Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

« Article premier. La lettre de Sa Majesté l'Empereur et Roi, datée d'Elchingen, le 26 vendémiaire an XIV, et par laquelle Sa Majesté fait don au Sénat de quarante drapeaux conquis par son armée, sera gravée sur des tables de marbre qui seront placées dans la salle des séances du Sénat. «Art. 2. A la suite de cette lettre sera pareillement gravé ce qui suit :

Sénateurs, vous êtes profondément émus de ces paroles touchantes, écrites par le vainqueur, sur le champ de bataille, en vous envoyant les drapeaux de l'ennemi : C'EST UN HOMMAGE, vous ditil, QUE MOI ET MON ARMÉE FAISONS AUX SAGES DE L'EMPIRE; C'EST UN PRÉSENT QUE DES ENFANTS FONT A LEURS PÈRES. Jamais la puissance militaire, qui fonde et protége les Etats, a-t-elle honoré davantage la puissance législative qui les affermit? Aviez-vous l'idée d'un conquérant, assez supérieur à la gloire des armes, surtout assez ami de l'humanité, pour s'arrêter au milieu de ses triomphes, et commander à la victoire de rendre hommage à l'autorité pacifique des lois? Mais qui de vous ne connaît le génie du héros qui, pour imprimer à son siècle un caractère particulier, ne se borne point aux conquêtes, ni aux prodiges des beaux-arts? Il veut que son règne soit celui des grandes pensées, des pensées libérales, utiles aux progrès de la raison, et au bonheur des peuples.

:

«Les arcs de triomphes, les statues, les chefsd'œuvre que l'art exécute sur le marbre et sur l'airain ne sont point, disait Pline à Trajan, les monuments les plus durables de la gloire des bons princes le seul hommage que l'adulation même ne peut rendre qu'aux grands hommes, c'est de perpétuer le souvenir de leurs paroles, et de les faire entendre, pour ainsi dire, à la dernière postérité. La parole d'un grand homme est presque toujours le cachet de son âme, l'empreinte de son caractère, la loi de son siècle, et là leçon de l'avenir.

« Quelques générations se sont à peine écoulées, et l'herbe a couvert cette colonne élevée, dans les plaines d'Ivry, à la mémoire d'un monarque vainqueur des discordes civiles et des ligues étrangères; sa statue ne frappe plus nos regards au sein de nos cités; tandis que le vœu qu'il forma pour la félicité du laboureur restera éternellement gravé dans le cœur du peuple français.

« Aimer le peuple est sans doute un sentiment commun à tous les rois mais ne jamais perdre de vue ce qui assure son repos et son bonheur; sous la tente, sur le champ de bataille, au milieu des prestiges et des séductions de la victoire, apprendre à la force ce qu'elle doit à la sagesse; rappeler aux guerriers français, vainqueurs des nations, qu'ils sont les enfants du Sénat; prévoir et prévenir l'époque lointaine où des armées triomphantes pourraient croire qu'elles tiennent tout de la fortune; concilier et garantir la majesté du trône, les droits du souverain, l'autorité des magistrats, la gloire des armes, l'ordre, la liberté, la sécurité publique voilà celui à qui l'empire du monde ne fera jamais perdre l'empire de luimême voilà Napoléon le Grand, tel qu'il s'est montré dans sa lettre mémorable au Sénat français.

« Je demande que cette lettre, gage de tant de sentiments et de souvenirs, monument à la fois mémorable pour le Sénat et glorieux pour l'armée, soit gravée sur des tables de marbre qui seront exposées dans la salle de nos séances. »

Son Altesse Impériale met aux voix la proposition, qui est convertie en décret ainsi qu'il suit:

« Le Sénat, délibérant sur la proposition d'un de ses membres, relative aux moyens de témoigner à Sa Majesté l'Empereur et Roi la reconnaissance du Sénat, pour le gage précieux qu'il reçoit de la bienveillance de Sa Majesté dans les drapeaux dont elle lui a fait don,

Décrète ce qui suit :

« Les quarante drapeaux, et quatorze autres ajoutés aux premiers par Sa Majesté, ont été apportés au Sénat par le Tribunat en corps, et déposés dans cette salle le mercredi 1er janvier 1806. » Son Altesse Impériale donne ensuite la parole au sénateur François (de Neufchâteau), qui s'exprime en ces termes :

M. François (de Neufchâteau), sénateur. « Les voilà, Sénateurs, ces trophées d'une gloire pure, ces trophées de la guerre, que l'humanité même considère avec joie, puisqu'ils honorent le génie, sans être teints de sang! Les voilà, ces trophées, ces drapeaux déposés par une armée autrichienne, défilant prisonnière devant l'Empereur des Français, vingt-quatre jours après son départ de Saint-Cloud! Les voilà, mes collègues, ces superbes trophées, ces drapeaux dont la place, dans l'enceinte de vos séances, a été désignée, à l'instant même du triomphe, par un message du vainqueur, sublime comme sa victoire! Quelle inspiration du ciel qui le conduit, lui a dit qu'il relèverait son glaive triomphant, lorsqu'il l'aurait baissé devant les magistrats? Quel Français pourra jamais lire sans attendrissement cette lettre au Sénat, écrite d'Elchingen, et présentant, comme un hommage de l'Empereur et de l'armée aux sages de l'Empire, les quarante drapeaux conquis dans les combats déjà rendus à cette époque, depuis celui de Wertingen! Sénateurs, ce message doit être regardé comme le plus beau monument qu'un chef de nation ait jamais érigé lui-même pour son Sénat et son armée.

« Je ne puis séparer la présence effective de ces admirables trophées, de la profonde émotion causée dans le Sénat par la lecture de la lettre qui nous annonçait leur envoi. Ce spectacle et ce souvenir pénètrent à la fois mon coeur de tant d'impressions, qu'en brûlant de les exprimer, je dé

prendre la parole, quoique bien convaincu qu'en cette occasion la parole ne peut suffire à ma pensée. « Pardonnez, o mes chers collègues! ces drapeaux! les guerriers qui les portent dans cette enceinte les héros qui les ont conquis! les orateurs qui les présentent! ce grand homme qui les envoie! cet appareil, auquel on dirait que la France assiste tout entière; ce trône qui la sauve, et d'où je crois entendre les promesses toutes récentes de la victoire et de la paix! ce que je vois, ce qui m'écoute, ce que je viens d'entendre, tout me fait craindre de rester au-dessous de l'attente que tant de grandes circonstances doivent vous inspirer, devant cette élite imposante des pre⚫ mières autorités; pardonnez, Sénateurs, je sens que je me trouble, et j'ai besoin plus que jamais de l'indulgence du Sénat, pour continuer mon discours.

Mais ce qui doit me rassurer, c'est qu'il ne s'agit point ici de la palme de l'éloquence. Pour offrir à Napoléon les témoignages d'une gloire que le temps ne saurait flétrir, il ne faut que la vérité; c'est quand on veut flatter qu'on aspire à bien dire. Mais lorsque notre nation a reçu de son prince le plus grand de ses bienfaits; lorsque la grande armée, digne du chef qui la conduit, a

par tant de prodiges illustré notre nom et vengé Lotre cause; lorsque la gloire de la France foule aux pieds la rage anglicane, n'y a-t-il que des orateurs qui puissent élever la voix? Able premier devoir n'est-il pas d'acquitter la dette de la reconnaissance?

« Il vaut mieux, mes collègues, n'être pas si disert, et ne pas être ingrat. J'oserai donc parler; j'oserai me livrer sans crainte au mouvement qu'imprime à l'âme d'un Français la contemplation de ces magnifiques trophées. Cet oracle infaillible me révèle à la fois ce qu'on a fait pour les Français, ce que les Français ont à faire."

« Ce qu'on a fait pour nous !... Le nœud gordien, qu'on avait tissu avec tant d'art, vous savez comme il est tranché : ces drapeaux nous le disent. Vous savez si jamais, en aussi peu de temps et avec moins de sacrifices, on a fait de si grandes choses. L'enthousiasme de l'Europe et l'admiration de la postérité ne pourront se lasser de suivre, dans son vol, ce génie étonnant et cette tactique nouvelle qui a resserré, dans l'espace d'un peu moins de deux mois, une succession de victoires et de conquêtes sans exemple, jusqu'à présent, dans les annales militaires. La campagne de l'Empereur semble n'avoir été qu'un voyage rapide; mais chaque journée de sa course est une page de l'histoire. Chaque marche prépare aux Xénophons et aux Polybes, les matériaux d'un volume. Pour nous, qui jouissons du fruit de ces exploits sublimes, c'est trop peu de les admirer. Le héros nous élève, mais l'homme nous transporte. Nous aimons un grand caractère; mais nous voulons que sa grandeur sache se borner elle-même.

« Ah! c'est sous ces rapports sacrés, que nous devons surtout apprécier la gloire de cette campagne brillante. Vous savez qu'avant de l'ouvrir, l'Empereur vint dans cette enceinte, le premier de vendémiaire, sanctifier ses armes par l'exposé de ses motifs, s'absoudre de la guerre par sa nécessité, et déposer dans votre sein les engagements qu'il prenait pour lui et pour sa grande armée. Qu'il a bien tenu sa parole! Il promit ici à la France que l'Empereur et ses soldats rempliraient leur devoir. En revanche, monarque auguste, tu demandais que les Français fissent aussi le leur. Ah! je les en atteste, sans crainte d'être démenti; il n'en est pas un seul qui ne soit fier de t'obéir. Tu n'as pas de conquête à faire, ni hors de nos limites, ni dans le sein de ton Empire. Tous les cœurs sont à toi. Notre jeunesse impatiente se range d'elle-même sous tes glorieuses enseignes, et les pères s'empressent de te confier leurs enfants. Je parle ici devant des pères dont les fils sont également dans les armées ou sur les flottes, et j'ai plus d'une fois versé de douces larmes en lisant les lettres écrites par ces jeunes Français de ton quartier impérial; lettres naïves, mais brûlantes de la passion de la gloire. Comme l'astre du jour fait tout vivre de sa chaleur et tout briller de sa lumière, ainsi autour de toi ton mouvement s'imprime et tes rayons se communiquent. Vieux soldats et nouveaux conscrits, tous respirent la même ardeur. O généreuse nation! magnanimes Français ! vous méritez votre Empereur. Mais aussi quand on lit ses proclamations sublimes, et surtout ce dernier décret si touchant, par lequel il adopte tous les enfants des braves qui ont péri à Austerlitz Ah! quel Français pourrait s'empêcher de verser des larmes de reconnaissance et d'amour! Qui ne s'écrierait pas : O grand homme, tu es bien digne du diadême du grand peuple!

« Nous nous félicitons, en outre, de ce que notre joie est celle de vingt autres peuples. Nous avons à Napoléon cette obligation de plus, c'est que nous avons cessé d'ètre isolés dans l'Europe. Ses victoires ont raffermi les antiques maisons de Bade, de Wurtemberg et de Bavière. Les fidèles Bataves et les généreux Castillans dévorent comme nous les étonnants récits de ses incroyables succès. Munich, Amsterdam et Madrid partagent notre enthousiasme; et dans mille autres villes, moins prononcées en apparence, l'opinion publique n'est pas moins favorable au héros de la France, qui est le héros de son siècle. Oui, c'est l'Europe tout entière dont la main pose sur la tête de notre grand Napoléon le laurier triomphal, et qui aime à voir dans la sienne le rameau d'olivier, présage du repos du monde.

« Soit donc que l'Angleterre éprouve un juste et prompt remords des crimes commis en son nom, soit que son cabinet, persévérant dans son système, attende que, pour le punir, les vainqueurs du Danube reprennent leur essor et revolent vers la Tamise; nous qui n'avons au ciel que des grâces à rendre, nous nous occupons de marquer notre reconnaissance pour notre grande armée et le héros qui la dirige; et nous venons d'examiner ce que nous pouvons faire pour ceux qui ont tant fait pour nous.

«En de pareilles circonstances, s'il en fut jamais d'approchantes, on érigea des monuments, on donna des titres d'honneur, on organisa des marches triomphales sur ces différentes idées l'opinion fermente. La reconnaissance publique, incertaine de ses hommages et brûlant de les voir fixés, attendait chaque jour qu'un décret du Sénat vint les diriger dans un sens conforme à la majesté du grand peuple, comme à celle de l'Empereur. C'était donc au Sénat de prendre cette initiative; car il est évident qu'elle ne pouvait être exercée par le Gouvernement dans une conjoncture où il s'agit de décerner au chef de ce gouvernement des honneurs que sa modestie est loin de provoquer; puisqu'en opérant des prodiges inouïs jusqu'à lui, Napoléon croit seulement avoir accompli cette ligne du discours qu'il vous adressa le premier de vendémiaire : Français, je ferai mon devoir.

que

« D'après le vœu du peuple, le Sénat a voté d'abord l'érection d'un monument qui conserve le souvenir de ce devoir si bien rempli. Je dis d'un monument, sans vouloir en préciser la désignation. Que ce soit un arc de triomphe, ou un pont, ou un obélisque, ou plutôt un morceau de grande architecture qui rappelle à la fois la colonne Trajane et la colonne de Pompée; quoi que ce soit que l'on préfère, il est à désirer le monument soit simple et grand, solide et durable, et d'un style qui fasse honneur au siècle de Napoléon, comme les deux colonnes dont je viens de parler honorent en effet, et le siècle d'Auguste, et le siècle des Antonins. Mais laissons aux artistes le soin de tracer à loisir le plan et les détails de l'exécution ce n'est pas l'œuvre d'un moment; car il faut travailler ici pour la postérité. La génération présente doit, dans ce monument, s'expliquer aux races futures d'une manière digne d'elle, et l'on sait que jamais le passé n'aura fait un plus beau legs à l'avenir.

« A l'idée de ce monument, vous pourrez quelque jour, quand le temps en sera venu, vous pourrez, sénateurs, ajouter dans votre palais, à ces trois galeries déjà resplendissantes des touches de Rubens, et de l'esprit de Lesueur, et de la magie de Vernet, vous pourrez ajouter une

nouvelle galerie spécialement consacrée aux basreliefs et aux tableaux qui représenteront la vie et les exploits du héros de la France et de ceux que lui-même a si bien appelés ses fidèles compagnons d'armes. Quels sujets à traiter! quelle collection vraiment nationale! qu'on aimerait un jour à étudier notre histoire sur les murs de votre palais! qu'on aimerait à y trouver ces images sí glorieuses! ici, l'armée autrichienne posant ses drapeaux et ses armes aux pieds du héros des Français; plus loin, nos défenseurs retrouvant un de leurs drapeaux dans l'arsenal d'Inspruck; ici, les entretiens nocturnes du héros et des grenadiers dans le bivouac de Porlitz; là, cette grange qui servit de palais à Napoléon, pour y recevoir François II; plus loin, cette cité de Vienne étonnée de voir dans le sein du palais de MarieThérèse la cité de Paris saluant par ses maires l'Empereur des Français; et enfin ce décret sublime qui a couronné la victoire, ce grand acte d'adoption des enfants des guerriers qui ont péri à Austerlitz et qui sont devenus les enfants de Napoléon. Sénateurs, il vous suffira d'avoir émis cette pensée pour que le génie des beaux-arts la saisisse et parvienne à la rendre sensible dans cette langue du dessin qui parle à tous les yeux et qui est une sorte de langue universelle.

«Le vœu du peuple était aussi qu'un décret du Sénat donnât à l'Empereur un titre propre à exprimer notre juste admiration pour l'auteur de tant de bienfaits et de tant de merveilles. Les nations modernes ont pris des anciens cet usage, de joindre au nom des souverains d'autres dénominations qui n'ont pas été toutes également heureuses; car la postérité n'a pas ratifié toutes les épithètes que la flatterie inventa pour allonger les titres des empereurs romains. Mais nous n'avons ici ni parallèle à faire, ni flatterie à craindre. C'est en vain, selon moi, qu'on cherche dans l'antiquité des noms à comparer à celui de notre Empereur; car je ne vois dans le passé ni modèle qu'il ait précisément suivi, ni rien qui ressembleà sa gloire. L'invincible phalange des Macédoniens ne dissipa que des barbares, et ne servit d'ailleurs qu'à détruire des peuples. La légion romaine dont Végéce attribue l'invention aux dieux, rencontra quelquefois des ennemis plus dignes d'elle; mais aucune expédition des généraux romains ne présente le caractère légitime et profond, rapide et décisif de la campagne qu'a finie la journée des trois empereurs. De très-grands capitaines furent en même temps de grands hommes d'Etat; c'est ce double attribut qui fait revivre la mémoire de Cyrus et de Péricles, de Scipion et de Trajan, de Charlemagne et d'Henri IV. A côté de ces noms fameux la gloire a placé dans son temple l'image de Napoléon, avec des traits qui la distinguent et lui donnent, en quelque sorte, sa physionomie à part. Quand le Sénat, par son décret, a préjugé que l'on doit joindre, dans les actes publics, au beau nom de Napoléon, l'épithète de grand, ce décret n'a été que l'expression la plus simple du sentiment le plus vulgaire. On ne craint pas de se tromper, quand on se borne à dire ce que tout le monde a pensé; au jugement du monde entier, la grandeur véritable est celle qui est la plus utile aux hommes, qui mesure son importance par l'importance des services, et ne doit rien qu'à elle-même. Voilà le sceau particulier dont le ciel a marqué la carrière extraordinaire du héros des Français; caractère si visible, que tous les yeux l'ont aperçu. Vous ne pouviez avoir que l'honneur de le déclarer.

Enfin l'on parle d'un triomphe. Sénateurs, le

triomphe était chez les Romains le comble des honneurs militaires, et le moyen le plus puissant d'inspirer l'amour de la gloire; mais il faut avouer aussi que cette pompe était barbare et inhumaine, et qu'on a eu raison de l'abolir chez les modernes. D'ailleurs les motifs pour lesquels le sénat romain décernait les honneurs du trìomphe se rapportaient au but que ce terrible peuple avait toujours en vue, la conquête entière du monde. Pour monter à leur capitole, ce n'était pas assez d'avoir vaincu des ennemis pour la défense de l'empire, il fallait en avoir étendu les limites. Nous sommes satisfaits des nôtres; nous voulons de nouveaux amis, et non pas de nouveaux sujets. La générosité de l'Empereur victorieux se gardera bien d'insulter au malheur des vaincus. Mais sans aller chercher dans Rome les souvenirs d'un appareil étranger à nos mœurs, nous trouvons, sénateurs, dans notre propre histoire, des traces suffisantes d'une auguste cérémonie par laquelle il sera possible au Sénat et au peuple de témoigner leur allégresse et leur reconnaissance au retour de notre héros. Je veux parler de ces entrées éclatantes et solennelles de nos anciens souverains dans le sein de leur capitale. Le Sénat et le peuple iront au-devant du héros, ils sèmeront des fleurs et des lauriers, ils lui exprimeront leur joie et leur enthousiasme, et il est impossible que leur empressement ne donne à cette fète un caractère plus touchant que l'orgueil et le faste commandés autrefois pour les triomphateurs romains.

« Il est à désirer de plus que cette pompe ne soit pas concentrée dans la seule enceinte de Paris ou de ses barrières. Le retour de Napoléon est le triomphe de la France: ce jour doit être un jour de fête générale dans tout l'Empire: nous devons donc prier notre auguste monarque de se prêter au vou public, et de laisser connaître l'instant de son retour, de manière qu'à cette époque il n'y ait pas une commune, quelque petite qu'elle soit, qui ne puisse s'unir d'intention à l'allégresse des trop heureux Parisiens. L'expression simultanée des transports et des vœux de tous les citoyens français sera, n'en doutons pas, pour le cœur de leur Empereur, le plus sensible des hommages et le plus flatteur des triomphes. Une pareille fête peut être inaugurée partout, d'une manière populaire, en y associant le zèle des ministres des cultes, et les cérémonies touchantes de la religion. Puisse le ciel, en ce grand jour, sourire à la joie de la terre! puissent les voûtes éternelles s'entrouvrir avec complaisance pour recevoir au même instant les prières et les cantiques de trente millions d'hommes, auxquels Napoléon a rendu le premier attribut de l'humanité, la liberté des consciences!

«En finissant, mes chers collègues, permettez que j'exprime un dernier sentiment relatif à cette séance. Si l'objet en est mémorable, son époque précise n'est pas moins digne de remarque. Sénateurs, ce jour même est celui où votre sénatus-consulte du 22 fructidor an XIII fait recommencer pour la France le calendrier des Romains puisque vous reprenez leur mode de mesurer le temps, imitez aussi un usage qui signalait chez eux le commencement de l'année. Dans le sein du sénat romain, c'était le consul de l'année qui, aux calendes de janvier, ouvrait l'année nouvelle par des vœux solennels pour l'éternité de l'Empire, pour la santé de l'Empereur, et pour celle des citoyens. Les acclamations de tous les sénateurs terminaient la cérémonie, et la formule inême en était consignée dans les

registres du Sénat. Il y a, ce me semble, dans cet usage antique, un esprit analogue au nôtre, et qui nous détermine à nous approprier une telle solennité. Et nous aussi, Français, dans ce premier jour de l'année, nous príons l'arbitre suprême des destinées humaines de veiller sur les jours du héros qu'il nous a donné dans sa faveur; nous le prions de faire entrer Napoléon le Grand sous un auspice heureux, dans ce siècle nouveau qui doit porter son nom. Puisse une guerre glorieuse amener une paix générale et solide, qui remplisse le seul désir, la seule ambition' du cœur de l'Empereur, en lui assurant le loisir d'appliquer désormais aux soins de son gouvernement toutes les forces d'un génie immense comme son empire! Sénateurs, ce vœu comprend tout faire des voeux pour l'Empereur, c'est en faire pour le salut et le bonheur de tout son peuple. Oui, demander à Dieu qu'il conserve Napoléon, c'est demander qu'il affermisse toutes nos institutions, et qu'il daigne perpétuer la gloire de la France. Joignez vos voix, mes chers collègues, aux acclamations qui partent de mon cœur, et qu'un cri unanime élève vers le ciel ce vœu national Vive Napoléon le Grand! vive l'Empereur des Français, sauveur de son pays, libérateur de l'Allemagne, et vengeur de l'Europe!

« Pour couronner cette séance, sénateurs, je propose au Sénat d'arrêter que le procès-verbal de cette séance sera adressé par un message à Sa Majesté Impériale et Royale, au Corps législatif, lors de sa rentrée, et au Tribunat; et qu'il sera en outre imprimé et distribué par ordre du Sénat. »

La proposition de l'orateur est mise aux voix par Son Altesse Impériale le prince grand électeur, et adoptée par le Sénat.

La séance est levée au milieu des acclamations unanimes et des cris redoublés de vive l'Empereur! vive NAPOLÉON le Grand

Le Tribunat se retire; il est reconduit avec les mêmes honneurs qui lui ont été rendus à son arrivée.

La musique, répétant le vœu de l'Assemblée, le vœu de tous les Français, exécute le vivat in

æternum.

TRIBUNAT.

PRÉSIDENCE DE M. FABRE (de l'Aude). Séance du vendredi 10 janvier 1806. Les procès-verbaux des séances des 9 nivôse an XIV et 1er janvier 1806 sont lus et adoptés.

Il est donné lecture de plusieurs messages du Sénat conservateur.

Ces messages, relatifs à la présentation des drapeaux donnés par l'Empereur et à des élections au Corps législatif, seront insérés au procèsverbal.

M. Duvidal, secrétaire et membre de la députation chargée de porter les drapeaux à la ville de Paris, fait le rapport suivant :

M. Duvidal, Messieurs, la députation, chargée de remettre à la commune de Paris les huit drapeaux dont Sa Majesté Impériale et Royale lui a fait don, a l'honneur de vous rendre compte de sa mission.

Au jour fixé par vous, elle s'est rendue à l'hôtel de ville, avec le cortége et le cérémonial qui avaient été réglés par le programme.

Le dépôt sacré a été reçu par le préfet du département et par le corps municipal, aux acclamations d'une assemblée très-nombreuse.

Notre président a félicité le corps municipal

sur cette nouvelle et précieuse marque de l'affection de notre auguste souverain pour sa bonne ville de Paris.

La réponse du préfet, et les discours de MM. les maires et du président du conseil général, ont fait connaître les sentiments de gratitude, d'amour et de vénération dont ils sont pénétrés.

La joie a été universelle, quand les citoyens ont vu réunis, et les étendards de Wertingen, aussi précieux par le nom du prince qui les a conquis que par les heureux augures qu'ils ont donnés à cette campagne, et les drapeaux d'Austerlitz, dont la conquête en a marqué le terme (après un temps si court) par de si mémorables résultats.

Combien nous avons joui de l'enthousiasme des jeunes conscrits! La vue de ces drapeaux leur a inspiré les plus vives émotions, et excité dans leur âme des sentiments qui promettent à la France plus d'un héros.

Ces monuments de gloire appelaient le nom de Napoléon le Grand sur toutes les lèvres, et rendaient présente à tous les cœurs l'image auguste d'un monarque qui nous a rendus si fiers d'être Français.

Votre députation s'est retirée après avoir demandé et reçu un acte de la remise des drapeaux. Elle n'a qu'à se féliciter de l'accueil extrêmement affectueux qu'elle a reçu du préfet et du corps municipal.

Suit le procès-verbal de la remise des drapeaux à l'hôtel de ville de Paris.

Du dimanche 5 janvier 1806.

En exécution de l'arrêté du Tribunat, en date du 9 nivôse dernier, MM. les tribuns Fabre (de l'Aude), Tarrible, Duvidal, Faure, Arnould, Fréville, Carrion-Nisas, Pinteville-Cernon, Jaubert, Albisson, Challan et Favard, membres de la députation du Tribunat, qui a été envoyée vers sa Majesté l'Empereur et Roi, se sont réunis dans une des salles du Tribunat.

Cette députation, chargée de remettre à la commune de Paris les huit drapeaux pris au combat de Wertingen, dont Sa Majesté l'Empereur et Roi fait présent à sa bonne ville, s'est mise en marche à midi et demi, précédée des drapeaux portés par des officiers de toutes armes, accompagnée de plusieurs officiers généraux au son d'une musique guerrière et aux acclamations répétées de vive l'Empereur et Roi! vive la grande armée! De nombreux pelotons d'infanterie et de cavalerie ouvrent et ferment le cortége.

[ocr errors]

L'arrivée du Tribunat ayant été annoncée, le conseiller d'Etat préfet de la Seine, accompagné du secrétaire général et de MM. les maires et adjoints, ainsi que des membres du conseil général faisant fonctions de conseil municipal, est descendu jusqu'au bas du grand escalier de l'hôtel de ville pour recevoir la députation. Les drapeaux, précédés d'une musique militaire, sont entrés dans la grande salle aux cris mille fois répétés de vive l'Empereur! vive la grande armée!

Tout le monde ayant pris place, M. le président du Tribunat, assis, a prononcé le discours suivant :

M. Fabre (de l'Aude). « Monsieur le préfet et Messieurs, nous apportons à la commune de Paris huit drapeaux que Sa Majesté l'Empereur et Roi lui a annoncés par sa lettre du 18 vendémiaire dernier, datée du quartier général à Augsbourg. « Ce sont les mêmes qui ont été pris sur les ennemis de la France, au combat de Wertingen, où le prince gouverneur de Paris s'est couvert de tant de gloire; où, à la tête d'une poignée de bra

ves, il défit douze bataillons de grenadiers, l'élit de l'armée autrichienne, et enleva toute leur artillerie.

« Au don de ces drapeaux, l'Empereur a daigné joindre celui de deux pièces de canon pour rester à l'hôtel de ville.

<< Nous désirons, porte la lettre de Sa Majesté, « que notre bonne ville de Paris voie dans ce res<< souvenir et dans ce cadeau l'amour que nous << lui portons.

« Ils lui seront d'autant plus chers, que c'est son « gouverneur qui commandait nos troupes à Wer<< tingen. »

<«< Ainsi, Messieurs, les premiers présents de l'Empereur vous ont été destinés; il a voulu que la capitale de son Empire fût bien convaincue qu'elle avait toujours été présente à sa pensée, et qu'elle était l'objet de sa constante affection.

«En retraçant les expressions touchantes de Sa Majesté, et la manière délicate avec laquelle elle fait rejaillir sur la ville de Paris une partie de la gloire acquise par son gouverneur, ne devrais-je pas rappeler tout ce que cette intéressante et fidèle commune a montré de dévouement, d'amour et de reconnaissance?

«Ne devrais-je pas encore rendre un hommage public à l'administrateur qui la dirige, à ce magistrat aussi distingué par son excellent esprit que par ses lumières?

«Mais je craindrais, d'un côté, d'affaiblir des sentiments que M. le préfet et MM. les maires ont déjà si bien exprimés à Sa Majesté; et de l'autre, d'alarmer la modestie d'un fonctionnaire, dont chacun sait que la conduite est au-dessus de tous les éloges.

« C'est à cette réciprocité de confiance, d'amour et de dévouement entre le monarque et les sujets, qu'est due l'harmonie qui règne dans tous leurs rapports. C'est par elle que l'autorité prend un caractère entièrement paternel, et que l'obéissance devient plus facile et plus prompte.

« Et combien les liens qui unissent le GRAND NAPOLÉON à ses fidèles sujets doivent leur paraître

sacrés !

«Que n'a-t-il pas fait pour leur gloire et pour leur bonheur?

« A peine eut-il pris les rênes du gouvernement, que la France changea subitement de face; à une épouvantable anarchie, succéda le règne paisible des lois; à de honteux revers, les victoires les plus éclatantes; à l'irréligion, le culte antique de nos pères.

« De quelle illustration ne vient-il pas encore de couvrir le nom français, et quel service n'a-t-il pas rendu, je ne dis point à la France, mais à l'Europe entière, en détruisant ou repoussant dans leurs sauvages contrées les barbares du Nord?

« La ville de Paris a senti le prix de tant de bienfaits; elle a fait éclater la première son enthousiasme et sa reconnaissance pour le vainqueur; qu'elle soit aussi la première à recueillir les fruits de la victoire, et que ces trophées appendus aux voûtes de cette enceinte, en attestant l'amour de l'Empereur pour sa bonne ville de Paris, deviennent les garants de la fidélité qu'elle lui a jurée.

M. le conseiller d'État, préfet de la Seine (M. Frochot), debout, lui a répondu dans ces ter

mes :

«M. le Président, Messieurs,

« A l'aspect des trophées que vous apportez à la commune de Paris, de la part de Sa Majesté l'Empereur et Roi, nous éprouvons, comme Fran

cais, toutes les jouissances que le sentiment et l'honneur national peut procurer, et, comme Parisiens, toutes les émotions que peut produire la reconnaissance la plus vive et la plus respectueuse.

«Lorsque, dans son inépuisable bonté pour la ville de Paris, Sa Majesté lùi destina ces trophées, nous osâmes les nommer prémices des victoires qui attendaient la grande armée, prémices d'autant plus glorieuses pour la cité, que leur conquête ajoutait un nouveau lustre à la renommée du prince gouverneur de cette capitale, de ce prince qui, à tant d'autres titres, nous est déjà si cher.

« Aujourd'hui, Messieurs, lorsque ces mêmes trophées nous sont remis par vos mains, je veux dire par les députés de l'un des premiers corps de l'Etat, de ce corps organe légitime de la volonté publique, et qu'à mon tour je voudrais que la distance qui nous sépare me permit de louer, soit dans la personne de son honorable chef, soit dans celle de chacun de ses membres; aujourd'hui, dis-je, que toutes les espérances annoncées par cet auguste présent ont été si glorieusement surpassées, l'histoire elle-même, pour qui ces trophées sont déjà vieux, nous les montre non pas seulement comme ayant été pour la France un gage de victoires, mais l'heureux présage des succès d'une campagne dont il n'était pas donné à l'imagination humaine de prévoir les miracles, d'une campagne unique dans les annales du monde, comme le génie qui en conçut le plan et en dirigea les opérations, d'une campagne enfin dont tous les prodiges sont rendus bien plus sensibles encore par le spectacle que ce lieu lui-même nous présente, qu'ils ne le seraient par aucun discours.

«En effet, Messieurs, l'Europe entière le sait, trois mois se sont à peine écoulés depuis la conquête de ces drapeaux, fruits de la première victoire de la grande armée, à la journée fameuse de Wertingen; à peine on a pu préparer leur inauguration dans cette enceinte; et lorsqu'ils y arrivent, ils la trouvent dépositaire de ces autres drapeaux innombrables, fruits de la dernière victoire de cette même armée, et signes trop certains de la destruction totale de leurs alliés à la journée d'Austerlitz; c'est-à-dire que, par un rapport de circonstances qu'on dirait s'efforcer de concourir entre elles pour rendre également merveilleux tous les événements dont nous sommes les témoins, ce même lieu réunit à la fois dans cet heureux jour et le commencement et la fin de la campagne la plus glorieuse, dont les hommes aient à garder le souvenir, et la première et la dernière victoire qui l'ont illustrée, et les trophées qui l'ont ouverte et ceux qui l'ont fermée.

«Oh! combien ces trophées doivent s'étonner du lieu qui les rassemble! Les voilà donc enfin ces dépouilles de l'ennemi vaincu, ces drapeaux qui devaient n'entrer dans Paris que pour y porter la désolation et la honte, et pour annoncer à la capitale de l'Empire français les vengeances de l'Angleterre ! Les voilà, ils y sont arrivés en effet dans cette capitale ! Mais, o vains projets d'une coalition insensée! ils y sont arrivés, non pour annoncer les triomphes de François ou d'Alexandre, mais pour attester de nouveau et la gloire de NAPOLEON LE GRAND toujours victorieux, et la valeur de son armée toujours invincible; non pour jeter la désolation et la honte dans la cité, mais ceux-là pour y être consacrés solennellement en actions de grâces au Dieu des armées, ceux-ci pour devenir en ce lieu même un monument éter

« PreviousContinue »