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Le principe était juste, mais son application devait rencontrer des difficultés presque insurmontables. Par suite des changements que le temps et le travail de l'homme apportent sans cesse dans la nature et la qualité du sol, il est extrêmement malaisé de suivre les variations du revenu moyen de toutes les parcelles de terrain qui composent le territoire français. Ces difficultés n'ont pu être résolues par les travaux considérables et fort coûteux dont il va être question, et les vices de la répartition de l'impôt foncier sollicitent aujourd'hui l'attention du législateur avec autant de force qu'à la fin du siècle dernier.

SECTION III.

TRAVAUX D'ÉVALUATION OPÉRÉS EN VUE D'EFFECTUER LA RÉPARTITION.

ARTICLE PREMIER. - Période antérieure au cadastre.

§ 1. Premiers essais d'évaluation.

45. L'Assemblée ne possédait aucune indication certaine sur l'importance du revenu territorial. Lavoisier, député du baillage de Blois, l'évaluait, sans y comprendre la propriété batie, à 1,200 millions de francs, chiffre indiqué un siècle auparavant par Vauban dans sa Dime royale; Mirabeau la fixait à 965,612,000 francs (1). Letrosne à 834 millions (2), Delley d'Agier et Aubry, membres de l'Assemblée, l'évaluaient respectivement à 1,074 millions et à 1,600 millions. Ce fut le chiffre de 1,500 millions qui fut adopté le 17 mars 1791.

Sous l'influence des théories des physiocrates et de Quesnay, leur chef, pour qui le sol était la source de toute richesse, la contribution foncière avait été fixée au chiffre de 240 millions; elle fut supposée représenter le sixième du revenu net. Il s'agissait donc de répartir cette somme de 240 millions entre les départements dans la proportion du revenu de chacun

(1) Théorie de l'impôt, 1761.

(2) De l'administration provinciale et de la réforme de l'impôt, 1779.

d'eux, mais les données que l'on possédait à ce sujet étaient encore plus imparfaites que celles qui avaient servi à la détermination du revenu total.

A la suite de longues recherches poursuivies avec le concours de Tarbé, le chef de la division des contributions directes au ministère des Finances, le comité d'imposition reconnut l'impossibilité d'obtenir des éléments exacts d'appréciation. Il dut alors faire masse des diverses impositions directes et indirectes perçues sous l'ancien régime dans chaque généralité et distribuer le contingent de 240.000.000 de francs au prorata des sommes ainsi déterminées (1).

(1) Voici le détail des opérations effectuées pour la fixation simultanée des contingents des contributions foncière et mobilière :

On forma deux tableaux qui présentaient, par généralités, le montant des anciens impôts directs ou indirects.

Le premier comprenait :

1° Les vingtièmes des biens-fonds, de l'industrie et des offices et droits;

2o La taille, la capitation, les impositions provinciales et autres taxations extraordinaires ;

3o Les sommes représentatives de la prestation des chemins;

4o Le montant des impôts directs que les ordres privilégiés auraient dù payer.

Le deuxième tableau présentait le produit d'une foule de droits indirects:

Impôts du sel et du tabac; droits à l'enlèvement et à la fabrication des boissons; droits sur les huiles et les fers; droits de vente en détail des boissons; droits aux entrées des villes ;

Droits d'insinuation, de centième denier et de contrôle des actes; droits sur les procédures; droits de formule et de contrôle des exploits; droits intérieurs de circulation sur le commerce; droits de consommation sur les produits coloniaux;

Droits de fabrication sur les cuirs, les cartes à jouer, les amidons; marque d'or et d'argent; droits d'aubaine, d'échange pour nouveaux acquets, d'amortissement, de francs-fiefs et d'hypothèques;

Droits perçus au passage et à la sortie dans les pays d'aides; Après que cette constatation eut été effectuée, le montant des anciens impôts fut décomposé en raison des communes dont chaque département était formé.

Ces tableaux dressés, la répartition des 300 millions formant le principal des contributions foncière et mobilière fut faite au marc-la-iivre des anciennes impositions dont le montant avait été constaté à 487,391,006 livres.

Les nouvelles contributions furent donc, à la somme des impôts anté. rieurs, dans le rapport des 12 sous 3 deniers 11/15 à la livre, c'est-à-dire dans le rapport de 61,55 0/0.

La somme revenant à chaque département ainsi obtenue par ce calcul

Cette répartition ne pouvait qu'être des plus arbitraires. Le comité ne se le dissimulait pas : « Obligés de choisir entre diverses méthodes imparfaites, disaient les rapporteurs, nous avons dù vous proposer celle qui l'est le moins; nous avons dù vous en proposer une générale... Sans doute, il y aura

proportionnel, il fallut la diviser en contribution foncière et en contribution mobilière.

Chaque département fut imposé à une contribution foncière égale au montant de la somme qu'il acquittait pour les vingtièmes de biens-fonds. Cette contribution s'éleva à 75 millions.

Il restait à répartir 225 millions dans lesquels la part de la contribution mobilière fut fixée à 60 millions. Sur cette dernière somme, on préleva 7,500,000 francs qui furent mis d'une manière un peu arbitraire à la charge des departements renfermant les villes de Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille et Nantes. L'Assemblée prit cette mesure en considération du développement que le commerce et l'industrie donnent à la fortune mobilière dans les villes importantes. Le prélèvement en question réduisit à 52,500,000 francs le principal à répartir de la contribution mobilière.

Cette somme de 52 millions et demi et son complément nécessaire pour retrouver les 225 millions, soit 72 millions et demi, se trouvant entre eux dans le rapport de 7 à 23, on appliqua ce rapport, pour chaque département, au total de ses anciennes impositions, réduit à 61,55 0/0 et déduction faite de sa part dans les 75 millions représentatifs des vingtièmes.

On obrint ainsi deux parts: la première, soit les 7 trentièmes du tout, correspondait au contingent mobilier et seulement à son complément pour les départements des grandes villes; la seconde, représentée par 23 trentièmes, formait le complément du contingent foncier départemental.

Mais comme dans ces calculs les 7 millions et demi assignés préalablement aux départements comprenant des grandes villes n'étaient pas entr en compte et se trouvaient former en quelque sorte double emploi, on rétablit l'équilibre en diminuant d'autant les contingents fonciers de ces départements.

L'Assemblée, sentant que de semblables combinaisons allaient soulever de vives discussions et des difficultés inextricables, se leva spontanément tout entière et adopta de conhance le projet de répartition tel qui lui était présenté.

[Voir à ce sujet le rapport du comité du 15 mai 1791, signé par La Rochefoucauld, Defermon, Ræderer, d'Allarde, Dauchy et Dupont de Nemours, le rapport du chevalier Hennet, commissaire royal du cadastre. au ministre des Finances (31 octobre 1818) et une note de la direction générale des contributions directes du 31 octobre 1875, en réponse au" uestions posées par la commission de revision des évaluations cacas rales, note reproduite en annexe aux projets de loi déposés par M. Leon Say, ministre des Finances, le 23 mars 1876, concernant : 1° le renouvellement des opérations cadastrales; l'ouverture d'un crédit de 1 million de francs pour la mise à exécution de la loi du 3 août 1875 (Journ. off. du 23 mars 1876, p. 2768 et suiv.)].

quelques départements dont la proportion sera trop élevée, et ce sont ceux qui, sous l'ancien régime, avaient été imposés sans mesure. Plusieurs même de ces départements nous sont désignés par l'opinion générale; mais, dénués de moyens de vous présenter les preuves détaillées de leur surcharge, il ne nous appartient pas de vous proposer des dispositions qui paraîtraient arbitraires... >>

La discussion allait s'ouvrir sur le projet quand, à la séance du 27 mai 1791, d'André, député de la noblesse de la sénéchaussée d'Aix, demanda que le projet fût adopté sans débat: Chaque département, dit-il, trouvera qu'il est surchargé. Vous avez 83 départements, vous aurez 83 réclamations... Au milieu de toutes ces discussions pénibles, la confiance s'arrêtera chaque jour davantage; chaque jour, les réclamations arriveront des départements; il s'engagera une espèce de combat entre eux; nos travaux souffriront la plus grande interruption... Je demande donc que, non pas lundi, mais aujourd'hui, mais à présent, on décrète en masse le projet de décret.» Cette motion fut accueillie et le projet, voté par acclamation, fut porté le même jour à la sanction royale (1).

46. La sous-répartition des contingents départementaux entre les districts, puis entre les communes fut faite par les directoires des départements et des districts, dont les attributions correspondaient sur ce point à celles qui sont actuellement dévolues aux conseils généraux et d'arrondissement.

Les municipalités étaient chargées de la répartition du contingent communal entre les contribuables. A cet effet les communes furent divisées en sections et un état indicatif des propriétaires et des propriétés fut dressé pour chacune de ces sections. Chaque propriétaire devait faire la déclaration de la nature et de la contenance de ses propriétés. La sincérité de ces déclarations était vérifiée par des commissaires choisis par les conseils municipaux et parmi leurs membres.

L'évaluation des immeubles était déterminée d'après les principes posés par la loi du 1er décembre 1790 (2).

(1) D.-L. 27 mai-3 juin 1791.

(2) L. 1er decembre 1790. « Art. 2. Le revenu net d'une terre est ce qui

IMPÔT DIRECT, I.

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47. Les revenus imposables attribués à chaque propriété étaient reportés sur les états de sections, où ces propriétés figuraient dans l'ordre topographique. Les indications des états de sections, dépouillées et groupées par propriétaire, formaient l'état-matrice du rôle. La répartition de la part d'impôt incombant à la commune était ensuite effectuée entre les contribuables par application aux revenus imposables de chacun d'eux — du marc-la-livre résultant de la division du contingent communal par le montant total de ces revenus. Ce système devait être conservé par la suite, et la répartition de la contribution foncière a lieu actuellement encore dans les formes que l'on vient d'indiquer.

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Malheureusement, les contingents communaux, qui avaient été fixés d'après le chiffre des anciens impôts de la monarchie, présentaient entre eux les plus grandes inégalités et, d'autre part, la détermination des revenus individuels opérée par les commissaires « en leur àme et conscience » soulevait les plaintes les plus vives. Toutes les injustices de l'impôt que l'on avait proscrites en droit se retrouvaient donc en fait. C'est d'ailleurs à un semblable résultat que devaient plus ou moins aboutir tous les efforts tentés depuis lors à différentes époques pour remédier à cette facheuse situation.

48. Devant les doléances des assemblées départementales, qui prétendaient toutes que la proportion du sixième entre l'impôt en principal et le revenu net était dépassée dans leur département, un décret-loi du 23 août 1791 accorda à dix-sept départements, dont la surcharge était manifeste, un dégrèvement de 3,480,400 francs, qui fut imputé sur le fonds de non-valeurs.

L'Assemblée législative essaya, de son côté, de faire recueillir des indications nouvelles sur la richesse foncière; mais, pressée par le temps, elle maintint le principal de l'impot foncier de 1792 à 240 millions de francs, chiffre arrêté par

reste au propriétaire, déduction faite. sur le produit brut, des frais de récolte, semence et entretien.

«Art. 3. Le revenu imposable est le revenu net moyen calculé sur un nombre d'années déterminé. »>

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