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La doctrine sur la prérogative royale constitutionnelle, dit M. le vicomte de Châteaubriand (1), est, que rien ne procède directement du roi, dans les actes du gouvernement; que tout est l'œuvre du ministère, même la chose publique qui se fait au nom du roi et avec sa signature, projets de lois ordonnances, choix des hommes. Le roi, dans la monarchie représentative est une divinité que rien ne peut atteindre; inviolable et sacrée, elle est encore infaillible; car s'il y a erreur, cette erreur est du ministère et non du roi. Ainsi, on peut tout examiner sans blesser la majesté royale; car tout découle d'un ministère responsable....] 6. Pour les conseils et les avis qui regardent le bien de l'état, comme il y a des délibérations de diverses sortes, ils doivent y être proportionnés; ainsi, les devoirs y sont différens. Car si, par par exemple, il ne s'agit que d'un simple conseil sur des affaires d'état, soit pour la guerre, ou pour le gouvernement, ou autres qui ne soient mêlées d'aucun intérêt particulier de ceux qui ont à donner des conseils de cette nature, ils remplissent leurs devoirs, si étant capables de bien conseiller, ils joignent à l'habileté nécessaire une grande application pour étudier le bien de l'état, et pour faire le choix d'un parti qui lui soit utile. Et il est rare que pour ces sortes de conseils ils aient besoin d'aucun usage du désintéressement qu'un mélange d'intérêts et de passions qui pourraient balancer le bien public, leur rendrait nécessaire. Mais dans les occasions où ce mélange peut se rencontrer, ils doivent joindre à l'habileté une fidélité sincère et désintéressée pour ne pas tomber dans le crime énorme de tourner leurs conseils aux vues de leurs intérêts, et les préférer au bien de l'état. (Charte, 13. V. la note appliquée à l'art. 2.)

7. Dans les occasions où il s'agit d'avis ou de conseils qui regardent des affaires des particuliers, il faut distinguer deux différentes sortes de devoirs. L'une qui regarde ce que doivent à la vérité ceux qui ont l'honneur d'approcher le prince, et l'autre qui regarde ce qu'ils doivent à la justice et à l'équité, ainsi qu'on l'expliquera dans les deux articles qui suivent.

8. Comme il n'est pas possible que les princes les plus éclairés et les plus appliqués à leurs devoirs ayant toujours par euxmêmes la connaissance des faits des affaires qu'ils doivent régler ou juger, et qui ne s'instruisent pas par des procédures judiciaires, comme des procès qui contiennent les preuves des faits, mais qui sont des affaires d'autre nature, comme des plaintes de personnes opprimées, et autres semblables; ils sont obligés de se confier à ceux qui sont auprès d'eux pour en apprendre la vérité. Ainsi, il est du devoir de ces personnes de s'instruire elles-mêmes bien exactement de la vérité pour en informer ensuite le prince, sans rien déguiser, de quelque qualité que puissent être ou ceux (1) De la monarchie selon la Charte.

qui se plaignent, ou les oppresseurs. Car comme c'est le devoir du prince de protéger ceux qui souffrent quelque violence, et d'exercer toutes les autres sortes de fonctions de la puissance souveraine qui est en ses mains; c'est aussi le devoir de ceux que ces occasions et leur rang auprès du prince engagent à l'y servir, qu'ils exercent de leur part la fidélité de ne pas retenir la vérité dans l'injustice, et qu'ils lui fassent connaître les faits qu'il doit savoir pour rendre justice, et pour protéger l'innocence et la vérité. (Charte, 13.)

«Qui veritatem Dei in injusticia detinent. Rom. 1. 18. » Quoique ce passage regarde une prévarication contre un devoir d'une autre nature que celui dont il est parlé dans cet article, il y convient natu

rellement.

[Art. 52. Sous la direction des consuls, un conseil d'état est chargé de rédiger les projets de lois et réglemens d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative (1).

:

Le Roi est le chef de l'état, dit le président Henrion de Pensey (2), il en est le suprême administrateur; et toute justice émane de lui, aussi l'autorité judiciaire et le pouvoir administratif résident éminemment dans sa personne. Mais quant à l'exercice de cette prérogative, il y a une différence qui doit être remarquée et sur laquelle je vais m'arrêter un instant la Charte constitutionnelle dit, à la vérité. que toute justice émane du Roi, mais elle s'empresse d'ajouter que la justice est administrée par des juges qu'il institue (v. Charte, 57). Elle ne s'arrête pas là; elle imprime à leur institution le sceau de l'irrévocabilité, elle veut qu'après les avoir nommés le Roi ne puisse pas les révoquer. La Charte s'exprime bien différemment lorsqu'elle s'occupe de l'administration. Le Roi en est le chef : toute administration, comme toute justice, émane de lui, mais à la différence de la justice, il n'est pas obligé de déléguer l'administration; la Charte dit, et rien de plus : le Roi nomme à tous les emplois de l'administration publique (V. Charte, 14), disposition purement facultative qui laisse au Roi la liberté d'administrer luimême, ou par des mandataires de son choix, de faire rappeler à lui les branches de l'administration qu'il aurait pu confier à certains administrateurs, et de les révoquer tous lorsqu'il le jugera à propos. Telle était donc la ligne de démarcation entre le contentieux administratif et le contentieux judiciaire. Dans le domaine du premier, se place toutes les affaires qui, par leur nature, sont soumises à la décision du Roi; et, dans les attributions du contentieux judiciaire, il faut ranger toutes celles dont le Roi est obligé de déléguer la connaissance à des fonctionnaires qu'il institue, mais qu'il ne peut pas révoquer. Mais quelles sont les affaires qui, par leur nature, sont soumises à la décision du Roi? On ne peut pas s'y méprendre. Puisque dans la personne du Roi le droit de juger dérive du droit d'administrer, et que sa qualité de juge est attachée à celle d'administrateur, il faut nécessairement que sa compétence, comme juge, se concentre dans la sphère administrative. Le conseil d'état agit-il dans cette sphère? Lui-même peut-il croire qu'il s'y renferme, lorsque, par des délibérations qui doivent être converties en jugemens,

(1) Constitution française du 22 frimaire an 8, tit. 4. (2) De l'autorité judiciaire en France.

sous la dénomination d'ordonnances royales, il applique les dispositions du code pénal à des particuliers qui ont commis des dégradations sur les routes? A ceux qui par des voies de fait troublent l'exercice des cultes? Aux ministres de ces mêmes cultes qui, dans l'exercice de leurs fonctions, outrageraient des citoyens, et feraient d'un ministère de paix et de charité, un instrument de vengeance et d'oppression? Lorsque dans le cas il y a abus, il réforme des actes émanés de la juridiction ecclésiastique? Lorsqu'il reçoit l'appel des sentences des tribunaux de commerce, en matière de prises maritimes? Lorsque incidemment à des questions de domicile, il statue sur l'état des citoyens? Enfin, lorsqu'il prononce sur des intérêts privés, sur des difficultés qui, étrangères au gouvernement, ne concernent que des particuliers et dont la décision est subordonnée aux lois civiles ou de police? Je ne crois me tromper, en disant que les lois qui avaient conféré différentes attributions au conseil d'état impérial sont abrogées par les dispositions de notre Charte constitutionnelle, qui porte: La justice s'administre au nom du Roi par des juges qu'il institue et qui sont inamovibles. Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels. Il ne pourra être créé de tribunaux et cominissions extraordinaires. Les lois actuellement existantes et qui ne sont pas contraires à la présente Charte restent en vigueur. On ne peut donc se le dissimuler : en se perpétuant dans les usurpations du conseil d'état impérial, en commettant lui-même de nouvelles entreprises sur les tribunaux, le conseil d'état trouble l'ordre des juridictions, distrait les citoyens de leurs juges naturels, aggrave les maux inséparables des contestations judiciaires, se met en opposition avec la Charte constitutionnelle, et fournit des armes à ses détracteurs, en leur montrant au centre d'un gouvernement où tous les pouvoirs sont définis, divisés, et circonscrits par la constitution, une réunion d'hommes qui se transformant tantôt en juges civils, tantôt en tribunal correctionnel, délibèrent et prononcent sur les grands intérêts des citoyens, et s'arrogent des fonctions déléguées aux tribunaux par la Charte constitutionnelle. L'ordonnance du 23 août 1815, sur la réorganisation du conseil d'état, porte: art. 10. Notre comité de législation et notre comité du contentieux seront présidés par notre garde-des-sceaux, ministre-secrétaire d'état au département de la justice, et, à son défaut, par les conseillers qu'il croira devoir déléguer à cet effet.

Nos comités des finances, de l'intérieur et du commerce, de la marine et des colonies, seront présidés chacun par celui de nos ministères dans lequel il se trouve placé, et, à son défaut, par le conseiller d'état que chacun de nos ministres croira déléguer à cet effet. Art. 11. Nos comités de législations, des finances, de l'intérieur et du commerce, de la marine et des colonies, d'après les ordres et sous la présidence de nos ministres secrétaires-d'état, prépareront les projets de lois, ordonnances, réglemens, et tous autres, relatifs aux matières comprises dans les attributions des départemens ministériels auxquels ils sont attachés.

Art. 12. Chacun desdits comités connaîtra en outre des affaires administratives que le ministre, dont il dépend, jugera à propos de lui confier, et notamment de celles qui, par leur nature, présenteraient une apparition de droits, d'intérêts ou de prétentions diverses, telles que les concessions des mines, les établissemens de moulins, usines, les desséchemens, les canaux, partages de biens communaux, etc.

Art. 13. Le comité du contentieux connaîtra de tout le contentieux

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des divers départemens ministériels d'après les attributions assignées à la commission du contentieux par les décrets du 11 et 22 juillet 1816. - Le comité du contentieux exercera en outre les attributions précédemment assignées au conseil des prises.

Art. 14. Les avis, rédigés en forme d'ordonnances, seront délibérés et arrêtés en notre conseil d'état, dont les divers comités se réuniront à cet effet, deux fois par mois, et plus souvent si le besoin des affaires l'exige. - Nos ministres secrétaires-d'état prendront séance dans cette

réunion (1).]

9. Lorsque la vérité étant bien connue du prince le devoir de la lui faire connaître se trouve rempli, c'en est un second dans le cas où il faut donner quelque conseil sur les faits connus et dans tous les autres où l'on doit conseiller le prince, de donner des conseils désintéressés et dont le zèle de la justice soit le principe et le fondement. Et dans les cas où ces personnes ont à rendre elles-mêmes la justice aux particuliers, soit par le devoir de leurs charges ou par l'ordre du prince (Charte, 57, s.); ils entrent dans les engagemens des devoirs des juges, qui sont expliqués en leur lieu. (V. le tit. 4 du liv. 2.)

10. Comme il y a trois sortes de personnes qui peuvent se trouver dans l'engagement de donner au prince quelques avis ou quelques conseils, ainsi qu'on l'a expliqué dans l'article 3 de la sect. 1, les devoirs de ces personnes sont différens, selon les différences qu'y font leurs engagemens. Les officiers ou ministres qui sont du conseil du prince ont leurs devoirs réglés par la nécessité de leurs fonctions qui leur rendent naturelle la liberté de les exercer, donnant au prince des conseils désintéressés sur tout ce qui peut être de leur ministère, soit pour ce qui regarde l'ordre du gouvernement, ou l'administration de la justice, ou la dispensation des finances, ou le soulagement du peuple, ou d'autres affaires qui se rapportent aux intérêts et aux droits du prince et au bien public, ou qui regardent des intérêts de particuliers. Les officiers qui, sans être du conseil du prince, sont obligés, par leurs charges, de l'informer de faits qui doivent venir à sa connaissance, sont obligés de l'en avertir; et s'il s'agit de réformation de quelques abus, lui en faire connaître la conséquence, et lui proposer les remèdes pour y pourvoir. Les personnes qui n'ont pas d'autre engagement auprès du prince que l'honneur qu'il leur fait de les approcher de soi, ont leur devoir réglé par la confidence qu'il peut leur faire, et par l'accès qu'il peut leur donner. Ce qui renferme l'obligation de lui faire connaître dans les occasions selon la prudence, les faits dont il serait important qu'il eût connaissance, comme de quelque oppression qu'il

(1) V. Ordonnances des 29 juin 1814, 19 et 21 septembre, 23 novembre 1815, 19 avril 1817, et 16 juillet 1820; avis du comité du contentieux de 14 avril et 12 décembre 1821; 27 novembre, 17 décembre 1823; ordonnance du 26 août 1824, et 18 janvier 1826.

pût seul venger, ou d'autres semblables. (V. les art. 3 et 6 de la sect. 1.)

11. On peut mettre au rang des devoirs de donner des conseils au prince ou des avis, la conduite que doivent tenir les personnes qui se trouvant chargées de l'exécution de quelque ordre qui aurait été surpris, prévoient qu'il pourrait tourner à quelque injustice, ou blesser l'intérêt du prince. Car il serait de leur prudence et de leur devoir de prendre les mesures nécessaires pour remontrer sagement au prince les événemens qui seraient à craindre (1).

12. L'importance et la conséquence de tous ces devoirs qu'on vient d'expliquer n'est pas bornée aux grandes affaires, mais ils s'étendent aux moindres des occasions où il peut être nécessaire de recourir au prince. Ainsi, les intérêts des moindres personnes qui souffrent quelque oppression, dont la délivrance dépend de lui, fait un devoir à ceux qui sont en place pour l'en avertir d'écouter les plaintes qui viennent à eux pour en donner connaissance au prince, et protéger les faibles contre la violence des personnes puissantes. Car c'est pour soutenir la faiblesse contre l'injustice que Dieu a établi l'usage de l'autorité (2). (P. 166, 175, s.; 184, s.)

13. Ce n'est pas assez que les personnes obligées à tous ces dif férens devoirs s'acquittent de quelques-uns en quelques rencontres dont ils se réservent la distinction, négligeant les autres qu'ils croiraient pouvoir omettre sans intéresser leur honneur ou leur fortune; mais ils doivent les embrasser tout autant qu'il se peut. Car le principe qui doit être la règle de leur conduite n'en rejète aucun; puisque ce principe doit être une ferme habitude d'un amour généreux de la vérité et de la justice, dont les intérêts se rencontrent dans toutes les occasions d'affaires qui peuvent mériter la connaissance du prince. Ainsi, chacune de ces occasions leur fait un devoir de s'y acquitter de ce que peut leur ministère pour la justice et la vérité (3).

14. Comme le principe des devoirs du prince et la véritable grandeur de sa gloire consiste à remplir d'une manière digne de Dieu la place qu'il tient de lui; c'est aussi le principe des devoirs et du vrai honneur de ceux qui ont à lui donner des avis et des conseils de ne lui inspirer que des sentimens dignes de cette grandeur. Ainsi, rien n'est plus opposé à leurs devoirs que la petitesse d'ame et de cœur qui bornent leurs vues à celles de leur élévation et de leur fortune, et à d'autres bassesses de motifs humains qui les engagent à de lâches flatteries, et à des conseils d'une fausse sagesse et d'une politique criminelle. Mais cette conduite, quel que soit le succès qu'elle puisse avoir, ne saurait

(1) 2. Reg. 24. 3. 1. Paralip. 21. 1. (2) Jerem. 21. 12. Ibid. 22. 3. Judic. 2. 16. Eccli. 4. 9. Ps. 52. 5. (3) Luc. 16. 10.

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