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sur la splendeur du commerce, nous avons pour motif d'espérance la sagesse du nouveau Code, pour augure l'essor des aigles de l'empire, pour garant le génie de Napoléon.

M. Tarrible. Messieurs, les faillites et les banqueroutes font encore le sujet du discours que je viens prononcer devant vous.

A ces seuls noms, votre indignation toujours renaissante semble imposer à ceux qui paraissent dans cette tribune le devoir de conjurer ce fleau destructeur du commerce. Oui, Messieurs, je devrais appeler le blâme sur la légèreté et l'inconséquence de ces hommes qui, sans notions, sans expérience, osent se livrer à des spéculations difficiles ou audacieuses qui trompent leur ignorance et engloutissent des capitaux qu'une industrie sage et lente eût fait fructifier. Je devrais élever plus fortement ma voix contre cet esprit de vanité et d'ostentation qui, gagnant la confiance sous les dehors trompeurs de la richesse, dissipe rapidement sa propre substance et celle d'une foule de créanciers abusés. Je devrais marquer enfin du sceau d'une éternelle réprobation ces vampires plus coupables encore, qui, méditant de loin l'infâme projet de bâtir leur fortune sur des ruines, attirent la bonne foi dans leurs piéges; qui osent, en profanant la sainteté des lois, couvrir leurs déprédations du voile des contrats légitimes, et en jouir impudemment, sous les yeux mêmes des victimes dont ils bravent le désespoir et les larmes.

Nuf sujet ne serait plus digne de l'éloquence d'un orateur homme de bien; nul sujet ne conviendrait davantage à cette magistrature censoriale que doivent exercer devant vous, Messieurs, dans leurs discours, les hommes appelés à discuter les projets de loi tendant à affermir ou à régénérer la morale publique.

Mais des bouches plus éloquentes que la mienne ont déjà rempli cette tâche honorable; et je craindrais, en vous présentant les mêmes tableaux, d'affaiblir les impressions profondes qu'a produit dans tous les esprits la peinture trop vraie qui a été faite ici des désordres et des vices. je ne dis pas des commerçants, mais des corrupteurs du commerce.

Je vais donc, Messieurs, me renfermer dans un cercle plus étroit, et me borner à la discussion des dispositions contenues dans les chapitres IX, X et XI, que mon collegue vous a annoncé devoir être l'objet de mon rapport.

Vous avez vu, Messieurs, avec quelle sollicitude le projet de loi a pourvu à la conservation et à l'administration des biens du failli. Vous ne trouverez pas moins de sagesse dans les dispositions des chapitres IX, X et XI, qui exposent le but et les formes de la cession des biens de la part du failli, le mode à suivre pour la vente de ces mènes biens, et le règlement des droits de divers créanciers.

Dès l'instant de la faillite, la loi dépouille le failli de l'administration de tous ses biens; elle la remet entre les mains de divers agents qui, sous la surveillance des tribunaux, sont investis du pouvoir de vendre ces mêmes biens et de percevoir tous les produits.

On se demandera quel peut être, dans ces circonstances, le but d'une cession ou d'un abandon de la part d'un débiteur déjà dépouillé?

Le but de la cession des biens n'est pas d'ajouter quelque chose aux droits des créanciers qui ont toute la plénitude dont ils peuvent être susceptibles, mais d'apporter quelque soulagement à la triste situation du débiteur qui s'en montre digne.

La cession des biens est un bénéfice misérable, suivant l'expression des lois romaines. Il consiste à conserver au débiteur de bonne foi la liberté de sa personne lorsqu'il a fait l'abandon de tous ses biens aux créanciers.

La cession est volontaire ou judiciaire.

La cession volontaire s'opère dans le concordat, et ses effets sont réglés uniquement par les conventions des parties.

La cession judiciaire n'éteint les droits des créanciers, ni sur les biens existants du débiteur, ni sur ceux qu'il pourra acquérir par la suite. Elle n'a d'autre effet que celui de lui rendre et lui conserver sa liberté.

Le bénéfice de la cession est une grâce que la loi n'accorde qu'aux débiteurs malheureux: elle ne la doit pas aux étrangers, aux dépositaires, aux tuteurs, administrateurs et autres comptables: elle la refuse aux stellionataires, aux banqueroutiers frauduleux et aux condamnés pour fail de vol.

Les formes de la cession judiciaire sont les mêmes que celles déjà prescrites par le Code de la procédure civile. Il serait superflu de vous en occuper.

Que le failli obtienne ou non le bénéfice de la cession, ses biens déjà remis entre les mains des créanciers doivent être vendus de la même manière.

Les marchandises et tous les autres effets mobiliers peuvent être vendus aux enchères publiques; ils peuvent l'être aussi à l'amiable et à forfait, avec l'autorisation du tribunal. Ce dernier mode, inconnu aux lois civiles, a été introduit pour simplifier et accélérer les opérations.

Les immeubles étaient des objets plus précieux: leur vente exigeait plus de solennité. Le projet lui applique les formies déterminées par les codes actuels pour la vente des biens des mineurs. Il n'y a qu'une seule différence qui a pour objet de procurer avec plus de certitude l'élévation du prix à la vraie valeur de l'immeuble; elle consiste en ce que l'enchère, admise dans la huitaine après l'adjudication qui, dans la vente des biens des mineurs, doit égaler le quart du prix, pourra être bornée aux dixième.

Après avoir fixé le mode de la vente des biens du failli, la loi a dû s'occuper d'en distribuer le prix entre les créanciers; et c'est ici que se rattachent les règlements des droits divers qui peuvent leur appartenir.

Ces règlements existent dans le Code Napoléon; mais il a paru utile aux auteurs du projet d'en retracer quelques uns, de donner à quelques autres un plus grand développement; et enfin de porter dans certains d'entre eux des modifications réclamées par l'intérêt du commerce.

En parcourant rapidement les dispositions du projet à cet égard, je fixerai plus particulièrement Votre attention sur celles qui me paraitront digues de l'occuper.

La grande règle de la loi civile, relativement aux meubles, est la distribution de leur prix entre tous les créanciers indistinctement. Cependant elle accorde des préférences aux créanciers privilégiés.

La règle et l'exception sout admises dans le projet de la loi commerciale. L'article 97 veut que les créanciers ayant sur les meubles des priviléges reconnus, soient payés sur les premiers de

niers rentrés.

Ces privileges ne peuvent être que ceux que le Code Napoléon a définis et rangés sous ces deux titres Privileges généraux sur les meubles; privileges particuliers sur certains meubles.

Mais tous ces priviléges jouiront-ils de leurs

avantages respectifs dans la distribution du prix des meubles d'un failli?

Les motifs d'humanité et de justice qui les ont établis dans les cas ordinaires doivent les maintenir dans celui-ci.

Le privilége du vendeur sur les effets mobiliers non payés, est le seul qu'il ait paru nécessaire de soumettre à des modifications dont le but et les effets ne peuvent être bien saisis qu'en comparant le privilége, tel qu'il est établi dans le Code Napoleon, avec celui qui est conservé dans le projet.

Le vendeur, suivant le Code Napoléon, a deux avantages il a la préférence sur le prix des effets mobiliers qu'il a vendus, et qui sont encore en la possession du débiteur: il a, en outre, le droit de revendiquer ou de reprendre ces mêmes effets en nature, lorsqu'ils se trouvent dans la main de l'acheteur, et dans le même état où il les avait livrés. L'un de ces avantages lui procure le prix du meuble vendu; l'autre lui en rend la propriété.

Le projet du Code commercial n'accorde au vendeur que la revendication des marchandises qu'il a livrées à crédit, et il ne l'accorde qu'aux conditions suivantes :

1° Que le débiteur sera en faillite ;

29 Que les marchandises expédiées se trouveront encore en route, et ne seront pas entrées dans les magasins du failli ou du commissionnaire chargé de les vendre pour son compte;

3° Que ces mêmes marchandises, avant leur entrée dans les magasins, n'auront pas été vendues sans facture;

4° Qu'elles seront reconnues n'avoir subi, dans leur natures quantité ou enveloppes, ni changement ni altération.

Si toutes ces conditions se réunissent, le vendeur, à l'aide de la revendication, reprend en nature la propriété des marchandises expédiées.

Si une seule vient à manquer, la revendication s'évanouit, et nul doute qu'avec elle ne doive s'évanouir aussi toute préférence sur le produit de la revente des mêmes objets.

Ce dernier effet, du moins, à l'égard de la partie du mobilier du failli qui consiste en marchandises, est implicitement renfermé dans le projet qui n'accorde que la seule revendication de ces objets, sans parler d'aucune préférence sur leur prix; mais il est mis surtout en évidence par les savantes discussions qui ont fixé ce point de législation, et qui se réunissent toutes pour établir que, du moment où le droit de revendication a cessé, le prix des marchandises trouvées en la possession du failli doit être distribué indistinctement entre tous les créanciers, sans aucune préférence pour le vendeur.

S'il en était autrement, le but qu'on se propose en restreignant les revendications serait manqué, puisque le vendeur auquel on refuserait la restitution de sa marchandise en nature en obtiendrait l'équivalent dans le recouvrement exclusif du prix. La revendication subsisterait en quelque sorte après son abolition, et elle ne ferait ainsi que changer d'objet.

Au surplus, la revendication introduite dans le commerce par des usages locaux présentait des variations, des incertitudes et des difficultés qui ont fait sentir la nécessité de la régulariser et de la soumettre à une loi uniforme.

Les revendications proposées par le projet sont basées sur les principes qui veulent que la vente suivie de tradition transfère la propriété; sur l'équité, qui ne souffre pas que le vendeur et le

prêteur ayant confié, l'un sa marchandise, l'autre son argent, pour en faire l'aliment du commerce du failli, soient soumis à des chances différentes; et enfin sur l'humanité qui, dans le naufrage commun de la faillite, réclame pour tous le même intérêt.

Le projet conserve d'autres revendications qui reposent sur le fondement indestructible de la propriété bien avérée.

Telles sont la revendication des marchandises déposées chez le failli, soit pour être délivrées à un tiers, soit pour être vendues pour le compte du déposant.

La revendication du prix de ces mêmes marchandises vendues conformément au mandat, lorsque ce prix n'a été ni reçu ni négocié par le failli. Et enfin celle des remises en effets de commerce non payés qui se trouvent en nature dans le portefeuille du failli, lorsqu'il paraît, soit par le mandat spécial qui les accompagne, soit par les livres du failli, que ces remises n'ont été faites que pour l'utilité du propriétaire.

Toute réclamation de privilége ou de revendication peut être admise par les syndics avec l'approbation du commissaire, ou doit être jugée par le tribunal, en cas de contestation.

Je n'ai point parlé du droit qu'a le créancier porteur d'un engagement de plusieurs coobligés solidaires et faillis, de participer aux distributions de toutes les masses jusqu'à son parfait payement; ni de l'obligation imposée au créancier nanti d'un gage, de souffrir qu'il soit vendu ou retiré, et de se contenter du recouvrement de sa créance sur le prix, s'il est suffisant; ni du droit qu'a la caution de s'identifier avec le créancier qu'elle a payé. Toutes ces dispositions, puisées dans les principes élémentaires et immuables du droit civil, s'appliquent à toutes les matières et à tous les cas. Je me hate de passer aux droits des créanciers hypothécaires et aux droits des femmes, qui sont réglés, les premiers avec une clarté, les seconds avec une moralité également dignes de vos suffrages.

Tous les biens meubles et immeubles d'un débiteur sont le gage de ses créanciers.

Le créancier hypothécaire a, sur le cédulaire, l'avantage d'avoir assuré, autant que la prudence humaine peut le permettre, le recouvrement de sa créance sur la valeur d'un immeuble qui ne peut être dérobé à ses poursuites.

Pourra t-il, nonobstant cette garantie, concourir, avec les créanciers cédulaires, à la distribution du prix des meubles?

Cette question était un sujet de controverse dans l'ancienne jurisprudence. Le Code Napoléon n'en offrait pas une solution positive. Le projet la décide avec autant de netteté que de justesse.

La distribution du prix des biens d'un débiteur ne peut varier au gré du hasard ou de la volonté d'un créancier. Il faut qu'elle soit réglée par des principes de justice et qu'elle soit soumise à un ordre fixe et invariable.

Lorsqu'un moyen de recouvrement qui a toutes les probabilités du succès est ouvert à un créancier, il ne doit pas lui être permis d'en préférer un autre qui pourrait nuire aux intérêts d'une classe différente.

L'article 93 a fait une application de cette règle au créancier nanti d'un gage qui n'est inscrit dans la masse que pour mémoire.

L'hypothèque sur un immeuble, dans la main du créancier hypothécaire, est aussi un gage tout aussi solide, tout aussi efficace qu'un gage mobilier.

Si quelque ombre d'incertitude sur l'issue future de l'ordre hypothécaire ne permet pas d'exclure ce créancier de la distribution actuelle du prix des meubles, du moins faut-il que ce qu'il en reçoit soit réversible à sa source, lorsque les événements justifieront que la créance peut être acquittée sur le prix de l'immeuble affecté.

Quand la distribution du prix des immeubles précède ou accompagne celle du prix des meubles, ceux des créanciers hypothécaires qui ne se trouvent point remplis concourent seuls avec les cédulaires sur le prix des meubles, à concurrence de ce qui leur reste dû.

Cette règle est d'une justice évidente. Les créanciers hypothécaires qui ont reçu leur payement intégral sont satisfaits et n'ont plus le titre de créanciers; ceux qui ont reçu une partie seulement de leur créance ne conservent leur titre qu'à concurrence de ce qui leur est dû; ceux qui n'ont rien obtenu dans la distribution des immeubles restent investis de tous leurs droits.

Ainsi, les créanciers acquittés sont exc'us, dans ce cas, de la distribution du prix des meubles; les créanciers payés en partie y participent à concurrence du résidu, et les créanciers éconduits de l'ordre hypothécaire, y sont admis pour la totalité de leur créance.

Tout peut et doit être ramené de même à cette règle simple et lumineuse, lorsque le hasard des circonstances fait précéder la distribution des prix des meubles.

Tous les créanciers hypothécaires y participeront avec les cédulaires; mais, lors de la distribution du prix des immeubles, ils réintégreront dans la masse mobilière la totalité des sommes qu'ils en auront reçue, si leur créance hypothécaire tout entière a été colloquée utilement, ou une quote proportionnelle, si la créance n'a été colloquée qu'en partie.

Ainsi disparaîtront à l'avenir, dans tous les cas, les difficultés que faisait naître le concours des créanciers hypothécaires et cédulaires à la subhastation d'un patrimoine.

Les droits des femmes occupèrent une place distinguée dans la peusée et dans le cœur des auteurs du Code Napoléon; ils prenaient leur source dans cette protection sage et éclairée dont l'homme se plaît à environner sa compagne, et dans la reconnaissance qu'il doit aux soins touchants qu'elle aime, de son côté, à lui prodiguer. Ils furent examinés et accueillis avec un religieux intérêt.

La femme put recevoir toute espèce de dons; elle fut associée aux bénéfices, sans courir le risque des pertes; la plus vive sollicitude veilla à la conservation de ses biens. Ces faveurs furent tout à la fois, un hommage rendu à la sainteté du mariage et le prix des austères devoirs que ce lien impose à celle qui réunit la double qualité d'épouse et de m're.

Pourquoi faut-il que les désordres qui ont corrompu la simplicité primitive du commerce amènent aujourd'hui la dure nécessité de retirer aux femmes des commerçants une partie des avantages qui leur avaient été si libéralement a cordés?

Pourquoi faut-il que le luxe effréné de quelques-unes d'entre elles, leurs dépenses sans mesure, leur facilité à se prêter à des manoeuvres spoliatrices forcent le législateur à se montrer sévère, quand il voudrait n'être que généreux? Cependant ce même législateur, en s'armant d'une rigueur nécessaire, ne cessera pas d'être iuste.

La femme du commerçant n'aura hypothèque pour sa dot et pour ses autres reprises mobilières que sur les immeubles qui appartiennent au mari à l'époque de la célébration du mariage.

La femme qui s'unit à un commerçant s'unit aussi à sa fortune. Elle peut chercher sa sécurité dans les immeubles que son mari possède en ce moment, et qui paraissent placés hors du tourbillon du négoce; mais elle ne peut asseoir que des espérance incertaines sur les fonds actuels du commerce et sur les métamorphoses nombreuses et rapides qu'ils sont destinés à subir.

Que ces mêmes fonds soient convertis dans la suite en marchandises nouvelles, en manufactures, en immeubles, en effets de tout genre, ils restent tonjours les garants de la foi commerciale et le gage sacré des prêteurs. La femme, plus intimement liée au sort du débiteur qu'à celui des créanciers, est par-dessus tout intéressée à obtenir dans le commerce des bénéfices qu'elle doit partager avec son mari; et elle peut, lorsque les événements trompent son attente, isoler sa cause et chercher son salut exclusif dans les débris d'une fortune qui ne pouvait acquérir de la consistance que par des succès, et qui devient une illusion lorsque les dettes absorbent toutes les valeurs réelles.

Moins encore peut-elle, dans le désastre d'une faillite, aspirer à profiter des avantages que la munificence inconsidérée du mari lui aura prodigués. La loi fait beaucoup, en faveur de la feinme, en révoquant les avantages qu'elle peut avoir faits de son côté à son mari; mais elle ne peut tolérer que les lambeaux d'une fortune épuisée se transforment en un gain scandaleux : elle doit repousser une femme avide qui, après s'être associée aux chances du commerce de son époux, voudrait, avec un titre devenu odieux par cela même qu'il serait lucratif, ravir le gage inviolable des créanciers.

La femme du commerçant failli sera donc privée, non seulement de tous les avantages qui lui avaient été faits, mais encore elle n'aura aucun droit, ni sur les biens qu'elle aura acquis pendant le mariage, ni à raison des dettes qu'elle aura payées à la décharge de son mari, si elle ne découvre la source légitime où elle aura puisé les sommes employées à ces acquisitions ou à ces payements. A défaut de cette preuve, la loi présume que ces sommes appartiennent au mari, et les acquisitions ainsi que les payements doivent tourner au profit de ce dernier.

Et que les femmes des négociants ne se plaignent pas de cette rigueur! elle n'est pas nouvelle, elle est conforme à leurs intérêts les plus chers.

La loi romaine avait établi la même présomption, comme étant propre à écarter des soupçons injurieux à la délicatesse d'une épouse: evitandi autem turpis quæstus gratia circa uxorem, hoc videtur Quintus Mucius probasse.

Les anciens tribunaux l'avaient admise par les mèmes motifs; et se trouvant confirmée par la nouvelle loi, elle sera utile à l'honneur de la femme, qu'elle affranchira de recherches qui pourraient quelquefois l'entacher d'ombres fâcheuses: elle sera même salutaire pour sa tranquillité, puisque, si cette présomption n'existait pas, il serait souvent nécessaire d'examiner dans leur Source les circonstances d'un payement ou d'une acquisition, et que cet examen pourrait déchirer le voile mystérieux dout aurait été enveloppée une fraude coupable.

Ces diverses dispositions ne regardant que la

femme d'un négociant failli, il fallait prévenir les restrictions trop judaïques qu'on aurait pu apporter à ces expressions. Le projet assimilé à une femme qui épouse un homine actuellement commerçant, celle qui épouse le fils d'un négociant devenu lui-même négociant dans la suite, ou bien un homme qui, étranger au commerce à l'époque du mariage, embrasserait cette profession dans l'année de la célébration.

Ici finissent les principales modifications apportées à la loi civile, relativement aux droits des femmes des commerçants.

Tandis que les affaires d'un négociant se soutiendront dans un état de prospérité ou d'équilibre, tandis que sa fortune suffira pour faire face à toutes ses obligations, la femme, placée sous l'égide des lois générales, jouira de la plénitude des droits que lui promet le Code Napoléon.

Les modifications qui nous occupent, uniquement destinées à servir de frein et de remède à la faillite, n'auront leur effet que dans le cas où elle se réalisera; et encore, dans ce même cas, la propriété des femmes ne souffrira-t-elle aucune atteinte.

Elles reprendront en nature les immeubles qu'elles auront apportés et ceux qui leur seront survenus par succession ou donation.

Elles reprendront pareillement en nature les immeubles acquis par elles, et en leur nom des deniers provenant de successions ou donations, pourvu que l'origine en soit constatée par acte authentique, et que la déclaration d'emploi soit formellement exprimée dans le contrat d'acquisition; elles reprendront, disons-nous, ces biens avec les dettes et hypothèques dont ils se trouveront grevés de leur chef.

Elles reprendront les habits et linge à leur usage, qui leur seront accordés par les syndics, et les bijoux, diamants et vaisselle qui seront justifiés leur avoir été donnés par contrat de mariage, ou leur être advenus par succession; tout le surplus des effets mobiliers restera dans la masse de la faillite.

Enfin, les femmes exerçant la reprise des sommes qui leur seront dues pour restitution de dot, pour remploi de leurs biens aliénés, ou pour indemnité des dettes par elles contractées avec leur mari, auront une hypothèque légale sur les immeubles appartenant au mari à l'époque du mariage, mais non sur ceux qu'il aura acquis postérieurement.

Voilà, Messieurs, les dispositions relatives aux droits des divers créanciers dans la faillite; elles assigneront à ces droits une juste mesure, et leur donneront toute l'efficacité dont ils sont susceptibles.

Puissent-elles remplir les voeux du génie immortel qui les a congues, puissent-elles délivrer le com nerce du fléau qui l'avilit et le consume, puissent surtout les femmes recevoir sans murmure et suivre avec docilité les leçons de l'expérience et de la sagesse! Puissent-elles chercher dans la simplicité, dans la décence, dans la modération, dans l'économie, dans l'application à tous leurs devoirs, la vraie gloire de leur sexe, et contribuer ainsi à rendre au commerce sa splendeur et sa prospérité!

Les se tions du Tribunat vous proposent l'adoption du projet.

La discussion est fermée.

Le Corps législatif procède au scrutin et vote l'adoption du projet de loi par 220 boules blanches contre 13 boules noires.

La séance est levée.

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Du projet de loi concernant la prorogation des lois relatives aux crimes de faux.

Messieurs, la loi dont nous vous apportons le projet, au nom de S. M. I'EMPEREUR, a pour objet de proroger pendant trois ans celle du 2 floréal an XI, qui attribue au tribunal criminel du département de la Seine, formé en tribunal spécial, pendant cinq ans, exclusivement à tous les autres tribunaux, et contre toutes personnes, la connaissance de tous les crimes de faux, soit en effets nationaux, soit sur les pièces de comptabilité qui intéressent le trésor public, en quelque lieu que le faux ait été commis, ou que l'on ait fait usage des pièces fausses; et celle du 23 ventôse an XII, qui attribue au même tribunal, à l'exclusion de tous autres, la connaissance des crimes de contrefaçon du timbre national et de fabrication de faux billets de banque.

L'audace toujours croissante et la désastreuse habileté des faussaires qui pullulaient sur le territoire de la France, à la suite des progrès de la démoralisation opérée par la plus orageuse des révolutions, vous firent adopter en l'an X les premières mesures qui vous furent proposées par un gouvernement réparateur, pour atteindre et punir un genre de crimes qui tend à la dissolution du pacte social par la des'ruction de la confiance qui en est la première base et le plus fort lien.

Une loi du 23 floréal an X attribua en conséquence aux tribunaux spéciaux la connaissance de la contrefaçon des effets publics, et de tous crimes de faux en écritures publiques ou privées, commis dans leurs ressorts respectifs.

Elle voulut que ceux qui seraient condamnés pour un de ces crimes subissent dès la première fois une flétrissure publique, outre la peine prononcée par le Code pěnal.

Cette sanction parut alors suffire pour frapper les faussaires de terreur et paralyser leur scélérate industrie.

L'expérience découvrit bientôt les inconvénients de ce partage d'attribution entre les di férents tribunaux spéciaux de la France et les dangers de l'impunité qui pouvait en être la suite.

Elle apprit que la classe des fauss ires la plus coupable, celle des contrefacteurs des effets nationaux ou des pièces de comptabilité, se composait d'associations répandues sur toute la surface de la France, d'où il résultait que la découverte d'un atelier ne mettait presque jamais sous la main de la justice que quelques coupables isolés, hors d'état de fournir assez de renseignements pour atteindre les chefs de l'association, et pénétrer dans le cœur d'un labyrinthe dont le fil res

tait caché.

On sentit qui le seul moyen d'extirper le mal était d'en concentrer le remède. On se convainquit d'ailleurs que c'était principalement à Paris que s'ourdissaient ces trames criminelles; que c'était là que leurs opérations se consommaient par la production définitive des pièces falsifiées;

et les registres du tribunal criminel du départe- j ment de la Seine ayant constaté que les affaires de ce genre y avaient déjà été portées, en vertu de sa compétence particulière, en beaucoup plus grand nombre que devant aucun autre tribunal, le Gouvernement vous proposa, et vous rendites, le 2 floréal an XI, une foi qui attribue au tribunal criminel du département de la Seine, formé en tribunal spécial pendant cinq ans, exclusivement à tous autres tribunaux et contre toutes personnes, la connaissance de tous les crimes de faux, soit en effets nationaux, soit sur les pièces dé comptabilité qui intéressent le trésor public, en quelque lieu que le faux ait été commis, ou que l'on ait fait usage des pièces fausses.

La loi du 23 floréal an X énonçait littéralement la coutrefaction ou altération du timbre national; mais le crime commis, soit par la fabrication de la planche, soit par l'usage de la planche fabriquée, n'y était pas compris nominativement; ce qui avait induit quelques tribunaux criminels à douter si ce crime était compris dans l'attribution donnée au tribunal criminel du département de la Seine, par l'expression générale d'effets nationaux.

Le conseil d'Etat, à qui cette question fut proposée par le Gouvernement, pensa qu'il fallait une loi formelle pour le résoudre.

Il aurait pu se former un autre doute relativement aux crimes de faux concernant les billets de la Banque de France, dont la circulation devait avoir la plus salutaire influence sur le crédit public. Leur contrefaction ou altération avait d ailleurs été déjà assimilée aux faux monnayages par l'article 36 de la loi du 24 germinal an XI, portant que les fabricateurs criminels et les falsificateurs des billets émis par la Banque doivent être poursuivis, jugés et pùnis comme faux monnayeurs.

Elles présentaient encore les mêmes motifs d'en concentrer la poursuite devant le tribunal criminel du département de la Seine, parce que c'est à Paris que sont tous les moyens de comparaison et de vérification: une nouvelle loi du 23 ventôse an XII, ajouta donc aux attributions exclusives données au tribunal criminel de la Seine, par la loi du 2 floréal an XI, celle de la connais

sance :

1o Des crimes de contrefaction du timbre national, et d'usage du timbre contrefait;

2o Des crimes de fabrication de faux billets de Banque, et de falsification des billets émis par elle, ainsi que de la distribution des faux billets ou des billets falsifiés de ladite Banque;

3o Des crimes d'introduction ou de distribution sur le territoire français de billets de ladite Banque, fabriqués ou falsifiés en pays étranger.

Le Gouvernement avait espéré un plein succès de l'exécution de ces deux lois. Il avait espéré que cinq ans suffiraient pour faire cesser entièrement un désordre dont l'impunité longtemps tolérée amènerait tôt ou tard la ruine de l'Etat le plus fortement constitué.

Cette belle espérance a été trompée; et l'œil paternel de SA MAJESTÉ, toujours ouvert sur les intérêts dece bon et grand peuple dont le bonheur lui est si cher, n'a pu se fermer sur les suites possibles d'une continuité de crimes dont la duré serait mortelle pour la confiance publique, parce qu'elle le serait pour les mœurs, et dont elle a fortement résolu d'arrêter le cours.

La loi que j'ai l'honneur de vous présente Messieurs, borne à trois ans la prorogation des deux lois des 2 floréal an XI et 23 ventôse an XII

Sa Majesté l'a jugée suffisante pour l'accomplissement de ses grandes vues d'ordre et de bienfaisance, et vous en jugerez sans doute de même; mais aussi vous la jugerez malheureusement nécessaire pour s'assurer de ramener enfin dans la voie de l'honneur ceux qui auraient pu conserver jusqu'ici le triste et coupable courage de s'en écarter.

PROJET DE LOI.

Sur la prorogation des lois relatives aux crimes de Faux.

La loi du 2 floréal an XI, qui attribue pendant cinq ans à la cour de justice criminelle spéciale du département de Seine, la connaissance de tous les crimes de faux, soit en effets nationaux, soit sur des picces de comptabilité qui intéressent le trésor public,

Et la loi du 23 ventôse an XII, qui attribue exclusivement au tribunal criminel du département de la Seine la ron aissa ce des crimes de contrefaçon du timbre national et de fabrication de faux billets de bi. que, sont prorogées pendant trois ans, à compter de l'expiration du délai fixé par la loi du 2 floréal au XI,

Le Corps législatif arrête que ce projet de loi sera transmis aux trois sections du Tribunat,

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi contenant le livre IV du Code de commerce, intitulé: De la juridiction commerciale.

Les orateurs du Gouvernement et ceux du Tribunat sont introduits.

M. le Président, La parole est à Messieurs les orateurs du Tribunat.

M. Gillet (de Seine-et-Oise). Messieurs, il y a pour le commerce un abri nécessaire sans lequel il ne saurait prendre confiance en ses forces, ni les faire concourir à la fortune publique c'est celui d'une juridiction spéciale. Entre des hommes qui se communiquent fréquemment par le crédit, mais que de longues distances séparent plus fréquemment encore, il faut une justice distributive, simple comme leurs engagements, rapide comme le mouvement de leurs affaires.

Les législations d'Athènes et de Rome pourraient être citées à l'appui de ce principe; il fut consacré en des temps plus modernes, lorsque Venise, Gênes et Pise portaient dans l'Orient les secours du commerce aux guerriers des croisades; mais sans recourir à des exemples étrangers, quiconque voudra étudier la marche du commerce en France, verra la juridiction commerciale suivre constamment ses traces ets associer à ses progrès.

Dans les siècles du gouvernement féodal, Torsque le commerce errant, incertain et précaire n'avait point encore de magasins fixes, les foires de Brie et de Champagne étaient le lieu de trafic le plus fréquenté. Leur prospérité était due à des priviléges que Philippe de Valois prit soin d'affermir par l'édit de 1349.

Il voulut « qu'aux gardes de la foire appartint la cour et connaissance des cas et contrats adve«nus ès-dites foires. » Et telle était la nécessité de cette disposition, qu'elle l'emporta par la seule force de la raison sur les jalousies de pouvoirs, alors si multipliés: « Pour ce s'accordérent, dit le même édit, prélats, princes, barons, chretiens et mécréants, en eux soumettant à la ju«< ridiction d'icelles foires, et y donnant obeis

« sance. "

Au siècle suivant, quand le voisinage de l'Italie appela le commerce des rives de la Marne à celle du Rhône, les foires de Champagne, transférées à Lyon, y portèrent avec elles leur juridiction, et l'on vit s'élever en même temps chez les Lyonnais l'industrie et le tribunal de la conservation. La mémorable époque du seizième siècle arriva;

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