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et s'il arrive quelques cas où la coutume et l'usage qu'on a ne s'entende point, il faut se régler par les conséquences qu'on peut en tirer naturellement que si cela même ne donne aucun jour pour régler la difficulté, il faut recourir à ce qui s'observe dans la ville qui, entre toutes les autres, tient le premier rang. (V. l. 32. Ibid.)

4. C'est par l'usage du bon sens et de la science que les juges doivent discerner dans les questions, ce qui fait naître la difficulté, et pénétrer les causes des doutes; car comme chacun des deux partis a son fondement qui forme le doute, et que ce doute ne peut venir d'une égalité de justice et de vérité qui soit dans les deux, puisqu'il ne peut y avoir ni deux justices, ni deux vérités qui soient opposées, et que rien ne met en balance les deux partis, que le défaut de vue du juste point de la justice et de l'équité, qui ne peut-être que dans l'un des deux, c'est par la vue de ce point qu'on cesse de douter et de balancer, et pour le trouver il faut avoir et le bon sens et la science, et observer la règle qui suit.

5. Comme les difficultés en toute sorte de questions viennent ou de l'opposition apparente d'une règle à une autre, d'un principe d'équité à la disposition littérale d'une loi écrite, d'une rigueur étroite du droit à un tempérament que l'équité semble demander, d'une maxime générale à une autre, qui peut en faire une exception, ou de l'application d'une règle propre à une matière dans une autre qui à d'autres règles toutes différentes, ou de la faveur que chaque parti peut tirer des considérations d'équité qui se rencontrent de part et d'autre, soit par la qualité des parties, comme entre un donateur et un donataire, un père et un fils, ou par la nature des prétentions opposées, s'agissant par exemple d'une part de quelque perte considérable, et seulement d'un profit de l'autre, et d'autres semblables combinaisons de motifs opposés qui forment des doutes et des difficultés de plusieurs natures, on ne peut s'y déterminer que par les différentes vues de diverses sortes de règles pour distinguer quelles sont celles qui conviennent à toutes matières, et quelles sont celles qui ont leurs bornes à quelques-unes, quelles sont les règles de l'équité naturelle, et celles qu'on appelle arbitraires; quelles sont celles qui sont générales, et si elles souffrent des exceptions ou n'en souffrent point, et quelles sont les exceptions de celles qui en souffrent, quels sont les cas où il faut suivre la rigueur du droit, et quand on peut la modérer par des tempéramens d'équité, quel est l'effet des lois nouvelles à l'égard du passé (C. civ. 2. Nulle puissance humaine ni surhumaine ne peut justifier l'effet rétroactif d'aucune lois, Mirabeau »); et quels sont les cas où elles règlent également et le passé et l'avenir, et ceux où elles n'ont leur effet que pour l'avenir, quelles sont les règles et les différentes manières d'interpréter les obscurités et les autres diffi

cultés dans les conventions, dans les dispositions à cause de mort, dans les bienfaits des princes, et pour mettre en usage ces connaissances toutes nécessaires, il faut un sens qui ait l'étendue, la lumière et la justesse, pour juger par toutes ces vues des divers égards qu'il faut avoir à chacun, et savoir choisir la décision par les principes et les règles qui ont le plus juste rapport aux faits et aux circonstances.

SECTION II.

De la probité ou intégrité des officiers de justice.

Ce n'est pas sans raison qu'on a distingué la probité des officiers de justice, de celle des autres sortes d'officiers par le nom propre d'intégrité, puisqu'en effet ils ont besoin d'un caractère de probité si pure, si délicate et si entière, qu'elle doit être de beaucoup au-dessus du caractère de probité que toutes les autres sortes de charges peuvent demander; car au lieu que, pour toutes les autres charges, soit de guerre ou de finances, il suffit que l'officier soit homme de bien, c'est-à-dire de bonnes mœurs par rapport à ses fonctions, et qu'il les exerce fidèlement sans faire tort à personne: de sorte que, par exemple, il suffit pour la probité d'un receveur, en ce qui ne regarde que les fonctions de sa charge, qu'il ne fasse point de concussions (p. 174), et qu'il l'exerce avec la modération que peut y demander l'humanité, et qu'il suffit pour les officiers de guerre, pour ce qui regarde la probité, qu'ils ne commettent point de violences et d'injustices, et qu'ils se contentent de ce qu'ils ont de la part du roi (1): il n'en est pas de même des officiers de justice; car ils sont non-seulement obligés à ne point faire de concussion (p. 175, 177, s.), ni de violences (p. 188, s.), et à se contenter de leurs gages et des émolumens qui peuvent leur être accordés; mais ils doivent de plus avoir au moins les qualités que devaient avoir ceux que Moïse choisit pour juger les moindres différends du peuple, c'est-à-dire, qu'ils doivent avoir la force et le courage nécessaires pour leurs fonctions, la crainte de Dieu, la connaissance et l'amour de la vérité, et un éloignement de l'avarice qui aille jusqu'à la haïr (2), et on peut dire que ces qualités comprennent tout ce qui peut être nécessaire pour faire un bon juge, et qu'on ne saurait l'être si l'on manque de quelqu'une.

On peut remarquer sur ces qualités, qu'elles consistent principalement dans les dispositions du cœur, et que l'esprit y a la moindre part, et quoiqu'elles comprennent également

qui

(1) Luc. 3. 14. (2) Exod. 18. 21. L 1, § 5. C. de offic. præf, præt. affr.

regarde la capacité des juges, et ce qui regarde leur intégrité, elles font consister le plus essentiel de leurs devoirs dans les dispositions du cœur qui font l'intégrité, et réduisent ce qui regarde la capacité à posséder la vérité, in quibus sit veritas, c'est-à-dire en avoir une plénitude qu'ils puissent mettre en usage; sur quoi il faut remarquer que lorsque Moïse choisit des juges pour le soulager dans son ministère de juge du peuple, il n'y avait pas encore d'autres lois que celles de la nature, ni de différends qui demandassent d'autres règles pour les décider, et qu'ainsi la capacité de ces juges devait consister à connaître cette équité, dont la connaissance et l'amour fait ce devoir qui se doit entendre par celui de posséder la vérité; mais comme aujourd'hui la multiplication des lois oblige les juges non-seulement d'avoir un esprit de vérité que devaient avoir ces juges choisis par Moïse, mais de plus encore la connaissance du détail des lois et des règles dont nous avons aujourd'hui l'usage, leur capacité doit avoir bien plus d'étendue; et, pour ce qui est de l'intégrité, elle doit être au moins la même aujourd'hui qu'au temps de ces juges, et peut-être la faudrait-il encore plus grande puisque les obstacles au devoir de l'intégrité, sont aujourd'hui bien plus grands qu'ils n'étaient alors; car ces juges n'avaient ni fortune à ménager, ni d'égard aux personnes dont ils eussent quelque chose à craindre, ayant de leur part en main l'autorité divine qui se rendait visible dans le ministère du gouvernement et de l'administration de la justice, dont Moïse leur faisait part.

C'est donc au moins à ces qualités nécessaires aux juges des moindres affaires que doit se réduire l'intégrité dont on parle ici, et il est facile d'en voir les raisons, et quelles sont les causes qui demandent ces dispositions dans le coeur d'un juge; qu'il ait de la force et du courage, qu'il craigne Dieu, qu'il aime la vérité, et qu'il ait de l'horreur pour l'avarice.

La première de ces qualités est sans doute la crainte de Dieu, puisqu'elle est le fondement des autres et les comprend toutes; car si la crainte de Dieu est un devoir commun à toutes personnes de toutes sortes de conditions, personne n'y est plus étroitement obligé que ceux qui, tenant sa place au-dessus des autres, ont à lui rendre compte de l'usage qu'ils auront fait du pouvoir qu'il leur a confié, et c'est à ce rang de dignité, d'autorité, que doivent être proportionnés les devoirs de ceux qui en sont les dépositaires, et de qui les fonctions sont de maintenir cette dignité, et de mettre en usage cette autorité.

Comme les juges tiennent la place de Dieu, c'est par cette raison qu'il les appelle lui-même des Dieux (1): car comme la

(1) Ps. 81. v. 1. v. 6. Joan. 10. 34 et 35. Exod. 7. 1.

fonction de juger les hommes, que la nature rend tous égaux (Charte, 1, s.), n'est naturelle à aucun d'eux, et que toute autorité d'un homme au-dessus d'un autre, est une participation de celle de Dieu, la fonction de juger est une fonction qu'on peut en ce sens appeler divine, puisqu'on y exerce un pouvoir qui n'est naturel qu'à Dieu, et que nous apprenons dans l'Écriture que ce n'est pas un jugement des hommes que les juges doivent rendre, mais celui de Dieu même (1); et si les fonctions du sacerdoce ont une dignité qui, par d'autres raisons, est beaucoup au-dessus de celle des juges, celle-ci a cet avantage, qu'au lieu que la fonction d'intercéder pour le peuple, essentielle au sacerdoce, renferme l'assujettissement et la dépendance, et ne peut se trouver que dans une nature inférieure à celle envers qui le prêtre ou le pontife est l'intercesseur (2), celle de juger renferme la supériorité et le caractère de l'autorité divine, qui seule a par elle-même le droit de juger.

Puisque c'est donc une fonction divine qu'exercent les juges, et que ce sont les jugemens même de Dieu qu'ils doivent rendre, ce leur est un premier devoir de craindre qu'il ne manque à leurs jugemens quelqu'un des caractères essentiels qui doivent les rendre dignes de ce nom; et c'est le premier sentiment que doit leur inspirer cette crainte de Dieu, et qui doit leur graver dans le cœur l'attente du poids de ce jugement qu'il fera des leurs, et des châtimens qu'il prépare à ceux qui n'auront pas fait de la puissance qu'il leur avait confiée l'usage qu'il en ordonnait (3).

La seconde de ces qualités que les juges doivent avoir, est la force et le courage, qui suivent naturellement de cette première, qui est la crainte de Dieu; car le fruit naturel de cette crainte est la fermeté et l'intrépidité à l'égard de tout ce qui peut venir de la part des hommes (4), et l'usage de cette force est de résister à toutes sollicitations, recommandations, et aux autres impressions de la part des personnes puissantes, ou qui pourraient nuire, et de soutenir et protéger la justice et la vérité au péril de tout (5), et surtout dans les occasions où il faut la rendre à ceux qui n'ont pour toute recommandation que leur faiblesse ou leur pauvreté(6); c'est à cause de la nécessité de cette force et de ce courage pour exercer les fonctions de juge, que Dieu défend à ceux qui en manquent de s'engager dans ce ministère, de crainte que la considération de quelque personne puissante ne les porte à quelque injustice (7).

La troisième qualité dont Dieu commande l'usage aux juges,

(1) 2. Paralip. 19. 6. (2) Heb. 5. v. 1. (3) L. 14, in fine, c. de jud. 2. Paralip. 19. 6. Sap. 6. 2. (4) Prov. 14. 26. Eccli. 34. 16. Prov. 29. 25. (5) Eccli. 4. 33. (6) Isai. 10. 1. 2. Ps. 81. 2. Eccli. 4. v. 8. 9 et 10. Prov. 22. v. 22. 23. Ibid. 31. 9. Prov. 29. 7. (7) Eccli. 7. 6.

est d'avoir en eux-mêmes la vérité, c'est-à-dire, de l'avoir dans l'esprit et dans le cœur, de la connaître et de l'aimer, car c'est dans la connaissance et dans l'amour de la vérité que consiste la sagesse et la principale science d'un juge, et c'est la crainte de Dieu qui donne cette science et cette sagesse (1). C'est par la lumière de la vérité qu'un juge discerne en chaque occasion quel est son devoir, et c'est par l'amour de la vérité qu'il s'y porte et qu'il l'embrasse de toutes ses forces (2); car personne n'ignore que l'amour est le principe unique de nos mouvemens, de nos actions et de notre conduite, et comme nous ne saurions agir que pour quelque fin qui nous attire, c'est à cet attrait où tendent toutes nos démarches comme un poids au centre, et c'est la pente de ce poids qu'on appelle amour; de sorte que si le juge ne sent un attrait dans la vérité et dans la justice, et si son poids a sa pente vers quelque autre objet, il se portera par d'autres attraits à des injustices, et sera sans mouvement pour rendre justice dans les occasions où elle ne sera accompagnée de rien qui l'attire.

La quatrième qualité nécessaire aux juges, est l'éloignement de l'avarice, et cette qualité, comme les autres, suit la crainte de Dieu, qui juge que rien n'est plus méchant qu'un avare (3), et que rien ne lui est par conséquent plus opposé; car l'avare plonge son cœur dans un amour capitalement opposé à celui qui est commandé par les deux premières lois, et qui ruine ces deux fondemens de toute justice, puisqu'il engage l'avare dans une idolâtrie, qui est la source de tous les maux (4).

Si l'avarice dans l'usage des biens temporels est un si grand crime, qu'elle est appelée une idolâtrie et même la source de tous les maux, quel nom pourrait-on donner à l'avarice des juges dans le ministère divin de la dispensation de la justice, puisque ce crime à leur égard n'est pas un simple violement des devoirs communs et mutuels des hommes entre eux, mais encore une prévarication contre l'ordre universel, et contre le devoir de ce service et de ce ministère public, auquel les juges sont singulièrement destinés par leurs fonctions, et cette prévarication de l'avarice des juges est d'autant plus criminelle que l'avarice des particuliers, en ce que les particuliers n'exercent leur avarice que par des voies qui portent les apparences et le caractère de l'iniquité, et qui peuvent être réprimées par l'autorité des juges, au lieu que l'avarice des juges s'exerce par la voie même de l'autorité, qui établit l'injustice par le ministère de la justice.

On peut remarquer ici deux effets de l'avarice, qui sont les plus ordinaires dans le ministère de la justice et qui paraissent les moins criminels.

Le premier est de prendre plus d'émolumens qu'on ne doit en prendre, ou d'en prendre dans des occasions où l'on ne doit pas en prendre.

(1) Eccli. 1. 34. Ps. 110. 10. (2) Sap. 1. 1. 3. Reg. 3. 9. L, 14. c. de judiciis. (3) Eccli. 10. 9. (4) Coloss. 3. 5. Ephes. 5. 5. I Timoth. 6. 9 et 10. v. Col. 3. 5.

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