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MM. les orateurs du Gouvernement et ceux du Tribunat sont introduits.

M. le Président. J'appelle à la tribune l'un de messieurs les orateurs du Tribunat.

M. Pictet, orateur de la section de l'intérieur du Tribunat. Messieurs, deux lacs à peu près égaux en surface, mais dont la position physique et commerciale est très-différente, appartiennent au département du Mont-Blanc ce sont les lacs d'Annecy et du Bourget.

Le premier, encaissé entre des montagnes élevées, offre peu d'utilité comme lac navigable; elle se réduit à un cabotage de denrées et au transport de la houille d'une mine abondante située vers l'une des extrémités du lac jusqu'à la ville d'Annecy, bâtie à l'autre extrémité, et où la présence de ce combustible a donné lieu à l'établissement de plusieurs manufactures, et en particulier d'une verrerie.

Mais le lac du Bourget est dans une position bien plus favorable.

D'une part, il communique par un canal naturel et profond avec le Rhône, à peu de distance audessous de Seissel, c'est-à-dire de l'endroit où ce fleuve, après avoir disparu tout entier sous les rochers du Jura et bouillonué ensuite dans des abîmes sur trois lieues d'étendue, redevient calme et navigable jusqu'à la Méditerranée.

D'autre part, la bord oriental de ce lac touche presque à la ville d'Aix, célèbre par ses eaux thermales, et que traverse la grande route de Genève à Turin par le mont Cenis.

Enfin, au midi, le lac arrive jusqu'à une lieue de Chambéry, dont il n'est séparé que par une plaine, formée en grande partie d'alluvions. Cette ville est le centre auquel aboutissent toutes les vallées qui forment le grand bassin de l'Isère, et d'où partent deux des communications avec l'Italie, celle du mout Cenis et celle du Petit Saint-Bernard.

On comprend combien une position aussi heureuse peut contribuer à faciliter tous les mouvements du commerce. Ainsi le matelot de la Méditerranée pourrait presque, sans quitter sa chaloupe, arriver jusqu'au pied des cimes glacées des Alpes; et plus facilement encore, les produits utiles de ces contrées montueuses et riches en mines peuvent atteindre à la mer, c'est-à-dire se répandre sur tout le globe.

C'est pour qu'un aussi beau présent de la nature ait toute l'utilité dont il est susceptible, que le projet de loi qui vous est soumis, Messieurs, a été conçu et rédigé. Plus les circonstances concourent à rendre la navigation de ce lac importante, et plus il faut qu'elle soit sûre. Un môle avait été construit dans l'endroit le plus favorable aux débarquements. Une société propose d'y établir un port dans lequel les bâtiments seront à l'abri de toute avarie. La modicité des frais de cette entreprise présente un contraste frappant avec son utilité; les devis des ingénieurs ne dépassent guère 20,000 francs. Le Gouvernement laisse aux entrepreneurs la faculté de s'indemniser par un droittrès-modique de 3 sous par quintal (de 50 kilogrammes) à percevoir sur les marchandises débarquantes, et de 2 sous sur celles qu'on embarque. Il se réserve la franchise des objets qui lui appartiendraient, tels que les transports militaires, et demeure propriétaire définitif de l'établissement, au bout du terme de vingt-cinq ans, en remboursant alors aux entrepreneurs la moitié des frais de construction, tels que le devis des ingénieurs les établit. Tous les rapports établis dans ce traité entre les contractants sont également justes et simples.

On ne saurait trop se pénétrer des avantage réciproques qui résultent, pour le Gouvernemer et pour les administrés, de ces transactions dan lesquelles les parties contractantes, quoique à bie grande distance dans l'échelle politique, se présentent comme de niveau dans la ligne de l'utilite Le Gouvernement est alors pour les individus u ami puissant, riche, et qui ne meurt point. Ceux ci lui offrent en retour la plus sûre des garanties c'est que ses intérêts se trouvant confondus ave ceux des particuliers, ils seront soignés avec la même attention, la même persévérance qu'apport le père de famille à la conduite de ses propre affaires. L'heureuse influence de ce principe d'ad ministration accélère sous nos yeux les embellissements de la capitale. Ces ponts qui se multiplient comme par enchantement, nous les devon= à cette sage combinaison des intérêts du Gouvernement avec ceux des particuliers. Une nation voisine doit peut-être la perfection reconnue de ses grandes routes à l'extension qu'elle a donnée à ce système. Qui sait si l'esprit public lui-même n'y reconnaîtrait pas un de ses éléments?

En résumant les avantages du projet proposé, j'en aperçois un que ses auteurs n'ont pas même soupçonné, parce qu'il est la conséquence d'une découverte récente. On a trouvé depuis peu,sur la rive droite du Rhône, une lieue au-dessus de Seyssel, dans la commune dite Le Parc, une mine fort abondante de matières bitumineuses, et en particulier d'un goudron minéral égal, s'il n'est supérieur, au goudron ordinaire pour tous les usages de la navigation, soit intérieure, soit maritime. Cette exploitation est en pleine activité, et ses produits contribueront à l'entretien du port proposé, vers lequel l'économie du transport par eau les portera naturellement, et où ils atteindront l'embranchement de deux passages des Alpes, et d'un nombre de routes de première et de seconde classe, qui se ramifient dans les départements du Mont-Blanc et de l'Isère.

La section de l'intérieur du Tribunat m'a chargé, Messieurs, de vous proposer, d'après les motifs que je viens de développer, l'adoption du projet de loi relatif à l'établissement d'un port sur le lac du Bourget.

Aucun orateur ne prenant la parole, le Corps législatif sanctionne et convertit en loi le projet, à la majorité de 230 boules blanches contre une noire.

La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF. -
PRÉSIDENCE DE M. FONTANES.
Séance du 22 mars 1806.

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. M. Nougarède. Messieurs et chers collègues, M. Locré, secrétaire général du conseil d'Etat fait, hommage au Corps législatif du premier volume d'un ouvrage qu'il vient de publier sous ce titre : Esprit du Code Napoléon tire de la discussion.

L'objet de cet ouvrage est d'expliquer le sens des nouvelles lois civiles, non par des commen taires, dont on a trop abusé pour soutenir des systèmes, mais par le simple développement des intentions du législateur.

Les titres nombreux que son auteur présente à l'estime publique offrent une garantie dont vous sentirez d'autant mieux le prix, que vous connaissez parfaitement toutes les difficultés de l'interprétation des lois. Elle parut à Auguste d'une telle importance, qu'il en fit une sorte de magistrature. Il ne l'accordait qu'aux jurisconsultes qui

avaient blanchi dans la discussion des causes publiques et dans ce patronage gratuit qui a fait tant d'honneur à la république romaine.

Le Code des Romains, dont leurs décisions ont formé la principale base, est devenu un des plus beaux monuments de la gloire du peuple-roi. Ce monument, si admirable par ses vastes développements, reposait néanmoins sur des bases trop imparfaites.

L'institution de l'esclavage civil, les règles puisées dans la nature animale, les maximes d'une religion toute sensuelle avaient altéré les principes fondamentaux des lois romaines. Leur réforme fut commencée par les empereurs chrétiens; mais ils trouvèrent de nombreux obstacles dans les habitudes d'un peuple vieilli et dégénéré.

L'exécution de ce grand projet était réservée pour les dernières années du règne de Louis XIV. Les travaux des magistrats les plus distingués la préparèrent; un jurisconsulte osa la terminer. Le sage Domat, soutenu par l'amitié de Daguesseau, depuis chancelier, encouragé par la protection du monarque, rédigea sur un nouveau plan le Code immense des lois romaines.

Ce chef-d'œuvre de raison et d'équité eut la plus heureuse influence sur les progrès de la législation française. Mais dans le siècle suivant, la marche imposante de la civilisation et des lois fut tout à coup arrêtée.

Du sein même des excès qu'enfantèrent devains systèmes, la raison publique sembla renaître avec une maturité nouvelle. Elle réunit les vœux des Français en faveur du héros qui a déjà surpassé toutes les espérances, et dont le premier bienfait devait être la régénération de nos lois civiles.

« Le jour où le Code civil reçut dans cette en« ceinte la sanction nationale fut le premier jour « qui fixa nos destinées (1) », a dit cette bouche éloquente qui s'est montrée si souvent le noble organe des sentiments de cette assemblée. Dans ses discours respire cette dignité nationale qu'un grand prince aime à contempler comme sa gloire

et son ouvrage.

C'est par la restauration de nos lois civiles que ce prince a commencé de rendre à la nation française le sentiment de sa dignité. Dans ce projet formé par les plus habiles jurisconsultes, dans cet appel à toutes les lumières, dans ce vaste concours des magistrats et des premiers corps de l'Empire, on reconnaît ce grand caractère qui fait la sagesse et la majesté de la loi.

Le nouveau Code civil sera compté parmi les causes les plus puissantes de la gloire et de la prospérité de la France. Tous les développements et toutes les applications des lois qu'il renferme, se trouvent réunis dans les nombreux éléments qui ont servi à le former, et surtout dans les discussions lumineuses dont il a été l'objet.

Celui qui a été choisi pour rédiger ces discussions, qui a montré dans cette tâche difficile un esprit d'analyse si rare et un jugement si exquis, se trouvait donc naturellement appelé à entreprendre l'interprétation des nouvelles lois civiles. Comme Domat, il a puisé les premiers principes de la législation dans les sources les plus pures. Comme lui, il a mérité l'estime et l'affection d'un magistrat illustre, plus éminent en dignité que celui qui fut l'ami de ce sage jurisconsulte, et dont la reconnaissance même ne pourrait faire un plus bel éloge que celui qu'il a reçu par l'estime éclairée du souverain (2).

(1) Discours pour l'inauguration de la statue de Napoléon. (2) Voy. Esprit du Code Napoléon. T. Ier, page 67.

Plus heureux néanmoins que l'auteur des lois civiles, M. Locré n'a pas été seulement encouragé par un grand prince, il a été admis dans l'intérieur de son conseil, il a été le témoin de ces discussions savantes, où la réponse aux objections amenant des objections nouvelles, la lutte paraissait souvent indécise. Mais un trait de lumière dissipait tous les nuages; il partait de ce génie supérieur devant lequel disparaissent également les difficultés des lois et les obstacles de la victoire.

Tels sont, Messieurs et chers collègues, les titres que l'Esprit du Code Napoléon me paraît présenter à un accueil distingué du Corps législatif et à une mention honorable dans le procès-verbal de ses séances.

Ces propositions sont adoptées.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'abandon des biens nationaux en remplacement de propriétés prises pour les fortifications d'Alexandrie.

Les orateurs du Gouvernement et ceux du Tribunat sont introduits.

M. le Président. La parole est à un orateur du Tribunat.

M. Labrouste, organe de la section des finances du Tribunat, expose que les biens affectés à l'indemnité ont été assignés à chacun des intéressés dans la proportion rigoureuse de ses droits et avec une exactitude telle que, sur 39 articles ou assignations qui composent l'acte de partage, quatre seulement ont excité des réclamations peu importantes qu'un nouvel examen a reconnues injustes ou a fait cesser. La section des finances du Tribunat, ajoute l'orateur, a été mise à même de vérifier et d'approfondir tous les détails de cette opération, et vous en garantit la sagesse.

Elle a reconnu que le projet de loi sur lequel vous allez voter dégage de tout odieux et de toute entrave une mesure militaire grande et importante; qu'il est un double hommage rendu à la propriété et aux principes fondamentaux de notre législation domaniale; et elle e peut que s'attendre avec confiance à vous voir confirmer son vœu d'adoption.

Aucun autre orateur n'ayant demandé la parole, la discussion est fermée.

La discussion s'ouvre sur un second projet de loi. Il est relatif à l'attribution, donnée aux agents de l'administration forestière, des délits commis dans les forêts.

M. le Président. La parole est aux orateurs du Tribunat.

M. Duveyrier. Messieurs, l'orateur du conseil d'Etat vous a exposé les motifs de sagesse et de nécessité publique qui déterminent le projet de loi soumis à votre délibération.

Nous sommes chargés par les trois sections du Tribunat de vous rendre compte de l'examen attentif qu'elles en ont fait, et de la certitude qu'elles ont arquise, non-seulement de son utilité sous le rapport de la conservation des bois et de la répression des delits, mais encore de son intime rapport avec les principes qui fondent la liberté civile, et que la loi elle-même ne pourrait enfreindre sans ébranler l'organisation sociale.

L'utilité publique est évidente dans tous les temps et dans tous les lieux, l'amélioration et la conservation des bois ont excité l'attention constante des gouvernements.

Parmi nous, et dans ces derniers temps, cette attention est devenue une inquiétude sage et raisonnée pour trois causes manifestes :

Pour les besoins de l'industrie et de la vie privée, par les progrès toujours croissants de la consommation;

Pour l'indépendance nationale, par l'influence prodigieuse qu'exercent aujourd'hui sur les destinées de l'Europe et du monde entier le nombre des vaisseaux et la force respective des marines guerrières;

Pour les nécessités de l'avenir, par l'exemple du passé et la fatale expérience des maux que dix années de désordre ont faits à cette partie précieuse des propriétés nationales.

Sous les derniers rois, lorsque les prodigalités continuelles et le besoin aveugle d'argent dominèrent toutes les règles de justice et de gouvernement, les tribunaux d'exception furent inventés pour multiplier les charges de judicature, et presque tous les emplois administratifs reçurent cet accroissement de pouvoir pour supporter une augmentation de finance.

Ainsi les agents supérieurs des eaux et forêts étaient en même temps administrateurs et juges. L'appel même de leurs jugements ne rentraient pas dans la hiérarchie ordinaire. Un tribunal suprême, unique pour tout le royaume, et uniquement occupé des affaires forestières, était moins institué pour examiner que pour confirmer les sentences des grands maîtres.

Les grands maîtres avaient reçu de l'ordonnance de 1669, si sage dans ses dispositions administratives, le droit d'accuser, de poursuivre, d'instruire, de décréter, de juger tous les délits commis dans les forêts de l'Etat.

A l'époque célèbre des grandes réformes, cet abus, la dispersion partielle du pouvoir judiciaire, fut un des premiers aperçu et réprimé par les représentants de la nation.

On posa les principes fondamentaux de la liberté civile et de la sûreté individuelle. La vénalité des charges fut abolie, les tribunaux d'exception furent supprimés, les tribunaux ordinaires, vicieux eux-mêmes par un mélange usurpé de pouvoir politique, furent réformés, et les juges d'institution gratuite et uniforme pour tout l'empire, furent investis du pouvoir de connaître et de juger toutes les contestations sans distinction de matières et sans exception de per

sonnes.

Rien n'indiquait alors la nécessité d'apercevoir et de distinguer dans ces systèmes des nuances qui, sans toucher au principe, pouvaient assurer et garantir les conséquences.

Dans la poursuite des délits, par exemple, on vit bien que l'action de constater le délit, de recueillir les preuves et d'empêcher l'évasion du coupable, tenait plus à l'autorité de police et de surveillance qu'au pouvoir de juger et d'appliquer les peines.

Mais on ne vit pas que, dans plusieurs circonstances et pour des motifs déterminés, il serait utile d'étendre ce droit de surveillance, et de le remettre surtout aux mains des agents préposés à la conservation des objets plus constamment et plus facilement attaqués par la rapine et le désordre.

On ne pouvait prévoir, à l'égard des forêts nationales, qu'une opinion populaire, accréditée par les écarts mêmes de la puissance publique, établirait comme une règle universelle, que ces pro- priétés communes, mais indivisibles, pouvaient sans crime et devaient même fournir des jouissances journalières, arbitraires et privées;

Que cette opinion, au temps où l'ordre serait rétabli, trouverait encore une protection sourde,

mais presque invisible, dans l'ignorance, la pusillanimité et même quelquefois dans l'intérêt des autorités locales;

Que les agents subordonnés de cette administration, trop souvent esclaves ou complaisants des habitudes et des licences locales, les favoriseraient aussi par une tolérance qui n'a jamais qu'un pas à faire pour arriver à la complicité;

Que lorsqu'un agent forestier serait complice d'un délit commis dans les forêts, ce dénonciateur naturel et nécessaire, étant lui-même coupable, son silence seul devait écarter l'intervention des juges ordinaires et assurer l'impunité du délit ;

Qué, dans cette matière, le flagrant délit étant presque toujours le seul moyen d'apercevoir, de désigner le coupable, et de fixer la preuve, l'impunité serait encore trop souvent garantie par cette vérité que des juges ordinaires privés de toute fonction de surveillance dans les forêts n'auraient aucune occasion d'y surprendre un flagrant délit.

L'expérience a manifesté ces abus, et le projet de loi, Messieurs, tend à les prévenir et à les réprimer avec une réserve et une prudence vraiment remarquables.

Il remet aux mains plus spécialement intéressées à la conservation des forêts nationales et des forêts de la Couronne cette action de surveillance et de police dont je parlais tout à l'heure, moyen plutôt qu'attribut du pouvoir judiciaire, le droit de saisir le coupable, de recueillir la preuve, de mettre l'un sous sa main et l'autre sous les yeux de la justice.

Si le projet de loi confiait ce pouvoir, comme il eût été régulièrement possible, à tous les agents de l'administration forestière, sans distinction de grade, de fonctions, d'expérience, de lumières, on pourrait craindre que ce pouvoir, bien qu'éloigné du pouvoir de juger et de punir, trop partagé et confié à des hommes qui n'offrent pas tous une égale garantie, ne devint le moyen d'injustices et de vexations individuelles.

Le Gouvernement a préféré risquer encore l'impunité de quelques malversations locales, au danger d'une attribution générale, dont l'abus s'étendrait avec elle, et porterait un poison caché jusque dans les racines du système social..

L'article premier du projet de loi ne donne ce pouvoir qu'au directeur général et aux administrateurs des forêts nationales, à l'administrateur général des forêts de la couronne et aux conservateurs, c'est-à-dire aux hommes dont le caractère est déjà une garantie suffisante de l'exercice du pouvoir, et qui, par leur position, ne peuvent etre appelés à l'exercer que dans les occasions rares et importantes.

Si le projet de loi donnait cette attribution dans tous les cas et contre toutes les espèces de malvesations qui peuvent se commettre dans les bois nationaux et de la couronne, on pourrait penser que cette attribution absolue serait motivée plutôt par l'extension toujours active de l'autorité ellemême que par l'utilité publique, qui ne montre pas, dans tous les cas, le même désordre ou la même difficulté de réprimer le désordre.

Mais le projet de loi (art. 1er et 2e) borne sévèrement cette attribution aux deux cas que j'ai remarqués, et dans lesquels elle est réellement indispensable, au cas où un agent forestier serait complice d'un délit commis dans les forêts, et au cas où le flagrant délit serait surpris par un chef supérieur de l'administration.

Dans le premier cas, on sent bien que, sans

cette attribution, un délit, dont un agent même serait coupable ou complice, ne parviendra jamais à la connaissance des officiers de la justice ordinaire ;

Et, dans le second cas, on observe que, si les chefs supérieurs de la conservation forestière n'avaient pas, dans leur tournée, dans leurs visites, le droit de saisir les coupables, de recueillir et de fixer les preuves d'un délit commis sous leurs yeux, ce serait évidemment les priver du premier moyen de remplir leur premier devoir.

Si le projet de loi, en donnant cette nouvelle attribution aux chefs de l'administration forestière, en dépouillait les officiers ordinaires de justice, on lui reprocherait, avec raison, de porter une atteinte sensible aux premiers attributs du pouvoir judiciaire, et de borner assez indiscrètement les résultats d'un moyen conservateur qui doit produire d'autant plus d'effet, qu'il aura plus de développement et d'exercice dans des mains également capables.

Mais l'article 7 du projet de loi conserve la même attribution aux officiers de la justice ordinaire; et la préférence entre eux pour l'instruction ne sera déterminée que par le zèle et la célérité. Celui qui, le premier, aura aperçu le délit et trouvé le coupable, sera chargé de consommer l'instruction.

Enfin, si le projet de loi, ne resserrant pas cette attribution nouvelle dans les bornes exactes de précaution que l'utilité publique exige, la portait au contraire au delà des limites véritables du pouvoir judiciaire;

Si les chefs de l'administration, avec le droit de constater le délit, de rassembler les preuves, de mettre le coupable hors d'état d'échapper, recevaient encore certaines facultés d'une influence immédiate sur le jugement et l'application de la peine, comme la faculté d'examiner la nature du délit, de régler la compétence, de chosir le tribunal...

Mais ce danger, le seul contre lequel il eût été nécessaire d'armer votre sollicitude, ce danger n'est pas à craindre.

Le sage, le héros dont la pensée donne à tout le mouvement et l'impulsion, les hommes éclairés et justes, chargés, dans les travaux législatifs, d'exprimer sa pensée, sont les premiers gardiens et les plus scrupuleux protecteurs des principes qui balancent et qui règlent l'action de l'autorité dans toutes les parties du système social.

Ici, les articles 3 et 6 du projet de loi posent des règles fixes, et placent devant l'attribution nouvelle une barrière insurmontable.

Les chefs de l'administration reçoivent littéralement, et dans les deux cas exprimés, l'autorisation de délivrer tous mandats, d'amener ou de dépôt, d'interroger les prévenus, d'entendre les témoins, de faire toutes recherches, visites ou perquisitions qui seront nécessaires, de saisir les bois de délit, les voitures, chevaux, instruments et ustensiles des délinquants, d'apposer des scellés, et généralement de faire tout ce que font les magistrats de sûrété et les directeurs du jury, mais en se conformant aux lois sur l'instruction correctionnelle et criminelle, et jusqu'au mandat d'arrêt exclusivement.

Ainsi, les chefs de l'administration n'auront pas le droit de décerner un mandat d'arrêt; ainsi, au moment où l'instruction finit, au moment où commencent les fonctions du juge et le danger pour la vie ou la liberté d'un citoyen, l'attribution nouvelle cesse, et le tout rentre dans les formes de la justice ordinaire.

Après l'instruction, et quel que soit le délit, le chef de l'administration qui aura instruit, est tenu de renvoyer les prévenus et les pièces de la procédure devant le directeur du jury, seul investi, dans ce cas, comme dans tous les autres, de la fonction sacrée d'examiner, corriger, annuler les actes déjà faits de la procédure, de peser la nature du délit, et d'assigner la fonction plus auguste encore de juger et d'appliquer la peine au tribunal qu'il juge compétent.

Rien de plus clair, rien de plus exprès que les termes qui, dans les articles 3 et 6, marquent cette restriction décisive.

Les chefs de l'administration ne pourront, en aucun cas, ni décerner un mandat d'arrêt, ni influer sur le jugement, même sur celui de la compétence; et cette disposition seule fait briller toute la sagesse du projet, écarte toutes les objections et prévient toutes les inquiétudes.

Il fallait, contre des dévastations généralement impunies, armer de l'appareil imposant de la justice des mains plus promptes et plus disposées à réprimer les dévastateurs; mais il fallait se garder aussi de remettre à des mains étrangères les armes de la justice elle-même.

Ge double but est parfaitement rempli, et c'est ainsi que chaque pas que nous faisons aujourd'hui dans la législation, à l'ombre des lauriers qui nous environnent, est un pas vers sa perfection.

Il n'y a aucun de vous, Messieurs, qui n'ait quelque expérience du mal dont nous poursuivons le remède. Plusieurs ont vu sans doute, dans les pays jadis couverts de bois. ces friches, ces bruyères attestant les déprédations et les pillages journellement encouragés par l'insouciance et la faiblesse.

D'autres auront été témoins, comme moi, de ces incendies nocturnes que, dans les contrées méridionales, l'apathie ou l'ignorance attribuent à l'ardeur du climat, et qui n'ont d'autre cause que l'avidité du pâturage et des défrichements.

L'objet de la loi proposée est donc d'une utilité manifeste et pressante; et il m'aura suffi de vous montrer, dans les rapports et l'ensemble de ses dispositions, sa concordance parfaite avec les principes, pour vous engager à consacrer le vœu de l'adoption que le Tribunat à l'honneur de vous présenter.

M. Toulongeon. Je désirerais que, conformément à l'autorisation qu'en donnent les lois organiques, la délibération sur le projet relatif aux forêts fût ajournée à deux jours, et que le Corps législatif s'occupât de cet objet dans un comité général.

De tous côtés on demande l'ordre du jour.

M. le président. Je consulte le Corps législatif pour savoir s'il désire procéder de suite au scrutin sur les deux projets de loi qui ont été soumis à la discussion.

Le Corps legislatif ferme la discussion et décide qu'il sera procédé au scrutin.

Le projet de loi relatif à l'abandon de biens nationaux en remplacement des proprietes prises pour les fortifications d'Alexandrie est adopté par 209 voix contre 8.

Le projet de loi relatif à l'attribution donnée aux agents de l'administration forestière des délits commis dans les forêts est adopté par 203

voix contre 23.

L'ordre du jour appelle la discussion d'un projet de loi relatif au mode de payement des gardes des bois des communes qui n'ont pas de revenus. M. Dacier, rapporteur de la section des finances

du Tribunat. Messieurs, l'addition aux centimes additionnels des contributions des communes qui n'ont ni revenus ni affouages pour effectuer le payement des gardes des bois, pèsera inégalement sur les grands et les petits propriétaires et les habitants pauvres. La section des finances du Tribunal, à qui cette objection n'a point échappé, a pensé cependant que cette inégalité était inhérente au système entier des contributions directes et que, d'après cette considération, ayant reconnu d'ailleurs l'utilité du projet de loi, elle devait vous en proposer l'adoption.

Aucun autre orateur n'ayant demandé la parole, la discussion est fermée.

Le projet de loi mis aux voix est adopté à la majorité de 220 boules blanches contre 10 noires.

La discussion s'ouvre sur le projet de loi relatif aux détenteurs, à titre d'emphyteose, de biens situés dans la commune d'Esserts, département de l'Yonne.

M. le Président. J'invite l'un de messieurs les orateurs du Tribunat à paraître à la tribune. M. Gillet-Lajacqueminière. Messieurs, l'abbaye de Rigny possédait très-anciennement, dans un lieu désert qui compose aujourd'hui une grande partie du territoire de la commune d'Esserts, une grange entourée de terres couvertes de broussailles et d'épines: elle concéda ces terres à des familles de cultivateurs qui les défrichèrent, y bâtirent des maisons, et qui en jouissent depuis environ six siècles.

Le 18 octobre 1771, l'abbaye en passa aux détenteurs un nouveau bail emphyteotique de quatrevingls-dix-neuf ans, à la charge de payer au temps des récoltes une portion de fruits et quelques autres menues prestations, le tout estimé pour le bail à un revenu de 500 francs.

Les lois sur les domaines nationaux ont pres crit des règles particulières pour la mise à prix et la vente de ceux tenus à bail emphyteotique, et on eût pu, d'après ces lois, faire vendre aux enchères les biens possédés par les emphytéotes de la commune d'Esserts; mais en suivant cette forme générale, les acquéreurs eussent eu la faculté d'évincer à la fin du bail des cultivateurs qui ont défriché et fertilisé le sol, bâti des maisons, et donné, pour ainsi dire, l'existence à leur

commune.

Le Gouvernement a reconnu combien cette mesure serait fâcheuse pour ces intéressants cultivateurs. Il a été procédé par des experts à l'estimation des biens compris dans l'emphytéose; cette estimation en a porté le revenu à 987 fr. 19 cent.

Le préfet de l'administration des domaines atteste que cette estimation a été bien faite; et, pour concilier avec l'intérêt du Gouvernement celui des cultivateurs d'Esserts, il ne faut qu'assurer au trésor public la rentrée du montant de l'estimation, et aux détenteurs emphytéotes, la propriété des biens de leurs emphyteoses.

La section du Tribunat, dont j'ai l'honneur d'être l'organe devant le Corps législatif, dit l'orateur en finissant, s'est convaincue, Messieurs, que toutes les formalités légales ont été exactement observées; elle a voté avec empressement l'adoption de ce projet de loi, et m'a chargé de vous inviter, en son nom, à vouloir bien, par votre assentiment, concourir à une loi qui lui a paru tout à la fois un acte de justice et de bienfaisance. Le Corps législatif ferme la discussion.

Le projet de loi est décrété à la majorité de 228 boules blanches contre 3. La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.
PRÉSIDENCE DE M. FONTANES.
Séance du 24 mars 1806.

Le procès-verbal de la séance du 22 mars est adopté.

MM. Cretet et Regnauld (de Saint-Jean-d'Angély), conseillers d'Etat, sont introduits.

M. Cretet présente un projet de loi relatif à une imposition pour la confection du canal de Saint-Quentin. En voici le texte et l'exposé des motifs :

Motifs.

Messieurs, le canal de Saint-Quentin, entrepris depuis tant d'années, négligé, ou plutôt abandonné par les anciens gouvernements, est trop connu pour qu'il soit nécessaire de vous rappeler son immense utilité et les difficultés que présente son exécution.

Les travaux de ce canal font chaque jour de grands progrès; ils sont dus à l'étendue des fonds du trésor public que Sa Majesté a accordés pour ce grand monument: 4,800,000 francs ont déjà été dépensés; 3 millions de francs sont crédités par un décret daté d'Austerlitz, le 16 frimaire dernier, et tout annonce que si trois à quatre mille hommes de troupes sont appliqués à ces travaux, la navigation sera ouverte à la fin de 1807; celle du canal, proprement dit, exigera encore une dépense de 5,500,000 francs, le crédit de 3 millions de francs viendra en déduction de cette somme.

Il est des branches de navigation qui doivent être considérées comme des dépendances du canal de Saint-Quentin, et comme devant en compléter le système.

1o Le canal de la Censée doit joindre la Scarpe à l'Escaut et fournir au département du Nord et aux ports de Dunkerque, Nieuport et Ostende, une communication avec Paris, plus sûre et plus courte de sept myriamètres et demi (15 lieues). Ce canal est commencé; sa dépense fut évaluée en l'an IX à 700,000 francs. Le projet doit être changé en partie; on l'évalue aujourd'hui à 1,500,000 francs. La navigation de l'Escaut entre Courtray et Tournay exige des rectifications importantes pour que les bateaux destinés pour le canal de SaintQuentin puissent y arriver à pleine charge, ce qui Occasionnera une dépense qu'on peut porter par approximation à 1,500,000 francs.

La rectification de l'Oise demandera un million La navigation de la Haisne, qui transporte du département de Jemmapes les charbons qui de-. vront pratiquer le canal de Saint-Quentin, et qui répandront ce combustible dans plusieurs départements, va être convertie en un canal latéral. Une taxe a été établie sur les bateaux de charbons qui passent à Cordé elle ne doit durer que dix ans; les produits seront insuffisants et d'une rentrée très-lente; il est essentiel de destiner à ce canal un millions de francs de plus.

La totalité de la dépense restant à faire est ainsi de 10,500,000 francs.

On pourrait aussi considérer le canal latéral de la Somme, commencé depuis longtemps, et la navigation de la Somme elle-même comme appartenant au système du canal de Saint-Quentin, dont il est un embranchement.

Cette navigation, quoique aboutissant à la mer par Saint-Valery, sera d'une utilité moins générale; elle est spéciale pour Amiens et le département de la Somme. Il est évident que le canal de Saint-Quentin peut remplir son utilité principale, indépendamment du canal de la Somme : ce dernier sera néanmoins très-important à raison

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