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40. Les Français seuls avaient, comme nous l'avons dit, la plénitude des droits civils, à l'exclusion des étrangers, qui n'étaient admis qu'à la participation du droit des gens. Les étrangers étaient tenus de fournir la caution judicatum solvi; ils étaient exclus du bénéfice de cession, soumis à la contrainte par corps en matière civile; ils étaient incapables d'être témoins dans les actes solennels, incapables de disposer des biens qu'ils avaient en France, soit par testament, soit par tout autre acte à cause de mort, en faveur d'étrangers ou de regnicoles; ils ne pouvaient rien recevoir, soit par testament, soit par quelque autre acte à cause de mort. Les étrangers ne pouvaient transmetttre leurs successions à leurs parents étrangers ou regnicoles ni recueillir les leurs, sauf quelques exceptions. Ils étaient incapables d'exercer le retrait lignager (Pothier, loc. cit.). · Nous reviendrons sur tous ces points en nous occupant de la condition actuelle des étrangers en France.

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41. Mais des traités, intervenus entre la France et un grand nombre de puissances, vinrent heureusement modifier la condition des étrangers dans le royaume, en abolissant le droit d'aubaine vis-à-vis des sujets de la plupart des nations civilisées. Ces traités sont généralement basés sur le système de la réciprocité absolue, et font le plus souvent, au profit du souverain de chaque partie contractante, la réserve d'un droit de tant pour cent prélevé sur la succession des étrangers décédés en France. - C'est ce prélèvement qu'on a appelé droit de détraction. Le droit de détraction variait suivant les traités: tantôt il était du quart des biens, tantôt du cinquième ou du sixième; le plus souvent il était fixé au dixième, et quelquefois au vingtième seulement. Les conventions les plus favorables avaient stipulé l'abolition réciproque des droits d'aubaine, sans restriction ni réserve. De ce nombre étaient le traité conclu avec le Danemark, le 23 août 1742; celui avec la Hollande, le 25 juillet 1773; la convention passée le 23 fév. 1769 entre la France et les duchés de Parme, Plaisance et Guastalla; celle du 28 fév. 1774 entre la France et la République de Venise; celle du 19 janv. 1769 entre la France et le grand-duché de Toscane; le traité conclu le 15 août 1761 entre la France et le royaume d'Espagne et des Deux-Siciles; celui fait avec la Russie le 11 janv. 1787; la convention entre la France et la République de Raguse le 29 oct. 1767; celle du 24 juill. 1770 entre la France et le principauté de Monaco; celle de nov. 1781 entre la France et le Palatinat; du 9 mai 1715, renouvelée les 18 mai 1771, 30 mai 1779 entre la France et les cantons catholiques de la Suisse; la convention de février 1769 entre la France et la noblesse immédiate de l'empire; celle du 28 déc. 1716 entre la France et les villes Anséaliques de Lubeck, Brémin et Hambourg (par un nouveau traité entre lá France et la ville de Hambourg, en date du 1er fév. 1769, il fut convenu d'un dixième pour droit de détraction); enfin le traité fait avec la ville de Dantzick, le 6 juill. 1726. Nous croyons devoir également faire connaître ici les nations avec lesquelles le gouvernement français n'avait pu conclure aucun traité relatif au droit d'aubaine quand l'assemblée nationale vint en proclamer l'abolition. Ces nations étaient les États du pape, la Turquie, la République de Gênes et quelques États d'Allemagne de très-peu d'importance. L'Angleterre n'avait consenti, par le traité d'Utrecht, du 11 avril 1713, à l'abolition récipropre du droit d'aubaine, qu'en ce qui concernait les successions mobilières. Ce traité, qui n'était à cet égard que la remise en vigueur du traité de commerce conclu le 24 fév. 1606 entre Henri IV et le roi d'Angleterre, qui avait luimême rétabli les clauses du traité de Blois fait le 29 août 1572 entre Charles IX et Élisabeth, fut confirmé en 1748, 1765 et 1783. Mais Louis XVI, par lettres patentes de propre mouvement, données le 18 janv. 1787, en conséquence du traité de commerce conclu le 26 sept. 1786 avec l'Angleterre, abolit purement et simplement le droit d'aubaine relativement aux successions mobilières et immobilières qui, soit par testament ou ab intestat, pourraient s'ouvrir dans ses États situés en Europe, en

(1) M. Ræderer commet ici une erreur. Un traité avait, en effet, été conclu le 14 fév. 1755, entre la France et la Prusse. Par lettres patentes da 11 mars suivant, confirmatives de ce traité, Louis XV renonça pour dix ans à l'exercice du droit d'aubaine. Après l'interruption causée par la

faveur des sujets du roi d'Angleterre. Par l'art. 9, il permit même aux Anglais de succéder en France à leurs parents français avec une retenue de 10 pour 100. Rien n'annonce dans ces lettres que la concession faite par Louis XVI l'était sous la condition de réciprocité, et il est à remarquer qu'une telle condition eût été impossible pour les successions immobilières, puisque les étrangers ne peuvent point posséder de biens-fonds en Angleterre. Du traité conclu entre la France et la Suède le 24 déc. 1754, il résultait que le droit d'aubaine serait aboli entre les deux puissances, mais seulement à l'égard des successions mobilières. D'après les divers traités conclus à cet égard entre la France et les autres puissances, quatre-vingts Etats avaient consenti l'abolition réciproque du droit d'aubaine, avec réserve des droits de détraction, dont les uns étaient indéterminés, et les autres fixés à 10 ou 5 pour 100. Ces données suffisent pour nous faire comprendre quelle était l'étendue de l'abandon que fit l'assemblée constituante quand elle rendit le fameux décret du 6 août 1790, décret dont la portée se trouve appréciée de la manière suivante dans le rapport fait par Roederer devant le conseil d'État, dans l'assemblée du 24 therm. an 9 (12 août 1801): « Il résulte des tableaux qui précèdent: 1° que le décret du 6 août 1790 n'a accordé gratuitement, par concession nouvelle, l'abolition du droit d'aubaine qu'à la Prusse (1), aux États du pape, à la Turquie, à Gênes, à quelques principautés d'Allemagne, et enfin à la Suède, relativement aux successions mobilières seulement. Le 18 janv. 1787, l'Angleterre avait obtenu pour ses sujets, non-seulement le droit d'hériter des Anglais décédés en France, mais encore celui de succéder à des Français. Le décret du 6 août 1790 ne lui a donc rien donné; il n'a rien donné non plus aux seize États qui avaient stipulé l'abolition de tout droit d'aubaine à l'égard des Français; 2° Que le même décret du 6 août 1790 n'a pas fait une concession nouvelle aux étrangers, de quelque pays qu'ils fussent, qui s'étaient établis en France, soit pour l'intérêt de certaines manufactures, soit pour celui de certaines foires, soit pour celui de certaines villes; 3o Mais que le même décret du 6 août 1790 a aboli pour la France, et réservé gratuitement pour quatre-vingts États étrangers, des droits de détraction, dont les uns sont indéterminés, dont d'autres, et c'est le plus grand nombre, sont réglés à 10 p. 100, et d'autres enfin, au nombre de trois seulement, à 5 p. 100 de la valeur des successions. » Mais comme la loi du 8 avril 1791 vint, ainsi que nous le verrous bientôt, accorder aux étrangers le droit de succéder en France, c'est surtout en s'appuyant sur les conséquences de cette loi que M. Ræderer, dans un rapport sur nos relations avec les divers États (V. Fenet, | Travaux préparatoires du code civil, t. 7, p. 69, note a), insistait pour établir que l'intérêt de la France était en opposition avec les principes que l'assemblée constituante avait fait prévaloir en faveur des étrangers (V. v° Traités internationaux, où les traités dont on parle ici se trouvent rapportés). Enfin il est à remarquer qu'en général ces traités n'avaient pas d'application aux colonies, ainsi qu'il résulte de deux lettres de M. de Sartine, ministre de la marine et des colonies, adressées l'une aux conseils de Saint-Domingue, à la date du 4 janv. 1777, l'autre au conseil du Cap, le 25 juill. 1779. Toutefois, un édit du mois de juin 1783 a déclaré l'abolition du droit d'aubaine, par les traités, commune à la Guyane française et aux îles de Sainte-Lucie et de Tabago, sans permettre néanmoins aux héritiers étrangers d'exporter les esclaves et les objets servant à l'exploitation des terres. — V. eod. et vo Possess. franç.

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42. Tel était l'état des choses, lorsque le décret du 6 août 1790 prononça l'abolition du droit d'aubaine et de celui de détraction. Par ce décret fut abolie la plus grande des incapacités, qui, sous le régime précédent, avait frappé les étrangers; mais il faut se garder de croire que, par cette disposition législative, la condition de l'étranger fut assimilée à celle des Français sous le rapport des droits civils. Ainsi, les étrangers ne furent pas admis au bénéfice de cession de biens, ils n'en furent pas moins soumis à

guerre de Sept-Ans, la Prusse, par une sorte de prorogation de la coovention, continua à ne point appliquer le droit d'aubaine à l'égard des Français, mais les guerres de la révolution interrompirent de nouveau les bons rapports entre les deux Étals.

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la contrainte par corps, à la nécessité de fournir caution, quand Ils se portaient demandeurs. Leur incapacité de succéder fut maintenue jusqu'à la publication du décret du 8 avril 1791, dont l'art. 3 portait : « Les étrangers, quoique établis hors du royaume, sont capables de recueillir en France les successions de leurs parents, même Français; ils pourront de même recevoir et disposer par tous les moyens qui seront autorisés par la loi, » 43. Le but de notre première assemblée révolutionnaire était, comme chacun le sait, en publiant des décrets qui, comme les deux que nous venons de rappeler, étaient fortement empreints de cet esprit philanthropique qui avait travaillé l'Europe entière et plus spécialement la France pendant le dix-huitième siècle, le but de cette assemblée, disons-nous, était sur tout de ramener la législation aux grands principes de la raison pure qu'elle entendait substituer à ces règles égoïstes que la monarchie absolue avait presque constamment fait tourner à son profit à mesure qu'elle en avait arraché le bénéfice aux grands vassaux que cinq cents ans de lutte avaient fini par réduire à l'état de sujets. Mais, quand elle abolit le droit d'aubaine, cette illustre assemblée était mue par des considérations d'un autre ordre qui venaient s'adjoindre à ces idées de justice spéculative. Déjà, en effet, M. Necker, en 1783, dans son livre intitulé de l'Administration des finances, et en 1787, en tête du projet qu'il proposait au roi pour l'abolition du droit d'aubaine, avait établi que ce droit était plutôt contraire que favorable à l'intérêt du royaume. Voici ce que disait cet habile financier dans son Traité de l'administration | des finances: « Le produit en est presque entièrement consommé par des frais de formalités et par les attributions qui appartiennent aux officiers de justice (il se réduisait en effet à 40,000 écus par an). Tout ce qui peut détourner les étrangers de venir dépenser leurs revenus dans le royaume, et d'échanger ainsi leur argent contre les productions de notre industrie, paraît une disposition aussi déraisonnable que le serait une loi directement opposée à l'exportation de ces mêmes productions... Les Anglais sont encore assujettis au droit d'aubaine pour leurs immeubles, et j'ai connu plusieurs personnes de cette nation qui, découragées par ce motif d'acquérir une simple maison de campagne, et sensibles néanmoins à cette privation, ont renoncé au projet qu'ils avaient de s'arrêter en France. >> Le même publiciste écrivait en 1787 : « Le droit d'aubaine est encore plus préjudiciable aux nations qui l'exercent qu'aux étrangers dont on usurpe ainsi la fortune... Il convient d'effacer les traces d'un droit qui ne paraît plus applicable au temps présent, qui contraste avec les mœurs françaises, et qui choque les principes d'une administration éclairée. » — D'un autre côté, à peu près à la même époque, Letrosne, dans son livre de l'Administration provinciale, avait attaqué le principe même qui servait de base au droit d'aubaine : « Si l'étranger, dit-il en effet (ch. 11, liv. 3), a apporté du mobilier en France, ou en a gagné par son industrie, il est bien à lui; s'il possède des héritages, il a pris racine dans le royaume, puisque sa propriété est contribuable à la chose publique. Or, ce sont précisément les principes de Letrosne et de Necker qui ont servi de préambule au décret du 6 août 1790: « L'assemblée nationale... considérant que le droit d'aubaine est contraire aux principes de fraternité qui doivent lier tous les hommes, quels que soient leur pays et leur gouvernement; que ce droit, établi dans les temps barbares, doit être proscrit chez un peuple qui a fondé sa constitution sur les droits de l'homme et du citoyen; et que la France libre doit ouvrir son Jein à tous les peuples de la terre, en les invitant à jouir, sous un gouvernement libre, des droits sacrés et inaltérables de l'humanité, a décrété...: Le droit d'aubaine et celui de détraction sont abolis pour toujours. »

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44. Des doutes se sont élevés dans la pratique sur la question de savoir si la disposition de l'art. 3 du décret de 1791 pouvait être invoquée même par les étrangers avec le gouvernement desquels la France était en guerre. Pour soutenir la né gative, ou se fondait sur l'art. 59 de la fameuse loi du 17 niv. an 2, portant que « toutes les fois que les dispositions de la présente se trouveraient tourner au profit d'étrangers sujets des puissances avec lesquelles la République est en guerre, elles cesseront d'obtenir leur effet, et les dispositions contraires faites en faveur des républicoles alliés ou neutres demeurent en ce

cas maintenues. »- Cette opinion ne prévalut cependant pas, et l'on reconnut que l'art. 59 de la loi de nivôse refusait seulement aux étrangers le droit de participer pendant la guerre aux avantages tout à fait spéciaux qu'elle avait établis (V. infrà, nos 182, 248 et v° Succession). Le 12 avr. 1791, l'assemblée nationale rendit un nouveau décret par lequel elle décida que, dans toutes les possessions françaises et même dans les deux Indes, on devait appliquer le décret du 6 août 1790, portant permission aux étrangers de transmettre leur succession.-L'art. 335 de la constitution de l'an 3 (1795) vint proclamer de nouveau les principes admis à l'égard des étrangers par l'assemblée constituante: « Les étrangers, porte cet article, établis ou non en France, succèdent à leurs parents étrangers ou français; ils peuvent contracter, acquérir et recevoir des biens situés en France, et en disposer de même que les citoyens français par tous les moyens autorisés par les lois. » Un décret du 9 mars 1793 apporta, mais pour quelque temps seulement, un autre amélioration remarquable à la condition des étrangers en France, en établissant d'une manière absolue la contrainte par corps pour dettes civiles.

Mais dès le 24 vent. an 5 cette loi fut abrogée.-Depuis des modifications diverses ont été apportées au régime de la contrainte par corps (V. ce mot). Dans la constitution de 1793, qui, du reste, ne fut jamais mise en vigueur, la convention nationale avait adopté une mesure plus favorable encore aux étrangers que toutes celles dont jusqu'alors ils avaient été l'objet. Cette constitution contenait, en effet, un article ainsi conçu : << Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui est domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l'humanité, est admis à l'exercice des droits de citoyen français. »-Ce système, exagération manifeste des idées philanthropiques, et qui, s'il eût prévalu, n'aurait pas tardé à tourner au détriment de la nation généreuse qui les proclamait, produisit plus tard ce fâcheux résultat qu'une fois la fièvre de l'exaltation révolutionnaire passée, la réaction put faire admettre avec facilité, contre ceux qu'on avait voulu traiter avec une bienveillance sans exemple, des règles beaucoup plus sévères que celles que pratiquait à leur égard la législation qui avait précédé la révolution, ainsi que nous allons nous en convaincre en étudiant les dispositions admises par le code civil à l'égard des étrangers.

45. Remarquons, avant de passer à l'examen de notre droit actuel, que dans notre ancienne jurisprudence et sous l'empire du droit intermédiaire, la perte des droits civils était encourue soit par suite de condamnations judiciaires, soit par la perte de la qualité de Français.-Nous aurons, au surplus, à revenir sur ce point, quand nous traiterons de la perte de la qualité de Fran çais sous l'empire du code civil, et quand nous nous occuperons de la perte des droits civils par suite de condamnations judiciaires.

Le commencement du dix-neuvième siècle trouva le droit d'aubaine aboli en France, et les étrangers aptes à succéder et à transmettre leurs biens de même que les Français par tous les moyens autorisés par les lois. La convention nationale et la constitution de l'an 3 n'avaient, pas plus que l'assemblée constituante, fait cesser toute distinction sous le rapport des droits civils, entre les Français et les étrangers. - Ainsi, ces derniers étaient soumis à la caution judicatum solvi, ils ne participaient pas au bénéfice de cession de biens; ils étaient contraignables par corps en matière civile.

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46. C'est une grave et importante question que de savoir a les rédacteurs du code civil ont voulu maintenir la distinction classique entre les droits civils et les droits naturels, et sur la quelle les auteurs sont loin d'être unanimes. En effet, pour certains (M. Valette notamment, Notes sur Proudhon, p. 5, note a, 119, note a et p. 174; M. Duranton, t. 1, no 134), les expressions droits civils sont complétement synonymes des mots droits privés, et comprennent aussi bien les droits naturels ou des gens que le jus civitatis résultant de la législation française. « De la règle posée par l'art. 11, dit M. Valette, il semblerait résulter que l'étranger dont la nation n'aurait fait avec la France aucun traité, ne jouiraît en France d'aucun droit privé, n'y pourrait rear exemple,

Ar si la mort civile de l'un des époux détruirait le contrat naarel du mariage sans que l'autre époux y consentit. - Le prehier consul demandait que le mariage fût maintenu tant que le conjoint de l'époux, mort civilement, n'en poursuivrait pas la dissolution. « La société est assez vengée, disait-il, par la condamnation, lorsque le coupable est privé de ses biens, lorsqu'il se trouve séparé de ses amis, de ses habitudes. Faut-il étendre la peine jusqu'à sa femme et l'arracher avec violence à une union qui identifie son existence avec celle de son époux? Elle vous dirait : « Mieux valait lui ôter la vie; du moins me serait-il permis de chérir sa mémoire; mais vous ordonnez qu'il vivra, et vous ne voulez pas que je le console. » Eh! combien d'hommes ne sont coupables qu'à cause de leur faiblesse pour leurs femmes ! Qu'il soit donc permis à celles qui ont causé leurs malheurs de les adoucir en les partageant. Si une femme satisfait à ce devoir, vous estimerez sa vertu, et cependant vous ne mettez aucune difference entre elle et l'être infame qui se prostitue. » — Le ministre de la justice et M. Maleville appuyaient l'opinion du premier Consul (Fenet, Trav. prép., t. 7, p. 47, 48, 49 et 50). Mais elle fut combattue par MM. Tronchet et Portalis, et ne prévalut pas devant le conseil qui adopta l'article proposé et portant que la mort civile entraînait dissolution du contrat civil du mariage.» - Par ce vote, le conseil rejeta aussi implicitement la proposition du premier consul tendant à ce qu'on passât sous silence les effets de la mort civile par rapport au mariage, en se bornant à exprimer qu'elle le dissout dans les cas déterminés par loi criminelle. — M. Tronchet, dans la séance du 16 therm. an 9 (4❘ août 1801), appela l'attention du conseil sur la question de savoir si, en cas de condamnation par contumace, la mort civile serait suspendue jusqu'après l'expiration du délai accordé pour purger la contumace, ou si elle serait encourue provisoirement, sauf la résolution avec effet rétroactif lorsque le condamné se représenterait dans le délai prescrit? et il fit observer que tous les tribunaux adoptaient cette dernière opinion. A ce sujet, M. Tronchet traça un rapide historique des progrès de la législation et fit remarquer que dans le dernier état, la mort civile était certainement encourue par l'exécution et ne pouvait plus être anéantie que résolutoirement. Il proposait de maintenir cet état de choses. L'opinion de M. Tronchet fut combattue par M. Thibaudeau (Fenet, t. 7, p. 65) qui fit observer que l'idée de faire remonter les effets de la mort civile au jour de l'exécution était une combinaison de fiscalité dans l'ordonnance de 1670, et qu'aujourd'hui que le fisc est sans intérêt, il ne s'agissait plus que de décider si les successions qui, pendant les cinq ans, s'ouvriraient au profit du condamné, appartiendraient à ses enfants ou à des collatéraux. Le consul Cambacérès se prononça en faveur du système soutenu par M. Tronchet, qui fut adopté par le conseil, quoique combattu par M. Portalis.-Dans la séance du 28 brum. an 10 (19 nov. 1801), le premier consul s'arrêta sur la division du projet de loi; il proposa de l'intituler: De la jouissance et de la privation des droits civils. Le consul Cambacérès proposa de la diviser en deux titres, le premier intitulé: Des personnes qui jouissent des droits civils; le second: Des personnes qui sont prirées des droits civils. Les deux propositions furent adoptées par le conseil, qui arrêta également que le titre 2 serait divisé en deux sections, savoir : —Sect. 1. De la privation des droits civils par la perte de la qualité de Français. —Sect. 2. De la privation des droits civils par suite de condamnation judiciaire.

Le projet voté par le conseil d'État, dans la séance de ce jour 26 brum. an 10, fut présenté au corps législatif le 11 frimaire suivant (2 déc. 1801), par une commission du conseil nommée par le premier consul et composée de MM. Boulay, Emmery et Réal. M. Boulay fut chargé d'en présenter l'exposé des mot.fs. Dans ce travail consciencieux, M. Boulay établit tout d'abord qu'il n'a à s'occuper que des droits purement civils, et non des droits politiques. L'orateur entre ensuite dans l'exposé du projet de loi, qui se divise naturellement en deux titres, dont le premier comprend ce qui est relatif à la jouissance des droits civils et le second ce qui est relatif à la privation des mêmes droits. Il examine brièvement, mais dans une forme substantielle, les propositions diverses du projet dont il fait ressortir les avantages. Arrivé à la question de savoir s'il faut exclure les étrangers de toute participation à nos droits civils, ou TOME XVIII,

les y admettre indistinctement et sans réserve, ou ne les y admettre qu'avec mesure et sous certaines conditions, M. Boulay trace une esquisse historique sur la législation romaine à cet égard, sur notre ancienne législation française et sur les principes proclamés par l'assemblée constituante, et il fait sentir que les systèmes extrêmes du droit romain et de l'assemblée de 1790, ne sauraient convenir à l'époque où il parle. Le système d'exclusion absolue ne peut être adopté dans un siècle où le com、 merce a lié le monde entier et principalement les nations européennes. Quant au système de l'assemblée constituante, inspiré par des vues philanthropiques, l'événement n'a pas justifié les espérances qu'il avait fait naître; bien plus, il peut engager les nations étrangères à rétablir contre nous les droits qu'elles avaient aboli sous la condition de la réciprocité. L'orateur s'occupe après cela des rapports qui, abstraction faite du droit de succession, peuvent s'établir entre les Français et les étrangers, et il considère ces derniers sous cinq points de vue principaux: 1° celui d'une étrangère qui épouse un Français; 2o celui d'un étranger qui veut devenir citoyen français; 3° celui d'un étranger qui voyage, séjourne ou réside en France; 4° celui d'un étranger qui, sans babiter la France, y possède des immeubles; 5° le cas où l'étranger est en procès. Passant à la seconde partie du projet, il insiste sur les dispositions qu'il renferme sur les effets de la mort civile, et s'efforce de justifier celles qui n'ont triomphé, dans le conseil d'État, qu'après une vive discussion, notamment en ce qui concerne le condamné par contumace. Le projet et l'exposé des motifs fut communiqué officiellement au tribunat, et M. Siméon fit à l'assemblée générale, dans la séance du 25 frimaire an 10 (16 déc. 1801), le rapport sur le chapitre 1 relatif à la jouissance des droits civils. Le discours du tribun contient la critique quelquefois un peu vive du projet émané du conseil d'État. Il propose de maintenir l'abolition absolue du droit d'aubaine conformément à la loi de 1790, et il insiste sur la nécessité d'indiquer ce que le législateur entend par les mots droits civils, après quoi il critique la disposition qui accorde la qualité de Français à tout individu né en France. Le rapport sur la partie relative à la privation des droits civils fut présenté par M. Thiessé dans la séance du 27 frim. Ce travail, habilement fait, n'est le plus souvent qu'une critique systématique du projet de loi. Il contient, du reste, quelques observations fort sages dont le législateur a eu le tort de ne pas faire toujours son profit: c'est ainsi que la commission proposait la suppression de cette expression mort civile, qui est à la fois haineuse et fausse; qu'elle attaquait la conséquence que le projet y avait attachée relativement au mariage du mort civilement.-La discussion s'ouvrit au tribunat le 29 frim. an 10 (20 déc. 1801), fut continuée les 1, 2, 3, 4, 5, 8, 9 et 11 niv. (22, 23, 24, 25, 26, 29, 30 déc. 1801 et 1er janv. 1802). Elle fut close le 11 niv. an 10 par le vote de rejet du projet.

48. Le vœu de rejet émis par le tribunat, ne fut pas porté au corps législatif, le premier consul ayant adressé, dès le lepdemain 12 nivôse, à cette assemblée le message par lequel le gouvernement retirait les projets de loi du code civil, « convaincu, disait le message, que le temps n'était pas venu de porter dans ces grandes discussions le calme et l'unité d'intention qu'elles demandent. » L'interruption causée par ce message dura plus de six mois. Mais deux arrêtés des 11 et 18 germ. an 10 ayant organisé les communications officieuses au tribunat ce dernier corps ayant d'ailleurs subi des éliminations nombreuses, le gouvernement envoya à la section de législation du tribunat, le 7 mess. an 10 (26 juin 1802), le projet dont l'assemblée générale avait voté le rejet, sans que préalablement il eû subi une nouvelle discussion au conseil d'État. La section nomma ensuite une commission pour lui faire un rapport sur ce projet, puis l'examina dans les séances des 26, 27 mess., 1o et 2 therm. an 10 (15, 16, 20 et 21 juill. 1802), et transmit à la section de législation du conseil d'État plusieurs observations fort judicieuses dont le conseil se hâta de profiter. Telles sont : celle qui tendait à ne pas considérer comme Français l'individu né en France d'un étranger, si d'ailleurs il ne faisait aucune manifestation pour réclamer cette qualité; celle qui, en cas de condamnation par contumace, voulait qu'on reculât l'époque où

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rubrique: de la privation des droits civils par la perte de la qua- | note) s'exprime dans le même sens : « L'expression droits civils est

lité de Français, c'est-à-dire par l'acquisition de la qualité d'é- | tranger, en d'autres termes par suite de ce que, étant devenu étranger, on ne peut plus réclamer le bénéfice des droits civils, qui sont exclusivement propres, en principe, aux membres de la nation française.

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prise ici (dans l'art. 11 c. civ.) dans son acception la plus restreinte; elle désigne les droits propres aux membres de la cité française: jus proprium ipsius civitatis, et non les droits privés. » -M. Zachariæ (Dr. civ. théor. franç., § 76) établit la même distinction qui est reproduite par M. Demolombe (Cours de code civil, n° 16).

Au surplus, le législateur de 1804 alla plus loin que les assemblées révolutionnaires, car, sans rétablir le droit d'aubaine, il changea les dispositions de la loi du 8 avril 1791, qui avait appelé les étrangers à recueillir et à transmettre, et ne les autorisa à succéder qu'autant que les traités faits entre la France et les nations auxquelles ils appartenaient reconnaissaient aux Français le même droit. Mais la loi du 14 juill. 1819 revint aux idées émises par l'assemble constituante, en rendant aux étrangers la faculté de succéder, de disposer et de transmettre en faveur de toute personne. Nous examinerons plus loin si cette dernière loi a été inspirée par le même mobile qui avait dirigé notre première assemblée constitutionnelle.

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C'est, au surplus, dans le sens que nous leur donnons, que les meilleurs auteurs paraissent expliquer les mots « droits civils, »> dans le système du code civil. Ainsi, Proudhon (des Personnes, ch. 9, sect. 2) s'exprime ainsi : « Les droits civils consistent : dans tous les avantages qui résultent de la parenté, de l'alliance, de la légitimation et de la successibilité entre les Français; dans les droits réciproques qui peuvent résulter de l'adoption et de la reconnaissance d'enfants nés hors le mariage; dans la faculté de recourir aux tribunaux français, sans prestation de la caution judicatum solvi; dans celle de disposer par testament des biens situés en France, et d'être témoin dans les actes à cause de mort; en un mot, si le Français devient époux et père, il se trouve revêtu de l'autorité maritale et de la puissance paternelle établies par nos lois et il jouit des prérogatives qui en dérivent. S'il se 47. Le projet de loi sur la jouissance et la privation des droits marie, même en pays étranger, la loi française, qui est le statut de civils fut discuté dans le sein du conseil d'État, les 6, 14, 16, son domicile, stipule pour lui les conditions de la société conjugale, 24, 26 therm. et 4 fruct. an 9 et le 28 brum. an 10, et il ne fut quand il n'y pourvoit pas lui-même... » Et plus loin (chap. 11, adopté qu'après six rédactions successives. Ce projet était d'asect. 1)« L'étranger exerce valablement en France, et dans les bord divisé en trois chapitres. Le premier était relatif aux performes voulues par les lois françaises, tous les actes qui dérivent sonnes qui jouissent des drons civils et à celles qui n'en jouissent du droit des gens secondaire et qui ne sont pas purement du droit pas; le second s'occupait des étrangers. Il était divisé en deux civil établi pour l'avantage unique des membres de la cité. Ainsi, sections la première s'occupait des étrangers en général, et la l'étranger peut, par tous actes de commerce, acquérir des biens seconde des étrangers revétus d'un caractère représentatif de leur en France et les aliéner de même: il peut s'y marier et y régler nation. Le troisième chapitre était intitulé: de la perte des droits ses conventions matrimoniales, aussi valablement que si elles civils. Il se subdivisait en deux sections. La première traitait de étaient stipulées dans son pays; il peut personnellement paraître la perte des droits civils par abdication de la qualité de Frantant en demandant qu'en défendant devant un tribunal français; la seconde, de la perte des droits civils par une condamnaçais, etc. L'auteur énumère ensuite les cas d'incapacité qui tion judiciaire. Dans la première séance, on eut à discuter la atteignent l'étranger en raison de sa non-participation aux avan- question de savoir si on accorderait de plein droit la qualité de tages du droit civil. Toullier (Dr. civ. franç., t. 1, n° 205) Français à tout individu né en France, sans distinguer entre celui reproduit la même distinction, en ces termes : « Les droits dont qui serait né d'un père français et celui qui descendrait d'un jouit l'homme en société sont de deux espèces; les uns lui sont père étranger. Le premier consul demanda que le fait seul de donnés par la nature: il en jouissait avant d'entrer dans l'état la naissance en France fit acquérir la qualité de Français. Suivant civil. Ces droits, lorsque le bien de la société l'exige, et autant lui, si les individus nés en France d'un père étranger n'étaient seulement qu'il l'exige, peuvent être modifiés par les lois civiles, pas considérés comme étant de plein droit Français, alors on ne qui en garantissent à chaque associé une jouissance plus assurée, pourrait soumettre à la conscription et aux autres charges puau moyen de la nouvelle sanction qu'elles leur donnent; mais ils bliques les fils de ces étrangers qui se sont établis en grand nomne peuvent être abolis par aucune institution légitime. Le but de bre en France. On ne doit envisager la question que sous le raptoute association est nécessairement le bien-être des associés et la port de l'intérêt de la France. Or il y a toujours de l'avantage, conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. dit-il, à les admettre au rang de Français. Le conseil vota le Les autres droits de l'homme en société viennent des lois civiles principe; mais sur les observations de la section de législation du ou du droit particulier à chaque nation; ils varient suivant les tribunat, le conseil d'État adopta, dans sa séance du 6 brum. constitutions et les lois de chaque peuple.-On pourrait donc, en an 11 (28 oct. 1802), la nouvelle rédaction qui se trouve reprotraitant des droits de l'homme en société, les diviser, en raison de duite dans l'art. 9 c. civ., et qui impose à l'individu qui est né leur origine, en droits naturels et en droits civils. 11 La même en France d'un étranger, et qui veut réclamer la qualité de Franopinion se retrouve dans le Répertoire de Merlin (v° Droit), ainsi çais, l'obligation de faire, dans l'année qui suit sa majorité, la formulée : « Droit civil se dit du droit particulier de chaque peuple, déclaration que son intention est d'y fixer son domicile. à la différence du droit naturel et du droit des gens, qui sont communs à toutes les nations. »M. Demante, Programme d'un cours de droit civil français, no 14, dit aussi : « L'ensemble des facultés et des avantages conférés par la loi civile, forme ce que nous appelons les droits civils. La différence que la qualité des personnes apporte dans l'exercice de ses droits, donne lier à plusieurs divisions qui seront successivement parcourues. Mais la plus générale, celle qui doit précéder toutes les autres, distingue les personnes qui jouissent de ces droits d'une manière quelconque, et celles qui en sont privées. » — « Les Français, ajoute le même auteur (no 24), de quelque manière qu'ils soient pourvus de cette qualité, jouissent des droits civils. Quant aux étrangers, ils n'y participent que suivant plusieurs distinctions.-A cet egard, le principe général posé par le code consiste à leur accorder la réciprocité des droits dont jouissent les Français dans leur pays, non en vertu des lois de ce pays, mais en vertu des traités faits avec la nation à laquelle ils appartiennent. · Observons, toutefois : 1° qu'en l'absence même de tout traité avec la nation à laquelle ils appartiennent, les étrangers participent toujours aux effets du droit naturel, ces effets étant communs à tous les hommes, etc. -M. Duvergier (sur Toullier, t. 1, no 265,

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Une autre question, plus grave que la première, fixa l'attention du conseil d'Etat : c'est celle de savoir la position qu'on ferait aux étrangers en France relativement à la jouissance des droits civils. Un premier système, d'abord soumis à la discussion du conseil, concédait aux étrangers en France les mêmes droits civils que ceux accordés aux Français par la nation à laquelle appartenaient ces étrangers.— M. Roederer, dans la séance du 6 therm. an 9, demandait qu'on adoptât cette disposition comme réparant l'erreur dans laquelle était tombée l'assemblée constituante. Le premier consul demanda qu'on substituât au système de réciprocité absolue celui de la réciprocité diplomatique, et le principe proposé par le consul fut adopté par le conseil. Dans cette même séance, le premier consul chargea M. Roederer de lui pré-` senter le tableau des rapports que les traités ont établis entre la France et les autres nations, en ce qui concerne les droits civils. Ce rapport fut présenté par M. Roederer dans la séance du 24 thermidor an 9 (12 août 1801). — La section 2 du chapitre 2, relative aux étrangers revélus d'un caractère représentatif de leur nation, fut retranchée du projet comme étrangère au droit civil et appartenant au droit des gens. Dans la séance du 14 therm. an 9 (2 août 1801), le conseil discuta la question de sa

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ir si la mort civile de l'un des époux détruirait le contrat naarel du mariage sans que l'autre époux y consentit. Le prehier consul demandait que le mariage fût maintenu tant que le conjoint de l'époux, mort civilement, n'en poursuivrait pas la dissolution. « La société est assez vengée, disait-il, par la condamnation, lorsque le coupable est privé de ses biens, lorsqu'il se trouve séparé de ses amis, de ses habitudes. Faut-il étendre la peine jusqu'à sa femme et l'arracher avec violence à une union qui identifie son existence avec celle de son époux? Elle vous dirait : « Mieux valait lui ôter la vie; du moins me serait-il permis de chérir sa mémoire; mais vous ordonnez qu'il vivra, et vous ne voulez pas que je le console. » Eh! combien d'hommes ne sont coupables qu'à cause de leur faiblesse pour leurs femmes ! Qu'il soit donc permis à celles qui ont causé leurs malheurs de les adoucir en les partageant. Si une femme satisfait à ce devoir, vous estimerez sa vertu, et cependant vous ne mettez aucune différence entre elle et l'être infâme qui se prostitue. Le minis

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tre de la justice et M. Maleville appuyaient l'opinion du premier consul (Fenet, Trav. prép., t. 7, p. 47, 48, 49 et 50). - Mais elle fut combattue par MM. Tronchet et Portalis, et ne prévalut pas devant le conseil qui adopta l'article proposé et portant que « la mort civile entraînait dissolution du contrat civil du mariage.» Par ce vote, le conseil rejeta aussi implicitement la proposition du premier consul tendant à ce qu'on passât sous silence les effets de la mort civile par rapport au mariage, en se bornant à exprimer qu'elle le dissout dans les cas déterminés par loi criminelle.-M. Tronchet, dans la séance du 16 therm. an 9 (4 août 1801), appela l'attention du conseil sur la question de savoir si, en cas de condamnation par contumace, la mort civile serait suspendue jusqu'après l'expiration du délai accordé pour purger la contumace, ou si elle serait encourue provisoirement, sauf la résolution avec effet rétroactif lorsque le condamné se représenterait dans le délai prescrit? et il fit observer que tous les tribunaux adoptaient cette dernière opinion. A ce sujet, M. Tronchet traça un rapide historique des progrès de la législation et fit remarquer que dans le dernier état, la mort civile était certainement encourue par l'exécution et ne pouvait plus être anéantie que résolutoirement. - Il proposait de maintenir cet état de choses. L'opinion de M. Tronchet fut combattue par M. Thibaudeau (Fenet, t. 7, p. 65) qui fit observer que l'idée de faire remonter les effets de la mort civile au jour de l'exécution était une combinaison de fiscalité dans l'ordonnance de 1670, et qu'aujourd'hui que le fisc est sans intérêt, il ne s'agissait plus que de décider si les successions qui, pendant les cinq ans, s'ouvriraient au profit du condamné, appartiendraient à ses enfants ou à des collatéraux. Le consul Cambacérès se prononça en faveur du système soutenu par M. Tronchet, qui fut adopté par le conseil, quoique combattu par M. Portalis.-Dans la séance du 28 brum. an 10 (19 nov. 1801), le premier consul s'arrêta sur la division du projet de loi; il proposa de l'intituler: De la jouissance et de la privation des droits civils. Le consul Cambacérès proposa de la diviser en deux titres, le premier intitulé: Des personnes qui jouissent des droits civils; le second: Des personnes qui sont privées des droits civils. Les deux propositions furent adoptées par le conseil, qui arrêta également que le titre 2 serait divisé en deux sections, savoir: Sect. 1. De la privation des droits civils par la perte de la qualité de Français. —Sect. 2. De la privation des droits civils par suite de condamnation judiciaire.

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Le projet voté par le conseil d'État, dans la séance de ce jour 26 brum. an 10, fut présenté au corps législatif le 11 frimaire suivant (2 déc. 1801), par une commission du conseil nommée par le premier consul et composée de MM. Boulay, Emmery et Réal. M. Boulay fut chargé d'en présenter l'exposé des motifs. Dans ce travail consciencieux, M. Boulay établit tout d'abord qu'il n'a à s'occuper que des droits purement civils, et non des droits politiques. L'orateur entre ensuite dans l'exposé du projet de loi, qui se divise naturellement en deux titres, dont le premier comprend ce qui est relatif à la jouissance des droits civils et le second ce qui est relatif à la privation des mêmes droits. Il examine brièvement, mais dans une forme substantielle, les propositions diverses du projet dont il fait ressortir les avantages. Arrivé à la question de savoir s'il faut exclure les étrangers de toute participation à nos droits civils, ou

TOME XVIII.

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les y admettre indistinctement et sans réserve, ou ne les y admettre qu'avec mesure et sous certaines conditions, M. Boulay trace une esquisse historique sur la législation romaine à cet égard, sur notre ancienne législation française et sur les principes proclamés par l'assemblée constituante, et il fait sentir que les systèmes extrêmes du droit romain et de l'assemblée de 1790, ne sauraient convenir à l'époque où il parle. Le système d'exclusion absolue ne peut être adopté dans un siècle où le com、 merce a lié le monde entier et principalement les nations européennes. Quant au système de l'assemblée constituante, inspiré par des vues philanthropiques, l'événement n'a pas justifié les espérances qu'il avait fait naître; bien plus, il peut engager les nations étrangères à rétablir contre nous les droits qu'elles avaient aboli sous la condition de la réciprocité. L'orateur s'occupe après cela des rapports qui, abstraction faite du droit de succession, peuvent s'établir entre les Français et les étrangers, et il considère ces derniers sous cinq points de vue prin. cipaux : 1° celui d'une étrangère qui épouse un Français; 2o celui d'un étranger qui veut devenir citoyen français; 3o celui d'un étranger qui voyage, séjourne ou réside en France; 4° celui d'un étranger qui, sans habiter la France, y possède des immeubles; 5° le cas où l'étranger est en procès. - Passant à la seconde partie du projet, il insiste sur les dispositions qu'il renferme sur les effets de la mort civile, et s'efforce de justifier celles qui n'ont triomphé, dans le conseil d'État, qu'après une vive discussion, notamment en ce qui concerne le condamné par contumace. Le projet et l'exposé des motifs fut communiqué officiellement au tribunat, et M. Siméon fit à l'assemblée générale, dans la séance du 25 frimaire an 10 (16 déc. 1801), le rapport sur le chapitre 1 relatif à la jouissance des droits civils. Le discours du tribun contient la critique quelquefois un peu vive du projet émané du conseil d'État. Il propose de maintenir l'abolition absolue du droit d'aubaine conformément à la loi de 1790, et il insiste sur la nécessité d'indiquer ce que le législateur entend par les mots droits civils, après quoi il critique la disposition qui accorde la qualité de Français à tout individu né en France. Le rapport sur la partie relative à la privation des droits civils fut présenté par M. Thiessé dans la séance du 27 frim. — Ce travail, habilement fait, n'est le plus souvent qu'une critique systématique du projet de loi. Il contient, du reste, quelques observations fort sages dont le législateur a eu le tort de ne pas faire toujours son profit: c'est ainsi que la commission proposait la suppression de cette expression mort civile, qui est à la fois haineuse et fausse; qu'elle attaquait la conséquence que le projet y avait attachée relativement au mariage du mort civilement.-La discussion s'ouvrit au tribunat le 29 frim. an 10 (20 déc. 1801), fut continuée les 1, 2, 3, 4, 5, 8, 9 et 11 niv. (22, 23, 24, 25, 26, 29, 30 déc. 1801 et 1er janv. 1802). Elle fut close le 11 niv. an 10 par le vote de rejet du projet.

48. Le vœu de rejet émis par le tribunat, ne fut pas porté au corps législatif, le premier consul ayant adressé, dès le lepdemain 12 nivôse, à cette assemblée le message par lequel le gouvernement retirait les projets de loi du code civil, « convaincu, disait le message, que le temps n'était pas venu de porter dans ces grandes discussions le calme et l'unité d'intention qu'elles demandent. » L'interruption causée par ce message dura plus de six mois. Mais deux arrêtés des 11 et 18 germ. an 10 ayant organisé les communications officieuses au tribunat ce dernier corps ayant d'ailleurs subi des éliminations nombreuses, le gouvernement envoya à la section de législation du tribunat, le 7 mess. an 10 (26 juin 1802), le projet dont l'assemblée générale avait voté le rejet, sans que préalablement il eû subi une nouvelle discussion au conseil d'Etat. La section nomma ensuite une commission pour lui faire un rapport sur ce projet, puis l'examina dans les séances des 26, 27 mess., 1er et 2 therm. an 10 (15, 16, 20 et 21 juill. 1802), et transmit à la section de législation du conseil d'Etat plusieurs observations fort judicieuses dont le conseil se hâta de profiter. Telles sont : celle qui tendait à ne pas considérer comme Français l'individa né en France d'un étranger, si d'ailleurs il ne faisait aucune manifestation pour réclamer cette qualité; celle qui, en cas de condamnation par contumace, voulait qu'on reculât l'époque où

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