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frondeuse, très orléaniste vers la fin du grand règne, une foule de petites histoires curieuses, de petites intrigues politiques ou galantes, aimables ou jalouses, dont le spirituel et malicieux marquis de Châtre se plaisait à recueillir les traits en les envenimant.

A l'aurore du XVIe siècle, dès 1706, César Hurault vendit le Marais à Pierre-Henry le Maître. Cette famille le Maître, surnommée bientôt le Maître du Marais, honorable et paisible, mais riche aussi et fastueuse, continua la grande vie des Hurault. Le vieux château du xv° siècle, austère comme une forteresse, dont les grès avaient noirci, contrastait trop avec les habitudes et les constructions d'alors empreintes de grâce et de suprême élégance. Il fut rasé vers 1770 et, à sa place, on vit surgir et se mirer dans les eaux canalisées ce bijou que vous admirez, qui tient à la fois de l'Italie et de Versailles. Ce fut du reste l'architecte de Versailles," Neveu, qui donna le dessin de ce nouveau Trianon, dont let profil allongé, l'ordonnance régulière, le péristyle, l'escalier, les balustres et les colonnes l'encadrent si merveilleusement dans une ceinture de fossés d'eau vive, de futaies, de prés, de parterres étincelants de fleurs; soit qu'on en contemple la perspective du bout du grand canal bordé de peupliers et de haies, soit qu'on les regarde de plus près, par derrière, se reflétant dans une pièce d'eau poétiquement ombragée de beaux chênes et de saules pleureurs. A l'intérieur, un grand luxe et un grand goût. Un salon du plus pur style Louis XVI meublé de tapisseries incomparables, dont les six fenêtres ont, par-dessus les douves, tous les points de vue du domaine, une salle à manger architecturale; des chambres à coucher. coquettes et luxueuses dans lesquelles des fenêtres s'ouvrent sur une charmante chapelle centrale et circulaire; une bibliothèque, des appartements supposant des hôtes nombreux et des communs disposés pour une suite princière, près de l'ancien pigeonnier féodal qui subsiste comme un témoin du passé.

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Voici une estampe de l'époque que j'ai apportée pour vous la faire voir. C'est une vue du Marais, dessinée par Constant Bourgeois et gravée par Mile Olympe Neveu. Elle est tirée des Jardins de la France, avec le texte de la Borde en trois langues. Le grand admirateur des châteaux et des jardins anglais exalte ce château français, qu'il considère <«< comme un des plus remarquables des environs de Paris pour la beauté de l'édifice et les agréments de la situation ». Il loue, dans un style à la Rousseau, la vie qu'on y mène et l'hospitalité qu'on y reçoit : « Les environs sont d'un agré<«ment particulier. Tout le pays se lie au parc et ne permet << point de lui désirer plus d'étendue. L'intérieur du bâtiment « est d'une beauté et d'une noblesse remarquables, quoiqu'on pût y désirer plus de simplicité. De pareilles habitations, devenues rares depuis quelques années, annon«<çaient aux étrangers la richesse et la magnificence « françaises. Moins champêtres, moins simples que les <«< habitations anglaises, elles avaient une grandeur qui s'y <«< rencontre rarement... Le château du Marais présente, « dans la belle saison, le tableau de la vie de château, telle qu'on l'a si bien perfectionnée en France. C'est là que l'on <<< retrouve tous les agréments de la campagne, sans perdre « de vue les relations de la ville et l'intérêt des affaires publiques. Les beautés de la nature ne font qu'ajouter un «< charme de plus aux jouissances de l'esprit. On a le choix « du repos ou du mouvement, soit dans ses idées, soit dans «ses occupations. Les égards y tiennent lieu de devoirs, et « le bonheur de chacun dispense les autres de se gêner « pour y contribuer sorte de bien-être naturel et continu dont la nuit est la seule interruption, et, pour ainsi dire, << la seule absence; où les sentiments se conservent sans << avoir besoin de se manifester; en un mot, où l'indépen<«< dance a toutes ses douceurs sans que la société perde rien <«<de ses charmes. >>

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C'est qu'avec le nouveau château venait de s'ouvrir pour

le Marais toute une ère nouvelle de fêtes et de réunions d'élite, qui, interrompue seulement par la Révolution, devait se prolonger, du règne de Louis XVI à celui de LouisPhilippe, sous les auspices d'une femme charmante, pleine d'esprit et de cœur, la comtesse de la Briche, devenue par la mort de M. le Maître, son oncle, l'héritière et la châtelaine du Marais.

Elle avait su grouper autour d'elle toute une pléiade de nobles invités comme le sympathique duc de Penthièvre, de femmes spirituelles comme Mmes de Verteillac et de Broglie, de littérateurs et de poètes comme le doux Florian, qui composait chez elle et pour elle des fables et lui dédiait son poème de Ruth, ainsi que vous l'apprenait naguère M. Lorin, notre savant secrétaire, dans son intéressante étude sur Florian'.

Plus tard, à travers les années de l'Empire et de la Restauration, elle poursuivit ses réceptions et ses fêtes, dont le souvenir est encore vivant.

Ce n'était plus alors la jeune et belle comtesse du XVIIIe siècle, c'était la vénérable aïeule à cheveux blancs, dont le beau portrait peint par Dubufe en 1840 vous offre ici la noble et bienveillante image.

Elle avait marié sa fille au comte Molé, et le domaine du Marais, toujours transmis par les femmes, devenait la retraite favorite du grand homme d'Etat. Un jour que, par suite des hasards parlementaires, fréquents alors comme aujourd'hui, il avait été improvisé ministre de la marine, on vit flotter sur le grand canal du Marais, comme une surprise offerte par sa famille, une jolie frégate ornée de pavillons et de girandoles.

Les deux filles de M. et Mme Molé épousèrent les deux frères, l'une le marquis, l'autre le comte de la Ferté-Meun. La marquise de la Ferté avait une passion pour les fleurs,

I VIII volume des Mémoires de la Societé.

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