix prescrit par l'article 56 du sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X,

Décrète ce qui suit :

Art. 1er. A l'avenir et à compter de la fin de la session qui va s'ouvrir, la discussion préalable des lois qui est faite par les sections du Tribunat, le sera, pendant la durée de chaque session, par trois commissions du Corps législatif, sous le titre :

La première, de commission de législation civile et criminelle;

La seconde, de commission d'administration intérieure ;

La troisième, de commission des finances.

Art. 2. Chacune de ces commissions délibérera séparément et sans assistants; elle sera composée de sept membres nommés par le Corps législatif, au scrutin secret et à la majorité absolue des voix. Le président sera nommé par l'EMPEREUR, soit parmi les membres de la commission, soit parmi les autres membres du Corps législatif.

Art. 3. La forme du scrutin sera dirigée de manière qu'il y ait, autant qu'il sera possible, quatre jurisconsultes dans la commission de législation.

Art. 4. En cas de discordance d'opinions entre la section du conseil d'Etat qui aura rédigé le projet de loi, et la commission compétente du Corps législatif, l'une et l'autre se réuniront en conférences, sous la présidence de l'archichancelier de l'empire, ou de l'architrésorier, suivant la nature des objets à examiner.

Art. 5. Si les conseillers d'Etat et les membres de la commission du Corps législatif sont du même avis, le président de la commission sera entendu, après que l'orateur du conseil d'Etat aura exposé devant le Corps législatif les motifs de la loi.

Art. 6. Lorsque la commission se décidera contre le projet de loi, tous les membres de la commission auront la faculté d'exposer, devant le Corps législatif, les motifs de leur opinion.

Art. 7. Les membres de la commission qui auront discuté un projet de loi seront admis, comme les autres membres du Corps législatif, à voter sur le projet.

Art. 8. Lorsque les circonstances donneront lieu à l'examen de quelque projet d'une importance particulière, il sera loisible à l'EMPEREUR d'appeler, dans l'intervalle de deux sessions, les membres du Corps législatif nécessaires pour former les commissions, lesquelles procéderont de suite à la discussion préalable du projet : ces commissions se trouveront nommées pour la session prochaine.

Art. 9. Les membres du Tribunat, qui, aux termes de l'acte du Sénat conservateur, en date du 17 fructidor an X, devaient rester jusqu'en l'an XVII, et dont les pouvoirs avaient été, par l'article 89 de l'acte des constitutions de l'empire du 28 floréal an XII, prorogés jusqu'en l'an XXI, correspondant à l'année 1812 du calendrier grégorien, entreront au Corps législatif et feront partie de ce corps jusqu'à l'époque où leurs fonctions auraient dû cesser au Tribunat.

Art. 10. A l'avenir, nul ne pourra être nommé membre du Corps législatif, à moins qu'il n'ait quarante ans accomplis.

Le présent sénatus consulte sera transmis par un message A SA MAJESTÉ IMPERIALE ET ROYALE. Les président et secrétaires, Signé : CAMBACERES, archichancelier de l'empire, président; DEPERE, G. GARNIER, secrétaires.

Vu et scellé;

Le chancelier du Sénat, signé LAPLACE. Mandons et ordonnons que les présentes. revêtues des sceaux de l'Etat, insérées au Bulletin des lois, soient adressées aux cours, aux tribunaux et aux autorités administratives, pour qu'ils les inscrivent dans leurs registres, les observent et les fassent observer, et notre grand juge, ministre de la justice, est chargé d'en surveiller la publication.

Donné en notre palais impérial des Tuileries, le 29 août 1807. Signé NAPOLEON.

M. Boulay, après cette lecture prononce le discours suivant:

Messieurs, le sénatus-consulte dont vous venez d'entendre la lecture, est la suite naturelle de ceux des 16 thermidor an X et 23 floréal an XII.

Par le premier, le Tribunat avait été réduit à cinquante membres, et devait se diviser en sections. Par le second, quelques-unes de ses attributions avaient été reportées dans le Sénat il n'avait plus été envisagé que comme un conseil propre à l'examen des projets de loi, et pour le rendre plus utile sous ce rapport, on lui avait interdit cet examen en assemblée générale et publique: on l'avait divisé en trois sections, et chacune d'elles devait discuter séparément les projets de loi qui lui étaient d'abord communiqués par le conseil d'Etat, et ensuite transmis officiellement par le Corps législatif: chacune devait former son vœu particulier et vous le faire porter par des orateurs chargés d'en développer les motifs.

Ce qui est à remarquer, c'est qu'aux termes de l'article 87 de ce sénatus consulte, ces sections du Tribunat constituaient les seules commissions du Corps législatif. Or, n'était-ce pas une chose sans exemple et qui paraissait contraire à la nature même des choses, que les commissions d'un corps fussent composées de membres d'un Corps différent? Par là le Tribunat était devenu une partie de vous-mêmes, et cette partie vous était étrangère. N'y avait-il pas dans cette combinaison quelque chose qui impliquait contradiction?

Ce vice disparaît aujourd'hui le sénatus-consulte dont nous venons de vous donner communication, remet les choses dans leur état naturel; il vous rend en quelque sorte vos propres organes, en plaçant dans votre sein vos commissions, et en les formant de vos membres.

Par ce changement, des rapports plus intimes et plus immédiats vont être établis entre les deux branches du pouvoir législatif, et cette partie de notre système constitutionnel en reçoit tout à la fois et plus de simplicité et plus d'utilité.

Le Gouvernement a seul l'initiative des lois; les projets qu'il présente ne peuvent pas même être modifiés par le Corps législatif; il faut que celui-ci les adopte ou les rejette en leur entier : et certes, l'expérience nous a bien appris que cette prérogative du Gouvernement était une des principales garanties de la stabilité des lois et de la tranquillité publique; mais il en est encore une autre dans la sagesse de ces lois, et par conséquent dans la manière dont elles se préparent, et c'est ici que se déploie, comme dans tout le reste, la constante sollicitude du chef de PEtat pour le bonheur de ses peuples; toujours attentif à leurs besoins, à tout ce qui peut améliorer leur bien-être, il recueille partout les connaissances nécessaires; il appelle de tous côtés les lumières, et toujours plus riche de ses pro

pres idées que de celles des autres, il les médite dans son conseil d'Etat, et y fait dresser les projets de lois. Cependant, avec quelque soin qu'ils aient été préparés, il craint encore qu'ils n'aient pas acquis le degré de perfection dont ils sont susceptibles. On peut s'être trompé sur l'utilité de quelques dispositions; il peut s'y être glissé des ambiguïtés dans le sens, des obscurités dans la rédaction, des défauts de liaison dans les idées. Or, c'est pour préserver la législation de ces vices, que SA MAJESTÉ a voulu, et que nos constitutions ordonnent qu'avant d'être soumis définitivement à la sanction du Corps législatif, les projets de loi subissent une discussion préalable, une censure utile de la part d'hommes choisis dans un corps différent. C'était pour remplir cet objet essentiel, que le Tribunat, recevant une organisation plus sage, avait été divisé en différentes commissions; et c'est pour le remplir d'une manière plus sûre et plus facile encore que ces commissions vont être formées dans votre sein, et composées de ceux de vos membres dans les lumières et l'expérience desquels vous pla cerez plus particulièrement votre confiance.

Ainsi, Messieurs, vous serez désormais appelés non-seulement à sanctionner les projets de loi, mais encore à concourir à leur formation. Il vá s'établir entre les sections du conseil d'Etat et vos commissions une communication de zèle et de lumières, une noble émulation pour le bien public; et tel sera l'heureux effet de ce concert, que, sans porter aucune atteinte aux prérogatives essentielles du Gouvernement et du Corps législatif, il ne servira qu'à vous diriger plus sûrement dans l'exercice de vos fonctions, qu'à vous donner plus de confiance dans votre vote, et à la nation une garantie de plus de la sagesse de ses lois. Un résultat si utile sera moins l'effet d'un changement que d'une amélioration dans nos constitutions. En supprimant le nom d'un des corps d'Etat, on conserve réellement tout ce que ce corps avait de bon dans son organisation : ce n'est donc point ici une abolition, mais une simple réunion, dans leur centre naturel, de fonctions importantes, et qui se trouvaient mal à propos séparées et distinctes.

Tels sont aujourd'hui, Messieurs, les progrès de l'expérience et de la raison publique, qu'on pourrait mettre en problème, si le Tribunat, tel qu'il avait été d'abord organisé, était une institution salutaire et bien assortie, même dans la constitution de l'an VII, bien que cette constitution conservat encore beaucoup de cet esprit inquiet et démocratique qui nous avait si longtemps agités. Mais depuis que le vœu national, fortement exprimé, avait donné au Gouverne ment une assiette plus solide et plus stable, depuis que la première magistrature avait été déclarée d'abord à vie, ensuite héréditaire, et qu'une famille impériale se trouvait constituée, il est évident que le Tribunat n'offrait plus, dans notre édifice politique, que l'aspect d'une pièce inutile, déplacée et discordante.

Cependant, Messieurs, ce qui est bien remarquable, c'est que cette institution qui, considérée en elle-même, aurait pu devenir inquiétante et dangereuse, n'avait jusqu'à présent produit que de bons résultats; mais ces résultats, il ne faut les attribuer qu'à d'heureuses circonstances et surtout à l'excellent esprit des membres du Trinat, qui se sont constainment montrés plus sages que l'institution meine. C'est un témoignage, Messieurs, que nous aimons à leur rendre devant vous, et pour ainsi dire en présence de la nation

tout entière en cela nous nous conformons aux intentions de SA MAJESTÉ, et nous remplissons un devoir bien doux. En effet, au lieu de se jeter dans une opposition fausse et mal entendue que semblait appeler quelques-unes de leurs attributions et le nom même de leur établissement, les membres du Tribunat n'ont pas cessé de seconder, avec un zèle aussi ardent qu'éclairé, les mesures de toute espèce qu'un gouvernement sage et restaurateur créait successivement, et poursuivait avec une incroyable activité pour la gloire et le bonheur de la patrie. Quelle part utile n'ont-ils pas eue à la confection de nos lois civiles, administratives et financières! Avec quel empressement ne se sont-ils pas montrés les interprètes aussi éloquents que fidèles du vou national pour le perfectionnement de nos chartes politiques! Et certes, leur conduite était d'autant plus désintéressée et plus noble, que chaque pas que nous faisions, et qu'ils nous aidaient à faire vers notre amélioration, mettait toujours plus à découvert l'inutilité de leur établissement.

La patrie ne peut donc voir en eux que des citoyens utiles et respectables. Déjà SA MAJESTÉ a daigné témoigner à tout le corps qu'elle en était satisfaite. Quelques-uns ont été appelés à d'éminentes fonctions; une partie est destinée à venir concourir à vos nobles travaux; tous apprendront qu'il est doux de servir sous un prince qui sait si bien apprécier les services et employer les talents et les vertus.

Tandis que nos lois constitutionnelles se simplifient et prennent une assiette plus convenable, nos lois de second ordre se complètent en se prétant un mutuel appui. Dans la même session, le commerce intérieur et maritime aura été constitué, le taux de l'intérêt calculé sur ses besoins et réglé sur le cours des escomptes de la Banque et des négociations du Trésor. Les changements introduits par SA MAJESTÉ, dans l'organisation de ces deux grands établissements, ont déjà produit dans moins de deux années, sur le crédit, des effets que, dans tout autre temps, on aurait à peine osé espérer de la sagesse, de l'ordre et des économies d'un long règne. L'histoire ne présente point d'exemple d'un semblable résultat. Jusqu'ici les nécessités de la guerre, les dépenses, les alarmes et les maux qu'elle entraîne, ont, chez tous les peuples, produit des embarras domestiques, et fait suspendre tous les travaux d'amélioration intérieure. Ces circonstances, qui sont pour tous les Etats des causes d'appauvrissement et de destruction, n'ont fait qu'accélérer chez nous le mouvement de la restauration et le retour de la richesse. Des lois qui protègent et animent l'industrie nationale, qui rendent aux hospices leurs ressources, et aux malheureux leurs consolations, qui assurent au trésor public et aux principales communes de l'empire une garantie puissante contre l'emploi illégitime ou la soustraction de leurs revenus, et à tous les comptables honnêtes une voie plus prompte et plus ras"surante d'apurement et de liquidation; des entreprises qui embellissent nos cités, qui fécondent nos campagnes, qui lient, par des routes on des canaux, des contrées que le défaut de communication rendait comme étrangères les unes aux autres: tout marche à la fois et de front vers le terme où la prospérité devient générale. A mesure que le souverain avance dans la carrière du bien, ses vues s'étendent, ses forces s'accroissent, et les succès se multiplient. Dans vos sessions précédentes, Messieurs, vous avez sanctionné de nombreux projets d'une utilité notable,

mais ces projets étaient partiels; c'étaient les premiers pas d'une marche hardie. Cette année, vous avez embrassé le système tout entier des travaux publics; plusieurs millions d'arpens de marais pestilentiefs, que des propriétaires isolés, manquant d'industrie ou de ressources, laissaient ensevelis sous les eaux depuis les siècles, vont bientôt être livrés à l'agriculture, par l'effet du vaste plan de desséchement que le Gouvernement a concu, et que vous avez adopté. Ces conquêtes de la France sur elle-même deviendront ses triomphes pendant la paix. Le prince qui la gouverne n'aspire qu'à borner sa gloire à ces modestes trophées, son unique désir est de pouvoir s'occuper du bonheur de ses peuples; les victoires, les conquêtes et la renommée n'ont de prix à ses yeux que par les moyens qu'elles lui donnent d'opérer le bien avec plus de rapidité, de couvrir d'établissements utiles la surface de l'empire, et de substituer en Europe, aux rivalités qui amènent l'effusion du sang, une généreuse émulation dans l'art de rendre les hommes heureux et les nations florissantes.

Messieurs, vous avez secondé les vues bienfaisantes de Sa Majesté; votre coopération vous donne droit à une part de la reconnaissance et des bénédictions que lui réservent ses peuples, et qui sont sa plus douce récompense.

M. Boulay donne lecture du décret impérial suivant :

NAPOLÉON, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D'ITAIE, ET PROTECTEUR DE LA CONFÉDÉRATION DU RHIN, Les affaires pour lesquelles le Corps législatif a été convoqué étant terminées, nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. La clôture de la session du Corps législatif aura lieu le 18 septembre.

Art. 2. Le présent décret sera porté au Corps législatif par des orateurs de notre conseil d'Etat et inséré au Bulletin des lois.

Signé NAPOLEON.

M. Fontanes, président, prend la parole en ces termes :

Messieurs les orateurs du conseil d'Etat, la session qui finit nous laissera des souvenirs doux et consolants. L'Etat, après de si longues guerres, n'a point demandé de nouveaux secours; et contre l'usage établi par tous les conquérants, la gloire du monarque ne coûtera point au peuple de subsides extraordinaires.

Le Corps législatif, en se séparant, est heureux d'annoncer à ceux qui l'ont envoyé, que l'avenir doit accroître encore cette première amélioration dans les finances. Il en félicite surtout le Gouvernement, car l'ordre et l'économie, les plus grands bienfaits des princes, sont aussi les meilleurs calculs de leur politique. Trop d'exemples ont prouvé que l'excès des dépenses amenait tôt ou tard la dernière catastrophie des empires, et que la plus solide garantie du pouvoir est, comine aujourd'hui, dans une bonne administration de la fortune publique.

Déjà l'heureuse influence de cette sage administration se fait sentir de toutes parts. La confiance a reparu, les effets publics ont repris une faveur presque inconnue dans les plus beaux jours de la paix. Un trésor riche, et par conséquent maître de ses opérations; les vrais principes du crédit mieux connus de jour en jour, et le service exact d'une banque ouverte à tous les besoins, ont fait tomber l'intérêt de l'argent au taux le plus modéré. Les décrets qu'une trop juste indignation a provoqués contre l'usure lui seront peut-être moins funestes que ce dévelop

Un secrétaice fait lecture du procès-verbal de la séance de ce jour. La rédaction en est adoptée. La séance est levée.

pement régulier du véritable esprit des finances. L'usure, toujours plus exigeante à mesure qu'elle est plus menacée, ne fonde ses calculs que sur la rareté de l'argent, et dès qu'il circule avec abondance et facilité dans un grand nombre de mains, elle est plus sûrement arrêtée que par les prohibitions et le déshonneur dont elle se joua tant de fois.

Des abus non moins coupables réclamaient un Code de commerce. La banqueroute et la fraude ont été dénoncées à la vengeance publique; mais le Gouvernement, par sa conduite, a flétri d'avance les excès qu'il veut punir. Il se montre de plus en plus fidèle dans ses transactions et dans ses engagements, et c'est encore ici que l'autorité des exemples est plus forte que la rigueur même des lois.

Je ne rappellerai point, après les orateurs qui m'ont précédé, les divers travaux de cette session si courte et si remplie. Je ne parlerai que d'un objet qui regarde essentiellement le Corps législatif, dont j'ai l'honneur d'être l'organe. Ce corps va recevoir une forme nouvelle. L'examen des .projets de loi sera soumis à des commissions prises dans son sein, et les projets seront discutés par ses propres orateurs. Les talents qu'il renferme ne s'affligeront plus d'être ignorés; ils pourront se montrer quelquefois à côté de ces hommes d'une vaste et profonde doctrine, ou d'une éloquence facile et brillante, qui viennent porter la parole au nom du Gouvernement.

Des membres d'un autre corps qui nous est cher à tant de titres, puisqu'il n'est, en quelque sorte, qu'une section du nôtre, viendront se rêunir au centre commun, et nous accueillerons avec joie leurs lumières et leur expérience. Sous un nom tout populaire, le Tribunat fut monarchique; ici, sous un autre nom, il restera populaire; et nous servirons ensemble, d'un zèle égal, la nation et le monarque.

La majesté des assemblées nationales va renaitre sans danger sous les auspices d'un grand homme. Ces enceintes naguère accoutumées à tant de clameurs s'étonnaient de leur silence, et ce silence va cesser. Il ne faut pas sans doute que les tempêtes populaires y grondent encore; mais il convient que de graves discussions s'y fassent entendre, et la loi solennellement délibérée en aura plus de poids et d'autorité. Celui qui fit taire toutes les factions ne veut point que des voix respectueuses, mais libres, soient plus longtemps enchaînées. Rendons-nous dignes d'un tel bienfait. Que la tribune soit sans orages, et qu'on n'y❘ applaudisse qu'aux triomphes modestes de la raison. Que la vérité surtout s'y montre avec courage, mais avec sagesse, et qu'elle y brille de toute sa lumière. Un grand prince doit en aimer l'éclat. Elle seule est digne de lui; qu'en pourrait-il craindre? Plus on le regarde, et plus il s'élève. Plus on le juge, et plus on l'admire. C'est avec le récit fidèle de ses actions, qu'un jour l'histoire et la postérité impartiales composeront le plus beau de ses éloges.

Le Corps législatif ordonne l'impression des discours de l'orateur du Gouvernement, de M. Fontanes et leur distribution à six exemplaires.

L'arrêté suivant est mis aux voix et adopté. «Le Corps législatif, formé au nombre de mem«bres prescrit par l'article 90 de l'acte des con«stitutions de l'empire du 22 frimaire an VIII, dé«< clare qu'en exécution du décret impérial du 15 septembre présent mois, la session ouverte « en vertu de celui du 1er juillet dernier, est ter<< minée. »

TRIBUNAT.

PRÉSIDENCE DE M. FABRE (de l'Aude).

Séance du 18 septembre 1807.

Le procès-verbal de la séance du 22 août est adopté.

Après la lecture de la correspondance, M. le président donne communication d'une lettre de S. Exc. le ministre secrétaire d'Etat. Cette lettre annonce que trois orateurs du Gouvernement se rendront à la séance de ce jour, pour faire une communication au Tribunat, en exécution des ordres de SA MAJESTÉ.

MM. les conseillers d'Etat Pelet, Bérenger et Maret, sont introduits.

M. Bérenger. En abordant cette tribune illustrée par l'heureux assemblage du talent, des lumières et de la sagesse, on éprouve une émotion profonde, de grands souvenirs se présentent à l'esprit; celui du 18 brumaire nous montre le terme des malheurs de la France et l'origine de sa puissance et de sa félicité. Il vous souvient, Messieurs, de l'époque à jamais mémorable où le retour d'un grand homme prévint la dissolution de cet empire aujourd'hui si florissant, vos vœux avaient devancé l'exécution de ses desseins; plusieurs d'entre vous contribuèrent au succès de la révolution qui fit cesser les désordres révolutionnaires, et tous applaudirent à ses résultats. Bientôt après, vous vites s'ouvrir devant vous une vaste carrière; le Tribunat fut institué conseil du peuple, et son organe auprès du Corps législatif. Il fut chargé de défendre les principes constitutionnels et d'appeler par ses vœux les réformes salutaires, les institutions utiles et tous les genres d'amélioration. Vous devintes possesseurs de cette tribune si terrible autrefois, dont vous avez conservé tout l'éclat et purifié l'usage. Dès l'ouverture de vos séances, l'attention publique se fixa sur vos délibérations. L'emploi que vous alliez faire de tant et de si importantes attributions fut considéré comme l'augure de nos destinées. Vous vous empressâtes de répondre à cette interrogation silencieuse et solennelle. Les résultats de vos premières discussions annoncèrent aux factieux qu'ils devaient renoncer à leurs desseins et perdre toute espérance. Ils firent apercevoir à la nation tout ce qu'elle pouvait attendre de votre zèle, de vos lumières et de votre sagesse. Ils montrèrent au Gouvernement qu'il trouverait en vous des conseils éclairés. Notre auguste monarque apprécia le mérite d'une telle conduite, et il ne cessa, Messieurs, de vous accorder la plus honorable confiance. C'est ainsi que s'établit ce concert entre les premières autorités qui fit du Tribunat, du Corps législatif, du Sénat et du Gouvernement une seule puissance. Cette heureuse union répandit dans l'intérieur le calme, la confiance et la sécurité; elle déconcerta les manoeuvres perturbatrices de ce cabinet perfide et corrupteur qui nous faisait depuis si longtemps une guerre de brigandage; elle accéléra le grand ouvrage de notre réorganisation politique, civile, administrative et judiciaire. Qui pourrait énumérer les biens qu'elle a produits et les événements mémorables auxquels elle a contribué? Sans doute, la conception et l'exécution principale des travaux immortels qui ont placé la nation française au premier rang des peuples civilisés, appartient au

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