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par le récit d'une conversation qu'il eut lui-même avec le principal ministre, et qui suffit pour le juger.

Un seul souverain figure parmi les personnages dont M. de Lévis nous donne le portrait : c'est Gustave III, roi de Suède. Ce prince, justement célèbre, est apprécié d'après ses actions publiques; la plupart sont glorieuses, et les contrariétés qu'il éprouva pendant tout son règne, ainsi que sa fin tragique, répandent sur sa vie un touchant intérêt. Nous ne blamerons donc point certaine réticence que M. de Lévis s'est imposée sur son compte; mais nous craignons que l'histoire ne soit plus sévère que lui; elle transmettra sans doute à la postérité les singulières contradictions qui existaient dans le caractère de ce prince; elle dira que des réformes minutieuses compromirent la stabilité de sa grande révolution, et qu'il fit quelquefois le héros de théâtre, quoiqu'il fût un véritable héros.

Dans l'impossibilité où nous sommes de faire connaître à nos lecteurs tous les portraits renfermés dans ce volume, nous nous arrêterons de préférence à ceux qui sont les plus intéressans, soit par le caractère du personnage, soit par le talent du peintre. Nous citerons à ce double titre celui du maréchal de Richelieu, où l'auteur a fait entrer des détails curieux sur les dernières années de Louis XIV. On y distinguera la seule plaisanterie que l'on connaisse de ce prince, plaisanterie qui peut-être n'est pas très-piquante, mais qu'on n'avait point encore imprimée. L'article de M. de Malesherbes mérite aussi d'ètre distingué par la manière dont l'auteur a su caractériser l'héroïsme de ce personnage vraiment vertueux. La curiosité ne sera pas complétement satisfaite dans l'article du cardinal de Rohan; la fameuse affaire du collier y est traitée avec une réserve remarquable. Cependant une anecdote que M. de Lévis raconte, comme témoin oculaire, sera du moins suffisante pour donner une idée de l'étonnante crédulité du cardinal. Le chapitre de Mirabeau pourra bien essuyer des contradictions; les uns y trouveront trop peu d'admiration, et les autres trop d'indulgence. Le portrait de Barnave sera aussi jugé différemment par les différens partis,

mais tous se réuniront pour applaudir au parallèle que l'auteur établit entre le célèbre Fox et M. de Cazalès.

Ce qui plaira autant, en étonnant peut-être les personnes qui ont trouvé trop peu de galanterie dans les maximes de M. de Lévis, c'est la manière dont il peint dans ce volume quelques femmes célèbres. Il s'attache à faire valoir leurs vertus, leur esprit, leur amabilité, leurs graces; il passe légèrement sur leurs défauts, ou les couvre d'une réticence. Ce sont des portraits charmans que ceux qu'il nous donne de la maréchale de Mirepoix et de la maréchale de Beauveau. En parlant de Mme de Montesson il lui sauve ses ridicules, autant que cela est possible, et c'est par ses qualités aimables qu'il fait connaître la comtesse de Boufflers. M. de Lévis n'est pas cependant infidèle à ses maximes; dans plusieurs endroits de ce volume, il s'élève contre l'influence que les femmes ont si long-tems exercée dans la société, contre le danger de se laisser conduire par elles dans le choix des ministres et des généraux; mais ses portraits prouvent du moins que lorsqu'il s'agit de juger une femme en particulier, il sait se départir de la rigueur de ses maximes générales.

Je terminerais ici cette revue, si je ne croyais devoir une mention particulière à l'article que l'auteur a consacré à la mémoire du maréchal de Lévis son père. Il y remplit dignement les devoirs de fils et d'historien. Le maréchal de Lévis appartient à-la-fois aux souvenirs de la cour et à ceux de l'histoire. Sa conduite au Canada, où il prit le commandement de l'armée française après la mort du marquis de Montcalm, prouve qu'il réunissait l'audace, la prudence et les ressources ingénieuses qui constituent les grands généraux. Sans doute les futurs historiens de la France au dix-huitième siècle sauront mettre en évidence cette partie peu importante, mais glorieuse, d'une guerre où nous n'essuyâmes que trop et de trop honteux revers.

Nous avons dit que M. de Lévis avait semé son ouvrage d'observations sur les mœurs, de réflexions sur les événemens. Toutes sont ingénieuses ou piquantes ; elles annoncent un esprit observateur. Peut-être cepen

dant l'auteur s'est-il livré quelquefois avec trop de confiance à des opinions qui, pour être répandues dans le grand monde, ne sont pas toujours d'une parfaite vérité. Tel est son jugement sur les dangers auxquels la cour s'exposa par l'abolition de l'étiquette; telle est l'importance qu'il attache et les regrets qu'il accorde à la suppression des Jésuites. L'étiquette seule n'eût pas sauvé le pouvoir royal. Les Jésuites n'eussent pas seuls arrêté les progrès de l'incrédulité, car elle devait être déjà bien répandue lorsqu'on osa les détruire. On peut faire une remarque singulière sur les raisonnemens encore plus singuliers que l'on entend faire tous les jours sur les causes de la révolution. Tout le monde en admet plusieurs, et semble cependant persuadé qu'elle aurait pu être opérée par une seule, que chacun choisit à son gré, selon ses préjugés et ses opinions particulières; et cependant chacun retrouve aussi dans l'histoire de cette mémorable catastrophe un ou même plusieurs momens favorables où il eût été facile de la prévenir ou de l'arrêter. Soyons de bonne foi: puisqu'il s'est réuni pour opérer la révolution tant de causes si puissantes, puisqu'aucun des moyens si faciles de la prévenir n'ont été employés, il faut bien se résoudre à penser qu'elle était inévitable, c'est-à-dire qu'elle était amenée par la marche nécessaire des mœurs et des opinions.

Mais ne nous engageons pas plus avant dans une discussion si épineuse. Revenons à M. de Lévis. Nous n'avons encore rien dit de son style, partie si importante du talent d'un auteur. M. de Lévis a soigné le sien, quoiqu'il s'élève avec raison contre la maxime de Buffon, que le style fait tout l'homme. Il montre fort bien au contraire que le style n'est qu'un instrument; il blâme le goût de certains auteurs de nos jours qui croient avoir tout fait lorsqu'ils ont construit des phrases harmonieuses. M. de Lévis croit que le naturel et la simplicité sont bien préférables à ce luxe de mots et de périodes; il n'a voulu qu'être simple et naturel. Il s'attend que l'on trouvera de l'inégalité dans son style, mais il annonce que cette accusation le touchera peu, qu'il sera mème tenté de la prendre pour un éloge. A un petit nombre

.

d'exceptions près, il pense que le style « de toutes les compositions littéraires doit s'élever et s'abaisser avec le sujet, tel que ces chemins tracés par un ingénieur habile, qui suivent, en les adoucissant, les inégalités du terrain; ou, si l'on veut encore, il le comparera à une eau limpide qui laisse voir la couleur du fond sur lequel elle coule; plus elle est transparente et pure, moins elle se fait remarquer. » Nous souscrirons volontiers à ces principes ainsi qu'à cette apostrophe où l'auteur donne à-lafois le précepte et l'exemple, car autant son style est simple et se rapproche du ton de la conversation lorsque le sujet le demande, autant il s'élève dans cet endroit :

« Vous (dit-il) qui courez la carrière des lettres croyez-moi, montrez-vous tels que vous êtes; c'est le seul moyen d'avoir de la grâce. Je sais bien que cela ne donne pas de la force; mais si vous en manquez, tous ces déguisemens, au lieu de cacher votre faiblesse, ne feront que plus ressortir votre impuissance. Il vaudrait mieux vous retirer, car on n'entre point par ruse dans le temple de Mémoire; ses portes, toujours fermées, roulent péniblement sur leurs gonds, et ne cèdent qu'aux efforts d'une main vigoureuse. »

J'en ai assez dit, je crois, pour montrer que l'auteur a très-bien résolu le problème qu'il s'était proposé. Ce volume, sans malignité et sans scandale, non-seulement ne paraîtra point insipide, mais se fera lire avec empressement. C'est un moyen sûr de parvenir à ce but que d'entretenir ses lecteurs avec autant d'esprit que d'impartialité et de décence, des personnages sur qui la France et l'Europe ont eu les yeux fixés pendant si long

tems.

M. de Lévis nous promet une seconde partie de cet ouvrage; elle doit contenir ses observations sur les principaux personnages qu'il a eu occasion de connaître en Angleterre, en Allemagne et en Russie. Le public attendra sans doute l'accomplissement de cette promesse avec impatience, mais non avec inquiétude, puisque l'auteur n'y met pour condition que le succès du volume qu'il publie; il n'était permis qu'à lui d'en douter.

Hnous reste, pour l'acquit de notre conscience de critique, à relever deux inexactitudes qui sont échappées à M. de Lévis. En racontant le trait généreux et chevaleresque du maréchal de Biron, qui paya en 1778 les dettes de l'amiral Rodney, pour que ce marin célèbre pût retourner en Angleterre, et servir sa patrie contre nous, M. de Lévis ajoute que, deux ans après, cet amiral détruisit notre flotte: ce ne fut deux ans, mais quatre ans après, car la défaite et la prise du comte de Grasse sont du 12 avril 1782. Le seconde erreur nè roule que sur un nom propre. M. de Lévis écrit Pemesja, le nom de l'ami du médecin Dubreuil : c'est Pechmėja qu'il devait écrire.

pas

C. V.

ARNOLDIANA, OU Sophie Arnould et ses Contemporaines; Recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Réparties et de bons Mots de M. ARNOULD, actrice de l'Opéra; précédé d'une Notice sur sa vie et sur l'Académie Impériale de Musique; par l'auteur du Biévriana, avec cette épigraphe :

Son cœur n'eut jamais part aux jeux de son esprit.

Un volume in-12 de 380 pages, orné du portrait de Me Arnould, gravé au pointillé par M. Bourgeois de la Richardière, d'après le tableau de Latour, peintre du roi. - Prix, 3 fr. 50 c., et 4 fr. 50 c. franc de port. A Paris, chez Gerard, libraire, rue SaintAndré-des-Arcs, n° 59.

DANS le Mercure de France du 16 mars et du 11 mai 1811, à l'occasion du Répertoire de Bibliographies spéciales, curieuses et instructives, de M. Peignot, il a été donné quelques détails sur les Ana. Il a paru depuis quelques livres de ce genre, et les recherches que j'ai faites m'ont procuré la connaissance de quelques autres. En voici la liste :

I. ANONYMIANA. Nous possédions déjà un ouvrage

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