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Atre actionné en France, après avoir été cité devant les tribunaux de son pays, s'il a empêché l'instance de s'engager au fond, en opposant au Français demandeur l'exception judicatum solvi (Douai, 5 avr. 1848, aff. Debaillet, D. P. 48. 2. 187).

Mais M. Demolombe, Cours de code civil, t. 1, no 251, s'est élevé avec force contre une pareille interprétation de l'art. 14. Ce judicieux professeur fait très-bien remarquer que la question n'est pas où on la place, qu'il ne s'agit pas de savoir si, par son fait, par son consentement, un Français peut donner force exécutoire aux jugements étrangers, mais uniquement de décider si le Français a pu renoncer au privilége de l'art. 14, s'iPavait la faculté de traiter, de transiger sur le droit que lui accorde cet article, s'il pouvait renoncer à poursuivre son débiteur en France. Renée à ces termes, la question est d'une solution facile, elle est subordonnée à celle de savoir si le privilége de l'art. 14 est d'ordre public, ou d'intérêt privé seulement. Eh bien ! il nous parait évident que le droit du créancier n'est que d'intérêt privé: cela est si vrai, qu'il a pu valablement renoncer à sa créance, qu'il a pu soumettre sa contestation à des arbitres, et partant à des tribunaux d'un pays étranger. Ajoutons qu'il serait inique de voir un créancier, après avoir épuisé tous les degrés de juridiction étrangère, après avoir traîné son adversaire de tribunaux en tribunaux, et quand partout il aurait succombé,

(1) Espèce :-(Delamme C. Heymans.) - Une société commerciale existait entre Delamme, né en France, mais habitant dès longtemps la Belgique, et Heymans, négociant à Bruxelles. Delamme en a demandé la dissolution devant le tribunal, et, par appel, devant la cour de Bruxelles, qui avait déjà rendu plusieurs décisions préparatoires, lorsque, en sa qualité de Français, Delamme a cru pouvoir assigner Heymans devant le tribunal de commerce de Paris, à fin de nomination d'arbitres, pour juger leurs différends. 24 août 1825, ce tribunal se déclare incompélent, attendu que, suivant l'art. 59 c. pr., le défendeur devait être assigné devant le tribunal de son domicile, et que Delamme avait invoqué lui-même la juridiction étrangère dont il avait, de son propre gré, suivi tous les degrés. - Appel par Delamme. Il invoque l'art. 14 c. civ., portant que l'étranger, même non résidant en France, peut être traduit devant les tribunaux français pour les obligations contractées mème en pays étranger envers des Français. Pen importe, disait-on pour Delamme, que les tribunaux belges aient été un instant saisis du procès : dès qu'il subsistait encore, qu'il n'avait point reçu une décision entière, Delamme pouvait toujours user du droit que lui concédait l'art. 14: ce droit, qui, par sa nature, protége en tout temps le Français, est inhérent à sa personne, inaliénable et à l'abri de toute fin de non-recevoir. L'intimé répondait que l'art. 14 conférait une simple faculté; que, dès qu'un tribunal avait été saisi, le contrat judiciaire était formé, et la juridiction fixée.

Pourvoi du sieur Delamme.

--

A la date du 29 juillet 1826, la cour de Paris a rendu l'arrêt suivant: --«Considérant que Delamme, né en France, n'a perdu sa qualité de Français, ni par une naturalisation en règle, ni par un établissement dans les Pays-Bas, sans esprit de retour; Mais que Delamme, Frangais, avait, aux termes de l'art. 14 c. civ., la faculté de traduire Heymans, étranger, soit devant les tribunaux de France, soit devant ceux des Pays-Bas, et que, demandeur, il a lui-même saisi et épuisé voMontairement la juridiction étrangere ; - Met l'appel au néant. Le demandeur alléguait une violation des art. 121 de l'ord. de 1629, 2125et 2128 c. civ. el 546 c. pr. - Le premier de ces articles refusant, disait-il, toute autorité aux jugements rendus en pays étranger, établit que, nonobstant ces jugements, les Français peuvent toujours débattre de nouveau leurs droits, comme entiers, devant les tribunaux de France. Les autres articles précités, conformes à l'ordonnance, dénient toute force exécutoire aux décisions des tribunaux étrangers; d'où la preuve que ces décisions ne sont point Considérées comme la chose jugée, et que, par conséquent, elles ne peuTent arrêter la marche de la justice française.-On oppose que Delamme - opté pour la juridiction étrangère; mais quelle loi établit une pareille fin de non-recevoir, et qu'est-il résulté de cette option, sinon un jugement regardé comme non avenu par le code civil qui lui refuse la puissance exécutoire, et par l'ordonnance de 1629 qui maintient les droits de Delamme pleins et entiers ? -- Arrét.

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LA COUR; Attendu que le droit attribué, par l'art. 14 c. civ., aux Français, de traduire un étranger devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger, est une faculté, un privilege, mais que chacun peut renoncer à un privilége qui lui est personnel; qu'il y renonce, en effet, lorsque, comme dans l'espèce, il cite F'étranger devant les tribunaux de son pays, et qu'il épuise tous les degrés de leur juridiction; Attendu que c'est seulement la force exécutoire des jugements étrangers qui leur est déniée en France jusqu'à leur revision par un juge français, ainsi qu'il résulte des articles combinés

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venir s'adresser de nouveau à un tribunal français pour recommencer la lutte judiciaire, comme si rien n'avait eu lieu entre son adversaire et lui. — C'est, au surplus, dans notre sens que paraît tendre la jurisprudence générale aujourd'hui, car il a été jugé: 1° que si un Français a déjà succombé devant un tribunal étranger, il n'est plus recevable à traduire de nouveau l'étranger devant les tribunaux français à raison de la même demande (Rej., 14 fev. 1857, aff. Cabanon, V. n° 284); - 20 Quon doi: surtout le décider ainsi si ce Français a épuisé tous les degrés de juridiction des tribunaux étrangers (Req., 15 nov. 1827) (1). - Du reste, il n'est pas douteux que si la contestation avait été jugée à l'étranger par un arbitre sans pouvoirs, le Français n'aurait aucunement perdu le bénéfice de l'art. 14 (Req., 31 déc. 1844, aff. prince de Capoue, D. P. 45. 1. 77).

287. A plus forte raison estimons-nous, avec la cour de Rouen, que le Français qui a actionné devant la juridiction étrangère un étranger qui ne possédait alors aucun bien connu en France, pour obtenir l'exécution d'une obligation, et notamment la livraison de marchandises vendues, doit être réputé n'avoir cédé qu'à une nécessité de position, et que, par suite, il n'est pas déchu de la faculté de saisir de son action les tribunaux français, si, depuis, il est découvert que cet étranger possède des biens en France (Rouen, 19 juill. 1842) (2).

2123, 2128 c. civ. et 546 c. pr. ; que les dispositions de la loi qui consacrent le droit de souveraineté sur le territoire ne sont point prises en vue des intérêts privés, et que les parties contractantes où litigantes restent liées par les actes de la juridiction volontaire ou contentieuse à laquelle elles se sont soumises; Rejette, etc.

Du 15 nov. 1827.-C. C., ch. req.-MM. Henrion, pr.-Hua, rap.-Lebeau, av. gén., c. conf.-Guillemin, av.

Au mois de mars

(2) Espèce (Carl Lederer C. Larabure. ) 1858, le sieur Larabure, directeur de la société des mines et fonderies de zinc établie à Paris sous la raison de la Vieille-Montagne, avait acheté, par fondé de pouvoir, à Berlin, du sieur Carl Lederer, 4,000 quintaux de zinc brut de Silésie, moyennant un prix stipulé payable en traites sur Paris, à deux mois, contre la remise des connaissements. Un premier envoi annoncé être de 370 quintaux fut expédié à la société, et le prix relatif à cette expédition fut payé sur connaissement; après ce payement, il fut reconnu, sur vérification de l'expédition, que 77 kilogrammes manquaient au poids annoncé. Ce déficit fut dénoncé à l'expéditeur, et la société demanda qu'il lui en fût tenu compte dans le complément de fournitures dont elle pressait en même temps l'expédition. La question de ce déficit paraît avoir amené des négociations entre les parties, dont la conséquence fut de retarder l'arrivée du surplus des zines. Sans plus attendre, le sieur Larabure donna mandat de poursuivre, à Berlin le sieur Lederer, pour l'inexécution de ses engagements. Alors arrivèrent au Havre les 650 quintaux nécessaires pour compléter le chiffre de 1,000 quintaux, abstraction faite du déficit, dont ne tint aucun compte le sieur Lederer; le sieur Larabure refusa, pour ce motif, d'accepter les traites nouvellement tirées sur lui, ces traites, d'ailleurs, n'ayant point été précédées de la remise des connaissements. Il forma ensuite opposition à ce que les 650 quintaux nouvellement arrivés fussent livrés à d'autres qu'au sieur Lamosle et compagnie, ses mandataires, entre les mains desquels le séquestre des zincs litigieux fut peu après ordonné, sur la demande du capitaine, par jugement du tribunal de commerce du Havre, du 18 juillet; enfin, le 19 août suivant, le sieur Larabure assigna tant lesdits séquestres que le sieur Carl Lederer devant le tribunal de commerce du Havre, pour voir statuer sur son opposition et ordonner que les zincs séquestrés lui seraient remis, en raison de la vente du 8 mars.

Cependant, la demande judiciaire formée à Berlin fut accueillie en première instance le 20 novembre même année, mais rejetée, le 5 août 1841, par arrêt du tribunal d'appel qui annula la vente faite au sieur Larabure, pour inexécution de la part de celui-ci, résultant de son refus d'accepter les traites tirées sur lui. Le sieur Larabure ayant alors donné suite à l'instance dont il avait saisi le tribunal de commerce du Havre par son exploit du 19 août 1840, le sieur Carl Lederer lui opposa une fin de nonrecevoir, tirée de ce qu'avant de porter sa demande devant un tribunal français, il avait actionné son adversaire étranger devant la juridiction étrangère, et qu'en agissant ainsi, il était réputé avoir fait irrévocablement choix de cette dernière juridiction, et renoncé au bénéfice de l'art. 14 c. civ.

25 janv. 1842, jugement qui écarte cette fin de non-recevoir par les motifs suivants : « Attendu que, pour être admis à soutenir que le Français qui a cité un étranger devant un tribunal étranger a dû par cela seul renoncer à appeler ensuite son adversaire devant la justice française, il faudrait qu'il fut bien démontré que lorsqu'il a pris ce parti il a fail son choix libre et mûrement réfléchi; que son débiteur avait des valeurs dis

288. Au surplus, toutes les fois qu'il ne s'agit que de mesures conservatoires ou d'actes d'exécution que le Français aurait exercés en pays étranger, il ne sera pas pour cela déchu du droit de les renouveler en France, s'ils n'ont pas suffi à l'indemniser à l'étranger.-V. M. Demolombe (loc. cit.)

289. Aux termes d'un édit de 1778, il est défendu aux Français de porter leurs différends entre Français devant les tribunaux etrangers.Il suit de là que la compétence des tribunaux français est d'ordre public, en ce sens, du moins, que les Français ne pourgaient y renoncer par une convention expresse.-Par application

ponibles et saisissables tant en France qu'en pays étranger; qu'alors, la raison et l'équité devaient proscrire une pareille action et s'opposer à ce que la même cause, déjà jugée par les tribunaux étrangers, vint se reproduire dans les mêmes détails et circonstances, et se débattre devant les tribunaux de France; Attendu qu'il n'en a pas été ainsi dans l'espèce; Que, lorsque le directeur de la société de la Vieille-Montagne a donné des ordres en Prusse pour poursuivre contre Carl Lederer le complément d'exécution d'un marché datant de plus de deux années, son adversaire ne possédait en France aucune valeur connue; Qu'en se déterminant à aller réclamer la justice d'un tribunal étranger, il n'agissait pas par l'effet d'une option ou d'une préférence, qu'il cédait à une nécessité de position; - Que cette position ayant changé par l'arrivée en ce port de la partie de zinc, à bord du navire Georgina, aujourd'hui objet du litige, il ne s'agissait plus de l'exécution du marché, mais de débattre les conditions de livraison, conditions que, selon la compagnie, Carl Lederer voulait changer en dérogeant à celles qui avaient elé convenues lors du contrat primitif; - Que, d'ailleurs, en citant son adversaire devant le tribunal de Berlin, le directeur de la société de la Vieille-Montagne ne réclamait que l'exécution finale d'un marché, et n'avait pas entendu mettre en question l'annulation de ce même marché, déjà exécuté pour une portion; Qu'en renonçant momentanément à la juridiction de son pays, il ne pouvait être contraint d'étendre cette renonciation à une question toute differente; - Que les exceptions sont de droit étroit; qu'elles doivent toujours être entendues dans un sens restrictif, et ne sauraient être étendues au gré d'une des parties. >>

Appel de la part du sieur Lederer.- Le système suivi par les parties devant la cour se trouve reproduit dans l'analyse des conclusions du ministère public. M. Chassan, avocat général, démontre que les deux actions successivement introduites à Berlin et au Havre sont identiques, puisqu'elles ont toutes deux pour but l'exécution du marché passé en 1858. En peut-il résulter l'exception de litispendance invoquée par le sieur Lederer? Non, dit ce magistrat. La litispendance ne peut avoir lieu qu'à l'égard de deux tribunaux soumis à une seule et même souveraineté. La litispendance conduit presque toujours à un règlement de juges. Entre deux tribunaux faisant partie de deux Etats différents, à qui s'adresser? Où est, en Europe, l'autorité supérieure qui désignera le tribunal compétent? - Quant à l'autorité de la chose jugée, aussi présentée par Lederer, ajoute en substance M. l'avocat général, si elle repose sur un principe du droit des gens, il est évident que le bénéfice de cette exception pourra, jusqu'à un certain point, appartenir en France aux jugements rendus en pays étranger. Martens enseigne à cet égard ce qui, selon lui, devrait être, bien plutôt que ce qui est, car il avoue que la pratique n'est pas uniforme. Cette question, au surplus, se réduit à quelques mots : elle touche à l'indépendance et à la souveraineté des Etats, comme l'enseignent Merlin (Quest., v' Jugement, n° 14) et Toullier (t. 10, p. 48, 121), et l'on peut dire avec Paul que l'autorité de la chose jugée découle du pouvoir politique, Res judicatæ videntur ab is qui imperium potestatemque habent (Recept. sent., tit. 5). A ce qui a été dit par ces jurisconsultes, dont l'opinion est invoquée par le sieur Larabure, on peut ajouter encore que, pour résoudre cette question, il n'y a qu'à se rendre un compte exact de ce que c'est que la règle Res judicata pro veritate habetur. Qu'est-ce, en effet, que cette règle, si ce n'est une fiction de droit? Or les fictions de droit appartiennent exclusivement au droit civil. Fictiones, dit Hauteserre, locum habent in his quæ sunt juris civilis (De fict. jur. tract. 1, cap. 5). Les fictions de droit sont un expédient que le aroit civil seul rend nécessaires : car, dans le droit naturel, comme dans 7e droit des gens, qui est le droit naturel entre les nations, on n'a pas besoin de recourir à de pareils moyens: Fictio est remedium juris civilis; merito igitur huic locus non est, nisi in his quæ sunt juris civilis (loc. cit.). Création de la loi civile, la fiction de droit et, par conséquent, l'autorité e la chose jugée, est exclusivement régie par le droit civil de chaque pays cette autorité, dès lors, n'appartient à la chose jugée qu'autant que le jugement émane de tribunaux régis par la même loi civile, placés sous la même souveraineté. Le système du sieur Larabure est vrai, il est juridique; mais ce n'est pas sur ce terrain que se place le sieur Lederer. il n'invoque précisément ni l'exception de litispendance ni celle de la chose jugée. Voici son système : - L'art. 14 c. civ., en autorisant le Français à traduire l'etranger devant les tribunaux français, n'a pas entendu que l'étranger fut capricieusement trainé d'un tribunal à un autre. Lorsque le Français a choisi la juridiction étrangère, il a par cela même

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de cet édit, qui n'a été abrogé par aucune loi postérieure, il a été décidé 1° qu'un Français ne peut être actionné par un autre Français devant un tribunal étranger, même pour raison d'ɔbligations contractées en pays étranger (Paris, 14 avr. 1815, aff. Delacroix, V. infrà, no 456); — 2° Que, même du consentement de toutes les parties, les tribunaux étrangers ne peuvent valablement statuer sur un objet de la compétence exclusive des tribunaux français, et que la chose jugée par eux n'est pas opposable en France à celle des parties qui y renouvelle le débat (Colmar, 17 fév. 1824) (1).

renoncé au bénéfice de l'art. 14, qui a créé en sa faveur nn véritable privilége; dès lors, quand il revient devant un tribunal français après avoir plaidé, à raison de la même action, devant un tribunal étranger, il doi être déclaré non recevable, non parce qu'il y a chose jugée ou litispendance, mais parce qu'on n'est pas admis à revenir sur une renonciation volontairement faite : Electa una via, non datur regressus ad alteram, et parce qu'il faut que les procès aient enfin un terme. Ce système est vrai aussi; trop de décisions judiciaires peuvent étre invoquées en sa faveur pour qu'il soit faux d'une manière absolue. Chacun des systèmes invoqués est l'emblème de la vérité; mais, dans leur rapport avec le litige actuel, ils en sont l'un et l'autre l'image incomplète; chacun d'eux a le tort de vouloir étre absolu. D'après le sieur Larabure, le Français pourra toujours, dans tous les cas, investir les tribunaux français, car ce qui est émané d'un tribunal étranger ne peut jamais être opposé en France: là est l'exagération d'un principe vrai. Si l'on en croit le sieur Lederer, le Français qui s'est adressé à un tribunal étranger ne peut jamais, dans aucune bypothèse, traduire son adversaire devant les tribunaux français: là est aussi une exagération.

La vérité n'a pas ce caractère absolu, exagéré. Quelle est la raison de l'art. 14? M. Proudhon nous la révèle avec netteté lorsqu'il dit (État des personnes, t. 1, p. 81) que cet article permet au Français de citer l'étranger devant un tribunal français, « parce que, les jugements rendus par des tribunaux étrangers n'étant point exécutoires en France, on a dû accorder au Français la faculté d'obtenir justice d'un tribunal dont la décision pût, par elle-même, être exécutée sur les biens que le débiteur posséderait en France. » Il suit de la que, lorsque l'étranger qui n'a aucun bien en France est cité devant les tribunaux de son pays, le choix du Français est forcé, il n'a rien de volontaire, rien de libre, comme Toullier le fait observer avec raison. A quoi servirait au Français d'investir les tribunaux français ? Il n'y a donc de sa part aucune renonciation à la juridiction française. Lorsque, par la suite, le Français trouve en France des biens appartenant à son adversaire, il peut saisir les tribunaux français, nonobstant l'instance pendante ou jugée en pays étranger, sans qu'on puisse lui opposer une prétendue renonciation à la juridiction francaise, car on ne peut pas être censé avoir voulu renoncer à une juridiction qu'on n'avait aucun intérêt à saisir. -- Si, au contraire, l'étranger possède des biens en France, au vu et su du Français, et si celui-ci saisit les tribunaux étrangers pour les abandonner ensuite et revenir devant la juridiction française, on lui dira avec raison qu'il a renoncé au bénéfice de l'art. 14, car une pareille renonciation est alors réellement volontaire. Que si l'étranger possède en même temps des biens en France et dans son pays, il pourra être cité tout à la fois devant les tribunaux francais et devant ceux de son pays, car le Français peut avoir intérêt à faire porter ses exécutions sur les biens situes dans l'une et dans l'autre contrée or comme il ne peut le faire qu'en vertu d'un jugement rendu par les tribunaux des deux nations, il s'ensuit qu'il a évidemment le droit de s'adresser a la fois aux deux juridictions.-Dans l'hypothèse de la cause, si le sieur Larabure avait cité son adversaire devant le tribunal de. Berlin, alors qu'il savait que celui-ci avait en France des marchandises sur lesquelles il pouvait faire porter ses exécutions, on pourrait le déclarer non recevable à revenir devant les tribunaux français, parce qu'il aurai librement et volontairement choisi les tribunaux de Berlin, et qu'il devrait, dès lors, être réputé avoir librement et volontairement renoncé à la juridiction française. Mais les termes de l'assignation donnée devant le tribunal royal de Berlin démontrent que dans ce moment-là le correspondant du sieur Larabure dans cette ville ignorait l'arrivée des zines au port du Havre il n'y a donc de sa part rien qui indique une renonciation à la juridiction française. Mais comme il avait intérêt a obtenir deux jugements, l'un du tribunal de Berlin pour pouvoir l'exécuter sur les bien s de son adversaire situés en Prusse, l'autre des tribunaux français pour pouvoir saisir les marchandises du sieur Lederer arrivées en France, sa double action devant deux tribunaux appartenant à deux nationalités différentes se justitie de la manière la plus juridique. - Arrêt.

-

LA COUR; Adoptant les motifs des premiers juges, à l'exception de ce qui concerne les conclusions reconventionnelles prises par le sieur Lederer devant le tribunal de Berlin; Confirme.

Du 19 juillet 1842.-C. de Rouen, 1re ch.-M. Renard, pr.

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DROIT CIVIL. TIT. 2, CHAP. 2, SECT. 1, ART. 3.

290. Jugé même qu'il n'est pas permis à un Français de renoncer à la juridiction de son souverain (Grenoble, 3 janv. 1829, aff. Ovel, V. no 458).

291. L'autorité compétente est l'agent diplomatique ou consul établi dans le pays où s'élève la contestation. Et il a été décidé, à l'égard d'une contestation entre commerçants français, que s'il n'existe pas d'agent de cette qualité, c'est le tribunal français du domicile du défendeur qui est compétent (Rennes, 2 janv. 1832, aff. N..., V. Pêche marit.).

292. Toutefois il semble résulter de ce qui sera dit plus bas sur l'art. 15 que, par analogie de ce qui a été entendu lors de la discussion de cet article, les tribunaux étrangers doivent être compétents pour juger les contestations commerciales entre Français qui ont formé des établissements en pays étranger. En Belgique les tribunaux ne font aucune difficulté de le décider ainsi entre Français; mais il est vrai de dire qu'en cela ils se bornent à suivre une règle qu'observent nos tribunaux à l'égard des étrangers commerçants. De quel droit celui qui a quitté la France, et qui souvent n'y conserve aucune propriété, prétendrait-il renvoyer vers les tribunaux français le concitoyen envers lequel il s'est obligé commercialement? Il faudrait, ce semble, des considérations très-puissantes pour que l'édit de 1778 fùt applicable en ce cas, et l'une de ces considérations serait, par exemple, que le Français établi à l'étranger eût conservé des propriétés en France et que l'engagement y fût payable. Au surplus, nous ne prétendons pas que le jugement étranger doive pour ceia être exécutoire de plein droit en France; mais il nous semble qu'il ne serait pas atteint de la nullité d'ordre public qui a été déclarée découler de l'édit de 1778. Et ce qu'on dit pour les matières commerciales, nous l'appliquerions aux matières civiles, alors que la compétence a été reconnue par toutes les parties: le règlement de 1778, s'il n'est point virtuellement abrogé par nos lois, est, on ne peut se le dissimuler, et sous un régime tout différent de celui qui obligeait les parties de payer les épices aux juges, considérablement modifié.

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293. L'édit de 1778, qui défend à tout Français de traduire un Français devant des juges étrangers, ne défend pas de réclamer de ces juges l'emploi de la force publique pour l'exécution d'un titre paré (Rej., 11 déc. 1809) (1).

294. S'il existe des traités qui dérogent à cet édit de 1778, ils doivent être appliqués. Nous verrons plus loin, en traitant de l'autorité des jugements étrangers en France, qu'il y a entre la France et la Russie une convention de cette nature, conclue le 11 janv. 1787, et en vertu de laquelle les tribunaux russes sont compétents pour juger les contestations relatives à la succession d'un Français décédé en Russie. C'est la prescription formelle de l'art. 16 de ce traité. Nous verrons également que la France et la Suisse ont conclu plusieurs traités, desquels il résulte que les jugements des tribunaux helvétiques ont en France, même quand ils ont statué entre Français, l'autorité de la chose jugée.

295. Les auteurs qui ont écrit sur le droit international moderne, ont examinéla question de savoir si le privilége accordé aux sujets d'une nation de traduire les étrangers devant les juges de

ribunaux français; que les juridictions étant d'ordre public, il n'a pu dé-
rendre de la volonté d'une ou de toutes les parties de les intervertir et de
les saisir irrévocablement; qu'ainsi l'exception de la chose incompétem-
Pient jugée devant les tribunaux étrangers ne peut être opposée devant les
Par ces motifs, et adoptant ceux des premiers
ribunaux français :
ges, ordonne que le jugement dont est appel sortira son plein et entier
Det,
Et condamne l'appelant aux dépens, etc. »

Du 17 fév. 1824.-C. de Colmar.-MM. Millet de Chevers, 1er pr.

-

Bouchereau avait prêté
(1) Espèce: (Bouchereau C. Léguen.)
- Tous deux étaient Français.
51,000 fr. à Léguen, le 15 fév. 1791.
Léguen passe aux Etats-Unis. Bouchereau l'y suit, porteur de son con-
irat authentique, dont il demande l'exécution à la cour de New-York.
Leguen oppose, comme titre de liberation, un jugement par défaut du
tribuual de Bordeaux, qui avait validé les offres réelles faites à Bouche-
reau par Bast, syndic de sa faillite, pour acquitter la dette de Léguen. -
Sur l'appel de Bouchereau contre ce jugement par défaut, arrèt infir-
matif de la cour de Bordeaux, qui déclare sa créance non éteinte.
New-
Tierce opposition de Léguen à cet arrêt. Il demande en même temps que
Bouchereau soit tenu de se désister des poursuites commencées
TOME XVIII.

A cet cette nation doit recevoir application quand l'engagement qui donne lieu à la contestation émane d'un prince étranger? égard, une distinction se présente naturellement à l'esprit ou l'obligation a été contractée par le prince, en son nom particucar toutes les lier, comme individu, et, dans ce cas, la compétence des tribunaux du créancier paraît devoir être reconnue, fois que le prince agit dans son intérêt privé, il doit, comme un les limites tracées à tous les citoyens; il a pu, en conséquence, simple particulier, être considéré comme ayant pu traiter dans comme tout autre, se placer sous la juridiction d'un pays étranger. Il suit de là qu'une condamnation pourra atteindre ses biens, simple particulier. C'est ce qu'enseignent, à cet égard, Martens, qu'on pourra les exécuter de la même manière que ceux d'un Guide diplomatique, t. 1, p. 82; Droit des gens, liv. 5, p. 15; Vatel, Droit des gens, § 114; Kluber, Dr. des gens, p. 323, 331 et 333. Mais si le prince a traité comme chef de son gouvernement et dans un intérêt public, il nous semble difficile d'admettre la même solution, car l'intérêt privé ne saurait être mis en balance avec l'intérêt public, et il y aurait les plus grands dangers à soumettre à de simples juges la solution des questions de cette nature. C'est au gouvernement de son pays que doit s'apolitiques que ne pourraient manquer de faire naître des débats dresser le citoyen qui veut obtenir l'exécution d'un engagement contracté envers lui par le chef d'un gouvernement étranger. L'affaire devra être poursuivie par les voies de la négociation ver à un résultat cela est surtout incontestable dans un siècle diplomatique, et cette voie est à coup sûr la meilleure pour arricomme le nôtre, où la raison et la justice paraissent être les premières règles que s'imposent les gouvernements respectifs les Ce que nous disons ici peut se foruns vis-à-vis des autres.. tifier par les exemples, que nous avons tous les jours sous nos yeux, de réclamations formées par des Français contre des gouvernements étrangers, réclamations que le gouvernement français se charge d'appuyer et de faire prévaloir quand elles sont fondées; pour ne citer qu'un de ces exemples, ne suffit-il pas de rappeler les créanciers de Saint Domingue, dont les titres sont soutenus par notre gouvernement et appuyés auprès de la république de Saint-Domingue. Les nombreux traités intervenus à cet égard, témoignent assez et de la haute sollicitude de nos gouvernants pour les intérêts des membres de la nation qu'ils dirigent, Conformément et de la sage prudence des intéressés qui attendent tout de la vigilance et de la fermeté du pouvoir français.

à la théorie qui précède, il a été jugé qu'un gouvernement étranger ne peut être soumis à la juridiction française, à raison des engagements qu'il a contractés envers un Français : l'art. 14 c. civ. n'est applicable qu'aux engagements formés entre particuliers appartenant à des États différents; que, par suite, les sommes dues en France à un État étranger ne sont pas saisissables par un Français créancier de cet État (Cass., 22 janv. 1849, aff. Lambège, D. P. 49. 1. 5; trib. du Havre, 25 mai 1827, aff. Blanchet, eod.; trib. de la Seine, 2 mai 1828, aff. Ternaux et aff. Balguerie, eod.; 16 avril 1847, aff. Solon, eod.).

296. Pareillement, il a été décidé que le créancier d'un gouvernement étranger ne peut former opposition sur les deniers

York. La cour de Bordeaux admet la tierce opposition, ordonne l'exécu
tion de l'arrêt par défaut, et rejette par fin de non-recevoir la demande
en désistement, comme formant une demande principale, indépendante
de celle jugée par l'arrêt attaqué; mais elle réserve a Léguen tous seg
moyens sur la question de validité des poursuites de New-York. —
Pourvoi de Léguen pour deni de justice et contravention à l'édit de 1778,
qui défend à un Français de traduire un autre Français devant les juges
Arrêt.
étrangers.

Considérant, 1° que le demandeur, porteur d'un titre LA COUR; paré passé en France, n'avait besoin de recourir à aucune juridiction; qu'il ne s'agissait pour lui que de ramener son contrat à exécution; Que le consul français à la résidence des États-Unis, n'ayant point caractère pour en permettre l'exécution, il a dû s'adresser au magistrat qui a la justice extérieure; - 2o que la cour d'appel de Bordeaux s'élant abstenue de prononcer sur le désistement, et ayant réservé au demandeur tous ses droits, la question relative à la validité ou invalidité des poursuites faites à New-York est restée entière; d'où il résulte que la cour d'appel de Bordeaux n'a point contrevenu à l'édit de 1778, ni à l'ord. de 1629; Rejette, etc.

Du 11 déc. 1809.-C. C., sect. civ.-MM. Liborel, pr.-Liger, rap.

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d'un emprunt contracté en France par ce gouvernement (Paris, 7 janv. 1825, aff. Ardoin, D. P. 49. 1. 5, note).

297. La même décision doit à plus forte raison être admise en ce qui concerne les voies d'exécution qu'un Français voudrait | exercer contre des biens appartenant à un gouvernement étranger et ayant en France une destination publique. Le droit des gens commande, en effet, que les gouvernements accordent aux biens des nations étrangères affectés à un service public, la même protection que les lois de celles-ci donnent aux biens de ceux-là qui ont une destination semblable.

298. Nous verrons plus loin, que le principe d'inviolabilité et d'exterritorialité qui couvre les agents revêtus d'un caractère diplomatique, protége également toutes les choses qui sont à leur usage en France, et qu'en conséquence on ne saurait les saisir en vertu d'une décision émanée d'un tribunal français.

299. L'art. 14 cesse-t-il de recevoir application en temps de guerre à l'égard des individus de la nation étrangère avec laquelle la guerre serait déclarée? Pour l'affirmative, on peut dire que l'état de guerre rend les communications impossibles ou du moins peu faciles entre les parties belligérantes. On peut en outre invoquer un arrêté du gouvernement français, en date du 19 mess. an 11, qui prononce la suspension de toute instance ayant pour objet le payement d'engagements contractés pour fait de commerce par des négociants français envers les Anglais; d'où il paraît rationnel de conclure que réciproquement les Français n'auraient pas pu, d'après cet arrêté, actionner les Anglais devant les tribunaux français pendant la durée de la guerre.-Mais un tel raisonnement n'est rien moins que concluant. En effet, d'une part, la loi n'établit à ce sujet aucune suspension d'instance, et comme l'art. 14 contient un principe général auquel il n'est fait aucune exception de la nature de celle qui nous occupe, il faut l'appliquer pendant la guerre comme pendant la paix. En outre, comme les obligations sont régies par les principes du droit des gens, principes aqui en général reçoivent leur application en temps de guerre comme en temps de paix, il y a toute raison de ne pas suspendre l'application de l'art. 14. Enfin, nous dirons avec M. Guichard, n° 249, que la prescription continuant son cours en temps de guerre, il y aurait souvent déchéance du droit du créancier, sans qu'aucune faute lui soit imputable, si on lui interdisait de faire valoir son droit avant la conclusion de la paix. — Quant au motif tiré de la difficulté des communications, on y répond en faisant remarquer qu'il s'agit d'un obstacle de fait et non de droit, et qu'en outre cet obstacle est facile à lever en nommant un mandataire chargé de représenter le débiteur prétendu devant le tribunal saisi de la contestation. L'argument puisé dans l'arrêté du 19 mess. an 11 n'est pas plus concluant dans le sens de l'opinion contraire: il y a plus, il prouve dans le sens de notre opinion, car si le gouvernement a cru devoir prendre une mesure de la nature de celle qu'il a édictée, c'est parce que les principes ne lui paraissaient pas amener d'eux-mêmes la solution qui y est contenue. Il ne faut pas perdre de vue, en outre, que ce qui est décidé dans cet arrêté est contraire aux étrangers, tandis que nous avons à rechercher si une disposition favorable aux Français leur est enlevée par le fait seul de l'état de guerre. La question n'étant pas la même, on aurait tort de vouloir tirer pour un cas imprévu des conséquences d'une disposition relative à un cas prévu.-Jugė, conformément à ce principe, qu'un Français qui, antérieurement à la publication de l'arrêté du 19 mess. an 11, avait été condamné envers un Anglais, pouvait, depuis et pendant l'état de guerre, se pourvoir contre le jugement de condamnation (Rej., 5 frim. an 14) (1).

(1) Espèce : — (Greffulhe C. Zupey.) — L'arrêté du 19 mess. an 11 dispose: « qu'il ne sera reçu dans les tribunaux de la République aucune instance ayant pour objet le payement d'engagements contractés pour fait de commerce, par des négociants français envers les Anglais (art. 1) » et suspend, jusqu'au rétablissement de la paix, les instances actuellement engagées pour cet objet, et l'exécution des jugements qui auraient pu s'ensuivre (art. 2 et 3). Greffuibe, Français, et banquier à Paris, s'est pourvu contre un arrêt de la cour de cette ville, qui le condamnait, le 3 germ. an 11, à payer à l'Anglais Zupey quatre cent seize billets de 1,000 fr. dus pour emprunt. L'Anglais demandait qu'il fût sursis à

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300. Comme la juridiction est un attribut essentiel de la souveraineté, le sujet n'est, en général, justiciable que des tribunaux institués par le gouvernement auquel il doit obéissance. Partant de là, il semblerait que des étrangers ne sont pas plus obligés de reconnaître la juridiction du souverain dans les États duquel ils se trouvent, que celui-ci n'est tenu de rendre la justice à des étrangers qui lui défèrent leurs contestations. Outre que le juge français peut craindre de blesser les nationalités étrangères, en prononçant sur leurs débats contre leur gré, il ne doit pas perdre de vue qu'il est institué pour rendre la justice à ses nationaux, que c'est à ceux-ci que son temps est dù, et qu'en le consacrant à des intérêts étrangers à ses justiciables, il peut faire éprouver un préjudice à ces derniers. Ajoutons qu'un motif d'un ordre plus élevé encore peut faire sentir aux tribunaux le besoin de s'abstenir de juger les contestations entre étrangers, c'est lorsque la complication des affaires ou l'insuffisance d'une législation qui ne leur est point connue ou qui reste obscure, malgré les parères peut-être contradictoires qui sont produits devant eux, ne leur permettent pas d'asseoir une décision sur des textes certains et propres à satisfaire au cri de leur conscience.

On a vu que nos lois faisaient défense aux Français de plaider entre eux devant les juridictions étrangères; mais cela ne regarde que nos nationaux. A l'égard des étrangers, le juge français n'a pas à s'enquérir du point de savoir si la loi municipale de ces étrangers contient une semblable prohibition: les traités passés entre la France et la nation à laquelle appartiennent ces étrangers devront seuls être consultés par lui, et s'ils sont silencieux à cet égard, il acceptera, suivant qu'il s'agira d'une action civile ou d'une action commerciale, et selon que les deux parties consentiront à le choisir pour juge ou qu'il y aura résistance de la part de l'une d'elles. La circonstance que ces étrangers se trouveraient dans le ressort juridictionnel d'un consul de leur nation, et que le défendeur demanderait à être renvoyé devant lui, déterminerait sans doute le juge français à ne point balancer de rendre une déclaration d'incompétence.

1.- Des obligations civiles entre étrangers.

301. La nature de l'action, les traités politiques, le domicile en France de l'une des parties, leur acquiescement à la juridiction française, peuvent modifier l'application de la maxime: actor sequitur forum rei.

302. Les immeubles possédés en France par des étrangers, étant régis par la loi française (C. civ. 3), l'action réelle doit toujours être portée devant les tribunaux français. En est-il de même de l'action mixte, de celle, par exemple, de l'étranger qui veut recouvrer d'un autre étranger le bien vendu à réméré ? Sans doute; le demandeur alors a la faculté d'opter entre les deux actions personnelle et réelle (Paris, 25 therm. an 12, aff. Dewitt, V. Domicile; MM. Pigeau, t. 1, p. 100; Delvincourt, p. 15, note 8; Duranton, no 154). — Jugé ainsi, que les tribunaux français sont compétents pour connaître d'une demande en mainlevée d'inscription hypothécaire prise sur un immeuble situé en France, en vertu d'un contrat passé entre étrangers, en pays étranger, encore que la contestation soulèverait des questions de compensation ou de règlement de compte: c'est là une action mixte, compétemment portée devant le tribunal de la situation de l'objet litigieux (Bordeaux, 18 déc. 1846, aff. Durand, D. P. 47. 2. 45).

Nous pensons même que, dans une telle hypothèse, et si l'action avait pour objet des immeubles, les tribunaux français ne pourraient s'abstenir de juger, car l'art. 3 précité déclarant tous

statuer sur le pourvoi, comme il était sursis à l'exécution de l'arrêt alla qué, par l'arrêté du 19 mess. an 11. — Arrêt.

LA COUR; Attendu que l'instance introduite par Greffulhe n'a pas pour objet d'autoriser les poursuites d'un Anglais contre un Français, mais, au contraire, de les prévenir et de les empêcher; et que, par conséquent, l'arrêté du gouvernement, du 19 mess. an 11, n'est point applicable à cette instance; - Ordonne qu'il sera passé outre au rapport et au jugement.

Du 5 frim. an 14.-C. C., sect. civ.-MM. Maleville, pr.-Gandon, rap.Merlin, proc. gen., c. conf.-Chabroud et Becquey-Beaupré, av.

les meubles régis par la loi française impose aux juges français le devoir d'appliquer la loi française en ce qui concerne de tels biens.MM. Gaschon, Code diplom. des aubains, disc. prélim., p. 125 in fine; Guichard, no 256; Pailliet, no 36; Coin-Delisle, n° 19 et Demolombe, no 261-2°, sont aussi de cet avis. cidé cependant que, de ce qu'un individu étranger, demandeur contre un étranger en payement d'une somme d'argent, aurait additionnellement conclu à l'affectation hypothécaire des immeubles de son débiteur, situés en France, il n'en résulte pas que l'action personnelle et mobilière qu'il a intentée soit devenue réelle immobilière, de manière à saisir nécessairement les tribunaux français, dans le sens de l'art. 5, § 2, c. civ. (Req. 2 avril 1833, aff. Bloome, V. no 314).

303. Des traités politiques peuvent autoriser des étrangers à procéder entre eux devant nos juges. Mais il ne suffirait pas que, dans un pays, les Français eussent la faculté de se citer mutuelle ment en justice, pour que les juges de France connussent des procès entre les citoyens de ce pays (Req., 22 janv. 1806) (1), La réciprocité n'est point de droit comme les représailles. C'est au gouvernement seul à l'établir par des traités (Cass., 24 août 1808, aff. Huseman, et 6 avril 1819, Favigny, vo Succession). -Ainsi, les juges français sont incompétents pour statuer sur la répartition à faire entre un consul et le vice-consul d'Espagne, des

(1) Espèce (Montflorence C. Skippwith.)-21 oct. 1794, à Paris, dans la chancellerie américaine, en langue anglaise, et selon les formes des États-Unis, eut lieu entre Skippwith, consul général, et Montflorence, son chancelier, tous deux Américains, un traité ayant pour objet le recouvrement des indemnités dues par la France à des Américains pour capture de leurs bâtiments, et portant règlement de leurs parts respectives dans les émoluments du consulat et les commissions inhérentes. En l'an 12, Montflorence appela Skippwith a un compte général de société pour toute l'agence consulaire. - Cité au tribunal de commerce de Paris, celui-ci opposa un déclinatoire qui fut rejeté, le 4 vend. an 13, attendu qu'il s'agit de répétitions relatives à la société qui a existé en France comme agence de commerce. Appel de Skippwith. an 13, arrêt infirmatif de la cour de Paris: - Attendu qu'il s'agit de l'exécution d'un traité fait entre deux citoyens des Etats-Unis d'Amérique, rédigé sur papier libre, en langue anglaise, et dans les formes de leur pays; que, suivant le droit commun et l'intention même des parties, une pareille contestation ne peut avoir d'autre juge que le représentant des Américains unis en France et les tribunaux de leur nation. >>

- 4 vent.

Pourvoi de Montflorence: 1° Déni de justice: en Amérique on ne juge point les absents. Or Skippwith restera probablement toujours en France; son mariage avec une Française, sa résidence de quatorze ans, les propriétés qu'il y a acquises, le font presumer.- La cour de Paris, en le renvoyant devant le représentant des États américains, l'a fait juge dans sa propre cause; 2° Violation de l'art. 41 c. civ., portant réciprocité. En Amérique, Is Français peuvent invoquer les tribunaux de ce pays.--L'appelant constatait ce fait par une lettre de M. Livingston, chancelier des cours de justice de l'Etat de New-York, un acte de notoriété émané de citoyens notables des Etats-Unis, une circulaire a tressée aux consuls français par le secrétaire d'Etat des États-Unis, qui leur annonçait le consentement du gouvernement américain à ce que les Américains soient jugés par les tribunaux français.— Il citait deux arrêts de la cour suprême des 7 mess. an 7 et 27 germ. an 15, comme ayant confirmé le principe de réciprocité entre Américains et Français. Ils soutenaient, du reste, que le lieu du contrat était attributif de juridiction (c. civ. art. 14): que les parties avaient manifesté l'intention de suivre les formes françaises, en faisant feur traité par acte double: laquelle formalité n'est pas usitée dans leur pays. Il alléguait, enfin, que Skippwith avait proposé de s'en rapporter à des arbitres français, et reconnu ainsi la juridiction française. M. Merlin a conclu au rejet du pourvoi. C'est devant le juge de son domicile, a-t-il dit, et non plus, comme à Rome, dans le lieu du contrat, que le défendeur doit être assigné d'après la règle générale. ·

Élection

de domicile, cas de l'art. 14 c. civ.; contestation sur opération maritime (ord. 1681, art. 1, tit. 2), ou simplement commerciale (ord. 1673, art. 17, tit. 12); voilà les seules exceptions à la règle.- Skippwith n'est ni dans l'un ni dans l'autre de ces cas. Vainement objecte-t-on qu'en Amérique les tribunaux connaissent des procès entre Français : la réciprocité n'est point de droit comme les représailles; c'est au gouvernement à l'établir par des traités (art. 11 c. civ.).- La circulaire aux consuls est un mandat de juger que les tribunaux français restent libres d'accepter jusqu'à ce que notre gouvernement l'ait reconnu. Quant aux arrêts des 7 mess. an 7 et 27 germ. an 15, ils manquent d'analogie, en ce qu'ils statuent sur un fait où la compétence française avait été agréée par les parties.-Arrêt (ap. dél. en ch. du cons.).

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droits consulaires, quoique ce dernier, qui est demandeur, soit Français (Bordeaux, 20 mai 1829, aff. Ducot, V. Consul).

304. La circonstance que l'obligation dont l'exécution est requise prend sa source dans le droit naturel ou des gens, comme si, par exemple, un ascendant, un enfant, une femme réclamaient des aliments contre ceux qui doivent leur en fournir, rendrait-elle le juge français compétent? L'affirmative se fonde sur des raisons d'un ordre impératif et qui, par cela même, ont une affinité avec les lois de police, necare videtur is qui alimenta dene gat: c'est la loi romaine qui le dit. Forcera-t-on celui qui souffre de la faim à aller réclamer justice devant les tribunaux étrangers? Dans le sens opposé, on invoque toutes les raisons qui viennent d'être exprimées et qui seront énoncées plus bas en faveur de la compétence domiciliaire. Mais cette défense n'a pas eu de succès devant nos tribunaux, et il a été très-bien jugé qu'ils sont compétents pour statuer: 1° sur l'exécution des obligations de droit naturel réclamées entre étrangers, et par exemple, sur la demande alimentaire formée par une femme ex-française contre son mari étranger résidant en France (Paris, 19 déc. 1833) (2);— 2o Sur la demande d'aliments faite par une femme ex-française pour elle et ses enfants mineurs contre son mari et son beau-père, étrangers et résidant tous en France (Bastia, 11 avril 1843) (3).

tions que la loi lui a confiées en statuant sur le déclinatoire proposé; Attendu qu'elle n'a point commis de déni de justice, en renvoyant les parties devant leurs juges de droit, puisque, étant l'un et l'autre étrangers non domiciliés en France, et ne s'agissant que d'une action personnelle, et non pour fait de commerce, les juges ont prononcé conformément à la maxime, actor sequitur forum rei;- Attendu, d'ailleurs, que les contractants ne s'étaient nullement soumis à la juridiction des tribunaux français; que si, depuis leurs contestations, il a été question de prendre des arbitres, il n'y a pas eu de compromis effectué; Allendu

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que le principe de réciprocité invoqué n'est point applicable à l'espèce, les traités entre les deux États n'ayant rien statué à cet égard; Attendu enfin que l'arrêt attaqué n'a contrevenu à aucune loi-Rejette, etc. Du 22 janv. 1806.-C. C., sect. req.-MM. Muraire, 1er pr.-Sieyes, rap. (2) Espèce: (Favre C. sa femme.) - La dame Favre a demandé, devant le tribunal de la Seine, une pension alimentaire à son mari, médecin à Paris, mais né en Savoie, et non naturalisé Français; celui-ci répond que sa femme ayant suivi sa condition, le tribunal ne peut connaître d'une contestation entre étrangers. Jugement qui écarte cetle exception: Attendu que l'obligation des époux de se fournir des aliments, dérivant du droit naturel et du droit des gens, l'action qui en résulte, est, dans l'intérêt de l'ordre public, de la compétence des tribunaux de la résidence des parties. » - Appel. L'obligation alimentaire est bien fondéo sur le droit naturel, mais elle dérive essentiellement du droit civil, puisqu'elle n'existe qu'à raison du lien formé par le mariage dont les formes, les obligations et les droits sont déterminés par le droit civil de chaque nation; dès lors, c'est d'après la loi du pays auquel appartient Favre, que la demande de sa femme doit être jugée.-Arrêt. LA COUR, Considérant que l'obligation de la part du mari de fournir des aliments à sa femme, est une obligation de droit naturel, dont l'exécution peut être réclamée devant le tribunal du domicile du défendeur;Considérant qu'il résulte des faits et circonstances de la cause et des pièces du procès, que Favre a son domicile à Paris;-Confirme. Du 19 déc. 1853.-C. de Paris, 3 ch.-MM. Lepoitevin, pr.-Pécourt, av. gen., c. conf.-Caignet, av.

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(3) (Palmieri C. Palmieri.)- LA COUR; - Attendu que les aliments dus par l'aïeul à ses petits-enfants et à leur mère sont une obligation du droit naturel, et que la connaissance des contestations qui s'élèvent à ce sujet appartient de droit aux tribunaux du lieu de la résidence des parties, même étrangères. En ce qui touche la compétence ;-Attendu que les parties de Corbara n'ont excipé l'incompétence ni en première instance ni en appel; - Attendu en outre que les tribunaux français n'étant pas obligés de juger les procès soumis à leur justice par les étrangers, i en suit qu'ils ne peuvent décliner d'office leur incompétence; - Mais attendu qu'aux termes de l'art. 19 du code civil, la femme française, qui épouse un étranger et suit la condition de son mari, recouvre la qualité de Française, si elle devient veuve, pourvu qu'elle réside en France; - Attendu qu'Anne Pauline Bartolini est redevenue française par la mort de son mari, Vincent Palmieri; que la demande par elle intentee entre les père et fils Palmieri, sujets sardes, domiciliés à Bastia, l'a été tant au nom de ses enfants mineurs qu'en son propre et privé nom, pour les droits à elle compétents pour sa dot dans la succession de son mari; qu'elle a donc pu saisir le tribunal civil de Bastia de sa demande, telle étant la disposition formelle de l'art. 14 du code civil.

Du 11 avr. 1843.-C. de Bastia.-M. Colonna d'Istria, 1 pr.

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