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SUPPLÉMENT MENSUEL

DE LA

REVUE MILITAIRE SUISSE

Lausanne, le 15 Janvier 1865.

Supplémeut au n° 2 de la Revue.

*

SOMMAIRE. Ecole spéciale de tir pour l'artillerie. Le règle

ment pour le service des pontonniers.

Dépenses militaires fé

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ÉCOLE SPÉCIALE DE TIR POUR L'ARTILLERIE.

(Mémoire présenté le 4 décembre 1864 à la réunion annuelle de la société vaudoise de l'état-major et des armes spéciales.) (1)

La transformation de l'artillerie et les progrès remarquables accomplis par cette arme durant les dernières années sont une des nombreuses preuves de ce que peut un petit peuple qui manque cependant des ressources multiples d'une grande nation. En effet, l'artillerie de la petite république a l'honneur de servir de modèle aux grands états qui nous avoisinent ou du moins d'être étudiée par eux avec intérêt et avec soin. Qui ignore les travaux faits sur nos armes portatives par les commissions de tir les plus connues en Europe? Qui ignore que nos canons et leurs affùts ont fait le tour des arsenaux du continent?

Plus une arme est perfectionnée, plus elle exige de soins et de connaissances de la part de celui qui s'en sert. C'est ce principe, vrai sans doute, qui a engagé un de nos camarades à proposer à la société l'étude de la question d'une école spéciale de tir pour l'artillerie.

Et cependant la réponse à une telle demande ne peut guère être douteuse dans l'esprit d'aucun officier: la création d'une école de tir () L'abondance des matières et la nécessité de suivre à la publication du Message concernant le dépôt fédéral de la guerre, nous obligent à faire figurer dans la Revue des armes spéciales les deux derniers articles du sommaire.

(1) Dans une réunion antérieure, la création d'une école spéciale de tir pour l'artillerie fut l'objet d'une proposition de M. le capitaine Carrard. Cette question, renvoyée à l'étude d'une commission composée de MM. de Vallière, Carrard et Tissot, fait l'objet du présent rapport.

pour l'artillerie n'est ni opportune ni nécessaire. Nous nous bornerons à énumérer les principales raisons qui militent en faveur de la négative.

1° La première est le manque de ressources financières. Ce n'est pas au moment où l'Assemblée fédérale vient de voter à grand peine un nouveau subside pour l'essai de gros calibres rayés, au moment encore où les sommes proposées pour les cours de répétition de réserve cantonale viennent d'être biffées d'un trait de plume, que la création d'une école de ce genre a chance d'être agrée par les conseils de la nation.

20 L'absence d'un établissement convenable.

Thoune paraîtrait la place d'armes la plus convenable, mais la ligne de tir est occupée toute l'année par les écoles, les cours de répétition et les commissions d'essais.

3o Le peu d'avantages à allendre d'une telle institution comparés aux dépenses nécessaires à sa création. Il suffit en effet, de mettre en regard le coût d'une cartouche d'infanterie qui est de 4, à 6 centimes avec le coût d'un coup de canon qui est de 7 fr. 50 c. pour le 4 liv. ravé.

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4o Enfin, nous dirions presque le peu d'utilité relative d'une pareille école.

Nous insisterons d'avantage sur ce dernier point.

En effet, le tir au fusil et celui au canon sont deux choses distinctes et de difficulté différente. Un bon carabinier, par exemple, pointera également un canon au bout de très peu de temps, tandis que l'inverse n'est pas nécessairement vrai. Les raisons de ce fait sont les suivantes :

Pour le tir au fusil il faut :

1° Tendre les genoux pour neutraliser le recul;

2o Pencher le corps en avant comme pour s'appuyer à l'arme; 30 Donner au bras et aux mains une position correcte et ferme; 40 Bien placer la tête.

Avec le canon au contraire, il suffit pour ainsi dire de savoir lancer depuis l'œil une droite passant par le cran de mire, le grain de mire et le but.

Le fusil étant tenu par l'homme, le moindre mouvement de celuici jusqu'après le départ du projectile devient une grave faute. Avec le canon au contraire, une fois la ligne de mire déterminée, peu importe les mouvements du canonnier, la pièce pointée reste immobile et attend qu'on veuille bien la tirer; il suffit donc au canonnier d'apprendre à pointer et non à tirer.

La conséquence de cette dernière observation est capitale et nous

conduit directement à l'encontre de la proposition d'une école de tir d'artillerie, école rendre superflue par les moyens dont nous disposons maintenant et qui suffisent amplement à atteindre le but.

En effet, pour apprendre à l'artilleur à pointer en se rendant compte de la marche du projectile, la Confédération a mis à sa disposition les moyens suivants :

1o Un cours de balistique pour les officiers supérieurs d'étatmajor.

Nul doute que ce moyen, familiarisant ces officiers avec des questions jusqu'alors peu connues, ne les mette à même de donner à leurs subalternes des principes plus justes et plus pratiques que ceux suivis jusqu'ici.

En effet, le seul manuel d'artillerie en usage parmi les officiers suisses, jusqu'à la période actuelle, était celui du capitaine bernois Louis Napoléon, à la lecture duquel le lecteur d'aujourd'hui recule épouvanté devant l'inextricable labyrinthe d'e et d'y dont la théorie du tir fourmillait alors.

2° Cours pour les officiers subalternes d'état-major.

Instruire de jeunes capitaines et de jeunes lieutenants en les faisant travailler à l'avancement de l'arme, tel est le but de ce cours de 5 semaines. Les grands états ont des commissions permanentes chargées d'élucider les graves questions de calibres, d'espèces de bouches à feu à introduire, de vitesses initiales, etc. Ces commissions, composées en général de capitaines en second, c'est-à-dire de ceux qui n'ont pas de batteries à commander, exigent de grands sacrifices pécuniaires que nous ne saurions nous imposer. Rien n'est coûteux comme des essais; demandez-le plutôt aux rares officiers que leur zèle a entraînés à se lancer à leurs frais sur la route ruineuse des inventions.

Dans les écoles dont nous parlons, une dizaine de jeunes officiers suivent un cours de tir et sont astreints chaque jour à calculer les trajectoires de projectiles en essai ou adoptés, et à résoudre les différentes questions théoriques et pratiques qui s'y rattachent.

3o Les leçons de théorie de tir données aux officiers pendant l'école centrale et aux aspirants de 2me classe durant le cours de leur instruction.

Nous nous souvenons du temps où, pendant toute une école centrale, l'on arrivait à grand peine à terminer le calcul de la trajectoire, et dans le vide encore!; la résistance de l'air était plus forte que nous et pen osaient la braver. Aujourd'hui chaque aspirant calcule sa trajectoire bien plus facilement qu'on ne calculait alors un angle de

mire, exercice qui, pour les générations passées, représentait le nec plus ultra des connaissances exigées.

A tout seigneur tout honneur et, sans craindre d'être taxé d'exagération ou de flatterie, qu'il nous soit permis de reconnaître à chacun ses mérites. Depuis l'énergique élan imprimé à l'artillerie suisse par son chef actuel, deux officiers, MM. les lieutenants-colonels Burnier et Siegfried sont les hommes auxquels tous ceux qui portent un intérêt véritable à l'artillerie doivent présenter de vifs remerciements. La théorie du tir, et non pas elle seulement, plus que cela, la balistique elle-même devient pour chacun claire et compréhensible; ce qui nous glaçait jadis d'épouvante s'est maintenant fondu et la planche noire s'explique peu à peu et si bien que nous connaissons des auditeurs qui après un premiers cours s'estimaient nés balistiens.

4° Arrivons-en maintenant à la troupe. Trois points surtout doivent être familiers à chaque canonnier : l'estimation des distances, le pointage pratique et une théorie du tir appropriée aux connaissances qu'on exige de chaque homme.

Si nous examinons séparément ces 3 branches de l'instruction, nous verrons que toutes trois ont reçu pendant ces dernières années tout le soin qu'elles comportent.

a) Estimation des distances.

Le fait seul que dans chaque école de recrues un prix spécial est accordé aux canonniers qui ont le mieux estimé est une preuve de l'importance qui est attachée à cet objet. L'augmentation des exercices d'estimation et l'adoption de formulaires où les hommes sont inscrits par pièces et où sont consignées les diverses estimations, en sont de nouvelles preuves. Sans doute ici la fraude est facile et une surveillance rigoureuse doit être exercée pour la prévenir autant que possible. A notre avis, l'estimation des distances n'est pas une chose qui s'apprenne; l'on possède cette faculté, mais on ne l'acquiert pas; c'est plutôt la manière de s'y prendre pour estimer qui peut être enseignée dans une école et aider à révéler les bons estimateurs.

Chaque capitaine devrait les connaître ceux-là; dans tel moment donné ils pourraient lui être d'un meilleur secours que tous ses officiers réunis lesquels, soit dit en passant, n'estiment pas toujours le mieux.

b) Ecole de pointage.

Depuis une année chaque recrue suit une école de pointage à blanc, qui consiste à l'amener graduellement à pointer juste en 15 et même 12 secondes.

Voici, par exemple, le système suivi à l'école des recrues de Thoune le printemps dernier: Trois pièces sont en batterie; une

cible (la cible d'ordonnance pour l'infanterie, blanche avec croix noire) est placée à 150 pas; les canonniers sont à une certaine distance derrière les pièces et reçoivent les explications nécessaires concernant la hausse, le grain de mire et les vis de pointage verticales et horizontales; deux hommes sont désignés pour chaque pièce, l'un au levier, l'autre comme deuxième de gauche, puis, sans leur prescrire de temps, on les fait pointer jusqu'à ce que leur pointage soit irréprochable.

Dans un second exercice, la cible étant à la même distance, les canonniers pointent au commandement, se retirent au bout de 30 secondes et le pointage est vérifié: une cible manquée est indiquée par le chiffre 3, le 2 indique un pointage bon dans une seule direction seulement et le 1 dans les deux directions.

L'opération se renouvelle dans une troisième leçon, le temps accordé étant successivement restreint jusqu'à 15 secondes et la cible éloignée jusqu'à 1000 pas..

Enfin dans une dernière leçon, 3 hommes occupent les postes de 1er de droite, deuxième de droite et deuxième de gauche, en sorte que la pièce est chargée et pointée d'abord en 30, puis en 20, enfin en 15 secondes. Cet exercice qui, jusqu'à ce que chaque homme soit instruit devient long et fastidieux pour l'instructeur, cet exercice disons-nous, présente de sérieux avantages:

1° Les hommes apprennent réellement à pointer, puisque chaque pointage est vérifié par le même officier, et ils finissent par se rendre clairement compte de l'opération.

20 Au moyen des succès donnés, on stimule l'amour-propre, et, grâce à la conservation des formulaires, on peut facilement se rendre compte des progrès des hommes et discerner les meilleurs pointeurs. Comme pour l'estimation des distances, un prix spécial est affecté à cette branche.

La lacune qui resterait à combler serait d'aviser les capitaines des bons pointeurs qui entreraient dans leur compagnie. Peut-être aussi pourrions-nous recommander aux officiers de rechercher avec plus de soin ces précieux soldats.

30 Une théorie du tir appropriée aux connaissances exigées du soldat, tel est le 3me point que nous considérons comme devant achever l'instruction de chaque canonnier. Malheureusement nous n'en connaissons aucune qui nous satisfasse en tous points. Celle de France, bien que présentant certainement beaucoup d'avantages, et d'avantages pratiques surtout, nous parait trop savante en certains points; les lois de la chute des corps combinées avec la résistance de l'air seront

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