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dans le droit, il la feroit du moins revivre dans le fait. « Il faut surtout, a-t-on dit, juger les rentes foncières par les effets qu'elles produiroient dans l'état actuel des choses. Il est évi→ dent que le propriétaire, pour se soustraire aux variations qu'éprouvent l'intérêt de l'argent, ne constitueroit la rente qu'en nature, en la fixant, soit à une quotité déterminée, soit à une quotité proportionnelle du produit de l'héritage. Il se créeroit donc une nouvelle sorte de suprématie dans le village dont le fonds lui appartiendroit. Ainsi, si les rentes foncières ne rétablissoient pas divers ordres, elles formeroient du moins plusieurs classes de citoyens. On verroit reparoître aussi une partie des inconvéniens de la féodalité si le colon avoit mis quelque négligence dans la culture des terres, le propriétaire feroit aujourd'hui comme faisoit autrefois le seigneur, il l'obligeroit à lui payer une indemnité d'après l'estimation du produit que la terre auroit dû donner. C'est ainsi qu'une loi en apparence toute civile, produiroit de grands effets politiques, et des effets très-étendus, car tous les citoyens que leurs fonctions obligent de vivre loin de leurs propriétés, les donneroient à rente foncière» (1). « Si donc l'usage de ce contrat

(1) M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angely), Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V, pages 249 et 250.

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s'étendoit, on verroit la nation partagée en deux classes, l'une qui jouiroit paisiblement et sans labeur des produits de la terre, l'autre de serfs condammnés aux travaux les plus rudes pour payer les impositions et la rente foncière, sans pouvoir obtenir de leurs sueurs la subsistance de leurs familles » (1).

II. Sur la seconde question, on a dit :

<< On fait un Code civil pour régler l'état des personnes, la nature des choses, et la manière d'en disposer. Il faut que les dispositions de ce Code soient concordantes et qu'il soit complet. >> Peut-on, sous ce rapport, en retrancher le contrat de rentes foncières?

» Il y a lieu d'en douter. Le Code Napoléon autorise l'usage le plus illimité, même l'abus du droit de propriété; il permet à chacun la disposition indéfinie de son bien; ce principe n'est borné que par les exceptions que réclament les mœurs et l'intérêt public comment, dans cet état de la législation, pourroit-on, sans arbitraire, défendre à un propriétaire d'aliéner son domaine pour le prix d'une redevance foncière, si, d'ailleurs, les moeurs et l'intérêt de l'État sont pas offensés par cet arrangement» (2)?

ne

(1) M. Crétet, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V, page 246.(2) Le Consul Cambacérès, ibidem, page 244.

Il seroit, sans doute, plus avantageux que toute terre fut possédée dégagée de rente foncière; mais, si un propriétaire qui a des fonds incultes ne veut s'en dessaisir qu'en se réservant une rente de cette espèce, y a-t-il quelque raison pour l'en empêcher? Est-il préférable de laisser ces fonds dans ses mains sans profit pour lui ni pour la société ? Pourquoi la loi, qui permet tous les autres moyens d'aliénation, interdiroit-elle le seul qui peut convenir à un grand nombre de citoyens, et qui, en facilitant la culture, tourne au profit de l'État » (1)?

Cependant, ce contrat ne pouvoit pas être abandonné aux règles du droit commun sur les conventions: toujours il a été régi par des règles particulières.

Or, on observa que celles que cette matière comportoit étoient nombreuses et compliquées, et, en certains cas, d'une application très-embarrassante (2). « Quiconque a suivi les tribunaux sait les rentes foncières sont une source que intarrissable de procès et de vexations » (3). On opposa à cette objection que, « sans doute, ce contrat devoit donner lieu à beaucoup de

(1) M. Malleville, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V, (a) M. Tronchet, ibidem, page 240.

page 246. page 249.

(3) Ibidem,

procès, dans un temps où il étoit presque toujours mêlé de droits seigneuriaux, où ses règles n'étoient déterminées par aucune loi précise, et n'avoient d'autre base que des opinions d'auteurs et la jurisprudence peu uniforme des tribunaux ; mais, maintenant que les droits seigneuriaux sont abolis, il est facile de réduire cette matière, comme toutes les autres, à des règles simples >> (1).

Il fut répondu que la difficulté naissoit, non de circonstances accidentelles, mais du fonds de la matière.

Le bail à rente fonciere « oblige d'établir une multitude de règles très-compliquées sur le déguerpissement » (2).

«< Il jette de l'embarras dans les partages, surtout quand la rente est ancienne » (3).

Cet embarras existe également pour le partage de l'hérédité du preneur et pour celui de la succession du bailleur:

« Dans le partage des biens grevés, les rentes foncières produisent des effets désastrueux; car, quoique la rente soit indivisible, il faut régler la part qui en sera portée par chaque enfant, et ensuite, à raison de l'indivisibilité, les enfans se

(1) M. Malleville, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tomeV, page 2 42. (2) M. Bigot-Préameneu, ibidem, page 247. — (3)

Ibidem.

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Tome VII.

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trouvent constitués co-débiteurs solidaires; de là résulte que tous les biens de la famille demeurent affectés au payement de la rente et frappés d'hypothèques.

>> Dans la liquidation de la succession du bailleur, il faut décomposer la propriété pour régler la part que chaque héritier prendra de la rente, en proportion de celle qu'il prend dans le fonds. Il en résulte aussi, dans la suite des temps, que ces héritiers, si le bailleur avoit stipulé une certaine quantité de mesures de blé, n'en reçoivent plus chacun qu'une poignée » (1).

Dira-t-on qu'il est facile d'éviter ces embarras en plaçant la rente en entier dans le lot de l'un des partageans (2)?

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Toutes les successions ne se prêtent pas à cet arrangement.

Examen de la question dans ses rapports avec l'intérêt de P'État.

«Mais il importoit d'examiner, avant tout, s'il est de l'intérêt de l'État qu'il y ait beaucoup de rentes foncières, et que l'usage de ces sortes

M. Crétet, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V, pages 146 et 247.- (2) M. Pelet, ibidem, page 247.

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