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LETTRES

DU COMTE DU LUDE ET AUTRES PERSONNAGES

RELATIVES A L'ADMINISTRATION DU POITOU DE 1559 A 1580.

1.27 mars 1559. Lettre de François Aubert, président du présidial de Poitiers, au roi Henri II. (Fonds fr. 15871, p. 247.)

Syre, Cejourdhuy en la prédication faicte on couvent des Jacobins de ceste ville est advenu ung tumulte et scan. dalle si grand, par le moyen de quelques ungs mal sentans, de la foy et sédicieulx, que le pauvre peuple et la commune y estans assemblé en grande dévotion a prins six hommes qui ont esté blessez et renfermez en une chambre du cou. vent où incontinant j'ay esté avec le seigneur de la Guierche et en sa présence ay commancé à interroger l'ung des dits prisonniers, et en y proceddant est survenu on dict couvent grand nombre de gens qui y sont entrez par force et en icelluy rompu les portes et vitraulx, abattu les ymaiges et démoly tout ce qui leur a esté possible et le tout transporté avec les dicts prisonniers où bon leur a semblé, tellement que pour éviter au dangier de ma personne j'ay esté contrainct évader ceste furie, et par fortune me suys trouvé en ceste ville seul de voz officiers, et pour estre secouru j'ay faict assembler par le maire de la ville le conseil, et oultre usant de votre auctorité ay faict publyer à son de trompe que tous habitans eussent à fournir

promptement chacun d'ung homme armé; mays pour tout cela je n'ay peu trouver force qui peust résister à la émotion populaire estant assemblé en grande furie on dit couvent. Et ont tousiours continué dès l'heure de deux heures apres mydy jusques à neuf heures du soir. Au moyen de quoy, Syre, je me suis advisé d'escripre à monsieur de Montpezat votre seneschal en Poictou que j'ay adverti de ce que dessus, et le prye venir en ceste ville pour la craincte que j'ay, Syre, que autre plus grand sédition n'advienne par les héréticques et scismatiques et qui sont à présent si audacieulx et eslevez que ne pourrions riens faire et exécuter à l'encontre d'eulx, ainsi que j'ay escript cy devant avec aultres vos officiers à monseigneur le cardinal de Sens, vous supplians, Syre, tres humblement avoir pitié de votre pauvre peuple et nous donner secours et ayde; autrement, Syre, le tout s'en va perdre et ne sera possible y pouvoir

résister.

Syre, je prie le Créateur vous donner bonne prospérité et en sancté très heureuse vye. A Poictiers ce lundy, de nuict, xxvii de mars 1559.

Votre très humble et très obéissant serviteur et subject. FRANÇOIS AUBERT, lieutenant général en Poictou et président à Poictiers.

Au Roy notre souverain seigneur.

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28 mars 1559.

Lettre de M. de Montpezat, sénéchal de Poitou, au duc de Guise. (Fonds fr. 15872, f° 67.)

MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE,

Monseigneur, Je vous ay cidevant escript le doubte que j'avoys que aucuns faus prescheurs fussent occasion de quelque sédition populaire, laquelle advint hyerà Poitiers. Le président m'en a adverti ceste nuict et me mande qu'il faict son procès verbal; je vous envoye le double de sa lettre

avec autres doubles de luy et autres officiers du roy en ceste province, par où pourrés veoir qu'on en est en penne en plus d'ung lieu. Le dit président a faict une dépesche au roy que je viens de laisser partir et vous foys ceste cy après sans vous mander autre chose du dit Poictiers, parce que, par la despesche du dit président que je tiens pour ung bon serviteur du roy, vous verrés ce qui cy est passé. Il me prioit par sa lettre de aller en diligence à Poictiers, ce que je n'ay faict et lui ay mandé ne pouvoir faire, d'autant que je n'ay forces pour régir ung tel peuple que je croy peu apres s'estre eslevé, s'estre apaisé et prest à une autrefoys s'esmouvoir plus aisément et que j'en advertirois le roy. S'il vous plaist, Monseigneur, vous le lui ferés entendre et ferés que Sa Magesté m'en tienne deschargé. Je suis jà acheminé pour aller vers Sa Magesté où j'yrois en poste, sans que ne suis bien fortifié d'une maladie que j'ay eue. Jusques icy j'ay tousiours faict entendre que j'avois mandement exprès du roy pour assembler gens où besoin seroit et chastier les rebelles; cella par avanture a servy à retenir aucuns, mais asteure je n'ose assembler sans commandement exprès du roy et peut estre que tous ceulx qu'on y pourroit et devroit. appeller ne seroient bien obéissans, et aussi que le roy a bon moyen et loisir de chastier tels meschans; ce qui requiert la plus grande diligence; à mon oppinion est la fause doctrine qu'ils sément qui guastent beaucoup de consciences avec si bonne intention que la fin l'a monstré, tuant, saccagent ung couvent et rebellion contre le roy. Ilz s'appellent évangelistes, mais cella n'est pas de l'évangille. Le lieutenant de ceste ville part pour aller coucher à Poictiers, d'autant que la commission des emprunts s'adresse au dit président et à luy, et tous deux ensemble pour tout Poictou. J'ay doute que ce tumulte sera occasion que le dit président ne pourra abandonner. J'ay prié le dit lieutenant dès ce soir qu'il sera à Poictiers de faire une despesche au roy de ce dessus avec le dit président. Je m'asseure que le

dit lieutenant, pour la dextérité de son entendement et parfaite affection qu'on a peu connoistre qu'il a au service du roy, il fera donner ordre, luy estant adrivé au dit Poictiers, de faire contenir le peuple aussi bien qu'il feit envers ceulx qui s'éleverent contre le maire, lors de la derniere émotion de Guyene, luy estant conservateur à Poictiers.

Monseigneur, il vous plaira me commander vos bons plaisirs que je acompliray à mon pouvoir, et prie Dieu qu'il vous doint en bonne santé longue et eureuse vye. Faict à Chastelleraut le 28 mars 1559.

Votre très humble et très obeissant serviteur. MONTPEZAT.

3. 31 mars 1559. Lettre de François Aubert, président du présidial de Poitiers, au roi. (Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, par de Ruble, I, 425, d'après Fonds fr. 15872, p. 69.)

Syre, Vostre Majesté a peu estre advertye par ma lettre du xxvii de ce moys de ce qui avoit esté faict au couvent de Saint Dominique de vostre ville de Poictiers. Et certainement, Syre, y advint scandalle auquel impossible fust résister si promptement, que ce ne fust sur l'heure de neuf heures du soir. Et le lendemain je fus si bien accom pagné que les officiers, majors, eschevins et bourgeois de la dite ville et tous les habitans d'icelle, voire les gentilshommes, qui pour lors y estoient, se trouverent en armes, si bien que la force vous est demeurée. Aussi que despuis ne s'est trouvé aucune résistance; et ay esté si bien secouru que mesmes ceux qui sont impuissans de porter armes m'ont toujours assisté par la ville pour aller ès lieulx où besoing estoit ; tellement, Syre, que, par la grâce de Dieu, toutes choses sont si bien remises qu'il n'y a homme qui n'obéisse.

J'ay faict l'inquisition pour entendre d'où cette malheureuse fortune procéderoit. Et ay trouvé que le peuple estant

assemblé au dit couvent pour oyr la prédication, comme l'heure d'une heure, la dite xxvir jour de ce mois, lendemain de Pasques, y eust un homme loing du prédicateur, qui estoit dedans le cloistre, qui dist en monstrant ung autre qui s'en alloit que c'estoit un luthérien. Et aussitost quelques ungs accoururent et ne trouverent riens. Et cependant quelques ungs de la commune s'adresserent à ung des assistans, disans que c'estoit luy qui avoit ung pistollet et qu'il vouloit tuer le prédicateur. Et sur ce la commune le print et autres, jusques au nombre de cinq qui le voulloient deffendre et furent fort blessés. Et pour les saulver qu'ils ne feussent tués, aucuns de la dite commune les menerent en une chambre du dit couvent jusques à ce que je feusse arrivé sur le lieu où je fus incontinent avec le seigneur de la Guibeche ', en présence duquel je commencé à interroger l'ung des blessés. Et cependant arriverent au dit couvent nombre de gens, artisans et méchaniques, qui ont recouvré les cinq hommes blessez, que je fus contrainct de laisser pour obvier à leur furie. Et lesquels abattirent et mirent hors des gons avec groz leviers les deux grandes portes du dit couvent, rompirent le guichet de la grande porte de l'église, casserent et briserent les victraulx, jectoient les ymaiges par terre et aultres excès.

J'ay faict telle poursuite contre eulx, Syre, qu'il y en a d'exécutés à mort, nonobstant leurs appellations, et contre les aultres je foys par chacun jour sommairement leur procès. Et ne cesseray jusques à ce que j'en aye trouvé la fin. Je vous puis asseurer, Syre, que jusques à présent je n'ay trouvé homme chargé de ceste commotion que pasticiers, cordonniers, savetiers, menuisiers, tixerans et autres méchaniques et estrangers qui se jettent ès villes, et non aucun qui soit d'appartenance ny de qualité. Dont, Syre, j'ai bien voullu incontinent advertir Vostre Majesté,

1. La Guerche.

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