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let, la France n'avait rien obtenu en dédommagements matériels, rien en réparations morales; il n'ajoutait rien à la sécurité de la France ni à celle de la Turquie. En aliénant notre liberté d'action, il obligeait le gouvernement par voie - de conséquence à régler notre conduite sur celle de nos alliés quels que fussent les incidents qui pourraient surgir en Orient; il ne répondait à aucun de nos griefs et ne cicatrise de nos blessures.

M. de Boissy vint ensuite: il annonça qu'il allait voter en faveur du projet, en se réservant toutefois d'appuyer les amendements qui pourraient donner plus de couleur à l'adresse. Laissant de côté les affaires d'Orient, il parla de nos rapports avec la Russie, du droit de visite et de l'Espagne ; et sur tous ces points critiqua la conduite du ministère; l'Algérie et la situation intérieure du pays furent également l'objet de son examen. Quelques-unes des paroles de l'orateur durent être retranchées par lui-même de son discours.Il avait dit qu'une partie de la classe qui ne possède pas, est en conspiration permanente contre le gouvernement: le président censura ces expressions. L'orateur avait également qualifié le régent d'Espagne de bourreau : le ministre des affaires étrangères lui demanda la suppression de cette qualification injurieuse.

Ce discours valut à l'orateur de sévères leçons de de la part de la presse; leçons qui, on le verra bientôt, devaient être expiées par l'un de ses organes.

M. de Montalembert occupa la tribune après M. de Boissy: il attaqua le projet d'adresse, non qu'il désapprouvât ce document dans son entier mais parce que la première phrase semblait exprimer un sentiment de satisfaction dont l'orateur n'était nullement animé, et parce que la dernière phrase envisageait l'avenir de notre politique avec une sécurité qu'il ne pouvait partager, il cherchait en vain dans la convention du 13 juillet une condition satisfaisante pour l'honneur et pour la puissance du pays: Pas un mot sur la Syrie, sur

le maintien de notre ancienne position dans ces contrées; pas un mot pour les populations chrétiennes non-seulement de cette partie de l'empire ottoman, mais pour celles de toutes les autres provinces de cet empire, où ces populations sont opprimées et où elles tournent leurs regards et leurs cœurs vers nous. «Et, continuait l'orateur dans l'effusion de sa pensée religieuse, si nous étions rentrés dans le concert européen avec cette belle et noble mission de protéger les peuples chrétiens de l'Orient, c'eût été vraiment là une œuvre grande et réparatrice, dont le pouvoir et le pays auraient à l'envie à se féliciter. » L'orateur ne voyait dans la convention des détroits, autre chose qu'un renouvellement du fameux traité d'Unkiar-Skelessi. En effet, on y stipulait comme si la Russie n'était pas maîtresse de la mer Noire, et par conséquent du Bosphore on s'interdisait la faculté d'aller voir ce qu'elle y faisait; on lui livrait aveuglément les côtes de Circassie et les bouches du Danube. L'Angleterre n'y gagnait rien; l'Allemagne y perdait la libre disposition du Danube, cette grande artère de sa vie commerciale et politique; la France y laissait les derniers restes de son crédit en Orient:

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Je ne puis voir dans cette convention que l'ambition, selon moi à jamais regrettable, d'apposer encore une fois le nom de là France parmi ceux de ces grandes puissances, où l'on n'a pas encore trouvé un ami sincère : j'y vois le sceau mis à cette déplorable politique qui préside depuis dix années à notre système extérieur; qui a fait du déclin de notre grandeur et de l'annulation de notre influence, un lieu commun de la politique européenne.

» Ce système, je l'ai toujours attaqué, et je persiste à l'attaquer encore, Il n'y a plus besoin d'ailleurs de longs discours pour le juger : un fait seul suffit.

» Je défie M. le ministre des affaires étrangères de se lever dans celle enceinte ou dans une autre assemblée, et de nommer une nation quelconque de l'Europe sur laquelle la France puisse compter, grande on petite, puissante ou faible: je le défie de nommer dans le monde un peuple qui soit notre ami, qui compte sur nous, à qui nous inspitions, soit de la crainte,

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soil de la confiance : j'ai beau retourner toutes les pages des annales de la patrie, j'y cherche en vain une situation pareille.

Mais il était un reproche plus grave que l'on pouvait adresser à cette politique vis-à-vis de l'étranger: c'était le reproche d'affaiblir la force conservatrice du gouvernement contre ses ennemis. Si l'orateur était partisan d'une sorte de mouvement à l'extérieur, il était aussi partisan, et partisan très-ardent de la résistance à l'intérieur. A la vue de certains désordres intérieurs (événements de Toulouse, Clermont, etc.), il lui paraissait impossible de ne pas croire que l'état social du pays était en proie au plus grave danger. A la liberté de la presse, à peu près illimitée, garantie du reste par nos lois et par nos mœurs, était venu se joindre, selon l'orateur, la liberté de l'émeute garantie par la déplorable indulgence du jury. «C'est trop de ces deux libertés ajoutait M. de Montalembert; c'en est bien assez d'une seule. » 11jetait ensuite un coup-d'oeil sur la conduite des partis. Tout en ne confondant pas avec les ennemis acharnés de l'ordre social tous les hommes de la gauche et tous ceux de la droite, il croyait pouvoir les accuser de se laisser trop souvent aveugler sur le rôle qu'on leur prêtait de ne pas avoir le courage de désavouer suffisamment ceux qui se se servait leur nom, de leurs actes, pour leur faire porter la responsabilité des malheurs que l'on espérait attirer sur le pays. Une portion du parti légitimiste iui paraissait surtout coupable: user des bienfaits de l'ordre et de l'autorité, en les minant chaque jour, profiter de toutes nos luttes et de tous nos succès en travaillant à toutes nos défaites, se servir des conquêtes de laliberté dont on a toujours été l'ennemi, pourfaire croire au pays qu'il est sous le joug du despotisme et de la spoliation, telle était aux yeux de M. de Montalembert la tactique de ce parti : « Je cherche en vain dans l'histoire, continuait-il, l'exemple d'une politique aussi indigno et d'une immoralité aussi flagrante, »

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L'orateur s'élevait avec non moins de vivacit écontre un système d'insulte continuelle, de calomnies odieuses, spécialement organisé contre ceux qui refusent d'être les complices passifs ou actifs des ennemis de l'ordre social et du gouvernement établi : être ennemi du gouvernement, est une espèce de carrière pour la jeunesse, une profession libérale!

« D'où vient un état social tellement contraire à la nature, et je dirai même tellement contraire à tous les antécédents du genre humain? Ce me paraît, en vérité, une grande pitié de voir de grands politiques se figurer qu'en adjoignant à la liste électorale quelques notaires et quelques avoeats de plus, en excluant quelques procureurs généraux de la Chambre élective, et en remplaçant quelques-uns des ministres qui sont là devant moi par d'autres notabilités parlementaires, le mal sera déraciné ou considérablement diminué: je crois, moi, que la cause de ce mal est beaucoup plus haut et beaucoup plus bas que dans cette petite sphère de prétendues réformes el de bouleversements ministériels. — Plus haut! parce que l'absence d'une moralité supérieure, l'absence de grands caractères basés sur d'autres fondements que sur les passions politiques, sur les discussions quotidiennes, sur les petites guerres périodiques entre les hommes du pouvoir, est une cause incontestable d'infirmité pour le pays. Quand je parle d'une moralité supérieure, vous entendez bien que je n'ai pas la prétention de descendre dans la vie privée; mais je regrette dans nos hommes publics l'absence visible de ces principes supérieurs, sacrés, immortels, sans lesquels il n'est point de grandeur réelle pour les individus et pour les peuples.-Beaucoup plus bas! parce qu'il se forme de plus en plus dans notre pays une masse nombreuse, douée d'énergie, de courage, de mépris de la vie, et qui ne eroit à rien, qui n'aime rien, et qui surtout ne respecte rien. »

M. de Montalembert voyait la cause du mal dans l'absence de toute croyance religieuse et dans le monopole de l'instruction exercé par l'université.

M. Villemain répondit que lors de la fondation de l'université en 1808, ce fut précisément l'esprit monarchique et religieux, dans ce qu'il a de plus élevé, qui accueillit cette création comme une espérance et un appui pour la société, et qu'elle marqua, en effet, un retour et un progrés vers les plus saines.

Cela est vrai, répliqua M. de Montalembert; mais alors elle a bien mal rempli sa mission; car il n'y a pas de pays où les éléments religieux et monarchiques soient plus rares qu'en France.

M. Villemain reprit que, le préopinant ne devait pas généraliser les torts dont il se plaignait, et qu'il devait, au contraire, reconnaître que dans cette société où la puissance du mal s'est trop développée, la puissance du bien s'est développée cent fois plus encore, et que c'est par là que l'ordre existe et se fortifie.

Deux orateurs furent encore entendus dans la même séance. M. d'Alton-Shée en faveur du projet, M. de Brézé dans le sens opposé. Le premier de ces deux orateurs approuvait sans restriction la convention du 13 juillet, qui nous a permis de rentrer dans le concert européen, de renoncer à l'isolement, de travailler à mettre de l'ordre dans nos finances, de désarmer. Le second, après un rapide. coup-d'œil sur l'Espagne, qu'il envisageait du point de vue où il s'était placé les années précédentes, critiquait vivement le traité de juillet. Il pensait, du reste, que l'issue de la question espagnole serait encore plus fatale à la France que le réglement opéré sans elle des affaires d'Orien'; notre exclusion du traité du 15 juillet nous avait fait perdre les avantages futurs réservés à ceux qui y avaient pris part; l'isolement dans lequel ce traité nous avait placé en nous enlevant le pouvoir de rétablir dans la Péninsule un gouvernement qui nous offrait des garanties d'ordre et une alliance durable, enlevait à la France la position qui l'avait faite la plus puissante monarchie du monde.

12 Janvier. Le ministre des affaires étrangères ne s'expliqua point sur les négociations pendantes entre le gouvernement français et le gouvernement espagnol; mais il répondit aux observations présentées par M. de Brézé : Le gouvernement français avait vu avec plaisir le traité de

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