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mari ne sont pas des motifs qui puissent justifier une demande en séparation de corps de la part de la femme. Le juge en chef Duval et le juge Drummond n'ont pas concouru dans cette décision.

Il en est de même de la simple incompatibilité d'humeur, elle ne suffit pas pour motiver la séparation de corps: Turgeon v. Turgeon (1 L. C. L. J., p. 109), Badgley, J.

Dans la cause de Brunet v. Leroux (27 L. C. J., p. 53 et 5 L. N., p. 41), il fut prouvé que le mari avait communiqué à sa femme une maladie vénérienne et la séparation de corps fut ordonnée.

Mais il n'en est pas ainsi du refus d'accorder le devoir conjugal, à moins qu'il ne soit inspiré par la haine ou l'aversion ou par le mépris. Telle est la portée d'une décision du juge Casault dans une cause de Dasylva v. Plante (8 Q. L. R., p. 349), où le savant magistrat a également jugé que les pratiques honteuses auxquels se livre le mari, ne peuvent être une cause de séparation que lorsque le mari se les permet en présence de sa femme. Des allégations à cet effet ont été retranchées de la déclaration sur défense en droit.

Enfin, dans la cause de Bonneau & Circe (19 R. L., p. 437 et M. L. R., 6 Q. B., p. 335), la cour d'appel a décidé que lorsque l'épouse provoque elle-même, par la légèreté de sa conduite et par sa désobéissance aux ordres légitimes de son mari, la colère de celui-ci et s'expose à certains mauvais traitements isolés de sa part, elle n'obtiendra pas la séparation de corps.

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III. Refus du mari de recevoir sa femme. Notre code donne une autre cause de séparation de corps tirée de l'ancien droit. C'est la disposition de l'article 191 qui se lit comme suit:

191. Le refus du mari de recevoir sa femme et de lui "fournir les choses nécessaires à la vie, suivant son état, sa con"dition et ses moyens, est une autre cause pour laquelle la femme peut demander la séparation de corps."

Cet article ne se trouve pas dans le code Napoléon, mais les auteurs français considèrent ce refus comme une injure grave qui peut servir de base à une demande en séparation de corps (a). C'est, du reste, la conséquence et la sanction de l'article 175 qui dit que le mari est obligé de recevoir sa femme et lui fournir ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état.

(a) Voir mon tome premier, p. 497, in fine.

Remarquons, à ce sujet, que Pothier (Mariage, no 511) observe que lorsque la séparation est demandée pour cette cause, le juge "ne doit pas la prononcer d'abord; mais qu'il doit, par une pre"mière sentence, condamner le mari à fournir les choses qu'elle "demande, qu'il jugera lui être nécessaires; ce n'est que faute par le mari d'exécuter cette première sentence, qu'il prononce "la séparation."

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Il est évident que pareil ordre pourra être donné, si la femme l'a demandé par les conclusions de sa demande. En dehors de ce cas, ce serait adjuger, me semble-t-il, ultra petita. Du reste, le mari est en cause et il peut déclarer qu'il consent à recevoir sa femme, et alors, s'il y a lieu de croire à la sincérité de sa déclaration, le tribunal ne prononcera pas la séparation demandée pour ce seul grief. Ajoutons que l'article 191 est formel et n'exige pas d'autre condition que la preuve du refus du mari de recevoir sa femme et de lui fournir les choses nécessaires à la vie.

Dans la cause de Dennehey v. Spring (13 R. L., p. 59), le juge Mathieu a décidé qu'il y a lieu à la séparation de corps et de biens, à la poursuite de la femme, si le mari l'abandonne pour aller vivre dans une autre province, et ne lui fournit pas les choses nécessaires à la vie.

Dans une autre cause, Leriger dit Laplante v. Pinsonneault (7 L. N., p. 311), la cour de revision a jugé qu'une action en séparation de corps et de biens, basée uniquement sur la désertion par la femme du domicile conjugal, est bien fondée en droit. Telle est également la doctrine enseignée par les auteurs en France (a).

IV. De la mort civile.

On pourrait ajouter cette cause de séparation à celles qu'indique le code. Il est évident que puisque la mort civile détruit tous les effets civils du mariage, art. 36, § 7, elle détruit en même temps et de plein droit la communauté d'habitation. Il me suffit du reste de renvoyer à ce que j'en ai dit dans mon tôme premier, p. 158. Cependant, il n'y a pas lieu, dans ce cas et pour cette raison seule, de demander la séparation de corps, et cela d'abord parce que cette séparation existe déjà par l'effet du jugement de condamnation, et ensuite parce que ce jugement cessera de produire des effets si le condamné reçoit son pardon, sa libération ou si sa peine est commuée en une autre peine qui n'emporte pas mort civile.

(a) Voy. mon tome Ier, p. 497, in fine.

CHAPITRE II. DES FORMALITÉS DE LA DEMANDE EN

SÉPARATION DE CORPS

I. Compétence du tribunal. L'article 192 porte que "la "demande en séparation de corps est portée devant le tribunal "compétent du district dans lequel les époux ont leur domicile."

L'article 35 du code de procédure civile dit que "dans toute "demande en séparation soit de corps et de biens, ou de biens "seulement, l'assignation doit être donnée devant le tribunal du "domicile des époux."

Or, comme la femme, non séparée de corps, a son domicile chez son mari (art. 83), c'est à ce domicile que la demande doit être portée, bien que les époux résident ailleurs ou que, par suite d'une séparation de fait, la femme se soit fixée dans un autre endroit.

Cette règle est si absolue que l'on décide qu'une séparation obtenue dans un autre district serait nulle de nullité absolue: Molleur v. Dejadon, Chagnon, J., 6 R. L., p. 105.

Telle est aussi la portée de l'arrêt rendu dans la cause de Bouchard v. Simard (16 Q. L. R., p. 348); le juge Casault y a décidé que le tribunal de l'époux est seul compétent à connaître d'une action en séparation de corps intentée par l'épouse; que le défaut de juridiction d'un autre tribunal étant ratione materia, peut être invoqué à l'audition au mérite et en l'absence d'un plaidoyer déclinatoire; qu'une disposition statutaire qui donne au "tribunal du district de Québec juridiction concurrente avec celui "du district de Beauce sur toutes les poursuites et procédures "instituées par ou contre des personnes dans les paroisses de...... Ste Claire, etc.," est générale et n'affecte pas la règle spéciale de l'article 192 du code civil, qui veut que l'action en séparation de corps soit portée devant le tribunal du district dans lequel les époux ont leur domicile; que, par conséquent, si ce domicile est à Ste Claire, l'action en séparation de corps intentée par l'un des époux devant la cour supérieure siégeant à Québec, doit être renvoyée pour défaut de juridiction ratione materiæ.

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II. Comment la demande se forme. -Preuve qu'on doit apporter. - L'article 193 dit que "cette demande est intentée, instruite et jugée de la même manière que toute autre action civile, avec "cette différence qu'il n'est pas permis aux parties d'en admettre "les allégations dont il doit toujours être fait preuve devant le " tribunal."

Cette disposition se complète par celle de l'article 989 du code

de procédure civile. Cet article dit que l'instruction de la cause, la sentence, son exécution et sa publication sont assujéties aux dispositions contenues en la section qui précède. Il s'agit de la section qui traite de la séparation de biens.

Sommairement, ces dispositions, en ce qui concerne l'instruction de la cause (a), paraissent permettre l'intervention des créanciers (art. 975 C. P. C.) (b), et elles prohibent les admissions et la confession de jugement (art. 976). Elles déclarent de plus que le jugement accordant la demande peut en même temps liquider les reprises de la partie demanderesse, ou ordonner qu'elles seront constatées par un praticien et des experts, s'il y a lieu (art. 977).

Le jugement de séparation doit être exécuté et publié suivant les dispositions contenues dans les articles 1312 et 1313 du code civil (art. 978 C. P. C.), c'est-à-dire que la séparation doit être exécutée soit par le paiement réel, constaté par acte authentique des droits et reprises de la femme, soit au moins par des procédures pour obtenir ce paiement, et le jugement est inscrit sans délai sur un tableau tenu à cet effet dans le bureau du protonotaire; il est fait mention de cette inscription ainsi que de sa date à la suite du jugement dans le registre où il est entré.

La femme poursuivant la séparation peut accepter ou répudier la communauté (art. 979); sa renonciation doit être enregistrée au bureau d'enregistrement dans la circonscription duquel le mari était domicilié au temps où la demande a été intentée (article 980) (c).

L'article 982 du code de procédure dit que lorsque les reprises de la femme consistent en mobilier, le mari peut exiger qu'elle en emploie le montant ou partie en achat d'immeubles. Cette disposition s'applique-t-elle dans le cas de la séparation de corps? Je ne le crois pas. En effet, l'article 208 du code civil dit que la séparation de corps fait perdre au mari les droits qu'il avait sur les biens de la femme.

Enfin, pour continuer à résumer sommairement les articles du code de procédure civile, l'article 983 oblige la femme d'obtenir

(a) L'instruction ne comprend pas l'assignation C'est pourquoi on décide que la publicité requise de l'assignation en matière de séparation de biens, ne s'applique pas à l'assignation en séparation de corps. (b) Voir ma note (a) supra, p. 5.

(c) Bien entendu que ces dispositions et autres semblables ne s'appliquent que lorsque les époux sont communs en biens; ainsi, on ne voit pas l'intérêt de créanciers à intervenir dans une instance en séparation de corps pendante entre époux déjà séparés de biens.

une ratification de titre lorsque le mari lui abandonne des immeubles en paiement de ses reprises, et l'article 984 dit que le mari peut contraindre sa femme à recevoir, en paiement, des immeubles sur estimation par experts, pourvu que ces immeubles soient convenables et ne rendent pas la condition de la femme désavantageuse.

Parlons maintenant de cette partie de l'article 193 du code civil qui défend aux parties d'admettre les allégations de la demande en séparation de corps, défense qui s'applique à l'admission forcée comme à l'admission volontaire. Nous avons vu que la séparation ne peut être accordée que pour cause déterminée et qu'elle ne saurait être basée sur le consentement mutuel des époux (a). C'est pour consacrer ce principe et prévenir la collusion dans l'instruction de la demande en séparation de corps, que l'article 193 dit "qu'il n'est pas permis aux parties d'en admettre les alléga"tions dont il doit toujours être fait preuve devant le tribunal." Il s'en suit que l'on ne peut, en principe, faire cette preuve par le serment de la partie adverse. Mais cette règle est-elle si absolue qu'il faille décider que même lorsque tout démontre l'absence de collusion entre les époux, l'époux demandeur ne pourrait interroger l'époux défendeur et obtenir de lui l'aveu forcé des causes de la séparation? Je ne le crois pas, car la loi ne vise pas ce cas.

Cependant, comme les époux peuvent feindre une contestation acrimonieuse dans le but de tromper la justice, l'application pratique de ce tempérament sera d'une nature très délicate.

La jurisprudence de nos tribunaux justifie ces exceptions, en même temps que la règle générale. Ainsi, dans la cause de Smith v. Wheeler (M. L. R., 1 S. C., p. 80), le juge Loranger a décidé que, dans une action en séparation de corps, l'allégation suivante de la déclaration, "the whole as confessed and admitted by defendant," peut être rejetée sur motion.

Le juge Papineau a également jugé, dans la cause de Ducharme v. Loyselle (27 L. C. J., p. 145), que sous aucune circonstance on ne peut interroger l'époux défendeur pour prouver la cause du demandeur.

Cependant, dans la cause de Starke v. Massey (17 L. C. J., p. 242), le juge Johnson a jugé que dans une action en séparation de corps et de biens, alléguant l'adultère par le mari dans la maison commune, l'admission du mari faite à des tiers ou

(a) Supra, p. 4.

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