Page images
PDF
EPUB

grandes pièces des terres divisées en uné multitude de parties, augmenterait infiniment notre richesse territoriale; qu'au contraire, leur morcellement empêche de faire des enclos, des prairies artificielles, et de se livrer à l'éducation du bétail; qu'il fait perdre un temps précieux au cultivateur lorsqu'il laboure, qu'il conduit des engrais, qu'il sème ou moissonne; et que, lorsqu'il ensemence, le peu de superficie des champs Occasionne la perte de tout le grain qui tombe sur les lisières.

Qu'enfin cet ordre de choses facilite les usurpations, et par suite, devient la cause de procès trop communs parmi les cultivateurs.

Sous un monarque bienfaisant, dont la plus ardente passion est de faire le bonheur du grand peuple confié à ses soins, et auprès de qui aucune idée utile n'a jamais été perdue, vous êtes persuadés, comme moi, Messieurs, que les vœux de M. François (de Neufchâteau) seront écoutés, et que leur succès fera sa plus digne récompense. Je demande la mention de l'hommage au procès-verbal, et le dépôt de l'ouvrage à la bibliothèque.

Le Corps législatif ordonne l'impression du discours de M. Lejeas et adopte ses propositions. L'ordre du jour appelle la discussion d'un projet de loi relatif à la procédure en matière criminelle et correctionnelle.

Les orateurs du Gouvernement et ceux du Tribunat sont introduits.

M. Goupil-Préfeln, au nom de la section de législation du Tribunat. Messieurs, dans le cours de cette session, tous vos moments ont été employés à méditer et à délibérer sur les points les plus importants de notre législation, et vous allez décréter dans cette séance le dernier titre d'un Code complet de procédure, sans lequel le grand Code de nos lois civiles ne serait qu'une belle théorie.

Le Code criminel ne sera pas moins important; mais il est plus susceptible de controverse, m mé dans ses éléments, et le temps n'est pas venta de s'en occuper.

On réclame, en attendant, quelques réformes sur des points dont les inconvénients sont universellement reconnus, et le projet de loi soumis à votre délibération opérera ce bienfait. Il est composé de trois articles; les deux premiers sont relatifs à des réformes de la procédure en matière correctionnelle; le troisième, plus important, abolira une exception et en modifiera une autre en matière criminelle.

Le premier article du projet porte que « lorsque, sur l'appel d'un jugement définitif en matière correctionnelle, la cour de justice criminelle en prononcera la nullité pour omission ou violation de formes prescrites par la loi, ladite cour statuera sur le fonds. » Il déroge en ce seul point à l'article 202 du Code des délits et des peines, du 3 brumaire an IV, qui est maintenu dans sa disposition relative à l'annulation du jugement pour cause d'incompétence.

Il résultera de cette disposition plus de célérité dans l'administration de la justice, et moins de ces renvois d'un tribunal à l'autre, qui sont onéreux à la fois aux parties et au trésor public, et qui ne servent qu'à obscurcir l'instruction à charge ou à décharge, sans profit pour l'innocent dont ils retardent l'absolution; le prévenu ne sera privé d'aucune des garantics que la loi lui assure il aura joui du bénéfice de deux degrés de juridiction, puisque, je le répète, le projet veut qu'il ne soit statué sur le fond par la cour

de justice criminelle, que dans le cas où le jugement correctionnel sera définitif, et après que la cour d'appel, si elle annulle ce jugement relativement à la forme, aura régularisé la procédure en établissant l'omission ou en réparant la formalité défectueuse.

Le second article du projet de loi déclare le prévenu en matière correctionnelle non recevable à présenter, comme moyen de cassation, les nullités commises en première instance, et qu'il n'aurait pas opposées devant la cour d'appel, et il excepte également la nullité pour cause d'incompétence.

Il existe un abus qu'il importe de faire cesser le prévenu, qui redoute l'arrêt que doit prononcer sur son sort la cour d'appel, garde le silence sur la nullité commise en première instance; il renferme sa défense dans les moyens du fond et court la chance de l'arrêt à intervenir; s'il est condamné, il reprend le moyen de nullité qu'il a tenu en réserve, et s'en fait un moyen de cassation.

:

Cette ruse n'aura plus lieu celui qui n'aura pas opposé le moyen de nullité devant la cour d'appel sera non recevable à s'en faire un moyen de cassation.

La nullité pour cause d'incompétence est d'ordre public toute autorité cesse d'avoir ce caractère quand elle excède ses pouvoirs, et l'acte émané d'un tribunal incompétent n'est point un jugement, mais un fait exorbitant que l'autorité supérieure doit s'empresser d'annuler, sans même considérer le mérité de la décision.

Je passe au troisième article qui abolit une exception et en modifie une autre, établies toutes deux par la loi du 29 septembre 1791, d'où elles ont passé dans celle du 3 brumaire an IV.

Ces exceptions autorisent les accusés à se soustraire à leurs juges naturels, quoiqu'il n'y ait pas de réciprocité, c'est-à-dire quoiqu'ils ne puissent en être distraits l'utilité d'un privilége de cette nature doit être bien reconnue pour qu'il soit consacré par la législation, et même pour qu'il n'en soit pas promptement effacé, s'il n'est démontré que, sans lui, l'innocence n'aurait pas les mêmes garanties.

:

Je n'ai point à vous parler, Messieurs, de l'institution des jurés en elle-même elle existe dans notre législation, et les lois d'amélioration dont l'épreuve du temps fait sentir le besoin doivent être en rapport avec cette institution.

Le troisième article soumis à votre délibération est de ce nombre, puisqu'il substitue aux dispositions que des inquiétudes exagérées ont tracées dans les lois de 1791 et de l'an IV, une confiance plus étendue dans les jurés.

Le droit d'option accordé aux accusés les autorise à récuser, sans en déduire les motifs, leurs juges naturels et tous les jurés d'un département il peut être exercé lorsque la commune où siége la cour de justice criminelle est au-dessus de 40,000 habitants, et dans deux cas :

1o Si la déclaration du jury d'accusation a été rendue dans la ville où siége la cour de justice criminelle;

2o Si l'accusé y a sa résidence habituelle.

Dans le premier cas, si la séance du jury d'accusation était publique; si l'acte d'accusation y était lu et les témoins entendus; s'il y avait débats et plaidoiries, on pourrait craindre qu'il n'en résultat des préventions défavorables au prévenu qui aurait été accusé; mais le jury d'accusation se réunit à huis clos; les jurés examinent s'il y a contre le prévenu des présomptions assez

fortes pour qu'il soit soumis à l'épreuve du débat devant un jury de jugement, et si l'accusation est admise, les habitants de la commune où le jury a été réuni n'en connaissent pas plus les motifs que ceux des communes des départements voisins et souvent même le prévenu n'est informé qu'il est accusé que par la notification de l'ordonnance de prise de corps, dans laquelle il trouve la copie de l'acte d'accusation et de la déclaration du jury.

Le droit d'option peut encore être exercé par l'accusé, si la cour de justice criminelle siége dans la commune où il a sa résidence habituelle, et cette exception cesse si la population de cette commune est au-dessus de 40,000 habitants.

L'expérience a prouvé que cette modification est insuffisante; le projet de loi propose de maintenir le droit d'option dans le cas seulement où la population de la ville où siége la cour de justice criminelle est inférieure à 10,000 habitants : l'exception réduite à ce terme suffit pour rassurer ceux qui seraient alarmés des effets de la prévention dans les lieux d'une petite population, où l'on suppose que les passions peuvent avoir des effets plus marqués.

Je termine par une observation qui n'aura échappé à aucun de vous, Messieurs, mais que vous me permettrez de rappeler à votre attention.

Le droit d'option est déjà implicitement aboli, sans qu'il y ait eu de réclamation dans tous les cas qui sont de la compétence des tribunaux spéciaux, et il n'existe que dans la procédure par jurés, tandis que l'accusé y peut exercer, outre les récusations motivées, un grand nombre de récusations péremptoires des jurés inscrits sur les listes, et que les noms de ceux appelés à passer leurs déclarations sont tirés au sort.

Il est sans exemple qu'un homme bien famé, contre lequel des circonstances extraordinaires ont élevé des présomptions suffisantes pour faire admettre l'accusation, ait récusé péremptoirement ses juges naturels et tous les jurés de son département; il n'est aussi presque plus d'exemple où la faculté d'opter ne soit pas mise à profit par les brigands les plus redoutables, qui, dans l'espoir que les preuves dépériront, ont tout à gagner en retardant leur condamnation, ou qui espèrent que cette ressource leur offrira, dans leur translation d'une maison de justice à l'autre, les moyens de se soustraire à la vigilance de leurs gardiens.

Ces considérations ont déterminé vœu de l'adoption de la section de législation du Tribunat; elle espère qu'il sera consacré par votre décret. La discussion est fermée.

Le projet de loi est mis aux voix : il est adopté par 239 boules blanches contre 3 boules noires. La discussion s'ouvre sur le projet de loi contenant le livre III de la seconde partie du Code de procédure civile.

M. le Président. La parole appartient à un orateur du Tribunat.

M. Mallarmé. Messieurs, depuis longtemps le peuple français attendait la réforme des lois réglementaires sur l'administration de la justice civile.

A peine l'Assemblée constituante avait-elle ouvert sa mémorable session, qu'elle avait solennellement promis de substituer à ces lois un Code simple qui rendit la procédure plus expéditive et moins coûteuse. Elle s'est séparée sans avoir commencé ce grand ouvrage.

Les assemblées législatives l'ont plusieurs fois entrepris et toujours abandonné!

Vous touchez, Messieurs, au moment de l'avoir terminé.

Déjà vous avez imprimé le caractère de lois aux dispositions qui vous ont été proposées, et que vous avez jugées nécessaires pour assurer l'exacte distribution de la justice dans tous les tribunaux civils. Celles sur lesquelles il vous reste à délibérer ont pour objet de l'assurer également dans tous les cas où il sera permis de l'obtenir, sans recourir aux juges ordinaires, et de prévenir par des règles générales, absolues et invariables, les abus qui peuvent naître de la fausse application ou de l'interprétation vicieuse du texte des meilleures lois.

Ces dispositions doivent former le dernier livre du Code judiciaire.

Les unes, relatives à l'arbitrage, créent sur la matière un droit tout nouveau qui nous a paru plus conforme aux principes que ne l'était la législation, ou plutôt la jurisprudence, soit ancienne, soit moderne.

Aucune loi générale n'avait, avant celle du 24 août 1790, déterminé d'une manière précise les cas dans lesquels l'arbitrage pouvait avoir lieu, les formalités auxquelles il était assujetti, les effets qu'ils devaient produire.

Des dispositions éparses dans quelques anciennes ordonnances, dans le droit romain, dans quelques coutumes, dans les lois particulières à certaines parties de l'empire, étaient les seules règles qu'il fût possible de consulter, et ces règles encore n'étaient pas si certaines, qu'en les suivant avec la plus scrupuleuse attention, on pût être assuré de ne pas s'égarer.

Tous les tribunaux n'avaient pu les admettre toutes, en sorte que la jurisprudence n'offrait qu'un tableau varié d'usages différents qu'il était difficile de connaître et de pratiquer.

Ainsi, par exemple, dans le ressort de quelques tribunaux, les seules personnes ayant le libre exercice de leurs droits pouvaient se soumettre à l'arbitrage; dans d'autres, les tuteurs, les curateurs pour leurs pupilles, les communautés, les établissements publics avaient cette faculté. Ici, les parties qui se soumettaient à l'arbitrage pouvaient stipuler, en cas d'appel de la décision des arbitres, telle peine qu'elles jugeaient à propos; ailleurs, la peine ne pouvait excéder le tiers de la valeur de l'objet litigieux. Là, celui qui interjetait appel d'un jugement arbitral n'obtenait audience qu'après avoir payé la peine stipulée; quelques tribunaux se permettaient de modérer cette peine quand elle leur paraissait excessive, quelquefois même d'en dispenser l'appelant.

Bien d'autres différences se remarquaient dans le mode de procéder, suivant le lieu dans lequel opéraient les arbitres, et il est facile d'apercevoir quels grands et quels nombreux inconvénients en résultaient.

La loi du 24 août 1790 en a fait cesser quelques-uns, et les principaux, sans doute; mais, conçue en six articles seulement, elle n'a pu remédier à tous.

N'est-elle pas même tombée dans de nouveaux, en autorisant l'arbitrage entre toutes personnes usant de leurs droits, dans tous les cas et en toutes matières, en permettant aux arbitres de proroger leurs pouvoirs; en n'admettant l'appel des jugements arbitraux qu'autant que les parties se le seraient expressément réservé, et auraient de plus désigné le tribunal devant lequel il serait porté ?

Des lois postérieures à celle dont je viens de parler ont étendu plus loin encore la faculté de se faire juger par des arbitres, et accordé à leurs jugements un bien plus grand effet. Dans certains

cas, dans les cas les plus importants, ce n'était pas une simple faculté que faissaient ces lois, c'était une obligation absolue qu'elles imposaient aux citoyens de se soumettre à l'arbitrage, et, dans tous, non-seulement l'appel, mais le recours en cassation étaient interdits à ceux qui ne s'étaient pas réservé l'un et l'autre.

Nous croyons, Messieurs, pouvoir le dire sans être accusé d'en faire une censure trop amère, si les lois et la jurisprudence anciennes n'avaient pas donné assez de faveur à l'arbitrage, celle du 24 août 1790, et d'autres plus récentes, lui en avaient accordé une exorbitante. Sans doute les idées libérales qui ont présidé à la rédaction de celles-ci, ont dû inspirer une grande confiance dans cette espèce d'institution respectable en ellemême; mais elles ne devaient pas aller jusqu'à la dénaturer.

Le projet qui vous est présenté la rétablit dans ses attributs essentiels, et permet d'en attendre tous les avantages qu'un acie de cette nature peut et doit produire.

Il désigne avec précision les personnes qui peuvent se soumettre à l'arbitrage et les matières qui peuvent y être soumises; il détermine la forme de l'acte par lequel les arbitres doivent être choisis, les obligations qui en résultent, les causes qui peuvent en suspendre ou en faire cesser l'effet; il énonce avec clarté les droits et les devoirs des arbitres, donne des règles fixes sur l'instruction et le jugement des procès dont ils seront saisis; il prescrit enfin les formalités à suivre pour l'exécution de leurs jugements, comme aussi pour faire réformer ou annuler ceux qu'ils pourraient rendre en contravention aux lois.

Toutes ces dispositions nous ont paru, comme je l'ai déjà dit, conformes aux principes, et propres à concilier le respect et l'influence qu'il importe tant de conserver aux tribunaux avec la liberté dont il n'importe pas moins de laisser jouir les citoyens dans l'administration de leurs affaires personnelles.

Pour motiver l'opinion que nous en avons prise, il n'est pas inutile d'observer qu'un arbitrage doit nécessairement avoir pour base un compromis.

Un compromis est un contrat; il en a tous les caractères, il doit en avoir tous les effets; mais il doit aussi être soumis à toutes les règles établies par les lois en matière de contrat.

§ 1er. Nous voyons, Messieurs, une application exacte de ces règles dans la permission que le projet accorde à toutes personnes de compromettre sur les droits dont elles ont la libre disposition. On ne pourrait sans injustice refuser à celui que la loi autorise à disposer librement d'un droit quelconque, la faculté de soumettre à des arbitres la question de savoir s'il doit perdre ou conserver ce droit, ou de quelle manière il peut en jouir.

Il est juste, au contraire, de ne pas accorder cette faculté à celui qui ne peut pas disposer librement du droit qu'il conteste où qui lui est contesté. Le compromis, en effet, emporte une véritable disposition, au moins conditionnelle, puisqu'il oblige celui qui le souscrit à abandonner le droit litigieux, sì les arbitres l'y condamnent. Ce serait donc permettre de faire, par une voie indirecte, ce que la loi défend de faire directement, que d'autoriser à compromettre sur des droits dont on ne peut disposer; et certes, on ne pouvait rencontrer une pareille contradiction dans les lois que vous donnez à l'empire.

§ 2. On doit y trouver, et vous voyez, Messieurs, dans le projet qui vous est présenté, une prohibition formelle de compromettre sur les questions dont la décision intéresse plus ou moins l'ordre public. Le motif de cette prohibition sort encore de la nature même du compromis. Les intérêts purement privés peuvent seuls faire la matière d'un contrat on ne peut y insérer aucune stipulation qui toucherait à l'ordre public.

Quelque favorables que fussent les lois romaines aux arbitrages et aux compromis, elles les avaient interdits dans les causes importantes, telles que celles d'ingénuité et de liberté. Vous penserez sans doute que les lois françaises doivent l'interdire dans celles où il s'agit de l'Etat, ou de l'honneur des citoyens, d'un divorce, d'une séparation de corps entre mari et femme, enfin, de don, ou legs d'aliments. Ces causes touchent de trop près à l'ordre public, pour que le jugement en puisse être abandonné à des arbitres, qui, quelque instruits, quelque sages qu'on les suppose, n'offrent jamais à la société la même garantie, la même indépendance que des juges institués par la loi, et investis par le chef de l'Etat de son autorité.

D'ailleurs, Messieurs, puisque nous avons jugé utile d'établir près de nos tribunaux des officiers chargés de prendre connaissance de certaines contestations, ne serait-ce pas une inconséquence que de permettre aux parties de soustraire à l'examen, et peut-être à la censure de ces officiers, des prétentions qu'elles soumettraient à des arbitres? Des abus sans nombre pourraient naître d'une pareille tolérance. Le projet, plus prévoyant sur ce point que nos lois anciennes, que celle même du 24 août 1790, prévient cet abus, et nous paraît offrir, sous ce rapport, une grande amélioration.

§ 3. Après avoir désigné les personnes qui peuvent compromettre, et les matières qui peuvent faire l'objet d'un compromis, il énonce les formes dans lesquelles cet acte peut être rédigé, et les clauses dont il est susceptible. A cet égard, il laisse aux parties la liberté la plus entière.

Et d'abord, toutes les formes dans lesquelles peuvent être passés une convention, un contrat ordinaires, conviennent au compromis. Authentique, ou sous signature privée, il sera également valable.

S'il est exigé, à peine de nullité, qu'il précise l'objet en litige, et contienne les noms des arbitres, c'est que ceux-ci n'étant pas des juges, n'ayant aucun caractère public, il faut bien que le compromis leur donne un titre, et aux parties une garantie contre tout excès de pouvoir."

§ 4. Quant aux clauses dont le compromis est susceptible, toutes celles qui ne sont pas prohibées par la loi, et qui ne sont contraires ni aux bonnes mœurs ni à l'ordre public, peuvent y être insérées.

Ainsi les parties pourront elles-mêmes régler les formes et les délais dans lesquels leurs arbitres devront procéder; elles pourront les autoriser à nommer un tiers, en cas de partage d'opinions, à prononcer comme amiable compositeur; elles pourront enfin renoncer à l'appel.

Si elles ne se sont pas expliquées, on présumera qu'elles s'en sont référées au droit commun, c'est à-dire qu'elles ont voulu que les arbitres suivissent les formes et délais établis par les lois; qu'en cas de partage, ils demandassent un tiers pour les départager; qu'ils appliquassent rigoureusement la loi, qu'enfin leurs jugements fussent, dans les cas de droit, sujets à l'appel.

Nous disons dans les cas de droit, parce que, quand un jugement arbitral sera rendu sur appel ou sur requête civile, il sera nécessairement délinitif. Alors, en effet, les parties auront subi au moins deux degrés de juridiction, et la loi, dont l'intention bienfaisante est de mettre un terme aux procès, de rapprocher ce terme par la voie de l'arbitrage, ne peut permettre aux parties de le reculer au delà des bornes posées par le droit

commun.

Ces dispositions, presque toutes contraires à celles de la loi du 24 août 1790 et aux usages suivis jusqu'à ce jour, sont la conséquence immédiate de cette ancienne maxime, que le retour au droit commun est toujours favorable et doit toujours être présumé. N'est-il pas, en effet, naturel et juste d'induire du silencé des parties une soumission plutôt qu'une dérogation au droit commun; et que, comme l'a dit un ancien jurisconsulte (1), les exceptions cessant, nous reprenions les regles générales?

Ainsi, comme il est évident, qu'encore que les arbitres ne soient pas des juges, ils exercent cependant les fonctions de juges, il l'est également qu'ils doivent remplir les devoirs imposés aux juges par les lois, à moins que les parties ne leur ait bien formellement accordé le pouvoir de

s'en écarter.

Ainsi, comme nous devons avoir deux degrés de juridiction dans les matières civiles ordinaires, quand les parties n'auront pas expressément déclaré qu'elles renoncent au second, leur comparution devant des arbitres ne tiendra lieu que du premier; elles conserveront le droit d'appeler du jugement arbitral.

Si la loi, par de puissantes considérations, autorise, dans quelques cas, la renonciation à un droit généralement établi, du moins faut-il que cette renonciation soit écrite et bien expresse, et qu'elle ne puisse résulter d'une surprise ou d'une omission involontaire.

§ 5. Autant les parties auront de liberté dans les stipulations du compromis, autant elles seront rigoureusement obligées à son exécution.

C'est, vous le savez, Messieurs, un principe certain en droit, que les contrats obligent irrévocablement ceux qui les ont souscrits.

Nous avons encore vu une juste conséquence de ce principe tutélaire dans la défense qui sera faite aux parties de révoquer, de récuser les arbitres pendant le délai de l'arbitrage, et à ceux-ci de se déporter si leurs opérations sont commencées.

Cette défense cessera cependant, le compromis demeurera même sans effet, ou son effet sera suspendu indépendamment de la volonté des parties dans certains cas, toujours par ce motif qu'un compromis étant un contrat formé d'abord entre les parties, et, dès qu'il est accepté, entre celles-ci et leurs arbitres, il peut et doit être dissous, soit par le consentement unanime des contractants, soit par la survenance de causes qui en rendent, pour un temps, ou pour toujours, l'exécution légalement impossible. Le projet qui vous est soumis, Messieurs, contient l'énumération de ces causes, et distingue avec précision celles qui peuveut naître de la matière, et celles qui tiennent de la personne ou des parties ou des arbitres, en attribuant à chacune l'effet qu'elle doit produire.

§ 6. Il contient aussi quelques règles qui devront diriger les arbitres dans leurs opérations,

(1) Le Maître, 12e plaid.

et dont ils ne pourront même jamais s'écarter: précaution sage et nécessaire, soit pour garantir les parties, soit les arbitres eux-mêmes des erreurs et des abus auxquels les aurait exposés une trop grande indépendance.

Ceux qui se soumettent à l'arbitrage s'obligent, par cela seul, à mettre les arbitres en situation de prononcer en parfaite connaissance de cause, et les arbitres, en acceptant la commission qui leur est confiée, s'obligent également à prononcer un jugement équitable.

Si les parties pouvaient méconnaître leurs obligations, les arbitres aussi pouvaient se faire une fause idée de leur pouvoir. Il était donc d'une sage prévoyance de fixer d'une manière certaine leurs devoirs respectifs, d'autant surtout qu'à cet égard, il n'y avait, comme je l'ai déjà observé, aucun principe généralement admis, et que les usages reçus dans les différentes parties de l'empire présentaient une étrange diversité.

Et ce n'était pas seulement, Messieurs, dans les formalités de l'instruction, c'était dans le jugement des contestations soumises aux arbitres que l'on regrettait de ne pas trouver cette uniformité si désirable, on peut même dire si nécessaire dans l'administration de la justice.

Les anciennes ordonnances, la loi du 24 août 1790, étaient muettes sur ce point important, et les jurisconsultes n'avaient pas tous la même doctrine. Les uns (1) avaient établi en principe que les arbitres étant choisis autant pour accommoder que pour juger les affaires, ils n'étaient pas tenus de prononcer avec la sévérité et l'exactitude prescrites aux juges ordinaires, parce que, disent-ils, les parties, en nommant des arbitres, annoncent assez qu'elles veulent se relâcher de ce qu'elles auraient pu espérer en justice, et faire remise, pour le bien de la paix, d'une partie de leurs intérêts. D'autres (2) avaient pensé au contraire que les arbitres devaient donner leur sentence juste et équitable, suivant la rigueur du droit et l'ordre judiciaire. D'autres (3) enfin avaient distingué entre les arbitres et les amiables compositeurs, voulant que les premiers fussent tenus de garder dans leur instruction et jugement les formalités de justice, et de décider précisément des lois, mais que les derniers pussent accommoder les parties sans aucune formalité, et suivre dans leurs décisions l'équité plutôt que les règles du droit.

Cette distinction, Messieurs, est admise par le projet qui nous occupe. Les arbitres y trouveront un guide unique et sûr, qui ne leur permettra pas de s'écarter de la voie qui leur aura été indiquée par les parties intéressées. Ils sauront qu'il est de leur devoir d'appliquer rigoureusement la loi, si les parties ne leur ont pas demandé de prendre pour base de leurs décisions des considérations particulières, en leur donnant le pouvoir de prononcer comme amiables compositeurs.

Ils pourront, dans ce cas, mais dans ce cas seulement, tempérer la sévérité de la loi, écouter l'équité naturelle que l'orateur romain appelle laxamentum legis (4), et prononcer, comme a dit un ancien philosophe, non pro ut lex, sed pro ut humanitas aut misericordia impellit regere (5).

La section du Tribunat, au nom de laquelle j'ai l'honneur de parler, n'a vu, Messieurs, aucun inconvénient à donner cette latitude à d'amiables

(1) Voyez Domat, Droit public, I. II, sect. tre. (2) Despoisses, De l'ordre judiciaire. Tit. II, sect. 1re. (3) Ferrières, Dictionnaire de droit. Voyez Compromis. (4) Orat. p. Cluentio.

(5) Senec. De Benef., 1. III, chap. vii.

La plupart de ces dispositions, comme l'a observé M. le conseiller d'Etat chargé de vous les proposer, n'ont besoin d'aucune explication.

compositeurs, parce qu'une composition amiable emporte nécessairement l'idée de remises, de sacrifices respectifs dont l'heureux résultat est le rétablissement de la paix et de la tranquillité entre des personnes dont le vou principal est d'en recouvrer la jouissance inestimable.

Dira-t-on qu'il est à craindre de voir naître quelques abus de l'exercice d'un si grand pouvoir? Mais cette crainte sera bientôt dissipée, si l'on considère que l'on ne pourra plus à l'avenir, comme on l'apu dans ces derniers temps, se soumettre à l'arbitrage dans tous les cas et en toutes matières sans exceptions; que cette voie est interdite dans toutes les causes sujettes à communication au ministère public; qu'enfin les jugements rendus par des arbitres ne peuvent faire autorité, ni être opposés à des tiers.

D'ailleurs, Messieurs, il nous est permis sans doute de présumer assez de ceux que l'estime et la confiance appelleront aux fonctions d'amiables compositeurs, pour ne pas appréhenher que, suivant les expressions de M. Daguesseau, ils se mettent en révolte contre la règle, et osent combattre la justice sous le voile spécieux de l'équité. lls sauront, comme le dit encore ce grand magistrat, que l'équité ne peut jamais être contraire à la loi même, et qu'elle consiste à en accomplir plus parfaitement le vou.

Nous ne pourrions donc voir dans la liberté qui sera accordée aux amiables compositeurs, qu'un danger imaginaire, qui ne doit pas nous porter à renoncer aux avantages réels qu'elle promet.

§. 8. Les arbitres, de quelque manière qu'ils procèdent, n'ont, en leur qualité, aucune partie de la puissance publique leurs jugements ne pourront, par cette raison, être exécutés qu'en vertu d'ordonnances du président du tribunal qui aurait été compétent pour connaître de l'objet litigieux; et c'est devant ce tribunal que sera suivie l'exécution du jugement définitif.

§ 9. Le projet établit quelques différences entre les jugements arbitraux et ceux rendus par les tribunaux ordinaires. Ceux-là, comme ceux-ci, pourront bien être attaqués, dans les cas de droit, par appel ou par requête civile; mais ils ne pourront l'être par le recours en cassation. Au lieu de cette voie longue et difficile, le projet en ouvre une courte et facile pour empêcher l'exécution de ces jugements, quand ils ont été rendus sans pouvoir, ou par excès de pouvoir.

Les arbitres reçoivent des parties qui les choisissent un véritable mandat; ils doivent en observer les termes avec scrupule. S'ils les excèdent, ce n'est plus comme arbitres qu'ils agissent, c'est en usurpateurs. L'acte qu'ils qualifient jugement est une entreprise téméraire sur l'ordre des juridictions, une violation manifeste du contrat formé entre eux et les parties.

Un tel acte est radicalement nul, et le juge ordinaire a naturellement l'autorité nécessaire pour en prononcer la nullité.

Tels sont, Messieurs, les principaux motifs qui ont déterminé la section de législation du Tribunal à voter l'adoption de la première partie du projet soumis en ce moment à votre examen.

Les dispositions générales contenues dans la seconde ont également réuni ses suffrages; et elles devaient les réunir, si, comme je l'ai annoncé, elles ont toutes pour objet de prévenir les abus qu'une longue et triste expérience pourrait nous faire craindre de voir renaître; de fixer le véritable sens de quelques article qui pourraient recevoir diverses interprétations; enfin d'éviter aux parties des frais inutiles.

La plus importante, sans doute, est celle qui enlève aux juges le droit qu'un long usage leur avait acquis, de ne considérer, dans bien des cas, que comme comminatoires, les nullités, amendes et déchéances prononcées par la loi.

Il est permis de douter, disait M. le premier président Lamoignon dans ses savantes conférences sur l'ordonnance de 1667, si les meilleures lois sont celles qui laissent le plus, ou celles qui laissent le moins à l'office du juge.

Deux grands hommes de l'antiquité ont été partagés sur cette question.

L'un voulait que le principal soin du Gouvernement fût de choisir des juges instruits et vertueux, et qu'après les avoir choisis tels, il leur laissat une grande liberté dans les jugements, parce qu'étant comme des lois vivantes, les juges agiraient bien mieux pour la justice, que des lois écrites qui sont inanimées.

L'autre soutenait, au contraire, qu'il fallait laisser le moins de liberté qu'il se pouvait aux juges, parce que la loi étant un esprit sans passion, décidait avec plus d'impartialité et de raison que les hommes ne pouvaient le faire.

C'est ce dernier motif qui a dicté la disposition dont il s'agit, et qui a fixé notre opinion sur un point qui nous paraît d'une grande importance. Si vous la partagez, Messieurs, il ne serà plus au pouvoir du juge de confirmer ou d'annuler un acte, de prononcer une amende ou d'en faire la remise, de déclarer une déchéance encourue, ou d'en relever suivant que des circonstances ou des considérations particulières pourraient l'y porter; il ne devra, à cet égard, prendre conseil que de la loi; son office sera borné à en faire l'application littérale, sans qu'il puisse jamais en modérer ou aggraver la rigueur heureuse impuissance, qui ne pourrait déplaire qu'au juge ambitieux, voulant se faire une balance et un poids particulier pour chaque cause, mais dont l'effet salutaire sera nécessairement de donner à la justice un cours libre et régulier!

Ce cours fut trop souvent ralenti par l'impéritie ou l'avidité d'officiers ministériels qui s'occupaient plus de leur intérêt personnel que de celui de leurs clients. Un abus aussi scandaleux devra disparaître quand la loi que vous allez rendre aura prescrit aux tribunaux de laisser à la charge de ces officiers les actes et procédures nuls et frustratoires qu'ils auront faits, même de les condamner, suivant l'exigence des cas, aux dommages-intérêts des parties. Cette disposition assurera aux plaideurs une garantie que ne pouvait leur procurer toujours la ressource pénible du désaveu. Elle est d'une justice évidente.

Plusieurs autres, également justes, devront encore éviter aux parties les frais inutiles, ou les diminuer quand ils seront inévitables.

Puissent les magistrats, chargés de les faire exécuter, s'y porter avec zèle, et n'oublier jamais que les formes ont été introduites, et que nous les avons conservées pour rendre la marche de la justice plus régulière et plus sûre, et non pour l'embarrasser !

Puissent-ils aussi user avec une inflexible sévérité du pouvoir que leur donnera la loi de prononcer des injonctions, de supprimer, dans les causes dont ils seront saisis, les écrits calomnieux qui porteraient atteinte à l'honneur et à la réputation des parties! Il n'est que trop fréquent de voir les plaideurs recourir à la calomnie et à la

« PreviousContinue »