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TITRE III

DE LA COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX.

1256. Les contestations qui s'élèvent entre propriétaires et locataires, relativement à l'exécution du bail, sont portées devant les tribunaux civils. La compétence des tribunaux en matière de location se détermine d'après la quotité du loyer annuel ou la nature de la chose louée.

La loi du 25 mai 1838, modifiée successivement par les lois des 20 mai 1854 et 5 mai 1855, a fixé de la manière suivante l'étendue des attributions des juges de paix dans ces différentes circonstances:

L'article 3 de cette loi porte: « Les juges de paix connaissent, sans appel, jusqu'à la valeur de cent francs, et à charge d'appel, à quelque valeur que la demande puisse s'élever :

Des actions en paiement de loyers ou fermages;

Des congés;

Des demandes en résiliation de baux, fondées sur le seul défaut de paiement de loyers ou fermages;

Des expulsions de lieux;

Et des demandes en validité de saisie-gagerie,

Le tout, lorsque les locations verbales ou par écrit n'excèdent pas annuellement 400 francs.

Si le prix principal du bail consiste en denrées ou prestations en nature appréciables d'après les mercuriales, l'évaluation sera faite sur celle du jour de l'échéance, lorsqu'il s'agira du paiement des fermages. Dans tous les autres cas, elle aura lieu suivant les mercuriales du mois qui aura précédé la demande.

Si le prix principal du bail consiste en prestations non appréciables d'après les mercuriales, ou s'il s'agit de baux à colons partiaires, le juge de paix déterminera la compétence en prenant

pour base du revenu de la propriété le principal de la contribution foncière de l'année courante, multiplié par cinq. >>

Ainsi, lorsque le prix annuel de la location, soit verbale, soit écrite, n'excède pas 400 francs, et qu'il s'agit d'une contestation qui rentre dans le nombre de celles énumérées dans l'article dont on vient de lire le texte, le juge de paix est compétent pour en connaître, quelle que soit la somme à laquelle la demande puisse s'élever. C'est le prix annuel de la location et non le montant de la somme demandée qui détermine la compétence des juges de paix, Rendons ceci plus clair par un exemple: Le sieur A... est propriétaire d'une maison; il a pour locataire le sieur B...; le prix annuel du loyer s'élève à 400 francs; le sieur B... doit au sieur A... trois années de loyer; A... assigne B... en paiement de ces loyers devant le juge de paix de son arrondissement; ce juge de paix sera compétent pour en connaître, puisque le loyer annuel n'excède. pas 400 francs, et si la dette est établie, il condamnera B... à payer au sieur A..., son propriétaire, non seulement le loyer du dernier terme, mais encore tous les loyers arriérés, c'est-à-dire, dans notre espèce, 1,200 francs.

Le sieur B... pourra-t-il appeler de ce jugement? Oui, car, comme nous l'avons déjà dit, le juge de paix, en matière de locations, ne connaît sans appel que jusqu'à la valeur de 100 francs.

1257. Remarquez bien que le juge de paix ne prononce sans appel que jusqu'à la valeur de 100 francs; ce qui ne peut s'appliquer qu'au cas où la demande a pour objet le paiement de cent francs ou d'une valeur moindre pour loyers ou fermages. Mais s'il s'agit de congé, de résiliation de baux, d'expulsion de lieux, la demande. est alors indéterminée; elle frappe sur la jouissance de la chose louée ou affermée, et par conséquent le juge de paix ne prononce plus en dernier ressort; son jugement est susceptible d'appel (Curasson, Traité de la compétence des Juges de paix, t. 1er, p. 321, no 1; Allain et Carré, Manuel encyclopédique des Juges de paix, 5e édit. t. II, nos 1374).

1258. Le juge de paix n'est compétent que s'il y a bail verbal ou écrit ; mais s'il s'agit d'une simple occupation de fait, c'est le juge des référés qui est compétent à l'exclusion du juge de paix pour ordonner l'expulsion (Paris, 21 janv. 1891, Sirey, 92.2.249).

1259. L'action résultant d'un bail est personnelle et mobilière et non réelle (1); il suit de là que c'est devant le juge de paix du domicile du défendeur que doivent être portées les actions énumérées dans l'article 3 précité, à l'exception toutefois de la saisiegagerie. Cette saisie étant attributive de juridiction, le juge compétent pour statuer sur sa validité est celui du lieu où la saisie a été faite (Arg. des art. 608 et 825, C. proc. civ.).

1260. La question de savoir si le juge de paix est compétent ou non lorsque la demande en paiement de loyer portée devant lui est inférieure à 200 francs, alors que le prix annuel du bail est supérieur à 400 francs est fort controversée. Nous croyons fermement que la compétence du juge de paix est incontestable. Car une demande en 200 francs de loyer, constitue une action purement personnelle et mobilière qui rentre dans les termes de l'article 1er de la loi du 23 mai 1838. Or si l'article 3 de la loi du 25 mai 1838 a étendu la compétence des juges de paix, lorsque le prix annuel du bail ne dépasse pas 400 francs, cet article n'a nullement restreint la compétence du juge de paix telle qu'elle est organisée par l'article 1er, il en résulte évidemment qu'en dehors d'une dérogation

(1) Telle est la doctrine généralement admise (Voy. p. 5, note 1). Cependant quelques auteurs (V. Foucher, Justices de paix, no 144 et suiv.; Augier supplément à l'Encyclopédie des Juges de paix, Vo Bail, p. 19 ; Carou, no 221) veulent que les actions mentionnées dans l'article 3 de la loi sur les justices de paix soient portées devant le juge de paix de la situation de l'immeuble loué; mais ils ne donnent d'autre motif de leur opinion que l'inconvénient de forcer le demandeur à aller intenter au loin une action urgente de sa nature, si le locataire n'habite pas les lieux loués ou se trouve sur un point éloigné. Cet inconvénient est plus grand encore pour les actions intentées par les aubergistes, voituriers ou carrossiers contre les voyageurs, et cependant il a été reconnu dans la discussion de l'article 2 de la loi sur les justices de paix qu'aucune exception ne serait apportée aux règles de juridiction des articles 2 et 3 du Code de procédure civile, par le motif qu'il ne faut pas briser la législation et attribuer ainsi une compétence spéciale à chaque cas particulier. Ainsi il faut respecter ces règles de compétence et décider que c'est devant le juge de paix du domicile du défendeur que doivent être portées les actions relatives aux baux dont la loi défère la connaissance à ce magistrat (Curasson, t. 1er, p. 330 et suiv.; Jay, Dict. des justices de paix, t. 2, Vo Louage, no 8; Allain et Carré, Man. encyclop. des Juges de paix, 5o édit., no 1386). - D'après les mêmes motifs, nous repoussons le système admis par un arrêt de la Cour de Paris, 1re ch. du 12 mars 1858 (S.-V.58.2.263), qui a jugé que l'action ayant pour objet l'inexécution d'un bail est une action mixte et peut, dès lors, être portée devant le tribunal de la situation des lieux loués. Nous le répétons, l'action qui résulte d'un bail est seulement personnelle et mobilière. Jugé en ce sens (Cass., 20 fév. 1865; S.-V. 65.1.113).

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expresse à l'article 1er, celui-ci reprend son empire lorsque la demande ne dépasse pas 200 francs (Voir en ce sens : Curasson, t. I, n° 276; Bourbeau, n° 43, p. 15; Allain et Carré, t. II, no 1394; voir également une note de Dalloz sous un arrêt de la Cour de cass. du 26 août 1857, Dalloz, 57.1.346. Trib. de la Seine, 10 sept. 1897; Trib. civil de Bordeaux, 24 juin 1889, Journal des arrêts de Bordeaux, 89.2.111. En sens contraire: Trib. civil de Bordeaux, 30 avril 1890, Journal des arrêts de Bordeaux, 90.3.110; Bordeaux, 12 déc. 1851; Sirey, 52.2.47).

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Quand la demande est inférieure à 200 francs et que le prix du bail est de plus de 400, nous croyons que le juge de paix reste compétent alors même qu'il y a lieu à interprétation du bail, car il est de règle que le juge de l'action est juge de l'exception.

1261. Le juge de paix n'est compétent pour prononcer la ré siliation du bail qu'autant que la demande est fondée sur le seul défaut de paiement des loyers ou fermages; si le litige porte sur l'existence même du bail et sur sa durée, la contestation excède la compétence du juge de paix (Cass., 4 déc. 1855; Droit, 5 déc. 1855), et c'est devant le tribunal de première instance qu'il faut porter la demande.

De même, le juge de paix est incompétent pour connaître d'une demande en paiement de loyers et en résiliation de bail, bien que la somme demandée rentre dans les limites de sa compétence, si d'ailleurs il y a contestation sur les conditions et le prix de la location, et s'il est soutenu que ces conditions élèvent le prix du bail au-dessus de la compétence du juge de paix (Cass., 26 août 1857, S.-V. 58.1.151).

L'action en paiement de loyers et l'action en paiement d'une certaine somme pour réparations locatives sont toutes deux personnelles; mais la compétence quant à l'une et à l'autre n'est pas la même. La première doit être portée devant le juge de paix du domicile du défendeur, d'après la règle générale, et la seconde par exception devant le juge de paix de la situation de l'objet litigieux - Il n'y a donc pas indivisibilité entre ces deux actions, quoiqu'elles aient été formées conjointement et qu'elles dérivent du même droit. Il y a toujours lieu de les séparer pour attribuer chacune d'elles au juge qui doit en connaître (Cass., 16 août 1854.

Bost, le Correspondant des justices de paix, année 1855, p. 12). La compétence du juge de paix en matière de congé pour les baux de 400 francs, et au-dessous, est générale et doit recevoir son application quelle que soit la cause du congé : la disposition de la loi du 25 mai 1838, qui restreint la compétence de ce juge, en matière de résiliation de baux, au seul cas où la demande est fondée sur le défaut de paiement de loyer, n'est pas susceptible d'être étendue à la matière des congés (Colmar, 13 mars 1856 (1), S.-V. 57.2.122, P.57.779.- Chauveau, Journal des avoués, 1857, p. 160; Bost, le Correspondant des justices de paix, année 1856, p. 223). 1262. En matière de bail le juge de paix a le pouvoir comme en toute autre matière d'accorder au preneur un délai pour se li

(1) Dans l'espèce, le propriétaire avait fait signifier congé à son locataire qui occupait un logement d'un loyer annuel de 280 francs et l'avait assigné devant le tribunal civil à fin d'expulsion des lieux. Le locataire excipait de l'incompétence du tribunal civil en invoquant la disposition de l'article 3 de la loi du 25 mai 1838, modifié par la loi du 2 mai 1855 qui attribue aux juges de paix la connaissance des congés lorsque le prix du bail n'excède pas 400 francs. A quoi le propriétaire répondait que la compétence du juge de paix était restreinte au seul cas où le congé était donné par un propriétaire pour cause de non-paiement de loyer par le locataire; que cette restriction était exprimée dans la loi aussi bien en vue des congés que des demandes en résiliation de baux. Le Tribunal de Colmar, par jugement du 2 janvier 1856, avait admis ce système et déclaré valable le congé donné au locataire; mais la Cour de Colmar, par arrêt du 13 mars 1857, a réformé ce jugement. Cet arrêt porte entre autres motifs : - « Considérant que, par des motifs d'intérêts et de célérité, la loi du 25 mai 1838 (modifiée par celle du 5 mai 1855), a mis dans les attributions des juges de paix diverses actions relatives aux baux de 400 francs et au-dessous qui, à raison de leur minime importance, devaient trouver dans la juridiction de ces magistrats une garantie suffisante et une justice plus prompte et plus économique; que, contrairement aux principes ordinaires, le législateur n'a pas pris pour base de compétence l'importance ou la valeur de la demande, mais la nature de l'affaire et le prix annuel des baux; que, dans ces limites, il a donné plénitude de juridiction aux juges de paix, à moins que par une disposition formelle et spéciale, il n'y ait apporté lui-même une restriction ; que c'est ainsi qu'il n'a voulu attribuer aux juges de paix, parmi les demandes en résiliation de baux, que celles qui seraient fondées sur le seul défaut de paiement; mais que ces termes « fondés sur le seul défaut de paiement » s'appliquent exclusivement aux demandes en résiliation et non aux congés, que la loi a mis, sans réserve, dans les attributions des juges de paix pour les baux de 400 francs et au-dessous ; Considérant que cette interprétation ressort suffisamment de l'examen attentif de la loi et de son sens grammatical; que dans la pratique et les usages de la procédure, le défaut de paiement du prix du bail entraîne une demande en résiliation et non un congé, auquel on a recours dans des circonstances différentes que cette interprétation est rendue plus évidente encore si on se reporte à l'origine de la loi et aux phases diverses qui ont précédé son adoption, etc., etc. »

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