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sieurs chambres de commerce ont observé de plus que si cette prohibition faisait porter à l'étranger quelques prines, les bénéfices n'étaient point assez grands pour renoncer à la sécurité qui résulte de la défense.

Après avoir réglé la forme et fixé les conditions du contrat dans la première section, le projet de loi établit dans la seconde les obligations réciproques de l'assureur et de l'assuré.

L'article 160, qui est le premier de cette section, fixe l'indemnité de l'assureur si le voyage est rompu avant le départ du navire.

Cet article n'a pas besoin de développements; mais celui qui le suit et qui énumère les différentes circonstances dans lesquelles les pertes et dommages sont aux risques des assureurs, mérite toute votre attention. Si elles sont nombreuses, au moins sont-elles faciles à reconnaître; il n'en est qu'une dont on ne peut aisément fixer l'époque, depuis qu'un ennemi, qu'il n'est pas besoin de nommer, se fait un jeu de violer le droit des gens, et de commencer les hostilités par la piraterie et le brigandage.

Il est impossible d'insérer dans une loi générale un article qui donne quelque certitude aux armateurs; mais ainsi que dans les traités de paix on détermine l'époque à laquelle cessent les risques, S. M. L'EMPEREUR ET ROI, dont la sollicitude veille au bonheur de tous, jugera sans doute convenable de proclamer, par un manifeste, le moment où les risques de guerre ont dû commencer dans les différents parages; de sorte que, quelle que soit la fixation, elle fera cesser le litige ou obligera les tribunaux à prononcer d'une manière uniforme.

L'article 28 de l'ordonnance de la marine admettait les assurances sur les prévarications du capitaine, designées dans la jurisprudence nautique sous le nom de baraterie.

Quelques-uns voulaient faire disparaître cette disposition, qui semble garantir un délit; quelques commentateurs célèbres sont de cet avis, et le règlement d'Anvers annule ces sortes d'actes. Malgré ces opinions, ce genre d'assurance ayant été admis par l'usage dans beaucoup d'endroits, on a cru devoir le conserver. Le considérant d'ailleurs comme une preuve de la confiance que l'assureur a dans la probité et l'intelligence du capitaine, on a jugé que ce cautionnement n'avait rien de contraire à la saine morale, et les diverses opinions se sont trouvées conciliées, en faisant dépendre l'assurance de la convention des parties.

Tous les articles qui suivent dans cette section sont conformes à l'ancienne ordonnance, et dès lors connus de vous, Messieurs. Nous n'avons donc plus qu'à vous entretenir des dispositions de la troisième section.

L'abandon que les propriétaires font en justice, des objets qu'ils ont fait assurer sur un navire, ou du navire lui-même, n'est pas sans inconvénients; il importe donc que la loi détermine dans quelles circonstances et à quelles époques les objets assurés pourront être délaissés.

On a recueilli, pour faire connaitre les premières, tout ce que l'ordonnance et l'usage ont appris jusqu'à ce jour; les secondes ont été fixées à raison du jour où la nouvelle est reçue, et de la distance d'où elle est partie; on a réservé ensuite aux assureurs la preuve contre les faits énoncés pour motiver le délaissement. Ainsi, encore que les avis doivent être signifiés dans les trois jours de leur arrivée, le délaissement ne pourra être fait au plus tôt que six mois après.

Si, au contraire, il n'y a aucune nouvelle, les délais se comptent du jour du départ; ils sont prolongés à une année pour les voyages ordinaires, et à deux pour ceux de long cours.

L'observation de toutes ces formalités doit encore être appuyée de la bonne foi, et l'assuré, pour la justifier, énoncera dans l'acte de délaissement toutes les assurances, tout l'argent qu'il a pris à la grosse, enfin toutes les obligations qu'il a pu contracter; en cas de déclarations frauduleuses, il est privé des effets de l'assurance, et tenu de payer les sommes empruntées, nonobstant la perte ou la prise du navire.

L'assureur, de son côté, quoique admis à la preuve des faits contraires à ceux consignés dans les attestations, est tenu de payer l'assurance dans les délais fixés, sauf à exiger caution.

Quel que soit, au surplus, le droit de l'assuré pour faire le délaissement, toujours est-il obligé de travailler au recouvrement des effets naufragés.

L'assuré peut encore composer en cas de prise, s'il n'a pu en prévenir l'assureur. Mais alors ce dernier a le choix de prendre la composition ou d'y renoncer dans les délais fixés.

Nous venons, Messieurs, de vous présenter les principales dispositions des titres IX et X du Code de commerce; vous y aurez reconnu une grande partie de celles de l'ordonnance de 1681, améliorées par des additions ou des modifications, que les combinaisons variées du commerce, que les efforts de l'intérêt personnel, toujours disposé à se soustraire à l'autorité des lois, ont nécessitées.

Mais ce que vous aurez remarqué sans doute, Messieurs, c'est qu'aucune ne porte atteinte aux spéculations que la théorie unie à l'expérience peuvent inspirer au génie.

Ces diverses considérations ont engagé les sections réunies du Tribunat à vous proposer l'adoption du projet de loi.

Le Corps législatif délibère et adopte le projet de loi par 228 voix contre 3.

M. le Président. M. le tribun Jubé a la parole sur le projet de loi relatif aux titres XI, XII, XIII et XIV du livre II du Code de commerce.

M. Auguste Jubé. Messieurs, le projet de loi dont nous venons vous entretenir, complète le vaste plan du Code du commerce. Les titres XI, XII, XIII, XIV et dernier du second livre prononcent sur les avaries, sur le jet et la contribution, sur les prescriptions et sur les fins de non-recevoir, pour les actions relatives aux transactions du commerce maritime.

Les avaries, le jet et la contribution avaient fixé toute l'attention des savants rédacteurs de l'ordonnance de 1681; et, grâce à l'exactitude de leurs définitions et à l'équité de leurs décisions, la jurisprudence française était devenue, à cet égard, un guide sûr, estimé et généralement suivi. Le plus bel hommage que cette ordonnance ait pu recueillir, est sans doute d'avoir servi de basé à cette partie du Code qui se trouve, en ce moment, soumis à votre adoption. Mais on vous a déjà fait connaître, Messieurs, combien ce grand ouvrage est perfectionné. En effet, pour nous servir de T'heureuse expression de l'un des ministres de SA MAJESTE, tout ce que ne crée pas ce prince, il l'améliore; les formes qu'il emprunte aux gouvernements passés se ressentent bientôt de la supériorité du sien (1).

Ce Code, au surplus, consacre d'une manière authentique le respect dù aux conventions particu

(1) Rapport fait à l'EMPEREUR par le ministre du trésor public (août 1807).

lières, et ce n'est qu'à leur défaut qu'il se charge de déterminer la nature des avaries.

L'ancienne ordonnance exemptait de la contribution, en cas de jet, le loyer des matelots. Notre article 230 ne garde le silence sur cet objet que parce que toutes les garanties pour ce salaire sont déjà assurées par les articles 69, 70, 71, et surtout 239 de ce Code.

L'article 231, en ajoutant les mots : « ou déclaration du capitaine, étend les dispositions de l'ordonnance qui semblait ne point permettre que rien pût suppléer le connaissement. Mais la fraude que l'on pourrait craindre sera probablement prévenue par le danger qu'auront à courir les propriétaires de marchandises précieuses enfermées dans des ballots, dans des coffres ou autrement, et que les circonstances urgentes auront fait jeter avant que l'exhibition détaillée ait pu en être faite.

Le titre des prescriptions et celui des fins de nonrecevoir, rédigés avec une clarté que n'offrait point l'ancienne ordonnance, rendent aux polices une faveur qu'elles enviaient depuis longtemps et à juste titre aux contrats à la grosse, et concourent, d'ailleurs, à donner aux opérations commerciales cette activité qui leur est indispensable.

En applaudissant, Messieurs, à toute cette belle loi, nous formons le vœu que l'administratration publique en fortifie la marche par les autres dispositions qui dépendent de son ressort. Que surtout les infortunés jetés par la tempête sur les côtes de ce vaste empire, trouvent, et pour eux et pour les débris de leur fortune, la protection puissante de SA MAJESTÉ IMPERIALE, et que le plus grand des noms devienne à jamais la sauvegarde du malheur!

Le Tribunat nous charge d'appuyer auprès du Corps législatif le projet de loi contenant les quatre derniers titres du second livre du Code du com

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M. Auguste Jubé. Messieurs, après avoir donné au commerce la loi qui va le régir, il vous reste a déterminer l'époque à laquelle cette loi commencera d'être exécutée.

SA MAJESTÉ pense que le premier jour de l'année prochaine doit être signalé par cette espèce d'inauguration.

Dans l'avant-dernier siècle, les années qui virent promulguer le Code du commerce et l'ordonnance de la marine furent marquées par une grande activité dans l'administration, et par de brillants succès. Les premiers embellissements de la capitale, l'établissement de nos premières manufactures, la renaissance de notre marine, le châtiment des pirates, se rattachent à l'époque des premières lois de Louis XIV et de ses nouvelles conquêtes.

Cependant, Messieurs, qu'étaient ces avantages, si nous les comparons aux merveilles qui se pressent et qui s'accumulent sous nos yeux?

Et sans parler de ces campagnes si rapides dans lesquelles l'EMPEREUR assurait, à cinq cents lieues de nos frontières, le triomphe de ses armes, en moins de temps que les autres rois n'en mettent à rétablir l'ordre dans une de leurs provinces; sans parler de tant trophées; sans compter ces couronnes distribuées, ces royaumes assignés, pour nous servir des expressions que consacre une médaille antique et célèbre; sans nous arrêter même sur cette institution héroïque si bien adaptée à la nation française, et où tous les talents,

tous les services, toutes les vertus ont l'espoir d'être récompensés par l'honneur et par la patrie dont le souverain est l'organe; sans vous entretenir de ces travaux si nombreux au milieu desquels nous marchons, et qui élèvent des monuments impérissables à la gloire de nos armées, de ces travaux qui font jaillir de tous côtés des eaux limpides et salutaires; qui terminent, comme par enchantement ces chiefs-d'œuvre anciennement entrepris, et que leur long abandon nous faisait regarder comme des ruines; sans reporter vos regards sur ces musées immenses où viennent se ranger les tributs qu'ont levé sur tous les temps, sur tous les pays, sur toutes les écoles, le courage et la victoire: qui de nous pourrait nommer les fabriques encouragées, les ateliers secourus, les haras restaurés, les canaux, les ponts, les ports militaires et marchands créés, réparés ou perfectionnés, les fleuves rendus navigables, les routes enfin, assises par le génie sur ces monts où la nature, bien loin de redouter d'être jamais vaincue, s'était crue jusqu'alors inaccessible? Qui n'admirerait l'industrie française subitement rendue à son lustre par le zèle, par la loyauté des négociants et par la direction que tant de gloire et de bienfaits impriment à l'esprit public?

Les asiles ouverts à l'humanité souffrante s'enrichissent; les écoles destinées à l'étude des sciences, des lois et des beaux-arts se multiplient, et l'enthousiasme éclairé, riche des matériaux qui naissent autour de lui, n'interroge l'antiquité que pour mieux assurer aux chefs-d'œuvre qu'il enfante, le respect et l'admiration des siècles à venir.

Voilà sous quels auspices et avec quel cortége va paraître le Code du commerce.

Pour mieux honorer une profession sur laquelle se fondent en grande partie le bonheur et la prépondérance des empires modernes, ce Code écarte loin d'elle le scandale et la mauvaise foi.

Mais bientôt, Messieurs, cette loi nouvelle ne sera point circonscrite par les limites de notre territoire. Ce monument de gloire, à l'élévation duquel vos mains ont concouru, sera aussi pour le monde un gage de bienfaisance. Semblable à ce premier des phares, modèle admirable de tous les autres, et sur lequel on lisait cette inscription: « Aux dieux conservateurs, pour l'avantage de ceux qui naviguent », ce nouveau Code pourra porter à son frontispice: « Aux dieux bienfaisants

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et à la bonne foi, pour l'avantage de ceux qui « se dévouent au commerce et à la navigation 1 Le Tribunat, dont nous sommes les organes, vote l'adoption du projet de loi qui fixe au 1er janvier 1808 l'époque à laquelle le Code du commerce sera exécuté.

La discussion est fermée.

Le projet de loi est mis en délibération. Il est adopté par 243 boules blanches contre 4 boules noires.

La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. FONTANES.

Séance du 16 septembre 1807.

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. M. le Président. Je vais donner lecture d'un message de S. M. L'EMPEREUR ET ROI.

« Messieurs les députés au Corps législatif,

« Conformément à l'article 9 du sénatus-consulte du 28 frimaire an XII, portant que les candidats pour la nomination du président du Corps législatif seront présentés dans le cours de la ses

sion annuelle, pour l'année suivante, et à l'époque de cette session qui sera désignée, nous vous invitons à procéder aux opérations relatives à cette présentation.

«Au palais impérial de Rambouillet, le 14 septembre 1807.

« Signé NAPOLÉON. » Le Corps législatif procède immédiatement au scrutin pour la designation des candidats à présenter au choix de S. M. F'EMPEREUR ET ROI.

M. Fontanes ayant obtenu 210 voix, réunit seul la majorité absolue et est proclamé candidat pour la première série.

Des orateurs du Gouvernement et du Tribunat sont introduits.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la création de la cour des comptes. M. le Président. La parole appartient à MM. les orateurs du Tribunat.

M. Gillet-Lajacqueminière. Messieurs pour mériter votre assentiment au projet de loi relatif à la création de la cour des comptes, soumis dans ce moment à votre délibération, il suffirait, pour ainsi dire, de l'exposé complet et lumineux que M. le conseiller d'Etat, rapporteur de cette loi, a eu l'honneur de mettre sous VOS yeux.

La connaissance que les sections du Tribunat ont prise de la loi et de ses motifs, les a naturellement amenées à l'examen de l'origine des offices ou cours des comptes, de leurs attributions, des différentes modifications qu'à diverses époques ont subi, ou ces fonctionnaires euxmêmes, ou la forme de leurs travaux. Cet examen, ces recherches nous ont confirmés dans l'opinion de la nécessité de la loi proposée, et c'est dans la conviction intime que quelques détails, à ce sujet, produiraient le même effet sur vos esprits, que la section des finances du Tribunat m'a chargé de vous les soumettre.

Avant même qu'il y eût des revenus publics, il existait en France un corps de gens des comptes; ils n'étaient alors que des officiers particuliers du roi, et leurs fonctions se bornaient à la régie du domaine du monarque, à la vérification de ses recettes et dépenses, soit personnelles, soit générales, dont lui seul faisait alors les frais; mais dès qu'il y eut des revenus publics, seulement momentanés, des biens et revenus communaux, les comptes durent leur en être soumis. On trouve, dès 1256, une ordonnance de saint Louis, qui prescrit aux mayeurs et prud'hommes de venir compter devant les gens des comptes, à Paris. Ils joignaient donc, dès lors, à la surveillance du trésor du prince la vérification des recettes et dépenses publiques et communales. Cette surveillance devenant plus compliquée et plus étendue, par l'établissement d'impôts perpétuels et par l'augmentation progressive de ces impôts et du territoire, on fut forcé d'augmenter les surveillants de la comptabilité. En 1556, il y avait déjà sept cours des comptes, et depuis cette époque jusqu'en 1789, les mêmes raisons que celles ci-dessus expliquées en avaient fait élever le nombre jusqu'à douze, en y comprenant les parlements et cours des aides auxquels on avait délégué les mêmes fonctions. Leurs attributions étaient à peu près les mêmes, chacune dans leur ressort; mais celui de la cour des comptes de Paris avait à lui seul plus d'étendue que tous les autres, et aussi plus d'importance, à raison de ses attributions générales ou particulières. C'est par ce motif que j'ai cherché à puiser, dans l'examen de sa composition et de son travail,

des notions qui s'appliquent à la généralité de ces cours, et dont je vais tâcher de vous tracer l'esquisse.

Outre des présidents, au nombre de treize, il y avait des officiers supérieurs de trois espèces, des auditeurs, des correcteurs et des maîtres, dont le nombre total s'élevait à deux cent dix-sept ; il y avait, en outre, des officiers ministériels ou procureurs aux comptes.

Ici, il convient de se rappeler quel était le mécanisme de la comptabilité d'alors.

On sait que presque tous les comptables étaient assujettis à employer, pour la présentation de leurs comptes, l'entremise de ces officiers ministériels. Ils devaient être, et étaient effectivement, très au fait des formes et du mode de présentation; mais aussi, ils ajoutaient encore à la masse des productions, déjà nécessairement très-volumineuses, par la manière dont ils étaient autorisés à les étendre, et dont quelques-uns se permettaient de les délayer. Quoi qu'il en fût, ces comptes, dans cet état, étaient envoyés à l'examen des auditeurs, dont la mission était de vérifier, ce qu'on pourrait appeler la législation du compte, c'està-dire, si chaque article de recette et de dépense était suffisamment justifié par les lois sur les matières. Alors il était fait rapport à la chambre des maîtres, qui rendaient un premier arrêt d'admission ou de rejet. Dans ce second cas, il fallait recommencer à produire ou compléter les productions, pour revenir ensuite à une nouvelle vérification des auditeurs. Dans le premier cas, le compte passait à la correction, c'est-à-dire, à l'examen des correcteurs qui vérifiaient le matériel du compte, l'exactitude des calculs. Sur leur rapport, également fait à la chambre des maîtres, il sortait un ou plusieurs arrêts d'apurement, et le comptable obtenait son quitus où sa quittance finale qui opérait sa décharge.

Cette manière d'opérer était très-dispendieuse pour les comptables; elle était en outre et longue et minutieuse; enfin, il semble qu'il y avait un double emploi dans la double filière des auditeurs ou des correcteurs, dont une seule classe aurait pu juger simultanément la légalité et le matériel des comptes; mais aussi, il était difficile qu'il y eût des erreurs ou des abus; du moins jusque en 1789, on n'en connut guère d'autres que ceux de l'autorité ministérielle, à laquelle un gouvernement alors faible et insouciant abandonnait avec tant de risques, pour lui et pour la chose publique, toutes les parties de l'administration; car elle profitait de cette liberté, tantôt pour soustraire quelques grands comptes des attributions de la cour des comptes et les régler directement, tantôt pour légaliser par des décisions arbitraires, partielies et même subséquentes, des emplois de fonds non autorisés par les lois antérieures.

C'en était bien assez, sans doute, pour nécessiter une réforme et un rétablissement d'ordre; et si, à cette considération, on ajoute celles résultantes du système d'uniformité et de centralisation adopté à cette époque par l'Assemblée constituante, on concevra aisément les motifs de différents décrets par lesquels elle supprima toutes les chambres des comptes et cours en faisant fonction, et créa un bureau unique de comptabilité composé de quinze membres.

lls devaient se diviser en cinq sections. Ils eurent, pour l'examen et là vérification des comptes publics, presque toutes les attributions et obligations des anciennes cours.

Ils furent chargés de tout ce qui se trouvait à examiner à cette époque, sans pouvoir néan

moins, pour aucun arriéré, se reporter au delà de trente ans.

J'ai dit l'examen et la vérification; car l'Assemblée nationale réserva à la nation seule, par ses représentants, le droit de juger et d'apurer les comptes publics. Les commissaires devaient rapporter à une section du comité des finances, et celle-ci à l'Assemblée, qui seule devait juger les comptes et prononcer la décharge définitive des comptables.

Cette disposition, du nombre de ces théories dont la conception peut honorer l'esprit d'ordre qui les imagine, on pourrait peut-être la justifier en partie par la connaissance des abus antérieurs dont on trouvait alors à chaque instant, ou la preuve ou la trace, et dont on craignait le retour; mais il faut avouer pourtant qu'elle paralysait l'institution, car elle était d'une exécution presqu'impraticable: aussi reçut-elle peu d'applications pendant tout le cours de l'Assemblée législative et de la Convention. On vérifiait toujours à la comptabilité, mais on ne jugeait pas dans les Assemblées.

Cet état de choses dura jusque dans l'an III.

Alors une loi du 28 pluviose statua sur la comptabilité arriérée, sur les fonctions du bureau de comptabilité, sur la forme des comptes, etc., et institua les commissaires juges définitifs des comptes.

Sans rien changer à ce mode, la Constitution de l'an III réduisit, en fructidor suivant, la comptabilité au nombre de cinq, et une loi du 1er vendémiaire an V la mit sous la surveillance du Corps législatif.

Enfin, la Constitution de l'an VIII la reporta au nombre de sept; elle attribua au gouvernement naissant la surveillance devenue inexécutable par le Corps législatif.

Et tel est l'état des choses, Messieurs, au moment où vous avez à délibérer sur une nouvelle et définitive organisation.

De l'historique rapide que je viens de vous présenter, il résulte, Messieurs, que la comptabilité se divise nécessairement en différentes parties ou époques.

L'ancienne, de 1759 à 1791;

L'arriérée, de 1791 à l'an VIII;

La nouvelle, du 1er germinal an VIII au 1er vendémiaire an XIV;

Le reste est le courant non en état de production;

Enfin, la comptabilité intermédiaire, dont je ne parle ici que pour mémoire, attendu que, depuis l'an X, elle est réunie à la liquidation générale.

Tous ces comptes forment une masse qui serait effrayante au premier coup d'œil, soit par celle des comptes en eux-mêmes, qui s'élèvent à plus de onze mille, sans le courant, soit par la quotité des sommes qui en forment le montant en recette ou dépense, si, pour pendant de ce tableau, on n'avait pas celui des travaux déjà faits par la comptabilité et de ses heureux résultats. Sur 11,477 comptes, 8,793, depuis l'année 1792, se trouvaient jugés dans le mois dernier, et ces jugements avaient produit, depuis la même époque de 1792, et successivement, une rentrée de près de quarante millions, en toutes natures de valeurs, au trésor public. Certes. l'activité et le zèle de MM. les commissaires actuels de la comptabilité, sont bien dignes du satisfaisant témoignage qui leur a été rendu à cette tribune par M. le conseiller d'Etat, orateur du Gouvernement, et la section a pensé que le Corps législatif partagerait l'opinion

manifestée à ce sujet au nom du souverain; car de tels travaux, de si utiles résultats ne peuvent être trop reconnus et trop encouragés ; mais leur importance même amène naturellement à l'idée de les accélérer et de perfectionner une institution dont l'utilité est déjà, sans doute, bien reconnue et démontrée, mais qui pourtant est encore incomplète et défectueuse.

J'ai dit perfectionner, et ce mot, qui indique à lui seul l'esprit et toutes les dispositions de la loi, me mène à en prouver la nécessité, par l'exposé rapide de la composition actuelle de la comptabilité et du mode de travail préparatoire qu'on y suit.

Je commence par ce second objet.

Dans l'état actuel, tout compte présenté est, à tour de rôle, envoyé à l'examen d'un ou plusieurs vérificateurs, suivant son importance et la quantité de pièces justificatives qui sont toujours trèsconsidérables, et quelquefois même innombrables, puisqu'il est très-commun de voir des productions de huit ou dix mille pièces, et que quelquesunes s'élèvent de cent mille à plus de un million de pièces comptables. De ces premiers bureaux les comptes passent à une seconde et troisième vérification des sous-chefs et chefs, et arrivent finalement au rapport, devant le bureau de comptabilité, par un chef de division, sous la surveillance particulière d'un de MM. les commissaires. Là, le compte est jugé provisoirement ou définitivement, après avoir préalablement entendu le comptable.

Ce mode d'examen nous a paru susceptible d'inconvénients, que nous sommes bien loin sans doute d'attribuer à MM. les commissaires, puisque l'organisation du travail et des bureaux est l'exécution d'une loi dont ils n'ont pu s'écarter; mais ces inconvénients n'en existent pas moins en ce que la vérification première, l'une des parties les plus importantes et les plus délicates du travail, a lieu et se fait trop loin et d'une manière trop isolée des juges définitifs des comptes. Cet inconvénient n'existait pas dans les anciennes chambres des comptes, où ces mêmes fonctions étaient remplies par des officiers de la cour même : on ne pouvait reprocher à ces établissements que d'être trop nombreux pour le personnel, trop multipliés pour les cours; le projet proposé remédie aux inconvénients actuels, et s'empare de ce que l'ancienne institution avait d'utile et de rassurant, en élaguant le superflu.

Ici, sous le titre de référendaires, il crée des fonctionnaires publics inamovibles, auxquels les attributions particulières qu'il délégue donneront une considération et une consistance désirables. Je passe aux juges.

Actuellement ils ne sont qu'au nombre de sept; ils ont fait tout ce qu'on pouvait désirer, et plus même peut-être qu'on ne pouvait attendre d'un si petit nombre, dont le zèle et l'intelligence ont multiplié les moyens; mais enfin, si huit mille comples ont été jugés depuis 1792, il en reste encore près de trois mille à apurer, et ceux-ci, sans doute, ne sont pas les moins importants. Chaque année, chaque jour voit s'accroître cette masse effrayante, seulement par les attributions actuelles.

Que serait-ce, lorsqu'à ces comptes anciens et annuels, viendraient se réunir, par plusieurs centaines, les comptes des recettes et dépenses des fonds et revenus spécialement affectés aux dépenses des départements et des communes, dont les budgets sont arrêtés par L'EMPEREUR? Car, c'est

la monarchie, ce qu'elle a été, créée par l'Assemblée constituante, ce qu'elle a été sous les Assemblées subséquentes et jusqu'à ce jour; je n'ai ni augmenté les avantages, ni diminué les imperfections de ces différents régimes.

par mille motifs que le Corps législatif a pressenti à l'avance que SA MAJESTÉ veut, avec tant de raison, que tous ces comptes soient aussi présentés à la cour des comptes, vérifiés et jugés par elle. Mais des attributions si étendues et pour ainsi dire immenses, soit par le nombre des comptes, soit par la quotité des sommes à juger en recette et dépenses, puisqu'il s'agira annuellement de milliards, de telles attributions seraient évidemment au-dessus des moyens et des forces du nombre actuel des commissaires.

Le Gouvernement propose de le tripler; et malgré le zèle sur lequel il a de si justes droits de compter de la part des commissaires actuels, et de ceux que sa haute confiance jugera dignes de l'honneur de leur être associés, il est si convaincu de la nécessité de cette augmentation, à raison de la multiplicité des devoirs qu'il leur impose, que lui-même prévoit déjà qu'il pourrait être obligé, par la force des choses, de leur donner des collaborateurs temporaires, et qu'il s'en ré. serve la faculté par l'article 22 et dernier du projet.

Cette cour n'est donc proposée qu'au nombre reconnu indispensablement nécessaire à présent. Elle aura une constitution dignc tout à la fois de celui qui l'a conçue et des hautes attributions qu'il lui conserve ou qu'il y joint; mais cette considération dont il l'environne, cette honorable assimilation qu'il lui donne, pour le rang et les prérogatives, avec la cour suprême de justice, conviennent éminemment à un établissement unique, qui, impassible et pur comme la loi dont il sera l'organe, sera juge de la fortune publique, de celle de tous les comptables; qui, dispensant l'honneur et le blâme, rendra prompte et éclatante justice à qui il appartiendra, mais sera le surveillant et l'ennemi-né et perpétuellement actif de toute espèce d'erreurs, de fraudes et de dilapi

dations.

Et si jamais pourtant l'erreur pouvait se glisser dans ses arrêts, la loi contient en elle-même deux remèdes d'une part, les comptes peuvent être repris à révision par la cour, de son propre mouvement; de l'autre, un compte matériel et moral doit être annuellement formé par le président du corps et plusieurs commissaires, et présenté à I'EMPEREUR par le prince architrésorier, élevé par sa place au-dessus de toute espèce d'opposition et de toute autre influence que celle de l'ordre dans la partie dont la surveillance lui est confiée. Celui qui, arrivé à l'Assemblée constituante avec une réputation méritée, trouva par une sagacité et une instruction peu communes, dans la partic des finances, le moyen de l'accroître encore; celui qui, par la netteté et la précision de ses idées, rendit, pour ainsi dire, vulgaire et presque aimable, une science jusque-là obscure et rebutante, et sut en embellir l'aridité des charmes d'une diction presque sans imitateur comme sans modèle; celui-là, dis-je, jugeant avec la perspicacité qui lui est familière, l'utilité des observations qui lui seront soumises, en présentera à SA MAJESTÉ les intéressants résultats, et la mettra à même de remédier aux inconvénients ou aux abus dont l'expérience, aurait démontré l'existence, et justifierait la dénonciation.

Si j'ai rempli mon projet, Messieurs, l'avantage d'un système de comptabilité a été démontré au Corps législatif, d'abord par l'usage qu'en avait fait, dès l'origine, l'intérêt particulier des monarques, et par le même usage utilement appliqué à la fortune publique, dès que l'occasion s'en est présentée.

Je crois avoir prouvé que celui qui existe actuellement est incomplet et insuffisant.

Enfin, j'ai dû établir, par quelques détails, les avantages de l'établissement proposé, dont M. le conseiller d'Etat vous avait prouvé la nécessité par les principes généraux présentés en masse dans ses motifs.

En considérant tout le bien qui résultera d'une telle loi, qui peut s'empêcher, Messieurs, d'être pénétré d'admiration et de reconnaissance pour le génie qui en méditait les bases à cinq cents lieues de sa capitale, et sur les champs même de ses triomphes? Qui pourrait n'en pas manifester l'expression respectueuse? Qui pourrait aussi ne pas sentir et envier, Messieurs, l'honneur que vous avez d'être admis à partager le genre de gloire qui s'attache à la législation à laquelle vous avez journellement l'avantage de coopérer, législation si majestueuse dans son ensemble, si complète dans ses détails; et combien votre concours est illustré par le nom immortel dont il s'y trouve inséparable!

J'ai l'honneur, au nom de la section des finances du Tribunat, d'inviter le Corps législatif à adopter la loi qui lui est présentée sur la création de la cour des comptes.

Aucun autre orateur ne demandant la parole, la discussion est fermée.

Le Corps législatif procède au scrutin et vote l'adoption du projet de loi par 227 boules blanches contre 7 boules noires.

On passe à la discussion du projet de loi relatif à des impositions pour confection de routes.

M. le Président. M. Pictet, orateur du Tribunat, a la parole.

M. A. Pictet. Messieurs, le projet de loi que la section de l'intérieur du Tribunat m'a chargé de défendre aujourd'hui est intitulé: Impositions pour confection de routes; il aurait mérité un titre plus favorable; et si on l'eût appelé ioi pour faciliter et accélérer les transports, cette dénomination, en l'associant à l'objet principal de la session actuelle, aurait donné à ce projet son véritable caractère et l'aurait présenté sous la face la plus propre à le faire accueillir.

Il est divisé en quatre titres, qui classent fort naturellement les objets divers réunis dans la loi par le lien commun de l'utilité publique. Le premier concerne l'ouverture ou l'entretien des routes; le second, la confection des canaux, ou la navigation des fleuves et des rivières; le troisième, les ouvrages d'art, du ressort des ponts et chaussées; enfin le quatrième, des dispositions générales de comptabilité et de compétence.

J'emploierais inutilement, Messieurs, un temps qui vous est précieux, si j'entrais de nouveau dans les considérations de détail qui vous ont été développées d'une manière très-lumineuse par le conseiller d'Etat dont les paroles sont sans doute présentes à votre souvenir. Je me bornerai à quelques réflexions générales sur l'esprit de cette loi bienfaitrice, et j'y joindrai, sur l'objet des canaux et sur celui de Bourgogne en particulier, quelques éclaircissements propres à en faire ressortir l'utilité, et à appuyer, non-seulement la loi qui vous est proposée, mais pour ainsi dire d'avance, et dans un avenir qui va m'échapper, toutes celles qui tendront à multiplier en France

Vous avez revu ce qu'était la comptabilité sou see genre de communications.

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