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cun reçoit un salaire plus ou moins considérable, plus ou moins légitime. Chacun s'expose tous les jours aux sifflets de son public. L'avocat est souvent sifflé hors du tribunal, le prédicateur hors de la chaire, l'auteur dans les journaux, le critique par ses lecteurs. Le monde est un composé de siffleurs qui se renvoient les sons. Il est vrai qu'on siffle l'acteur ep face; mais qui est-ce qui le siffle? J'ai oui-dire que les gens d'esprit et de bon sens n'usaient jamais d'un pareil privilége acquis à si bon marché.

Mais, me direz-vous, lorsque vous aurez élevé la profession du Comédien au niveau de toutes les autres, aurons-nous de meilleurs acteurs? Nous rendra-t-on les Préville, les Lekain, les Molé? Ces hommes doués d'un grand talent ne sont-ils pas nés dans le tems où le préjugé contre leur art était dans toute sa force?

-Oui, sans doute; mais ils ont paru à une époque où les hommes n'avaient pas toujours le choix d'une profession', dans un tems de calme où tous les rangs étaient fixés par les mœurs, par les lois et l'opinion. Mais dans le bouleversement social opéré par la révolution, toutes les carrières se sont ouvertes à toutes les ambitions humaines. Les hommes doués de quelqu'intelligence se sont précipités sur ce vaste torrent qu'ils ont pris pour le Pactole. Coniment auraient-ils songé à embrasser une profession dédaignée, lorsqu'ils croyaient voir s'ouvrir devant eux le chemin de la fortune, des honneurs et de la puissance? L'art du Comédien a donc dû se voir négligé, lorsque tant d'hommes croyaient pouvoir jouer sur le théâtre du monde des rôles dont l'éclat ne serait point imaginaire; mais si cet art eût joui de quelque considération, quelques hommes à talent ne l'auraient pas dédaigné, et ils auraient porté dans l'espérance de ses succès toutes leurs illusions de fortune et de gloire.

Revenons sur les idées que je viens de développer, et réduisons-les à quelques principes qui me semblent incontestables. La profession du Comédien est un art. C'est un art innocent, toutes les fois qu'il ne s'exerce pas sur des ouvrages réprouvés par les mœurs.

C'est un art estimable, toutes les fois qu'il tend à

élever l'ame par la peinture énergique de nobles sentimens, ou à nous corriger de nos ridicules et de nos vices.

C'est donc une injustice de refuser un rang dans l'ordre social à un homme, par la seule raison qu'il remplit une profession innocente aux yeux de la loi.

Quoique ces vérités me paraissent évidentes, je ne prétends point enchaîner l'opinion des autres à des principes qui ne seraient pas d'accord avec leurs sentimens. Me défiant de mes propres lumières, je respecte, sans les adopter, des préjugés que le tems a consacrés, prêt à croire à leur utilité, par la seule raison qu'ils subsistent depuis des siècles. Cependant il m'est impossible de ne pas penser que si l'on veut prévenir la décadence d'un art, on doit protéger l'artiste contre la défaveur attachée à sa profession.

Tous les jours, au contraire, nous voyons des écrivains mettre en jeu tous les ressorts de leur esprit pour avilir cet art auquel nous devons une jouissance noble et délicate. Ils se font un vil plaisir de dévoiler aux regards du public toutes ces petites passions d'un amour-propre qu'ils s'efforcent d'irriter et que la décence devrait couvrir d'un voile. Ils se font les instrumens de ces passions; ils prennent fait et cause dans des querelles qu'ils devraient ignorer. Ils s'attaquent, se déchirent et souillent de leur fiel des journaux qui devraient être consacrés à nous transmettre des événemens politiques d'une haute importance, ou à nous éclairer sur les vrais principes de la littérature et des arts. Ils tourmentent le talent; par eux et avec eux les acteurs se trouvent le jouet du public. Ils emploient tous ces moyens pour courir après la chétive réputation de gens d'esprit, qu'ils obtiendraient plus facilement en gardant le silence. Mais moi, je leur dirai avec une pleine franchise : de grâce, Messieurs, tâchez de vous respecter vous-mêmes, si vous pouvez. De quel droit venez-vous vous initier dans le secret des passions qui troublent une classe de la société? De quel droit jugez-vous les acteurs hors du théâtre? Ce droit que vous avez acheté en entrant, si vous l'avez conservé lorsque vous êtes sortis, soyez généreux et n'en abusez

pas. Pourquoi n'attaquez-vous pas de même les autres classes de la société? Pourquoi ne nous montrez-vous pas aussi les petites passions qui la gouvernent? Que diriez-vous si quelqu'un dévoilait aux regards du public toutes les prétentions actuelles des gens de lettres, leurs manœuvres honteuses pour se supplanter les uns les autres, non dans l'espérance de la gloire, mais pour gagner un peu d'argent? Croyez-moi; au lieu de crier contre des abus inséparables des choses humaines, abus que vous agravez tous les jours par vos déclamations, tâchez de relever un art dont vous vous dites les appuis et que vous ne cessez d'avilir. Prévenez sa décadence que vous semblez redouter, et faites en sorte qu'un honnête homme puisse au moins embrasser sans honte une profession que l'on peut exercer sans crime.

Ces idées ne seront pas du goût de tout le monde peutêtre; mais je n'ai point la ridicule prétention de faire entendre raison aux petites passions humaines. Je dis ce que je pense, parce que je le pense, n'appartenant et ne voulant appartenir à aucune coterie littéraire, ne reconnaissant d'autre frein que celui de la décence et d'autre guide que la vérité. A. S......

NOUVEL ALMANACH DES MUSES.- Un vol. in-18.

Prix,

1 fr. 80 c., et 2 fr. 30 c. franc de port. — A Paris, chez Moronval, libraire, quai des Augustins.

CE recueil qui compte une existence de douze années, dispute, depuis son berceau, la prééminence à son aîné. Je ne sais si ce cadet littéraire a bien justifié jus-: qu'ici ses prétentions envers son frère illustré par tant de muses célèbres; mais je sais qu'on aurait tort d'exiger qu'il exhibât cette année des preuves authentiques. Il a subitement changé d'instituteur, et a passé des mains de M. Capelle aux mains de M. Moronval qui l'a confié à d'autres mains encore. Ses principes d'éducation ne sont donc plus les mêmes. Je présume que ne pouvant acquérir à l'improviste de nouvelles richesses, il s'est vu forcé de grossir son magasin de denrées déjà mises en

circulation. Il s'est emparé du butin de MM. de Fontanes, Ducis, Michaud, Millevoie, d'Avrigny, VictorinFabre, Mollevaut, et de quelques autres. Certes, il pouvait faire beaucoup plus mal. C'est à l'abri de ces noms chers aux muses qu'il fait avec assurance, pour la douzième fois, son entrée dans le monde. En effet, il est sûr d'être bien reçu en reproduisant le beau discours de M. de Fontanes sur la Bible:

La mer s'ouvre : Israël chante sa délivrance.
C'est sur ce haut sommet qu'en un jour d'alliance
Descendit avec pompe, en des torrens de feu,
Le nuage tonnant qui renfermait un dieu.
Dirai-je la colonne et lumineuse et sombre,
Et le désert témoin de merveilles sans nombre,
Aux murs de Gabaon le soleil arrêté,

Ruth, Samson, Débora, la fille de Jephté,

Qui s'apprête à la mort, et parmi ses compagnes

Vierge encor, va deux fois pleurer sur les montagnes?

Voilà des vers, si j'étais assez audacieux pour m'exprimer ainsi, qui se tiennent debout, des vers frappés sur l'enclume d'Apollon. On éprouve, en lisant tout ce discours sur la Bible, je ne sais quelle mélancolie pieuse, qui vous porte à l'attendrissement, et humecte vos yeux des larmes les plus douces.

On aime à relire aussi dans ce recueil les éloges de Coffin qui ont mérité à juste titre à deux jeunes auteurs une couronne célèbre que l'envie même n'a pu leur disputer. MM. Millevoie et Mollevaut ont fait voir dans un sujet qui semblait au premier coup-d'œil rebelle aux muses, qu'ils connaissaient toutes les ressources de la langue poétique, le rhythme, le nombre et l'harmonie imitative. On trouve plus de sentiment dans la pièce de M. Millevoie, et plus d'élan dans celle de M. Mollevaut. Citons de ce dernier un mouvement plein de verve, aussi heureux que naturel. Il parle de Coffin:

Son fils qu'il va sauver rend sa force invincible.
O prodige ! ce fils levant un front paisible:

Hommes moins forts, dit-il, que de faibles enfans,
Mon père l'a promis, nous serons triomphans;
Obéissez, ouvrons un glorieux passage.

Il faut pourtant le dire, dans la pièce de M. Mollevaut, parmi une foule de vers d'une attitude noble et ferme, on en remarque quelques-uns de prosaïques et de languissans, tels que ceux-ci, par exemple :

Entends-le traverser l'abîme du silence,
Vois à pas lents creuser, etc.

Ces espèces de consonnances à l'hémistiche quand elles ne font point beautés, et qu'on sent que l'auteur ne les a pas employées à dessein, dénaturent le style poétique, et font dégénérer les vers en vers léonins. On remarque trop de beautés dans la pièce de M. Mollevaut pour qu'il ne s'efforce pas d'en faire disparaître quelques taches. On ne saurait trop répéter ce que Voltaire, dans le Temple du Goût, dit de Boileau luimême :

Il revoit ses enfans avec un œil sévère.

Parmi les noms distingués qu'on vient de citer, on est bien aise de rencontrer celui de Malfilâtre, poëte moissonné si jeune, et dont Laharpe a eu l'honneur de signaler un des premiers la gloire. On lit avec plaisir sa traduction de l'ode d'Horace: Pindarum quisquis studet æmulari, quoique cette traduction soit en général trèsinférieure à celle de Le Brun, surnommé peut-être avec quelque justice le Pindare français. Le Brun est, comme le poëte grec, décousu, désordonné; il cherche comme une conquête l'expression audacieuse qu'il exagère souvent, mais il s'élève par fois à la hauteur de l'aigle thébain. Puisque M. l'Editeur n'avait pas le choix des nouveautés, ne pouvait-il pas mettre à contribution les œuvres de ce poëte lyrique ? Il eût trouvé dans ses odes, dans ses élégies, dans ses épîtres, dans ses épigrammes même, une ample moisson pour son recueil. Cela ne valait-il pas mieux que d'exhumer du porte-feuille de leurs auteurs une foule de petits vers à prétention, dont

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