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efforts que tentent plus tard les partis pour faire du droit de visite un moyen d'opposition, toute opinion même exaltée, pourvu qu'elle soit sincère, pourra toujours être formulée par cet amendement.

Le paragraphe suivant félicitait la couronne sur les travaux de la paix et sur la paix elle-même. Deux amendements furent proposés : l'un, par M. H. de Saint-Albin; l'autre, par M. G. de Beaumont; le premier était ainsi conçu: « Les fruits de la paix seront assurés par une politique nationale au dehors, libérale et modérée au dedans; le second s'appliquait uniquement à la politique extérieure et particulièrement aux récents rapports du Cabinet des Tuileries avec celui de Madrid. M. de Beaumont demandait que l'on fit dire à la Chambre, ces paroles : « Elle espère que les différents malheureusement survenus entre les gouvernements de la France et de l'Espagne, ne troubleront point gravement l'union des deux pays, et que, se rappelant les intérêts qui les rapprochent, le principe commun de leurs institutions, ils mettront une fin prochaine à des dissentiments sans cause profonde et nationale. »

Comme ces deux amendements se détachaient, du paragraphe, la Chambre vota d'abord ce paragraphe, avant de passser à la discussion des amendements.

M. de Beaumont fut ensuite admis à développer le sien; il déclara qu'il lui était impossible de comprendre la conduite du ministère vis-à-vis de l'Espagne. En nommant un ambassadeur en Espagne, le ministère a-t-il voulu honorer extraordinairement le gouvernement espagnol et lui donner un témoignage éclatant de sympathie? on serait tenté de le croire, en considérant la solennité de l'ambassade; mais alors pourquoi de pareils hommages rendus à un gouvernement avec lequel on ne voulait avoir que des rapports officiels et froids? Toutefois si ce n'était pas un hommage, qu'était-ce donc ? Le Cabinet avait-il, dans la prévision d'une difficulté possible avec le chef du gouvernement espagnol,

risqué cette ambassade, non avec l'espoir, mais avec la résolution d'accepter cette difficulté si elle se présentait pour en tirer un grief contre un gouvernement qu'il n'aimait pas. L'orateur repoussait cette supposition. En recommandant à l'ambassadeur de ne remettre ses lettres de créance qu'à la reine, et non à la personne investie de l'autorité royale, avait-on voulu honorer la reine en quelque sorte par opposition à son gouvernement? L'honorable député se refusait à le croire; car c'eût été prouver que l'on voulait séparer la reine de son gouvernement; c'eût été un outrage envers ce gouvernement. En insistant et en donnant pour instruction d'insister sur une simple question d'étiquette, avait-on eu la pensée de raviver en Espagne le principe et le sentiment monarchique? mais c'était vouloir faire sortir de cet incident des conséquences plus sérieuses que celles qui, naturellement et convenablement, devaient en sortir.D'ailleurs une telle attitude convenait-elle au gouvernement démocratique de 1830, à un gouvernement puissant? Était-ce là le moyen de raviver en Espagne les idées d'ordre, l'esprit monarchique et l'amour des vieilles institutions qu'on aurait la pensée d'y encourager? Au reste, M. de Beaumont ne pensait pas que le gouvernement dût persister; il n'y avait entre l'Espagne et la France que des motifs d'inquiétude, d'observation mutuelle, et non des causes de séparation ou de rupture: une politique meilleure, pouvait ramener entre les deux Cabinets des rapports meilleurs.

M. Guizot rappela à la Chambre qu'il avait pris le pouvoir au moment même où la révolution de septembre venait de s'accomplir, révolution faite au milieu d'un mouvement anti-français et par l'influence d'un parti antifrançais : la situation était délicate. Le Cabinet s'était appliqué à convaincre l'Espagne de deux choses: la première, que nous n'entendions aucunement intervenir dans ses affaires intérieures et nous immiscer dans son gouvernement par une influence étrangère; la seconde, que nous ne con

sidérions point l'Espagne comme un théâtre de nos rivalités, de nos luttes avec telle ou telle puissance européenne, sacrifiant sans cesse dans ces luttes les intérêts de l'Espagne même à nos intérêts. Plusieurs incidents étaient survenus, l'affaire des Aldudes et l'affaire de l'îlot de Rey; le ministère avait fait ses efforts pour ne les point envenimer. Les rapports des deux gouvernements étaient bientôt devenus plus faciles, plus bienveillants; un ministre espagnol était arrivé à Paris; le ministère anglais avait passé des whigs aux tories. Au milieu de ces circonstances, l'envoi d'un ambassadeur avait été résolu; puis l'insurrection des christinos avait éclaté. A cette occasion, le ministre espagnol à Paris était venu demander que les réfugiés carlistes qui se pressaient sur la frontière, fussent internés; on avait écouté ce you. Il avait fait la même demande pour les réfugiés christinos, qui prenaient la même route; on s'était rendu à ce désir; il avait désigné des noms propres qui inquiétaient spécialement sur cette frontière le gouvernement espagnol; on avait fait interner ceux qui les portaient; une seule démarche, une démarche relative à un auguste personnage avait été formellement repoussée; et cependant les mêmes déclamations injurieuses pour la France s'étaient fait entendre en Espagne, des atteintes avaient été portées à notre territoire; sur plusieurs points nos nationaux avaient été menacés; dans le port de Barcelone nos bâtiments avaient été inquiétés. Dans le choix des mesures que nécessitait cet état de choses, le ministère avait pratiqué la plus grande modération. L'insurrection étouffée, le moment avait paru favorable pour le départ d'un ambassadeur. Dans la pensée du gouvernement c'était là d'abord une marque d'affection, de déférence pour la jeune reine, à laquelle la France et son roi doivent et veulent donner toute la protection qu'un pays et qu'un gouvernement étranger peuvent donner hors de leur territoire; c'était en même temps une marque d'impartialité, de neutralité dans les discussions intérieures de l'Espagne :

c'était aussi un appui prêté au gouvernement espagnol contre l'anarchie qui le menaçait et qu'il sentait le besoin pressant de réprimer; c'était enfin un grand appui moral donné à ce gouvernement auprès de l'Europe, pour l'aider à atteindre le but, qu'en gardant toutes les convenances de leur dignité, les gouvernements nouveaux ont toujours raison de poursuivre, la reconnaissance de tous les peuples civilisés et des gouvernements anciens.

Quant à la question de savoir si l'ambassadeur devait remettre ses lettres de créance à la reine ou au régent, le ministre citait les précédents diplomatiques; par exemple les ministres de toutes les nations accrédités auprès du roi de Grèce et de l'empereur du Brésil, durant la minorité des deux jeunes souverains. C'était là d'ailleurs le principe même de la monarchie. Il faut en effet à la monarchie, que pendant les minorités, tout ce qui est dignité, hommage, manifestation publique, s'adresse à la personne du souverain; que tout ce qui est autorité, exercice réel et efficace du pouvoir, soit remis à la personne investie de la régence.

M. Guizot ajoutait ces remarquables paroles:

« La minorité, dans une monarchie, ce n'est pas la mort, ce n'est pas l'éclipse du monarque: il est inactif; il n'est pas absent. Il y a des devoirs qui s'adressent à lui, des droits qui résident en lui: si cela n'était pas, vous verriez bientôt dans les minorités, et surtout dans les minorités placées au milieu des révolutions, vous verriez bientôt disparaître la monarchie (au centre: (Très-bien). Lorsque cette question s'éleva au Brésil, précisément au sein d'une monarchie naissante, et naissante au milieu des révolutions, ce fut la raison principale sentie et alléguée par toute l'Europe. Il faut que la royauté paraisse dans toutes les occasions où elle peut paraître convenablement, où elle a, non une autorité pratique et réelle à exercer, mais des hommages à recevoir, soit des peuples, soit des étrangers.

Et ce ne sont pas là, Messieurs, des questions d'étiquette, de vaines formalités : c'est ainsi que les gouvernements se fondent, c'est ainsi que les principes se maintiennent, c'est ainsi que les sentiments sont entretenus, alimentés, échauffés dans le cœur des populations (très-bien). Si vous voulez faire disparaître toutes les occasions de les manifester, si vous ne

voulez pas que la dignité extérieure reste au monarque, ne comptez plus sur la monarchie, elle disparaîtra bientôt elle-même (très-bien). »

M. Guizot pesa ensuite les raisons alléguées par l'Espagne. Sans nul doute, quand elle jugeait à propos d'imposer certaines conditions, certaines règles à la réception des ministres étrangers, quand elle disait que la constitution le lui prescrit, elle était dans son droit; personne ne prétendait la contraindre à le violer; mais son droit ne détruisait pas le nôtre; son opinion n'influençait en rien la nôtre; nous restions parfaitement libres. Dans ces conjonctures, le ministère avait pensé qu'il ne devait pas, qu'il ne pouvait pas, convenablement pour la France, utilement pour l'Espagne, avoir un ambassadeur à Madrid à de telles conditions. Le discours de la couronne avait gardé le silence sur ces difficultés: il convenait à la Chambre d'imiter cette réserve.

il

M. Barrot opposa au ministre des affaires étrangères, la constitution espagnole, qui transporte au régent, sans aucune restriction, l'exercice et l'autorité du pouvoir royal. Espartero succédait à toutes les attributions de la régence exercée par la reine Christine; et de ce qu'il tenait ses droits de la constitution, des voeux légitimes du pays, ne devait pas se montrer moins jaloux de l'étendue des prérogatives qui lui avaient été transmises; il en devait compte à son pays. Le ministère français n'avait point respecté ces susceptibilités toutes nationalcs, et cependant sous la régence de Marie-Christine, tous les ambassadeurs n'avaient-ils pas été accrédités auprès de la régente? N'était-ce pas à la régente qu'ils avaient remis leurs lettres de créance? Quel devait être le juge de ce débat? les cortès? elles avaient solennellement parlé, elles avaient expliqué le sens de la constitution; leur déclaration devait mettre un terme à tous les dissentiments, si non elles verraient dans l'attitude du ministère une dénégation en quelque sorte de leur constitution, de leur révolution. C'était un nouveau pas dans la

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