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V. La Session des États de Bretagne à Nantes, en 1701.

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L'année même où l'abbé de Caumartin inaugurait comme vice-président l'ère nouvelle qui s'ouvrait devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et quelques semaines seulement après cet évènement, « les gens des Trois-États du pays et duché de Bretagne » le virent prendre une part très active à leurs délibérations, pendant la session tenue à Nantes du 30 juillet au 5 septembre. L'évêque de Nantes, Gilles de Beauveau présidait l'ordre du Clergé où Caumartin figurait en qualité d'abbé de Buzai: le duc de la Trémouille présidait la noblesse, et Louis Charette de la Gascherie, sénéchal de Nantes, était président du Tiers. Cette fois, l'abbé de Buzai arrivait aux États dans tout l'éclat de sa renommée d'homme d'esprit, car on conservait encore le souvenir de son discours académique; d'érudit consommé, ce qu'attestaient ses titres éminents de Docteur de Sorbonne et de vice-président de l'Académic des Belles-Lettres; enfin d'administrateur très versé dans les questions. financières, témoin ses succès dans les Commissions des dernières assemblées du clergé. Ce n'était plus l'enfant de treize ans, à qui l'on faisait apprendre par cœur des discours et des rapports en 1681; c'était un homme rompu aux affaires administratives les plus épineuses et les plus délicates; aussi ne fit-on point faute d'utiliser, sans ménagement, son ardeur au travail, ses talents et ses lumières.

Dès le mardi, 2 août, Caumartin était nommé de la Commission présidée par l'évêque de Vannes (François d'Argouges), qui devait examiner les comptes de dépenses des Étapes et des Ponts et Chaussées; et nous lisons au procès-verbal de la séance du surlendemain 4 août : << Pour aller saluer de la part de l'Assemblée Madame la Maréchalle » d'Estrées, ont été députés de l'Eglise Msrs les évêques de Saint-Malo » et de Vannes, MM. les abbés de Buzé, de Quimperlé, etc.....; de la > noblesse, MM. de Tonquedec, de Pontbriant..., etc... et du Tiers..., >> etc.... Le héraut des États a été envoié de leur part savoir si Madame » la Maréchalle seroit en commodité de recevoir leur députation, lequel > retourné sur le théâtre a rapporté qu'elle la recevroit volontiers. Mes » dits sieurs députés sont descendus au moment, et sont allés en habit » de cérémonie précédés du héraut avec sa cotte d'armes, jusques dans > une des salles du château où Madame la Maréchalle est venue au» devant d'eux, et les a introduits dans sa chambre; et après avoir reçu » leur compliment, elle les a reconduits jusque sur le perron.....

» Et sur ce qui avoit été proposé le matin de ce jour de se retirer > aux chambres pour aviser aux moyens de l'imposition de la Capitation, >> dont la province a fait offre au roy, MM. des ordres se sont retirés >> aux chambres; et retournés sur le théâtre ont été députés pour voir > le tarif et les rolles de la capitation qui ont été faits aux années pré

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» cédentes, et en faire rapport à l'Assemblée, savoir de l'Église : » Mer l'évêque de Rennes (J.-B. de Beaumanoir de Lavardin), MM. les » abbés de Buzé et de Sainte-Croix de Guingamp, Enouf, député » de Rennes, Germain, député de Dol, et de la Fermais, député de » Saint-Malo. De la noblesse, MM. Duplessis de la Rivière, de la » Rambaudière, de Clermont..., etc... - Et du Tiers MM. les Maires » de Nantes et de Rennes, les Sénéchaux de Lannion et de Brest..., etc... » A l'effet de quoi les rolles de la précédente capitation, tarif et décla› ration de Sa Majesté ce touchant leur seront mis en main (1). »

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Nous avons cité les noms de presque tous les membres de cette Commission dite de la Capitation, parce que ce fut la plus importante et la plus laborieuse. On sait que cet impôt était d'institution récente, et nous en avons déjà dit un mot à propos des précédentes assemblées du Clergé. Créé pour subvenir aux besoins du Trésor épuisé par des guerres sans cesse renaissantes, la capitation ou impôt par tête, avait été établie dans tout le royaume par la déclaration du roi datée du 18 janvier 1695; et les États de Bretagne, réunis à Vannes, avaient obtenu qu'elle fût remplacée par « un abonnement annuel » fixé à 1,400,000 fr. le 8 novembre de la même année, sous la condition expresse que cette nouvelle levée d'impôts cesserait à la paix. Quatre députés de chaque ordre par évèché déterminèrent, de concert avec les commissaires du roi, un tarif par classe d'habitants nobles ou roturiers, suivant l'importance de leur noblesse, de leurs fonctions, de leurs rentes ou de leur commerce, et les bases d'une répartition générale.

La capitation fut supprimée en 1698 après la conclusion de la paix de Ryswich; mais les dernières années du règne de Louis XIV devaient se consumer dans les guerres désastreuses d'une politique d'ambition à outrance, et pour remplir les caisses du Trésor royal, la capitation fut rétablie par déclaration du 12 mars 1701 portant « qu'elle seroit « continuée jusqu'à ce que les circonstances permissent de faire une > paix glorieuse. La paix glorieuse se fit si longtemps attendre que la capitation fut payée pendant tout le dix-huitième siècle, avec quelques modifications, il est vrai, introduites en particulier par la déclaration du 9 juillet 1715, mais toujours en dehors du don gratuit et des impôts précédemment percus.

Il s'agissait done, en 1701, d'asseoir les nouvelles bases de l'impôt, dont les États, par une délibération du 31 juillet, lendemain de leur ouverture, avaient consenti la levée, indépendamment d'un don gratuit de 3 millions et moyennant un abonnement annuel de 2 millions, plus un sol par livre pour frais de recouvrement. L'abbé de Caumartin y travailla pendant un mois presque entier avec ses co-députés, et le tarif par classe qu'ils adoptèrent suivi d'une répartition par catégories et d'un

(1) Procès-verbaux, mss. de la session (archives de Nantes).

règlement destiné à la perception de l'impôt, marque une date importante dans l'histoire financière de notre province. Il est bien entendu qu'on ne devait s'occuper que de la répartition sur les deux ordres de la Noblesse et du Tiers; car nous avons vu plus haut que les assemblées du Clergé avaient abonné spécialement l'Église entière de France pour

cette contribution extraordinaire.

Nous voyons d'abord au procès-verbal des États, que le 9 août, la commission ayant présenté, par l'organe de son président, son rapport sur les précédentes capitations, les États « ont ordonné que Messieurs >> leurs mêmes députés iront sans cérémonie vers Nosseigneurs les » Commissaires pour les prier de permettre que la capitation nouvelle soit » faite par les Commissaires que les États nommeront dans l'Assemblée » et que les termes des payements soient réglés par lesdits États (1). » C'était là un point capital on consentait bien au nouvel impôt, mais à condition d'avoir liberté complète dans son assiette et sa répartition. Qu'importait au roi de s'ingérer dans cette opération pourvu que les deux millions lui fussent payés? Quoique blessés par les mortelles atteintes que leur avait portées depuis trente ans le despotisme de Louis XIV, au mépris des franchises de la province et de la foi jurée, les États n'avaient garde de laisser échapper aucune occasion d'affirmer leur indépendance. Le principe fut admis par les commissaires du roi. En conséquence, on révisa les anciens errements et les ordonnances; et le 11 août, dit le procès-verbal : « MM. des ordres se sont retirés >> aux Chambres pour continuer leurs délibérations touchant la forme » de la levée et imposition de la capitation; et retournés sur le théâtre » ont arrêté que MM. leurs mêmes députés retourneront vers Nos>> seigneurs les Commissaires pour leur demander que leurs articles » rédigés comme en suit (qui sont des observations sur la déclaration » du mois de mars dernier touchant la capitation), leur soient accordées, >> afin de procurer par ce moïen le soulagement des peuples (2)..... ; » suivent de longues observations sur les articles 5, 7, 15 et 16. Les plus importantes sont celles-ci. On demande instamment :

<< Que les marguilliers des paroisses feront la recette de la capitation » de la campagne, s'ils sont jugés solvables par les paroisses; et en cas » d'insolvabilité, ils en nommeront d'autres si bon leur semble dont ils >> demeureront responsables. Les dits marguilliers remettront entre les >> mains des plus prochains receveurs des foüages les deniers de leur >> recette huitaine après, et auront pour cette effet trois deniers par >> livre. Les receveurs des foüages remettront les deniers qu'ils » auront reçus au bureau du trésorier des États, auxquels receveurs > on accorde pour tous droits de recette et commission 2 deniers pour

(1) Procès-verbaux, mss. de la session (Archives de Nantes). (2) Procès-verbaux, mss. de la session (Archives de Nantes).

» livre, sans que le receveur général des foüages et les receveurs » particuliers puissent prendre aucuns autres droits à leur charge, ni >> attribution de recette des dits deniers qu'ils remettront, savoir pour > l'année 1701, dans le 15e des mois de janvier et avril 1702, et pour » l'année subséquente, dans le 15e des mois de septembre 1702 et » janvier 1703..... >

On demande encore que les sommes que payent la marine, les > officiers et matelots, les soldats des milices, garnisons et officiers » des dites garnisons et archers des gabelles, qui sont ou seront dans la > province, soient en décharge de la capitation que paye la province..... Enfin que les rolles seront faits sur papier non timbré, et exécutés › de plein droit sans formalité de procédure ni ministère de justice, de » la même manière que s'exécutent les rolles des foüages, et sans être » sujets à aucune vérification non plus que les procédures... »

Et le procès-verbal ajoute :

« Le 11 août, Msr l'évêque de Rennes a fait rapport pour lui et ses > co-députés de la conférence qu'ils ont eue touchant les observations » sur les moïens de faire l'imposition et la levée de la capitation, et > mondit seigneur de Rennes a dit qu'il leur a été répondu qu'on ne » pouvait rien décider qu'après avoir reçu les ordres de la cour; et pour ▷ce, ont demandé copie du mémoire des dites observations que mondit > seigneur de Rennes leur a donné. »

En attendant la réponse de la Cour, on s'occupa de régler les points sur lesquels ne portaient pas les précédentes observations, et nous remarquons en particulier que, le 12 août, les États ordonnèrent que la répartition de la capitation se ferait en principe conformément au tarif, par classe de citoyens, établi en 1696, et que l'imposition serait réglée sur les rôles de l'an 1697, « augmentant le tiers en sus qui est la moitié » de la somme qu'ils payoient avec liberté ; néantmoins pour le soula>gement des moins riches, d'augmenter une première classe qui > comprendra les plus riches marchands des villes de Rennes, Nantes, > Saint-Malo et Morlaix, pour 200 livres chacun, et le tiers en sus > comme devant - les plus riches banquiers à 200 livres et le tiers en D sus les lieutenants généraux et l'amirauté de Nantes, Saint-Malo, › Tréguier, Léon, Quimper et Vannes à 100... etc... etc..... » suit une très longue énumération qui conduisait à un remaniement général du tarif par classe de 1696, dont le principe seul était conservé.

Les commissaires se mirent aussitôt à l'œuvre, et le 23 août, l'évêque de Rennes vint en leur nom présenter à l'approbation de l'Assemblée le nouveau tarif de la capitation de cette province, lequel a été lu, > approuvé et signé. » C'est une pièce fort curieuse que ce tarif et nous avons pensé qu'il ne serait pas sans intérêt de le reproduire intégralement en appendice, avec plusieurs autres documents élaborés dans les séances suivantes et qui présentent l'ensemble de cette importante

opération. Nous lisons bien à la fin de l'un de ces documents, que les États en ont ordonné l'impression, ainsi que celle du tarif approuvé ; mais cette pièce ne fut imprimée qu'en feuilles volantes, en sorte qu'il nous a été impossible d'en découvrir un seul exemplaire, même dans nos grandes bibliothèques ou nos dépôts d'archives de Bretagne, et nous n'en connaissons qu'un seul du tarif de 1696 dans la bibliothèque d'un avocat de Nantes, M. Anthime Ménard. Il est fort probable que quelques tarifs de 1701 soient cachés dans les collections d'amateurs infatigables; mais cette pièce est si rare et si peu connue, qu'il n'y a point de témérité, croyons-nous, à la considérer comme inédite. Or, elle nous ménage plus d'une surprise. Tous les citoyens » de Bretagne, nobles ou roturiers, y sont rangés pèle-mèle en vingt classes: la première payant 1500 livres de capitation et la dernière trente sols; et quand on parcourt la liste de ces différentes classes, on rencontre d'étranges assimilations, soit de situation de fortune, soit de fonctions publiques, soit de professions.

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La première classe, à 1500 livres, ne comprend qu'un très petit nombre d'imposés : le premier président du Parlement, le trésorier des États, le receveur général des finances de la province, et quelques-uns des fermiers généraux des devoirs. La deuxième classe, qui commence par le premier président de la chambre des Comptes, n'est cotée qu'à 600 livres, puis l'on trouve côte à côte, dans la quatrième, à 375 livres « Messieurs les Marquis, comtes, vicomtes et barons..., les » présidents de la chambre des Comptes... et les plus riches ban>> >> quiers... Dans la septième, à 180 livres : « les gentilshommes >> seigneurs de paroisses..., les présidents et sénéchaux des prési» diaux..., et la plupart des marchands en gros. »Dans la huitième, à 150 livres : « les auditeurs des comptes..., les receveurs de fouages..., >> les maires des villes du premier ordre..., et les maîtres de forges... » Dans la onzième, à 75 livres : « le premier huissier et les procureurs >> du Parlement..., les assesseurs des maires des villes du premier » ordre..., et les contrôleurs des décimes... » Dans la treizième, à 45 livres «<le buvetier et le concierge du Parlement..., les procureurs » à la chambre des Comptes..., les sénéchaux des juridictions seigneu>> riales..., les professeurs en droit..., les colonels et majors des milices » bourgeoises des villes du premier ordre..., les maires des villes du >> troisième ordre..., les fermiers et meuniers tenant des fermes et >> moulins depuis 300 livres et au-dessus... » Dans la quatorzième, à 30 livres « Messieurs les gentilshommes et autres possédans manoirs, » c'est-à-dire maisons nobles avec dépandances nobles, ou qui pos» sèdent des domaines congéables sans manoir, depuis 1000 livres de > rente jusqu'à 2000 livres... (1), le concierge et le greffier des prisons (1) Les gentilshommes possédant chatellenie ou 4,000 livres de rente en domaine congéable, étaient classés à la neuvième classe, à 120 livres; - ceux possédant fiefs avec haute justice ou de 3,000 à 4,000 livres de reste en domaine congeable, à la dixième classe, à 90 livres ; ceux possédant simples fiefs ou de 2,000 à 3,000 livres de rente en domaine congéable, à la douzième classe, à 60 livres.

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