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médiaire entre les princes du sang et la haute noblesse. Le roi répondit de sa propre main qu'il avait accordé cette distinction sur la demande de l'ambassadeur d'Autriche, et il invitait les dues et pairs à respecter une décision qui ne devait pas constituer un précédent.

Cette réponse du roi, non plus que la parodie qu'on fit du mémoire des ducs et pairs, ne désarma point les amourspropres que la raillerie suivante, au contraire, froissa:

Sire, les grands de vos États
Verront avec beaucoup de peine

Une princesse de Lorraine
Sur eux au bal prendre le pas.
Si votre Majesté projette

De les flétrir d'un tel affront
Ils quitteront la cadenette
Et laisseront les violons.
Avisez-y, la ligue est faite.
Signé l'évêque de Noyon,
Lavaupalette, Bauffremont,
Clermont, Laval et Villette.

L'abandon de la salle de danse fut donc sur le point de se produire; quelques heures avant le bal, les dames de la cour refusaient de danser; il fallut que le roi lui-même intervint pour les décider au moyen d'une ingénieuse combinaison.

Mile de Lorraine dansa son menuet aussitôt après les princes du sang, puis le roi fit danser un second menuet par le comte d'Artois avec Mme de Laval; ensuite le prince de Lambesc dansa avec Mme de Duras.

De cette façon, la susceptibilité des dames de la cour était ménagée, mais pour cela le comte d'Artois avait dû danser un second menuet et Mme de Laval avait dansé avec le prince de Lambesc.

Cette susceptibilité était-elle fondée? Les partisans de la maison de Lorraine prétendaient que non et leurs raisons semblent assez plausibles.

La maison de Lorraine était établie en France depuis deux cents ans, et jusque-là elle avait joui de prérogatives qui lui donnaient un rang intermédiaire entre les princes du sang et la haute noblesse ; ainsi les princes de Lorraine recevaient le cordon bleu à vingt-cinq ans, dix ans après les princes du sang et dix ans avant les ducs et pairs; à la cérémonie de l'ordre, ils précédaient les maréchaux, les ducs et pairs, chevaliers de l'ordre.

Mlle de Lorraine était d'ailleurs une charmante personne; voici ce que dit d'elle Mme de Choiseul, écrivant à Mme Du Deffand, le 22 septembre 1771, après avoir fait cet aimable éloge de sa mère :

Je ne connaissais pas Mme de Brionne et elle me plaît beaucoup, parce qu'elle est en tout fort différente des préventions que j'avais sur elle. C'est une femme très raisonnable, qui a beaucoup plus d'esprit et de fond qu'on ne croit, et qui joint à cela une douceur et une facilité dans la société qui la rendent infiniment aimable. Mile de Lorraine, qu'elle nous a amenée, est un modèle de grâces et d'éducation '.

Mlle de Lorraine était, avec sa mère, une assidue de Chanteloup, la splendide propriété située près d'Amboise, où après sa disgrâce, en 1770, s'était retiré le duc de Choiseul.

Les lettres de Mme Du Deffand nous montrent, de 1771 à 1778, Mme de Brionne et la princesse Charlotte faisant de fréquents voyages à Chanteloup.

Le 22 septembre 1771, c'est l'abbé Barthélemy qui envoie à Mme Du Deffand une fable que M. de l'Isle a composée pour Mile de Lorraine.

Le 30 octobre, Mme de Choiseul écrit à Me Du Deffand: J'ai été très touchée des avances que vous avez faites à Mme de Brionne, parce que j'ai bien senti que j'en étais l'unique objet.

Le 26 juillet 1775, Mme de Brionne est à Chanteloup avec

Lettres de Me Du Deffand à M. de Choiseul, tom. II, p. 55.

ses deux filles (Mme de Savoie-Carignan et Mlle de Lorraine) qui sont toutes deux aimables. Ailleurs on dit d'elle sans prétention, la mère est douce et facile à vivre.

Le mois suivant elle y reste cinq jours de plus qu'elle ne comptait, arrêtée par un mal de gorge.

En 1778, c'est la princesse Charlotte qui y est malade, et l'abbé Barthélemy fait ainsi la relation de sa maladie à Me Du Deffand:

Chanteloup, ce 20 août 1778.

Nous avons été dans de cruelles alarmes pendant quelques jours; vous en avez su le sujet : Mme la princesse Charlotte était menacée de la petite vérole ou d'une fièvre maligne, et peut-être de toutes les deux ensemble: fièvre violente avec plusieurs redoublements dans la même journée, oppression dans la poitrine, douleur dans les reins, mal de tête avec des élancements insupportables, éruption de boutons sur tout le corps. Tout cela s'est heureusement terminé par une fièvre rouge, dont il ne reste que quelques faibles traces. Nous étions extrêmement inquiets, excepté la malade qui a toujours montré beaucoup de courage, de douceur et de gaieté.

En 1771, Mile de Lorraine avait été à la veille de se marier, puis le mariage avait manqué; même déconvenue était arrivée à son frère, le prince de Lambesc, qui devait épouser M de Montmorency .

En mars 1773, ce prince achetait au duc de Bauffremont son régiment, moyennant 160.000 francs 2.

La comtesse de Brionne était toujours demeurée dans les bonnes grâces de Voltaire qui, en 1773, lui consacrait quelques vers:

Madeleine Angélique de Montmorency-Luxembourg.

La branche de la maison de Lorraine, réprésentée par le comte de Brionne, avait hérité, au xvr siècle, du comté de Charny et du titre de grand sénéchal héréditaire de Bourgogne comme descendant de Pierre de Bauffremont, comte de Charny.

Quel bruit chez le peuple helvétique!
Brionne arrive; on est surpris,
On croit voir Pallas ou Cypris,
Ou la reine des immortelles;
Mais chacun m'apprend qu'à Paris

Il en est cent presque aussi belles.

Elle jouissait d'une grande autorité et n'hésitait pas à rappeler aux convenances les ambassadeurs même qui y manquaient.

<< M. le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur de l'empereur, dit Bachaumont', dans les fêtes qu'il a données en cette qualité, à l'archiduc Maximilien, n'a pas apporté l'intelligence nécessaire pour l'assortiment des convives. A certain jour, entre autre, il a prié M. le duc et Mme la duchesse de Choiseul avec M. le duc et Mme la duchesse d'Aiguillon. Mme de Brionne, qui était aussi du repas, a fait là-dessus des observations au comte et même des reproches en lui faisant sentir sa balourdise bien opposée à l'esprit de finesse ou de politique que devrait avoir un membre du corps diplomatique.

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Nous avons vu que la comtesse de Brionne acheta, en 1775, dans le voisinage de Rochefort-en-Yveline qui était le domaine de son frère aîné, le domaine de Limours; Limours fut alors le théâtre de jolies fêtes.

LA COMTESSE DE BRIONNE A LIMOURS

Le régisseur de la comtesse de Brionne a eu l'excellente idée de décrire, dans son manuscrit, les fêtes qui furent données au château de Limours en l'honneur de sa châtelaine ou par elle.

La première fête se place à la fin de 1775 ou en 1776, après l'acquisition du domaine par la comtesse de Brionne; le château n'étant pas encore en état de la recevoir, la com1 Bachaumont, 13 mars 1775.

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