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CHAPITRE Ier

Des conditions essentielles pour la
validité du- bail.

15. Nous avons dit (no 1) que le contrat de bail se composait de trois éléments essentiels : le consentement des contractants, la chose louée; le prix convenu pour la jouissance de cette chose. Tel sera l'objet des trois sections suivantes.

SECTION Ire

Des personnes qui peuvent louer.

16. Le contrat de bail résulte du consentement des parties sur la chose louée et sur le prix de la location de cette chose; mais, pour que le consentement puisse être valable, il est nécessaire qu'il émane de personnes capables de contracter.

17. Sont capables de contracter et de passer bail toutes personnes majeures, exception faite des interdits et des femmes mariées sous le régime de la communauté (C. c., art. 1123 et 1124). 18. Le mineur émancipé peut seul et sans l'assistance de son curateur passer des baux dont la durée n'excède pas neuf ans (C. c., art. 481).

Il en est de même de celui qui est placé sous l'assistance d'un conseil judiciaire (C. c., art. 513).

Mais l'engagement ainsi contracté par le prodigue cesse d'être valable dans le cas où il est excessif, soit parce qu'il dépasse la limite des ressources du prodigue, soit parce qu'il ne répond pas à ses besoins; en pareil cas le prodigue et son conseil judiciaire, ès nom, ne sauraient être condamnés à payer les termes ou les intérêts sous prétexte que le prodigue aurait profité de la location (Cass., 2 déc. 1885, Sirey, 86.1.121 et Dalloz, 86.1.128).

19. La femme mariée peut, sans l'autorisation de son mari, donner ses biens à bail pour une période de neuf ans et au-dessous, lorsqu'elle se trouve dans l'une des circonstances suivantes :

1° Quand elle est séparée de biens par contrat de mariage (C. c., art. 1536);

2o Quand elle est mariée sous le régime dotal, et qu'elle a des biens paraphernaux, c'est-à-dire des biens qui n'ont pas été constitués en dot (C. c., art. 1574 et 1576);

3° Quand elle est séparée judiciairement de corps et de biens, ou de biens seulement (C. c., arl. 1449).

20. La femme séparée n'a besoin d'aucune autorisation pour prendre à bail (1).

Mais il n'en est pas de même de la femme non séparée; elle ne pourrait, sans autorisation, se soumettre aux obligations qu'entraîne après lui un bail à ferme. Toutefois, si une femme, éloignée de son mari, louait un appartement pour elle et sa famille, cet engagement devrait être présumé contracté pour le compte du mari et avec son autorisation. En effet, la location d'une maison rentre dans l'administration domestique, et une femme est en général censée avoir le mandat de son mari pour tous les actes qui ne dépassent pas ce cercle borné (Rennes, 30 déc. 1813 et 12 janv. 1814).

Néanmoins il ne faudrait appliquer cette présomption qu'avec prudence et discernement; elle ne devrait pas servir à protéger des actes de fantaisie, des locations de meubles trop somptueux, et d'appartements trop magnifiques pour la fortune des époux.

Si une femme non autorisée se permettait de profiter de l'éloignement de son mari pour faire de tels contrats, il serait difficile. de voir en elle un mandataire tacite ; au reste, l'annulation du bail dépendrait des circonstances (Troplong, n° 149).

Le mari qui consent à ce que sa femme vive séparément de lui l'autorise implicitement à louer un appartement pour son habitation particulière. Mais la location que la femme peut ainsi faire n'est valable que quand elle a lieu pour un temps limité (non pour plusieurs années), et moyennant un prix en rapport avec ses ressources. Le bail fait en dehors de ces conditions sans le concours ou l'autorisation du mari, est nul, et l'approbation subséquente de celui-ci ne saurait valider par rapport à la femme l'engagement

(1) Cependant la Cour de cassation a jugé, le 25 août 1811, que la femme séparée de corps ne peut sans autorisation prendre à ferme pour longues années, c'est-à dire pour plus de neuf ans (D. P. 41.1.354).

illégal qu'elle a pris (1) (Paris, 4 ch., 23 fév. 1849, S.-V. 49.2. 145).

Il a été jugé que le mari qui n'a autorisé sa femme ni par son concours dans l'acte, ni par son consentement par écrit à contracter un bail, ne peut être condamné à en payer le prix. Le consentement tacite du mari ne peut résulter d'un fait autre que son concours dans l'acte de bail; et l'on ne saurait l'induire légalement de circonstances qui révéleraient que le mari a connu l'obligation de sa femme et qu'il y a acquiescé ou du moins n'y a pas fait obstacle (Cass., 20 juin 1881, Moniteur des juges de paix, 1882, p. 64).

21. La femme séparée de corps et de biens peut, sans l'autorisation de son mari, faire l'acquisition d'un pensionnat et passer un bail pour l'exploitation de ce pensionnat. Ce sont là de simples actes d'administration permis à la femme séparée (Paris, 1r ch., 28 avril 1843, Gaz. des Trib., 11 mai 1843).

Une femme séparée de corps et de biens ne peut, sans l'autorisation de son mari, consentir un bail d'une durée illimitée au choix des preneurs.

Mais cette convention n'est pas absolument pulle; elle doit être renfermée dans les actes de pure administration qui sont permis à la femme séparée de corps et de biens; en conséquence, la durée du bail doit être réduite à neuf années. C'est aux preneurs qui allèguent qu'au moment du contrat la bailleresse, qui s'annonçait comme femme séparée de corps et de biens, était réellement veuve et maîtresse de ses droits, à faire la preuve de ce fait (Paris, 3° ch., 17 déc. 1859, Droit du 7 janv. 1860).

22. La femme mineure, émancipée par mariage, qui passe conjointement avec son mari un bail de plus de neuf années, peut en demander la réduction à neuf années, mais non la nullité (Trib. de la Seine, 7 mai 1836, Droit du 9 mai 1836).

23. Le mari de la femme mariée sous le régime de la communauté a le droit de passer seul et sans son concours les baux des biens de sa femme pour une période de temps qui n'excède pas

(1) Un jugement du tribunal civil de la Seine, 5 ch., du 5 février 1857, a décidé que si la femme qui s'engage avec l'assentiment de son mari est capable de contracter, ses engagements ne doivent pas dépasser des limites raisonnables, et que le bail de quatre années d'un appartement meublé ne peut être consenti sans une autorisation spéciale (Gaz. des Trib., 6 fév. 1857).

neuf ans. Lorsque le mari les a stipulés pour plus de neuf ans, ils ne sont, en cas de dissolution de la communauté, obligatoires visà-vis de la femme ou de ses héritiers que pour le temps qui reste à courir, soit de la première période de neuf ans, si les parties s'y trouvent encore, soit de la seconde, et ainsi de suite, de manière que le fermier ou le locataire n'ait que le droit d'achever la jouissance de la période de neuf ans où il se trouve.

Lorsque le mari n'a pas attendu l'expiration des baux pour les renouveler, la femme ou ses héritiers ne sont liés que par ceux de neuf ans et au-dessous, qui ont été stipulés trois ans avant l'expiration du bail courant, s'il s'agit de biens ruraux, et deux ans avant la même époque, s'il s'agit de maisons. Mais si les baux ont été passés avant ces trois ans ou ces deux ans, ils restent sans effet, à moins que leur exécution n'ait commencé avant la dissolution de la communauté (1) (C. c., 1429 et 1430).

24. Une question plus difficile est celle de savoir si, dans le cas où un homme et une femme vivent ensemble et font ménage commun, la femme peut être considérée comme étant la mandataire de l'homme avec qui elle vit pour les petites locations qui peuvent être considérées comme rentrant dans l'administration domestique. Nous croyons que sur ce point il faut faire une distinction : si la femme ne porte point le nom de l'homme avec qui elle vit, il paraît difficile de la considérer comme la mandataire de ce dernier; les tiers qui traitent avec elle en son nom sachant à quoi s'en tenir sur sa situation n'ont rien à réclamer à la personne avec qui elle vit; c'est à la femme qu'ils font crédit et ils ne peuvent dès lors s'adresser à une autre personne. Mais si la femme porte le nom de la personne avec qui elle vit et si elle contracte sous ce nom, les tiers ne sauraient souffrir de la faute qu'a commise l'homme qui est avec elle en l'autorisant à porter son nom; nous croyons que dans cette hypothèse alors qu'il s'agit de petits contrats qui rentrent dans l'administration du ménage, la femme doit être considérée comme étant la mandataire tacite de l'homme qui vit avec elle et que, dès lors, les tiers auront recours contre ce dernier.

(1) Le bail des biens d'une femme consenti par son mari depuis la demande en séparation de biens est essentiellement nul (Arg. des art. 1445 et 1446, C. c., 872 et 873, C. proc. civ.). Ainsi jugé par le tribunal de la Seine, le 19 mars 1836 (Droit, 21 mars 1836).

25. Le mari, dans les baux des biens de sa femme qu'il passe seul et sans le concours de celle-ci, ne peut stipuler un pot-de-vin. En effet, le mari qui le reçoit préjudicie à sa femme ou à ses héritiers, puisque le prix du bail sera d'autant moindre. Les baux contenant de semblables stipulations peuvent donc être attaqués comme frauduleux (Proudhon, no 1219; Toullier, t. XII, n° 408 ; Troplong, no 164).

26. Le tuteur d'un mineur ou d'un interdit peut également donner à bail les biens de ces derniers pour une période de temps qui n'excède pas neuf ans ; et ce que nous venons de dire au sujet des baux passés et renouvelés par le mari plus de trois ans ou de deux ans avant leur expiration est applicable au tuteur. Ce dernier ne peut prendre à ferme les biens du mineur, à moins que le conseil de famille n'ait autorisé le subrogé tuteur à lui en passer bail (C. c., art. 450).

27. De même les syndics d'une faillite, autorisés par le juge (C. comm., art. 443), l'usufruitier (C. c., art. 595), les envoyés en possession provisoire des biens d'un absent (C. c., art. 125), l'héritier bénéficiaire (C. c., art. 803), le curateur à une succession vacante (C. c., art. 813), le tuteur du condamné à la peine des travaux forcés à temps ou à la réclusion (C. pén., art. 29), les envoyés en possession provisoire des biens du contumax (C. d'inst. crim., art. 471), peuvent également passer des baux de neuf ans et au-dessous (1).

28. La nullité des baux consentis par l'usufruitier en violation des dispositions de la loi relatives soit à la durée de ces baux, soit à l'époque de leur renouvellement n'est que relative; elle ne peut être invoquée que par le nu propriétaire et seulement lorsque l'usufruit a fait retour à la nue propriété. En conséquence, l'usufruitier bailleur n'est pas recevable à demander la nullité de la prorogation du bail par lui consentie pour une durée de plus de neuf années; cette prorogation est valable et ses effets ne dépendent que des éventualités de la durée de l'usufruit (Trib. de la Seine, 3° ch., 8 déc. 1885).

(1) Un mandataire ne peut, sans une autorisation spéciale, passer un bail de plus de neuf ans (Trib. de Lyon, 29 mai 1868, Gaz. des Trib., 2 oct. 1868).

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