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VIVE L'EMPEREUR ! éclatent dans toutes les parties de la salle.

Des musiciens placés dans les tribunes publiques, et dirigés par M. Perret, musicien des chasseurs à pied de la garde impériale, auxquels se sont joint des artistes de l'Opéra, exécutent le chant de la Bataille de Marengo.

M. Jaubert, conseiller d'Etat, monte à la tribune. Deux des grenadiers de la garde impériale avec leurs drapeaux vont se placer à ses côtés.

M. Jaubert. Messieurs, l'image de Napoléon le Grand, qui orne cette enceinte, rappelle seule les plus grands bienfaits, les plus grands exploits, l'affection et la reconnaissance du peuple français, l'admiration du monde, et tous ces titres immortels par lesquels Sa Majesté a justifié la mission qu'elle a reçue de la Providence.'

Toutefois, Messieurs, c'est un beau jour que celui où le plus grand des guerriers ordonne à ses invincibles de venir déposer une partie de ses trophées dans le sanctuaire des lois.

Admirable alliance de la justice et de la force! Pensée sublime, digne du grand homme par qui tout ordre est établi, et qui se plaît à répéter que sa première gloire est celle de rendre le monde paisible et ses peuples heureux !

Vous les voyez flotter, Messieurs, ces drapeaux : les uns, conquête de la Grande Armée dans les plaines de l'Allemagne ; les autres, conquis par le roi de Naples, avec son royaume.

Les siècles s'écouleront, et les prodiges opérés par la Grande Armée exciteront encore l'étonnement et l'enthousiasme; la postérité ne pourra les croire que parce que la vérité de l'histoire sera confirmée par les monuments qui en auront été le résultat.

Qui pourrait jamais redire assez tout ce que cette campagne a eu de glorieux, tous les hauts faits dont elle se compose, tous les prodiges qui en doivent être la suite?

Généraux, officiers, soldats, tous ont éminemment rempli leurs devoirs.

Ce qui caractérise la générosité des Français, c'est la manière dont les braves, s'oubliant euxmêmes lorsque tout le monde parle d'eux, ne semblent occupés que de raconter les exploits de leurs compagnons d'armes.

Oui, Messieurs, tel serait le langage des braves qui ont mérité l'honorable distinction de vous remettre ces étendards, et que Sa Majesté a daigné choisir dans cette garde impériale qui s'est couverte de tant de gloire, et dans ces grenadiers commandés par un général (1), que nos regards trouveraient avec tant de satisfaction parmi vous, s'il n'était encore occupé d'exécuter les ordres de Sa Majesté.

Oh! la noble modestie de nos guerriers est bien récompensée par ces ordres du jour à jamais mémorables où le héros se plaisait tant à parler de ses soldats, et dans lesquels il fixait les jours où il leur prescrivait de gagner des batailles !

Une chose sur laquelle la conscience des nations aimera_toujours à s'arrêter, c'est cette sécurité dans laquelle se reposait l'Empereur la veille encore du jour où il apprit la marche de la coalition, et où il ordonna à son armée de le suivre en Allemagne.

Nous le savons tous, Messieurs, l'Empereur croyait à la sincérité des démonstrations qui lui étaient faites. Comment sa grande âme qui avait aussi le sentiment de sa puissance aurait-elle pu soupçonner une aussi grande trahison !

(1) Le général Oudinot, membre du Corps législatif.

Mais il était juste que la Providence fit éclater de la manière la plus authentique, et par les preuves les plus irrésistibles, la magnanime loyauté de celui qui n'agit que pour le bonheur des nations.

Tout l'univers les a vus, et il en a été indigné, les actes de cette correspondance, ouvrage du délire, de la fureur, de la mauvaise foi et de l'imprudence.

Les événements qui se sont passés autour de nous ne peuvent être expliqués que par cette pensée qui s'offre à l'esprit de tous, que Napoléon le Grand avait été choisi par la Providence pour asseoir les bases de la civilisation et pour fonder le repos du monde.

Ce qu'on ne peut assez admirer dans la destinée de l'Empereur, c'est qu'en aucun temps il n'y a eu plus de lumières répandues, et que néanmoins la civilisation de l'Europe n'avait jamais été autant menacée de rétrograder, et que jamais aussi il ne s'était trouvé autant de nations puissantes qui eussent méconnu le droit des gens.

C'est cependant à cette même époque que l'Empereur fonde l'Europe.

Ses vastes conceptions commencent déjà à s'accomplir.

Des princes fidèles à leurs véritables intérêts secondent, par leur concours, le grand mouvement imprimé par l'Empereur.

Ah! quelle erreur sera celle des princes imprudents ou inattentifs qui différeraient plus longtemps d'entrer dans cette sainte alliance, qui n'a pour objet que le repos et le bonheur du genre humain !

Comme ils étaient bien inspirés ces habitants du Brésil! Frappés de la renommée du grand homme, ils envoyèrent des députés au prince régent de Portugal, chargés de l'inviter à ne rien négliger pour conserver la bienveillance de Napoléon; et cette mission, si digne de remarque, les députés la remplirent en présence de toute la cour, de tous les ambassadeurs étrangers, et surtout de l'ambassadeur anglais qui en frémit de

rage.

Non, Messieurs, Napoléon le Grand et son peuple ne pourraient être outragés impunément.

Aucun potentat ne pourrait arrêter cette tendance de l'Europe vers son repos et la jouissance des biens et des avantages que la nature s'est plu à créer pour chaque nation.

Quelle expérience en fait aujourd'hui cette maison qui régna sur Naples!

Au grand étonnement de l'Europe, l'Empereur n'avait pas dédaigné d'oublier des excès qui auraient justifié la punition la plus éclatante.

Des démonstrations de regret, des promesses d'une conduite loyale lui sont adressées : la main royale scelle un traité qui n'impose qu'une exacte neutralité; et cette même main signait en même temps les actes de la coalition, et comptait le prix qu'elle destinait à de vils sicaires.

Peuples de cette belle contrée, pour qui la nature a été si prodigue de ses dons, qui êtes si avantageusement placés pour l'agriculture, le commerce, les sciences et les arts, vous rendez grâce à Napoléon le Grand, dont le génie vous a placés dans la position qui vous était propre.

Non, jamais vous ne pourrez perdre le souvenir des sanglantes catastrophes dont votre patrie a offert le déplorable spectacle.

Non, jamais vous ne pourrez oublier que ceux qui avaient reçu la mission de faire fleurir les lois, d'employer tous leurs efforts pour votre bonheur et votre gloire, étaient ceux-là même

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Vous avez été adoptés par le grand cœur de Napoléon. Pour vous comme pour le reste de l'Italie, comme pour nous, il est l'organe de la Providence son génie est notre sauveur, décrets sont notre régulateur, sa mémoire sera l'égide de nos enfants.

ses

Le bonheur de ces peuples devait-il donc aussi nous coûter des pertes!

Nous étions sí accoutumés à admirer de près les vertus du prince Joseph, à reconnaître ses services, « à célébrer sa constante et pieuse affection pour le chef de sa famille », vous surtout, Messieurs, vous vous trouviez si honorés de devoir vos éminentes fonctions au concours de son honorable suffrage...

Mais son cœur sera toujours français; il formera ses sujets à toutes les vertus, qui les rendront dignes d'être les amis et les alliés de la grande nation.

Vous voyez déjà, Messieurs, comment en si peu de jours S. M. le roi de Naples et de Sicile a conquis son royaume autant par les sentiments qu'il a su inspirer que par l'effort des armes de Sa Majesté Impériale et Royale.

C'est que Napoléon le Grand lui a transmis des émanations de cet esprit surnaturel qui respire en lui.

Que ce jour, qui est si glorieux pour vous, Messieurs, puisque vous recevez une nouvelle preuve de la bienveillance impériale, nous rappelle sans cesse qu'après le Créateur du monde, nos premiers hommages appartiennent aux fondateurs des sociétés.

M. le président se lève et prononce le discours suivant :

M. Fontanes. Messieurs les orateurs du conseil d'Etat, il était juste aussi qu'en distribuant à tous les grands corps de l'Etat les drapeaux conquis par nos braves armées, le vainqueur n'oubliât pas l'enceinte où se rassemblent tous les députés de ce peuple qui donne son sang et ses subsides pour la gloire du trône et la défense de la patrie. Le conquérant vient déposer, en ce jour, une partie de ses trophées devant cette même statue que nous érigions l'année dernière au législateur. Il semble nous dire par cet hommage, d'un genre nouveau, que l'art de vaincre à ses yeux n'est rien sans l'art de gouverner.

A toutes les nobles idées qu'ont déjà fait naître ailleurs de semblables cérémonies, se mêle ici pour nous un intérêt plus vif et plus touchant. Les étendards qui nous sont offerts, sont ceux-là même qu'enlevèrent aux ennemis les bataillons commandés par les deux illustres généraux qui sont nos collègues (1). Un tel choix manifeste à notre égard l'attention la plus honorable, et le Corps législatif, en suspendant ces étendards autour des murs qu'il habite, va, pour ainsi dire, s'environner de sa propre gloire.

Ce Corps, dont j'ai l'honneur d'être l'organe, n'était point réuni quand une campagne de six semaines a changé l'état de l'Europe. Il n'a donc pu faire entendre sa voix dans cette première ivresse du succès qui favorise l'éloquence et l'enthousiasme. Les éloges seraient aujourd'hui sans

(1 M. le maréchal Masséna, M. le général Oudinot.

but, et cette pompe serait superflue, s'il ne fallait y rappeler qu'une de ces victoires ordinaires qui restent sans influence, et méritent à peine un souvenir. La gloire des triomphes militaires s'estime par les résultats qu'elle produit; plus ils se développent et plus elle augmente. A ce titre on célébrera toujours avec une admiration nouvelle cette bataille d'Austerlitz qui a repoussé les Russes dans leurs déserts, et qui, suivant les premiers orateurs anglais eux-mêmes (1), a séparé comme autrefois la Grande-Bretagne du reste du monde.

Combien l'aspect de ces drapeaux retrace à nos yeux d'événements mémorables! A quelle époque le génie de la guerre a-t-il montré plus d'audace et de combinaisons? Comment cette armée que je cherche encore aux rives de la Manche est-elle déjà campée sur les bords du Danube? Quel général fut mieux éclairé par cet instinct merveilleux que ne peut comprendre la raison vulgaire, et qui est le secret des grands hommes? C'est en vain que le héros. s'éloigne des côtes de l'Angleterre, il ne les perd jamais de vue, il précipite sa marche, un mois s'écoule à peine, et Londres est à demi vaincue dans les murs de Vienne.

Il a prédit avant son départ ses succès et toutes les fautes de ses ennemis. Il fait entrer dans ce calcul et la rapidité de sa marche et la lenteur de leurs mouvements, et l'incertitude de leurs conseils et la constance des siens, et surtout la vieillesse de leurs habitudes et la nouveauté de ses entreprises.

Oserais-je le dire cependant? ce génie militaire si profond quand il conçoit, si hardi quand il exécute, trente mille hommes mettant bas les armes, Vienne ouvrant ses portes, deux cours alliées confondues, des trônes élevés et détruits, tous ces prodiges ne sont pas ce que j'admire davantage. C'est là ce que l'univers attendait d'un si grand capitaine : mais ce qui m'étonne véritablement, c'est de ne voir jamais les affaires civiles négligées dans le tumulte des armes, c'est de retrouver le père de la patrie jusque dans les champs du carnage.

Du haut de ce bivouac, où, placé à trois cents lieues de la capitale, il observe les fausses manœuvres de ses ennemis et marque leur défaite, son œil, qui embrasse l'Europe entière, distingue au fond des provinces les plus reculées de la France les moindres détails du gouvernement intérieur. Il porte toutes les idées d'ordre public au milieu de la licence des camps. Il administre en même temps qu'il combat. Le soir d'une victoire il fonde des écoles pour l'étude des lois. Avant de livrer la bataille, il avait ordonné la fête qui devait célébrer le triomphe.

Nous apprenons tout à coup que de nouveaux embellissements sont préparés pour nos villes, que les canaux se multiplient pour les besoins des campagnes, que les fabriques nationales sont encouragées, que nos arsenaux se réparent, que nos hôpitaux s'enrichissent, et ces décrets bienfaisants sont datés du pa'ais de Marie-Thérèse, ou de cette tente à demi déchirée qu'il habite au milieu des orages, de l'hiver et des frimas de la Moravie. Les délassements de l'esprit se joignent même aux occupations guerrières. Un jeune ta

(1) Lisez les discours de MM. Windham et Fox dans les dernières séances du Parlement d'Angleterre. C'est maintenant, disent-ils, qu'on peut nous appliquer le vers de Virgile.

« Et penitùs toto divisos orbe Britannos. >>

lent s'élève, il le récompense : une doctrine funeste est publiée, il la condamne avec les ména❤ gements convenables pour le nom de l'auteur; et devant les trônes que son courage vient d'ébranler, sa haute sagesse proclame les idées morales et religieuses qui les raffermissent.

En un mot, à chaque poste militaire où il s'arrête un moment, je le vois signer quelques lois sages, méditer quelques travaux pour les jours de la paix, comme s'il était assis tranquillement au milieu de son conseil.

Voilà ce qu'il est rare de trouver dans la vie des conquérants, et voilà ce que les députés du peuple aiment à louer dans leur monarque. Redisons-le à nos ennemis du haut de cette tribune: Il est aussi propre aux vertus pacifiques qu'aux vertus guerrières. S'il était bien connu d'eux, s'ils entendaient surtout leurs véritables intérêts, le traité qui désarmera l'Europe serait bientôt conclu. Pourquoi veulent-ils éternellement provoquer à la guerre celui qui en possède tous les secrets? Eux-mêmes, par leurs attaques inconsidérées, fortifient sa puissance; c'est à l'aide de leurs faux calculs que s'est élevé l'édifice toujours croissant de sa fortune et de ses hautes destinées. Plus ils prétendront resserrer ses frontières, et plus il les agrandira. Leurs vaisseaux à la vérité voyagent sur toutes les mers; mais il les repousse de tous ses ports, et pour armer contre eux tous les rivages, il renferme peu à peu des mers dans les limites de son vaste empire. Ah! puissent-ils enfin permettre à ce courage invincible de s'arrêter lui-même où la nature des choses et l'intérêt de l'avenir doivent lui indiquer les bornes de sa domination naturelle! Qu'ils ne le forcent point d'enfanter encore une de ces pensées par qui change le sort des empires; ils ont assez senti son ascendant, et sans doute ils ne voudront plus qu'il leur prépare, comme dans les champs de Marengo ou d'Austerlitz, une de ces journées fécondes en changements pour plus d'un siècle.

Je trouve dans cette cérémonie même tout ce qui confirme ces grandes vérités le trône de Naples tombe, et du fond de ses ruines s'élève un cri contre ses alliés, qui le livrent en fuyant au juste courroux d'un vainqueur qu'indigne la foi violée.

Malheur à moi, si je foulais aux pieds la grandeur abattue! Plus j'ai de plaisir à contempler tous ces rayons de gloire qui descendent sur le berceau d'une dynastie nouvelle, moins je veux insulter aux derniers moments les dynasties mourantes, Je respect la majesté royale jusque dans ses humiliations, et même quand elle n'est plus, il reste je ne sais quoi de vénérable dans ses débris. Mais l'histoire est pleine de ces grandes catastrophes partout la force et l'habileté saisissent les sceptres que laissent tomber la faiblesse et l'imprudence; et si ces nouveaux jeux de la fortune font couler les larmes des rois, celles des peuples seront au moins essuyées. Oui, cette ville, que les volcans dont elle est voisine agitèrent moins que ses révolutions politiques, va respirer sous un gouvernement paternel.

La France lui fait un don inestimable en lui envoyant un prince qui montra toutes les vertus privées dans la retraite, toutes les lumières et tous les talents dans les négociations, à la tête des conseils, dans les assemblées du Sénat, et qui, dès qu'il a paru sur le théâtre de la guerre, a prouvé que l'héroïsme est un apanage de son nom. Il va donner au plus beau pays de l'Europe des mœurs nouvelles. Il y secondera la nature qui a tout fait pour y rendre les hommes heureux. Il

régnera et les bénédictions de ses sujets, légitimeront tous ses droits; car, j'aime à le dire en finissant à l'aspect de ces drapeaux, devant ces braves qui ne me désavoueront pas, et surtout aux pieds de cette statue qu'on invoque toutes les fois qu'il faut parler de la gloire, j'aime à dire que l'amour et le bonheur des peuples sont les premiers titres à la puissance; que seuls, il peuvent expier les malheurs et les crimes de la guerre, et que sans eux la postérité ne confirmerait pas les éloges que les contemporains donnent aux vainqueurs.

Ce discours est accueilli par de nombreux applaudissements.

De nouvelles acclamations se font entendre; les députés élèvent leurs chapeaux en signe d'enthousiasme les grenadiers et chasseurs agitent leurs drapeaux qu'ils vont ensuite déposer en faisceaux au pied de la colonne triomphale, et quittent l'enceinte du Corps législatif au bruit des fanfares.

La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF. PRÉSIDENCE DE M. FONTANES.

Séance du 12 mai 1806.

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. M. Rieussec, député du Rhône, offre, au nom de M. Petit, médecin à Lyon, ancien chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu et membre de plusieurs sociétés savantes, l'hommage de divers ouvrages réunis en un seul volume, sous le titre d'Essai sur la médecine du cœur.

Le Corps législatif ordonne la mention de cet hommage au procès-verbal, et le dépôt du volume à la bibliothèque.

L'ordre du jour appelle la discussion des deux derniers projets de lois présentés le 7, l'un par MM. Berlier et Siméon, contenant des mesures relatives аих menaces d'incendie; l'autre par MM. Beugnot et Maret, concernant l'ouverture d'une route de Roanne au Rhône.

La parole est à MM. les tribuns, sur le premier projet de loi.

M. Bertrand de Greuille, rapporteur de la section de législation du Tribunat. Messieurs, tout ce qui tient aux intérêts de l'agriculture, cette source première et féconde de la prospérité de ce vaste empire mérite, sans contredit, de fixer d'une manière particulière l'attention du Gouvernement. Il doit tout à la fois entourer de sa surveillance conservatrice et les riches produits de nos abondantes récoltes, et les cultivateurs laborieux qui, vivant isolés dans les campagnes, éprouvent, plus que tous autres, le besoin de protection spéciale pour se livrer tranquillement et sans réserve à leurs utiles et pénibles travaux.

Il a donc accueilli avec une sollicitude empressée les nombreuses réclamations qui lui ont été adressées de certains points de la France, sur un genre de crime qui répand la terreur dans l'âme des paisibles agriculteurs. On jette pendant la nuit, dans leurs habitations, des billets anonymes ou signés, par lesquels ils sont menacés de voir incendier leurs propriétés s'ils se refusent de déposer une somme d'argent dans un endroit indiqué, ou de remplir telle autre obligation qu'on leur impose. Ce délit est très-anciennement connu et surtout très fréquent dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de Jemmapes, de la Somme et le relâchement des liens so iaux, suite inévitable d'une longue révolution, n'a servi depuis plusieurs années qu'à lui donner, dans ces

fertiles contrées, plus d'extention et de force. Ces
billets y sont appelés sommations minatoires, et
leurs auteurs y sont désignés sous le nom de

sommeurs.

Vous apercevez facilement, Messieurs, combien il est pressant d'opposer une digue puissante à cette espèce de crimes. S. M. l'Empereur en a senti la nécessité, et c'est ce qui l'a déterminé à vous faire proposer un système de sévérité qui en impose aux hommes pervers par la répression et l'exemple, et qui puisse rétablir la sûreté des campagnes, assurer la tranquillité de leurs habitants et la conservation de leurs propriétés.

Tel est, Messieurs, le motif et le but du projet de loi qui est aujourd'hui présenté à votre acceptation, et qui a reçu l'assentiment de la section de législation du Tribunat.

Il consiste en deux articles que je crois devoir rappeler ici.

Le premier condamne à la peine de vingtquatre années de fers et à la flétrissure sur l'épaule gauche, de la lettre S, tout individu qui sera convaincu d'avoir menacé, par écrit anonyme ou signé, d'incendier une habitation ou toute autre propriété, si la personne menacée ne dépose une somme d'argent dans un lieu indiqué où ne remplit toute autre condition. »

Le second « délégue aux cours criminelles spéciales créées par la loi du 18 pluviôse an IX dans les départements où elles sont établies, et dans les autres départements à celles qui sont formées selon la loi du 23 floréal an X, le jugement de cette sorte de crime. »

En comparant les dispositions pénales du premier article du projet avec celles adoptées par notre législation criminelle ancienne et moderne, il sera facile de vous convaincre qu'il a été conçu et rédigé dans les principes de cette sagesse prévoyante qui aime mieux prévenir le mal que d'avoir à le punir, et dans les véritables intérêts de la société, qui veut que la punition soit proportionnée au délit.

Dans cette double idée, on ne vous propose point, Messieurs, de renouveler ici les peines portées par l'ordonnance du 6 mars 1689, qui condamnait à la perte de la vie ceux qui avaient écrit, envoyé où jeté des sommations minatoires, parce qu'il serait injuste de frapper de la même peine, et surtout de frapper de mort celui qui s'est rendu coupable d'incendie, et celui qui s'est seulement borné par écrit à menacer d'incendier la propriété d'autrui; mais aussi on renonce à ce système plus dangereux sans doute, d'une indulgence ou plutôt d'une faiblesse reconnue fatale, qui a d'abord puni de quatre années de fers, et depuis de deux années d'emprisonnement au plus, les lâches auteurs de pareilles menaces.

On a pris un parti moyen: c'est la condamnation à vingt-quatre années de fers avec la flétrissure; cette peine est grave sans doute, puisqu'elle est la plus forte après celle de la mort que la loi prononce contre les incendiaires; mais le crime que l'on veut réprimer est le plus voisin de celui de l'incendie, et, par conséquent, il doit être puni de la peine la plus approximative de celle qui en atteint les auteurs. D'ailleurs, si les sommeurs n'exécutent point leurs menaces, c'est qu'ils en sont le plus souvent empêchés par des circonstances totalement étrangères à leur volonté, ou parce que leurs sommations ont produit l'effet qu'ils en attendaient; mais dans tous les cas, les campagnes n'en sont pas moins alarmées, et les laboureurs dans les tourments d'une perpétuelle anxiété. Le seul mot d'incendie les glace de

[12 mai 1806.]

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peur et d'effroi. Que n'ont-ils pas à redouter, lorsque ces menaces sont directes, et qu'elles indiquent la propriété qui doit être la proie des flammes, s'ils se refusent au tribut qu'on exige d'eux? Ils savent bien que, pour les réaliser, il n'est besoin de courage ni d'audace, qu'il ne faut que de la corruption et de la lâcheté. Cette idée redouble leur terreur; bientôt leur imagination troublée leur fait voir déjà tout embrasées leurs maisons et leurs granges, ordinairement couvertes en chaume, et ils n'entrevoient d'autres moyens de salut que d'obtempérer à la sommation des brigands. C'est de la part de ceux-ci une véritable extorsion produite par la menace d'un péril imminent; extorsion plus dangereuse que celle qui serait exercée par la violence, parce qu'au moins il serait possible de s'y soustraire en lui opposant quelque résistance.

La

La peine de vingt-quatre années de fers n'a donc rien de trop rigoureux pour un crime qui a le vol pour but et la menace de l'incendie pour moyen, pour un crime qui produit dans les campagnes d'aussi funestes effets, et qui s'est accru par l'insuffisance des mesures employées jusqu'ici pour la détruire. La durée de cette peine présente surtout l'avantage d'écarter pour longtemps les coupables du lieu de leurs forfaits, et de les empêcher de s'y livrer aux fureurs de la vengeance. marque qu'on propose d'y joindre sera le supplément ou plutôt le complément de la peine. Cette espèce de dégradation corporelle avait, dès 1791, disparu de notre Code pénal. C'était, disaiton, une mutilation ineffaçable, indestructible, qui était incompatible avec la justice et l'humanité. Ces idées philanthropiques étaient sans doute séduisantes; mais l'immoralité des hommes endurcis dans le vice; mais la société à chaque instant outragée par des faussaires, par des hommes convaincus plusieurs fois des mêmes crimes, ont forcé d'y renoncer, et la loi du mois de floréal an X a rétabli la peine de la flétrissure. Ainsi la nécessité de cette peine est actuellement reconnue par l'autorité de la loi, et son utilité l'est même par le fait; car on peut assurer ici avec confiance, que la seule crainte de cette marque perpétuelle d'opprobre a jeté l'épouvante dans l'âme des faussaires et en à sensiblement diminué le nombre.

Espérons, Messieurs, qu'elle ne sera pas moins salutaire relativement au crime que le Gouvernement désire aujourd'hui de voir réprimer. Espérons surtout que dans des départements où les sommations sont encore heureusement inconnues, la honte attachée à cette flétrissure ineffaçable, arrêtera sur le bord du précipice des hommes faibles qui seraient tentés d'y 'introduire un pareil brigandage. Au reste, si l'infamie de la marque n'a rien qui les épouvante, ils seront au moins signalés pour l'avenir comme des ètres dangereux, à l'égard desquels l'action de la police ne sera jamais incertaine, et que la puissance de la loi pourra par conséquent plus facilement atteindre et punir.

D'ailleurs les tribunaux que le projet désigne pour connaître de cette sorte de délit, offriront une garantie de plus pour en assurer la répression. Ce sont les cours criminelles spéciales organisées d'après la loi du 18 pluviose an IX, dans les départements où elles sont établies. Ces cours ont été instituées, comme vous le savez, Messieurs. pour connaître du crime d'incendie et des vols, violences et voies de fait dans les campagnes et sur les grandes routes. Il est donc naturel de comprendre aujourd'hui dans leurs attribu

1

tions les auteurs des sommations minatoires, espèce de brigandage qui s'exerce au milieu des champs, dans les maisons rurales isolées, et qui peut conduire à incendier les habitations et les récoltes.

Dans les autres départements, ce sont les cours criminelles spéciales, créées par la loi du 9 floréal an X, auxquelles le projet en attribue la connaissance. Or, cette loi les a déjà investies du droit de prononcer sur les crimes d'incendie des dépôts de grains, ce qui, par une conséquence nécessaire, doit les rendre compétentes pour statuer sur le sort de ceux qui menacent directement de faire consumer par les flammes les mêmes dépôts.

On sent d'ailleurs combien des jurés pris au hasard sur un tableau dont le cadre n'est peutêtre pas assez resserré pour user utilement de la loi de la récusation dans les crimes ordinaires, seraient peu propres à prononcer sur un pareil délit, qui répand partout l'effroi, et qui pourrait les exposer aux plus terribles vengeances.

Observez aussi qu'il est extrêmement difficile de parvenir à découvrir, et surtout à convaincre les auteurs de ce crime si redouté, soit parce qu'il se consomme dans l'ombre et le silence de la nuit, soit parce qu'il laisse après lui de très-faibles traces, soit parce qu'enfin la crainte s'empare pour l'ordinaire de ceux qui auraient quelques révélations essentielles à faire. Ce crime ne resterait donc pas sans danger dans les attributions de la justice par jurés. Des juges courageux, indépendants par état et par caractère, peuvent seuls porter, dans ces sortes de matières, des jugements sains et dégagés de tous sentiments contraires à ceux qu'inspirent la conscience et le devoir.

Ces réflexions, Messieurs, appuyées des développements qui vous ont été fournis par les orateurs du conseil d'Etat, suffiront sans doute pour vous démontrer la sagesse des dispositions du projet de loi dont il s'agit. La section de législation du Tribunat en a reconnu l'utilité, l'importance et le besoin. Elle a remarqué que le principe de la gradation des peines y était soigneusement respecté, et elle m'a chargé d'avoir l'honneur de vous en proposer l'adoption. En le sanctionnant, Messieurs, par vos suffrages, vous vous associerez aux efforts constants du Gouvernement pour le maintien de l'ordre public; vous contribuerez à rendre aux campagnes la paix et la sécurité leur est si nécessaire, et vous acquerrez aussi des droits à la reconnaissance de ces hommes si précieux à l'Etat, qui fertilisent nos champs des produits de leurs sueurs et de leur industrie. La discussion est fermée.

qui

Le Corps législatif délibère sur le projet de loi, qui est décrété à la majorité de 230 boules blanches contre 6 noires.

M. Delpierre, orateur de la section de l'intérieur du Tribunat. Messieurs, le Gouvernement vous propose d'ordonner, par une loi, l'ouverture d'une route de Roanne au Rhône, par Feurs, Saint-Etienne et Annonay, laquelle traversera le département de la Loire dans sa plus grande étendue. Le département, composé du ci-devant Forez, pays très-négligé par l'ancien gouvernement, sous le rapport des travaux publics, et condamné, pour ainsi dire, à rester étranger au milieu de la France, a besoin d'une communication qui le confonde dans la famille dont il est une riche et honorable portion.

Le Gouvernement, d'après les calculs fondés sur la nature du sol et sur l'espèce de difficultés qu'il faudra vaincre pour exécuter cette de prise, en porte la dépense 250 fra

Le moyen indiqué pour faire face à cette dépense est le même que celui que vous avez déjà consacré, par plusieurs lois, durant cette session.

Comme stipulant la masse des intérêts généraux, le Gouvernement contribuera pour moitié dans cette somme aux frais du trésor public. Les départements immédiatement intéressés, la Loire, l'Ardèche, la Drôme et Vaucluse supporteront l'autre dans la proportion des avantages que chacun d'eux retire de l'exécution du projet cette moitié sera distribuée sur onze exercices, par addition à leurs contributions directes. Cette période de temps a paru nécessaire pour rendre insensible à ces départements un surcroît d'imposition dont la plus forte quotité ne s'élèvera alors qu'à trois centimes pour le plus imposé d'entre

eux.

Des quatre départements qui sont destinés à recueillir les premiers fruits d'une entreprise que le Gouvernement a conçu dans leur intérêt, celui de la Loire obtiendra sans doute la plus grande part. La route nouvelle ouvre un débouché qui manquait aux productions industrielles de BourgArgental, jeté au milieu d'un pays du plus difficile abord.

Elle encouragera l'exploitation des mines abondantes de charbon de terre que possède l'arrondissement de Saint-Etienne, exploitation restreinte jusqu'ici à quelques communes seulement, à cause de la difficulté des chemins et de l'énormité du prix des transports au lieu de l'embarcation.

Elle fera arriver désormais, sans obstacle, sur les bords de la Loire, les sapins qui couvrent ce pays entre Bourg-Argental et Saint-Etienne. Ces bois, qui sont nécessaires pour la construction des bateaux employés à la navigation de la Loire et au transport des charbons de terre destinés à l'approvisionnement de Paris, commencent à manquer sur la rive méridionale du fleuve, et seront suppléés par ceux qui croissent à sa gauche. Les sapins sont de la plus belle venue, et par les facilités que donnera la nouvelle route, ils serviront non-seulement à ranimer la circulation intérieure, mais encore ils procureront d'excellentes mâtures à notre marine. En ce moment on est réduit à les dépécer en planches légères, pour pouvoir les exporter dans les départements voisins.

Elle assurera à la ville de Saint-Étienne une voie prompte et économique pour porter au dehors les divers objets de sa fabrique, tels que ses armes et sa grosse quincaillerie, lesquelles pour aller soit au nord soit au midi, sont obligées de faire un détour lent et dispendieux, dont l'effet est d'appauvrir sa manufacture de tout ce que coûtent de trop les matières qui y entrent et qui en sortent.

Elle mettra les autres arrondissements du département de la Loire, qui sont fertiles et ne sont qu'agricoles, en situation de livrer leurs denrées au commerce, d'approvisionner surtout la ville de Saint-Etienne, dont le district ne recueille de grains que pour la nourrir pendant quatre mois. On sait de quelle importance il est qu'une ville de fabrique ne soit point inquiète sur sa subsistance. Là, le besoin est plus irascible qu'ailleurs, et un jour de souffrance y peut occasionner d'irréparables désordres. Dans cette circonstance, l'intérêt public se joint à l'intérêt privé pour assurer le repos de la population d'une ville qui

renfernie d'armes de горе.

plus importantes manufactures qu'il y ait en France et en Eu

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