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auparavant, est réputé légitime, lorsqu'il n'est pas désavoué. Or, ajoutait-on, l'enfant conçu pro nato habetur, quoties de ejus commodis agitur. Il a donc droit de recueillir toutes les successions ouvertes depuis l'époque de sa conception, sous la seule condition qu'il naîtra viable et légitime. Or, dans l'espèce, l'enfant était né viable et légitime.

Mais la Cour d'Orléans n'avait pas pris garde que la loi ne reconnaît que deux espèces d'enfans légitimes: les enfans légitimes proprement dits, et les enfans légitimés. L'enfant légitime est celui qui peut être présumé avoir été conçu pendant le mariage (Art. 312). Tout autre enfant est simplement légitimé. A la vérité, lorsque le mariage, quoique postérieur à la conception, a cependant précédé la naissance, la loi veut bien dispenser l'enfant de l'obligation de rapporter une reconnaissance formelle; elle se contente qu'il ne soit pas désavoué. On a regardé le mariage contracté avec une femme enceinte, et le silence gardé par le mari postérieurement à l'accouchement, comme un aveu suffisant que l'enfant est né de ses œuvres. Mais il n'est toujours que légitimé. Il n'est pas légitime; car il n'est pas provenu d'un commerce légitime. Or, l'effet de la légitimation est de donner à l'enfant légitimé les mêmes droits que s'il était né du mariage, c'est-à-dire que s'il avait été conçu pendant le mariage. Mais d'un autre côté, aux termes de l'article 725, la capacité de succéder doit exister au moment de l'ouverture de la succession. Or, dans l'espèce, la succession était ouverte avant le mariage. La conception de l'enfant, quoiqu'antérieure à l'ouverture de la succession, devait cependant être regardée comme lui étant postérieure, puisqu'aux termes de l'article 333, elle devait être supposée postérieure au mariage, qui était lui-même postérieur de quinze jours à l'ouverture de la succession. Il devait donc être tenu pour constant, dans la cause, que la succession dont il s'agissait, n'avait pu être déférée à l'enfant légitimé, mais bien à ceux qui avaient, d'après la loi, le droit de la recueillir à son défaut, et qui, une fois saisis, ne pouvaient être dépouillés par aucun fait postérieur, indépendant de leur volonté.

Tels sont les motifs très-fondés qui ont déterminé la cassation de cet arrêt, prononcée le 11 mars 1811. (SIREY, 1811, 1re partie, pag. 129.) Et la Cour de Paris, à laquelle l'affairé avait été renvoyée, a jugé conformément aux principes qui viennent d'être établis. (Arrêt du 21 décembre 1812, rapporté dans SIREY, 1813, 2o partie, pag. 88. )]

Le désaveu n'est pas même admis, lorsqu'il existe une des trois circonstances suivantes :

1o. Si le mari a eu connaissance de la grossesse avant le mariage. [On présume alors que le mari n'a contracté le mariage que pour réparer sa propre faute; et il ne peut être reçu à alléguer qu'il a épousé sciemment une femme enceinte des œuvres d'un autre : Nemo audiendus turpitudinem allegans. Mais c'est à ceux qui soutiennent la légitimité, à prouver que le mari a eu cette connaissance. Comment se fera cette preuve ? Le Code ne disant rien à cet égard, il paraît qu'on n'a pas entendu exiger un genre de preuve particulier, et qu'on a entendu remettre le tout à la`sagesse des Tribunaux, qui devront, au surplus, dans ce cas, se déterminer principalement par les circonstances. ]

2o. S'il a assisté à l'acte de naissance, et s'il l'a signé, ou si cet acte contient sa déclaration qu'il ne sait ou ne peut signer. [ Cela équivaut à une reconnaissance expresse, qu'il n'est plus au pouvoir du mari de rétracter. Mais il est bien entendu que l'acte de naissance contient la déclaration que le mari est père de l'enfant ; autrement il est évident que sa présence et sa signature ne produiraient aucun effet contre lui.]

[Mais la disposition du Code doit-elle être limitée au cas où la reconnaissance du père a été faite par l'acte de naissance? Je ne le pense pas : il en doit être de même, si elle a lieu par tout autre acte, même sous seing-privé. Car, si le silence du mari pendant un mois, suffit pour élever contre lui une fin de non-recevoir insurmontable, à plus forte raison une reconnaissance expresse, quoique sous seing-privé, doit-elle avoir le même effet. Nec obstat l'article 334, portant que la reconnaissance d'un enfant naturel ne peut être faite que par acte authentique. Car ici l'enfant n'est pas naturel, il est présumé légitime ou au moins légitimé; pré

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somption qui ne peut être détruite que par le désaveu du mari, lequel n'est lui-même recevable à désavouer que dans un délai très-court, comme on va le voir. ]

3o. Si l'enfant n'est pas né viable. [ Viable, qui peut vi- 314. vre. Un enfant n'est pas viable, quand le temps de la gestation n'a pas été suffisant pour le constituer de manière à pouvoir vivre, et ce, quand même il vivrait quelques heures, ou même quelques jours. Mais l'on sent que, dans ce cas, l'époque de la conception étant toujours inconnue, la question de viabilité ne peut être décidée que par les gens de l'art.

Lorsque l'enfant est déclaré non-viable, le désaveu n'est pas reçu, pour deux raisons: la première, c'est que le mari n'a pas d'intérêt, puisque l'enfant ne peut vivre, et qu'étant né non-viable, il n'a pu recueillir aucun droit; et la deuxième, c'est que la non-viabilité étant une preuve que le temps ordinaire de la gestation n'a pas été rempli, l'époque de la naissance ne peut plus servir de base pour détermi– ner si celle de la conception a précédé, ou non, le mariage. Mais remarquez que cela ne doit s'appliquer qu'au cas où il s'agit d'un enfant dont la conception peut remonter à une époque antérieure au mariage; mais que, s'il s'agit d'un enfant conçu pendant le mariage, mais pendant l'absence, ou l'impuissance momentanée du mari, la non-viabilité ne peut empêcher le désaveu, parce que le mari peut avoir intérêt de prouver l'adultère, afin de parvenir à la séparation de corps.]

Quant à l'enfant conçu pendant le mariage, il ne peut être désavoué par le mari que dans les cas suivans:

1o. Si pendant le temps qui s'est écoulé depuis le 300° jusqu'au 180o jour avant la naissance de l'enfant, le mari était, soit pour cause d'éloignement, soit par l'effet de quelqu'accident, autre cependant que l'impuissance naturelle, dans l'impossibilité physique de cohabiter, avec 312. sa femme. [Il faut entendre le cent quatre-vingtième jour inclusivement. Autrement, il en résulterait que le mari pourrait désavouer, quoiqu'il eût été présent dans les cent quatre-vingts jours qui ont précédé l'accouchement, tandis que, d'après l'article 314, cet intervalle suffit

pour que l'enfant soit présumé provenir de ses œuvres.] [Le mari peut alléguer son impuissance accidentelle, pour fonder son désaveu. Mais il faudrait que l'accident qui a causé l'impuissance, fût postérieur au mariage. Autrement les mêmes raisons qui l'empêcheraient de proposer le moyen tiré de l'impuissance naturelle, l'empêcheraient également d'être admis à proposer le moyen tiré de l'impuissance accidentelle, mais antérieure au mariage.

On a voulu argumenter de cet article, pour soutenir que l'un des époux ne pourrait actuellement demander la nullité du mariage pour cause d'impuissance de l'autre époux. Mais, sans rien préjuger en ce moment sur cette question, je crois pouvoir dire que cet article ne peut être d'aucun poids pour la résoudre. En effet, que décide-t-il? Que le mari, impuissant naturellement, ne peut pas venir allé– guer lui-même son impuissance, pour justifier son désaveu. Mais il en eût été de même anciennement. De tout temps, le mari qui fût venu alléguer sa propre impuissance pour demander la nullité de son mariage, eût été dé– claré non-recevable. Mais cela n'aurait pas empêché que, dans le même cas, l'action de la femme n'eût été admise. Au surplus, la question de la nullité du mariage pour cause d'impuissance, s'est déjà présentée devant les Cours d'appel de Trèves et de Gênes. Elle a été jugée à Trèves pour l'affirmative, et pour la négative à Gênes. (Jurisp. du Cod. Civ., tom. 17, pag. 183 et 201.) Il me semble qu'en point de droit, j'adopterais l'opinion de la Cour de Trèves. Je ne vois d'objection un peu forte contre ce système, que celle qui est tirée de l'indécence des visites qu'une pareille demande peut nécessiter. Mais n'est-il pas plusieurs autres cas dans lesquels de semblables visites doivent nécessairement être ordonnées, surtout en matière criminelle; par exemple, en cas d'accusation de viol, d'infanticide, d'avortement forcé, de suppression de part? Ne faudrait-il pas employer ce moyen, même en matière de désaveu, si le mari alléguait une puissance accidentelle ? C'est un malheur attaché à l'imperfection des institutions humaines, mais qui, ce qu'il me semble, ne peut empêcher les Tribunaux d'ac

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cueillir une nullité aussi radicale que celle dont il s'agit. L'on objectera peut-être que si, le jour même du ma`riage, l'un des époux éprouvait un accident qui le mît hors d'état de le consommer, l'autre époux n'aurait pas le droit de demander la nullité, ni même la séparation. Cela est vrai: mais que l'on fasse bien attention que, dans ce cas, l'époux qui a éprouvé l'accident, n'a rien à se reprocher; il ne pouvait deviner ce qui lui est arrivé. C'est un cas fortuit, un malheur inopiné, dont l'autre époux doit supporter sa part: Humanum est, comme nous l'avons dit, fortuitis casibus mulieris maritum, vel uxorem mariti participem esse. Mais, dans l'autre cas, l'époux impuissant a dû connaître son état; il est coupable d'avoir violé la dignité du contrat le plus sacré : il est venu tromper les magistrats et son époux; et l'on voudra le récompenser de son dol, en rejetant toute demande en nullité, de la part de l'épouse trompée! Et si cette dernière se permet le moindre écart, l'on devra encore admettre la plainte du mari, et punir la malheureuse femme qui ne s'est peut-être laissé séduire, que parce qu'on l'a privée du droit de contracter un véritable mariage!

On insiste, et l'on prétend que cette cause de nullite est -abrogée par le Code, par cela seul que, dans le chapitre IV, intitulé des Demandes en nullité de mariage, il n'est rien dit relativement au mode de la former, ni au délai dans lequel elle doit être intentée. Mais il est plusieurs cas dans lesquels il n'y aurait certainement pas mariage, et qui ne sont pas prévus dans le chapitre sus-mentionné. Si, par exemple, il avait été contracté un fantôme de mariage entre deux personnes du même sexe, pourrait-on repousser la demande en nullité d'un pareil mariage, par la raison qu'il n'en est pas question dans le chapitre IV ! Et pourquoi déciderait-on autrement dans le cas où l'un des époux n'aurait aucun sexe, ou aurait été dépouillé de celui que la nature lui aurait départi?

Tels sont les motifs qui me détermineraient à adopter l'opinion de la Cour de Trèves, en point de droit, et sauf aux Tribunaux à statuer suivant la nature et la pertinence des

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