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ordre ne le cèdent en rien à ceux d'au-delà de nos frontières; que nos cartes, nos livres et journaux, nos rapports de tir, nos tableaux statistiques, nos collections historiques, nos procès-verbaux de commissions et de sociétés d'officiers peuvent sans crainte tenir la comparaison avec les travaux analogues des autres armées de l'Europe; nous croyons même qu'ils les surpasseraient facilement si nos budgets le permettaient.

L'ensemble de ces divers travaux, ou au moins la portion qui peut en être plus ou moins réglementée, classée et utilisée, constituerait à proprement parler le dépôt de la guerre. Il s'agit, pour le former, de réunir le tout dans un ordre spécial et commode, de le placer sous la direction d'officiers intelligents voués à la conservation et à l'accroissement des collections et de mettre celles-ci à la disposition de ceux qui en ont besoin.

Or nous disons, pour revenir à l'assertion ci-dessus, que le dépôt suisse de la guerre existe déjà en grande partie. Seulement il participe du caractère particulier à notre fédération de vingt-deux républiques, à notre état militaire de 22 contingents de soldats-citoyens. Il est éparpillé de droite et de gauche et répandu, comme l'armée elle-même, sur toute la surface du pays. Il est en partie dans les archives et bibliothèques des cantons et des sociétés d'histoire, de géographie, de statistique, d'officiers. Il se trouve d'une manière déjà plus concentrée dans les divers bureaux relevant du département militaire fédéral; dans le bureau topographique, actuellement à Genève parce que son chef, notre vénérable général Dufour, est genevois et a droit d'habiter son lieu d'origine; dans le bureau du génie, actuel. lement à Lausanne parce que son chef, M. le colonel Aubert, est fixé à Lausanne par ses fonctions de directeur du chemin de fer; dans le bureau d'artillerie, actuellement à Arau parce que son chef, M. le colonel Herzog, actif fabricant autant que savant artilleur, doit joindre aux soucis de la transformation de notre artillerie celui de ses intérêts privés; dans les bureaux de l'état-major à Thoune et dans ceux du département militaire fédéral à Berne, ainsi que dans les archives générales de la Confédération, sous une douzaine d'employés différents. En réunissant tout cela, en originaux ou en copies, dans quelques salles du Palais fédéral, comme ce serait désirable, on aurait le dépôt de la guerre à l'instar de ceux des monarchies voisines; et l'on verrait que cet établissement serait sans nul doute aussi riche et aussi bien composé que ceux de plusieurs puissances militaires de premier ordre.

L'idéal des progrès à réaliser en cette matière serait donc de fixer à Berne, auprès du département militaire fédéral, les chefs des diffé

rentes armes et le chef du personnel avec leurs bureaux, puis de réunir toutes leurs archives dans une classification uniforme et sous la direction spéciale d'un officier archiviste, qui serait le chef du dépôt de la guerre.

A ce défaut, et par concession aux économes de l'Assemblée fédérale, on pourrait se borner à réunir à Berne tout ou partie des bureaux actuels de topographie, du génie, de l'artillerie, et à y ajouter un bureau spécial d'état-major chargé des travaux statistiques, historiques et logistiques, ainsi que de la coordination des matériaux en général.

La chose se présente avec d'autant plus de facilité d'exécution en ce moment-ci, que le bureau topographique est près d'avoir terminé l'atlas fédéral dirigé par le général Dufour, et qu'il devra être réorganisé. Rien ne le retiendra plus à Genève. Pour les autres bureaux, il y aurait des considérations personnelles à respecter, cela va sans dire, qui retarderaient le moment de leur réunion.

Jusque là, le nouveau bureau à constituer, c'est-à-dire celui d'étatmajor proprement dit, joint au bureau topographique réorganisé, pourrait former un dépôt de la guerre déjà intéressant, restreint il est vrai et incomplet, mais encore utile et ayant un germe fécond. C'est bien en partie ce que le projet présenté aux Chambres paraît, avoir en en vue; mais au lieu de se borner au rôle modeste que les circonstances du moment prescrivaient, on a grossi outre mesure le rôle d'un dépôt de la guerre, pour en justifier le budget sans doute, et on l'a ainsi sorti de sa vraie nature en l'accouplant à des éléments qui ne sont point de sa sphère. Il est bien étrange, par exemple, de faire entrer dans son programme les tâches suivantes :

4° Un nouveau plan d'instruction et une nouvelle école pour les officiers de l'état-major fédéral;

20 L'institution d'une haute commission militaire de défense nationale, sorte de conseil de guerre permanent;

3o La fixation des principes de l'art militaire en général et de ceux de la défense de la Suisse en particulier;

4o L'élaboration méthodique et périodique de plans éventuels de campagne et de projets d'opérations ;

5o Des travaux très divers et très considérables du génie, y compris la solution du problème des fortifications à construire à l'avenir;

6° L'institution d'une sorte d'Académie militaire jugeant, et couronnant sans doute, les diverses publications suisses et étrangères.

Ces questions, on le voit, ne manquent pas d'importance. Ce sont tout simplement les plus graves et les plus élevées qu'on puisse soulever en Suisse et en Europe. Aussi, et tout en remerciant sincère

ment notre futur dépôt de vouloir bien se charger d'un tel fardeau, on peut se demander avec quelque inquiétude si l'on ne risquera pas de fausser ces diverses questions, et de prendre les choses par le plus petit bout, en rendant leur solution dépendantes de l'organisation d'un dépôt de la guerre. Notre crainte s'augmente encore quand nous voyons (art. 3 du projet, page 2 du message) que ce seront des écoliers, des officiers appelés à tour de rôle au dépôt pendant 4 à 6 semaines pour leur instruction, qui seront chargés d'élucider ces grands problèmes d'art militaire et d'enrichir nos archives de leurs thêmas!

Nous nous figurons fort bien, au reste, les séductions qui ont attiré les auteurs du message sur cette pente. Notre corps militaire suisse a une lacune très grave et bien connue. En temps de paix il n'a pas de chef proprement dit, il lui manque l'organe le plus important, la tète, soit, sinon le général en chef, au moins le chef d'état-major, qui, toujours aux côtés de l'autorité civile, y représenterait l'élément militaire, donnerait à la première de la force et en recevrait de son côté. C'était le rôle de l'ancien conseil fédéral de la guerre, rôle qui serait mieux rempli par un seul officier secondé d'aides subordonnés que par un conseil, mais qui pourrait à la rigueur être remis aujourd'hui encore à une commission.

A la vérité, le Département militaire fédéral est censé être revětu à peu près de cette mission; mais son chef est en même temps membre du gouvernement; il a des intérêts plus généraux à soigner, des devoirs parfois plus importants à remplir, des exigences politiques diverses à satisfaire; et, militaire ou pas, il n'est point placé pour traiter ou résoudre les questions spécialement militaires aussi bien qu'un fonctionnaire ou un comité constamment aux ordres de l'autorité civile. D'ailleurs les affaires d'administration courante dont il a la responsabilité directe sont assez vastes pour absorber tous ses soins et ceux de son bureau.

La lacune signalée est donc réelle, si réelle qu'on en sent les effets à chaque mesure importante à prendre ou innovation à réaliser; de tous côtés aussi, des esprits zélés et bien intentionnés apportent leur remède à ce fâcheux état de choses. Tout officier supérieur, toute commission, tout magistrat, tout établissement militaire nouveau appelé à un rôle militaire de quelque importance, se voit forcément attiré, par ses propres investigations, à sonder ladite lacune, à en mesurer le long et le large, et à se demander comment il pourrait la combler. Plein du désir de bien faire, son imagination lui trace de riants tableaux de la saine activité qu'il déploiera, des progrès qu'il réalisera; il remplacera l'ancien conseil fédéral de la guerre, et tant pis pour les envieux s'il devient du même coup la cheville ou

vrière des affaires militaires! Depuis 1848, nous avons vu cette patriotique illusion passer tour à tour dans une dizaine d'excellentes âmes, pour quelques-unes, il faut le reconnaître, avec un droit complet et une parfaite sûreté de prévision. Cinq ou six rouages de notre machine militaire, cinq ou six fonctions nouvelles ont tour à tour amené d'actifs et bons esprits à croire un moment que la grande lacune allait peu à peu se combler, officieusement sinon officiellement, et que si on les laissait se développer à leur gré la lacune serait comblée tout à fait !

Notre futur dépôt de la guerre n'a fait que marcher sur ces traces. Suivant la même ornière il est arrivé au même écueil. Il paraît croire, lui aussi, qu'il apporte la panacée universelle et qu'il est le Deus ex machina qui va nous régénérer. Au lieu de se borner à être un honnête bureau d'archives, il aspire à devenir un établissement, que disons-nous? un sanctuaire résumant à peu près toutes les institutions existantes et toutes celles qui devraient exister. Il ne resterait plus qu'à trouver le héros à la hauteur d'une telle tâche, et certes celui-là aurait du mérite, surtout s'il réalisait tant de belles choses avec 20,000 francs par an; mais, à moins de voir reparaître Hercule sur la terre, ou se renouveler le miracle de notre Seigneur Jésus-Christ nourrissant cinq mille personnes avec cinq pains, nous craignons qu'il n'y ait gros à rabattre, quoiqu'il advienne, des résultats promis.

Ceci dit, on comprendra qu'il nous soit difficile de proposer des amendements sérieux au projet. L'institution dépendra au fond de l'esprit dans lequel le projet sera réalisé. S'il devait l'être dans le sens du message, aucun amendement ne saurait l'améliorer, et le statu quo serait infiniment préférable, car l'établissement rêvé ne serait qu'un faux oreiller de sécurité, et contribuerait, nous le montrerons plus loin, à répandre dans le pays des idées militaires pernicieuses.

Le mieux eût été, croyons-nous, de ne pas demander aux Chambres d'entrer dans des détails d'organisation, et de solliciter simplement d'elles la décision en principe de l'institution d'un dépôt de la guerre avec le crédit nécessaire à cet effet. Une commission spéciale d'officiers supérieurs aurait pu ensuite élaborer un règlement. Puisqu'il n'en a pas été ainsi, il serait désirable que la délibération fit cesser les équivoques; qu'on ne confondît pas le projet, fort amendable, avec le message, dont les trois-quarts ne le sont pas du tout; qu'on distinguat entre un dépôt et une nouvelle école d'état-major, entre la fabrication de mémoires, tableaux et croquis pour exercer nos officiers et la formation de collections de documents utiles à la défense du pays. C'est ce que le Conseil national a déjà fait en partie. Nous espé rons que le Conseil des Etats marchera dans les mêmes voies et qu'il ne profitera pas du fait que la question ne s'est pas présentée à lui

aussi nette qu'il eût été désirable, pour la repousser, au profit de sa marotte d'économie, et aller à l'encontre d'un progrès réel.

En attendant, nous reproduisons en entier le message du Conseil fédéral, fort intéressant à beaucoup d'égards et surtout dans ses détails techniques, et, pour mieux développer notre manière de voir, nous prendrons la liberté d'ajouter par-ci par-là quelques observations en note.

Voici le texte de cette pièce, datée du 9 novembre 1864:

Tit.,

Depuis que par suite de la nouvelle constitution fédérale l'ancien conseil de la guerre fédéral a cessé d'exister, il n'y a plus eu d'organe particulier ayant pour mission spéciale l'élaboration des travaux militaires préparatoires pour la défense nationale, jusqu'à ce que, par l'instruction du 22 juin 1863, l'adjoint du Département militaire pour le personnel, en même temps instructeur en chef de l'infanterie, en a été chargé. (1)

Afin de pouvoir accomplir la tâche qui lui était dévolue, feu M. le colonel fédéral Wieland a cherché à arriver à l'établissement d'un dépôt de la guerre et en a projeté les premières bases, reconnaissant que les occupations de son emploi ne lui permettaient pas d'accomplir cette tâche compliquée et que les travaux momentanés faits dans cette intention n'étaient pas non plus suffisants pour arriver au but que l'on se proposait. Il voulait arriver à ce but par l'organisation d'un dépôt de la guerre.

Les collections des archives ont été jusqu'à présent confiées aux soins de l'administration fédérale du matériel, qui, il est facile de le comprendre, en soignait bien l'administration mais ne pouvait les compléter. Il n'y a donc personne qui soit chargé de continuer cette importante collection, d'en faire l'objet d'études et de la rendre utile.

Cet établissement qui devait être fondé, ainsi que la collection ellemême, soit les matériaux du dépôt de la guerre, devaient être sous la direction supérieure de l'adjoint pour le personnel chargé de l'élaboration des travaux préparatoires en cas de guerre.

Les ressources d'un burean topographique, personnel et matériel, sont indispensables pour les travaux d'un dépôt de la guerre. On devrait donc saisir l'occasion qui se présentera naturellement, après la fin de la confection de la carte fédérale, lors de la remise aux archives

(') L'assertion n'est pas parfaitement exacte. Cette mission passa au département militaire fédéral, qui s'en est souvent acquitté, et fort bien, soit par son chef luimême, soit par divers employés, soit par des commissions.

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