Page images
PDF
EPUB

iorité est aussi grande que celle du peintre sur le barbouilleur d'enseignes, et du poëte sur le faiseur de charades. C'est un artiste initié dans tous les secrets de l'art sublime des papillotes, et qui, pour inieux orner les têtes modernes, a fait de profondes études sur celles de l'antiquité (*). Il a chez lui les bustes des beautés les plus célèbres dans l'histoire; celui d'Aspasie pour les profils grecs et de Floral pour les nez à la romaine; celur de Roxelane pour les minois chiffonnés, d'Héloise pour les physionomies à grande passion, de la Vallière pour celles qui expriment la tendresse; enfin celui de Ninon pour les beautés conservées. Il a bien une Lucrèce, mais on dit qu'il cherche à s'en défaire. C'est d'après ces bustes complaisans qu'il est parvenu à découvrir l'accord mystérieux qui existe entre telle coiffure et tel caractère de physionomie. Il ne se borne pas aux principes généraux. Aucune des nuances les plus légères ne lui échappe : tantôt il réveille trop d'indolence par la manière piquante dont il place une ou deux mèches assassines; ou bien, par une feinte négligence, un désordre savant, il tempère trop de vivacité. En un mot, rien n'égale la justesse de son coup-d'œil et la légèreté de ses doigts.

Voilà, me direz-vous avec l'accent du doute, bien des talens pour un coiffeur de province. Rassurez-vous. C'est à Paris qu'il a perfectionné les dons heureux de la nature; et chaque année il a soin d'y faire un voyage, afin de renouveler en lui le feu sacré. Aussi est-il avoué des maîtres les plus célèbres en ce genre. Grace à cette glorieuse affiliation, son mérite est aussi incontestable que celui d'un correspondant d'académie.

Vous concevez, maintenant, quelle doit être son importance auprès des femmes ; c'est sur-tout un jour de bal qu'elles l'implorent avec le plus d'instance. Comme il ne peut, en raison du nombre, toutes les satisfaire, toutes éprouvent l'horrible crainte d'être privées de son secours; il a sur-tout quelques préférences pour la beauté qui font frémir celles que, sous ce rapport, la nature n'a pas aussi bien dotées. Il y a peut-être plus d'amour-propre que de galanterie dans cette prédilection. Il réserve ses plus belles coiffures pour les plus jolies femmes, comme un auteur dramatique donne les rôles les plus brillans de sa pièce aux meilleurs acteurs. Rien n'est plus naturel : un joli visage

(*) On voit que la province a, comme Paris, ses M....on

ne gâte jamais rien; c'est dans tous les tems un excellent passeport. Heureuses donc celles qui ont cet avantage! elles sont bien sûres d'être du nombre de ses favorites; mais comme ce nombre est petit, les autres restent livrées à cette sourde inquiétude qui dévore l'ambitieuse médiocrité.

Aussi tout se ressent dans le ménage de l'attente cruelle dont la maîtresse de la maison est agitée. Les domestiques font message sur message et sont grondés tour-à-tour; les enfans sont mis en pénitence, et le mari, comme de raison, a sa bonne part de la bourrasque : c'est lui qui est cause de ce retard; il y met trop d'indifférence, et ne paie pas assez généreusement un homme aussi précieux; mais ce dernier vient-il à paraître, l'orage se calme comme par enchantement; un gracieux sourire se montre, en signe de paix, sur les lèvres de la belle. Le mari pour lui plaire entame une querelle avec l'artiste encore tout essoufflé de la rapidité de sa course, mais elle est la première à le justifier; elle va même jusqu'à accuser l'époux trop officieux d'injustice et de dureté. Dans tous les cas la destinée d'un mari est d'avoir tort.

On ne se borne pas à de douces paroles avec cet homme intéressant, c'est à qui lui prodiguera

Les petits soins, les attentions fines.

GRESSET.

Comme il lui est impossible de prendre ses repas chez lui, des restaurans de toute espèce lui sont préparés dans chaque maison où il va.

Sirops exquis, rataas vantés,

Confitures sur-tout volent de tous côtés.

BOILEAU.

On peut dire, en un mot, qu'il est choyé comme l'était autrefois un directeur de nones.

Croirez-vous qu'il est des femmes qui, dans la crainte de le manquer, se font coiffer dès les cinq heures du matin, et se condamnent, pour ne pas déranger le galant édifice, à rester tout le jour dans une parfaite immobilité? d'autres ne sortent de ses mains que fort avant dans la nuit, et arrivent au bal au moment où, comme le dit un poëte,

Le rayon du matin fait pâlir les bougies.

COL.

Plusieurs ont imaginé de se réunir, et de se faire en masse. L'artiste arrive pour expédier une tê trouve six. Il ne peut s'en défendre,,et le tems dérobe par ce subterfuge est toujours perdu pouffe autre. Malheur à celle qui est sacrifiée ! Comme it impos sible de se montrer au bal sans être coiffée de sa main elle est con amnée à se coucher tristement, el entendre quelquefois de son lit les instrumens joyeux au sou des quels dansent ses heureuses compagnes.

Quel que soit le talent de cet habile homme, il n'a pas toujours celui de contenter tout le monde. Si l'une de ses coiffures produit par hasard plus d'effet que les autres que de reproches l'attendent le lendemain ! Pourquoi, lui dit-on, ne m'avoir pas coiffée comme madame une telle? sa coiffure était charmante, mais elle lui allait fort mal; elle a le nez trop long pour ce genre-là. Une autre se plaint amèrement d'avoir rencontré une coiffure pareille à la sienne, et celle-ci, qui enrage au fond du cœur des succès de sa rivale, ne peut cacher le dépit qu'elle éprouve de l'avoir vue aussi bien coiffée. Que fait l'artiste au milieu de ce flux et reflux de plaintes et de mécontentemens? Comme le sage d'Horace, il demeure impassible. Il sait bien que ces querelles n'ont jamais de suites. Pourrait-on se brouiller avec le dieu du goût? On renverrait plutôt dix amans que de s'exposer à un si grand malheur.

Je n'ai fait qu'esquisser les traits principaux qui caractérisent cet artiste distingué. Je laisse les détails à ceux qui écriront sa vie. Mais, d'après tout ce que j'en ai dit, on peut conclure qu'il est l'homme le plus essentiel de la ville. Que ne ferait-il pas s'il voulait user de son influence! Que de destinées seraient attachées à une boucle de cheveux ! Sou fer à papillotes serait vraiment le sceptre au gré duquel tourneraient toutes les têtes.

Témoin familier de tant de scènes domestiques, il pourrait, à l'exemple du Diable Boiteux, révéler bien des mystères; mais ou vante sa discrétion. Un soin plus important et plus légitime l'occupe; c'est celui d'arrondir sa petite fortune: elle serait des plus brillantes, s'il avait le secret de mettre de l'ordre dans les têtes comme il sait en mettre à la superficie.

J'ai l'honneur de vous saluer.

[graphic]

L'Observateur Provincial.

C

[ocr errors]
[ocr errors]

NÉCROLOGIE. La Classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institut, a perdu deux de ses membres dans la même semaine : 1° M. Larcher, si connu par ses discussions avec Voltaire, et, bien plus, par ses traductions d'Hérodote et de Xénophon. Il est mort à l'âge de quatrevingt-six ans; 2° M. de Toulongeon, auteur d'une Histoire de la Révolution, et d'une traduction des Commentaires de César. Il n'avait que soixante-trois ans.

Les discours que leur digne confrère, M. Quatremère de Quincy, a prononcés sur leur tombe, ont été insérés dans le Moniteur. Nous ne les répéterons point ici. Un officier qui, nous a-t-on dit, avait autrefois servi sous les ordres de M. de Toulongeon, lui a fait aussi ses adieux dans un discours que nous n'avons pu nous procurer. Enfin, M. Dupont (de Nemours), son collègue à l'Institut et son ami, a lu sur sa vie une Notice qui n'a point encore été publiée, et que nous nous empressons de mettre yeux de nos lecteurs.

sous les

Notice sur M. de Toulongeon.

JE prendrai la liberté d'ajouter mon tribut personnel à ce que viennent de si bien exprimer Monsieur notre vice-président, et le noble compagnon d'armes de M. de Toulongeon. J'aimais et j'estimais ce collègue que nous avons perdu.: j'ai partagé ses plus importantes fonctions, et me suis vivement intéressé à plusieurs de ses travaux. Dans l'affliction qu'il nous cause aujourd'hui, je laisserai quelques mots s'échapper de mon cœur.

François-Emanuel de Toulongeon avait ce que de son tems nous appelions de la naissance. Il y joignait beaucoup d'esprit, de sensibilité, de bonté.

Militaire instruit, il fut un colonel très-distingué. Il était maréchal de camp avant la révolution.

En 1789, il fut nommé, conjointement avec son ami intime l'estimable Bureaux-de-Pusy, député de la noblesse de Franche-Comté aux Etats-Généraux. C'est là que j'ai commencé à les connaître plus particulièrement l'un et l'autre, et à leur vouer une amitié tendre et durable. J'étais leur ainé de près de vingt ans, et je leur survis à tous deux. Est-ce un bonheur? Je sens du moins que c'est une peine. Mais la vie est un devoir qu'il faut remplir aussi long-tems

que la nature et les circonstances nous l'imposent, et en tâchant de se rendre utile autant qu'on le peut.

Toulongeon et Pusy s'y sont constamment appliqués durant la courte carrière qui leur fut accordée.

Aux Etats-Généraux et dans l'Assemblée nationale, ils étaient, j'avais l'honneur d'être avec eux, du petit nombre de gens de bien qui se réunissaient chez l'illustre et vertueux duc de la Rochefoucault, et auxquels on donna le nom de modérés, en y ajoutant un terme d'injure, parce qu'ils avaient de la prudence et de l'humanité ; parce qu'ils voulaient des améliorations, non des renversemens ; parce qu'ils combattaient, et, depuis, ils n'ont jamais cessé de combattre, pour toutes les constitutions telles qu'elles fussent, contre toutes les révolutions telles qu'elles pussent être.

M. de Toulongeon n'était pas l'aîné de sa famille. Son revenu se trouva diminué d'un tiers par la suppression des droits féodaux : il n'en murmura point. Il se retira sur sa terre en Nivernais; ce qui lui restait donnait à peine de l'aisance.

Il épousa une demoiselle qu'il aimait depuis long-tems, et qui avait du talent pour la peinture. Lui-même dessinait avec facilité et avec originalité; il savait peindre. L'amour est le premier des consolateurs; l'agriculture, l'étude des lettres, l'exercice des arts, sont les seconds.

Quelques Mémoires très-bien faits lui procurèrent d'abord le titre dassocié, et lui ouvrirent ensuite comme membre les portes de la seconde classe de l'Institut, alors consacrée aux sciences morales et politiques, et devenue la nôtre destinée à l'histoire et à la littérature ancienne.

Il a écrit l'histoire de la Révolution, travail peut-être prématuré, mais où dans un style élégant il a montré l'impartialité la plus rare. Il a traduit les Commentaires de César, et les a enrichis de notes. Les morceaux qu'il nous en a lus, ont eu le suffrage de la classe.

Il a fait un Mémoire sur les peuples sauvages, les peuples civilisés et les peuples barbares. Il l'a lu à notre classe, et après à la première qu'il pouvait concerner par des rapports de calcul. J'oserais penser que, dans cet ouvrage, il a trop cru la décadence des nations une conséquence nécessaire de leur prospérité. C'est une opinion assez générale; et cependant il est permis de croire que la science du gouvernement est perfectionnable par l'étude, l'expérience et le tems, comme les autres sciences; et pour l'intérêt pro

« PreviousContinue »