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des précieuses, le succès de l'esprit de Voiture et des romans de Mlle Scudéry.

C'est principalement de cette époque de notre littérature que M. Guizot s'est occupé dans son introduction parce qu'en effet elle précède immédiatement celle dont il va nous donner l'histoire. On y trouvera des faits curieux rapprochés avec beaucoup d'art, et d'où l'auteur tire des observations extrémement intéressantes. Les noms de cette époque trop peu connue parce qu'elle a été éclipsée par celle qui lui succéda, présentent, dans les tableaux qu'il en trace,des phénomènes très-singuliers. Il faut les aller chercher dans son ouvrage. C'est là qu'il faut voir comment, à la même cour et dans le même tems, régnaient la précieuse métaphysique de l'hôtel de Rambouillet et le burlesque de l'Enéide Travestie; comment on parlait sans cesse d'amour sans être amoureux, de débauche sans être débauché; comment, en un mot, l'homme entièrement séparé du poëte avait des sentimens à part et tout-à-fait différens de ceux que le poëte chantait. Trois choses, dit M. Guizot, contribuèrent à remettre notre poésie dans une meilleure voie : l'institution de l'Académie française, l'établissement des théâtres, et plus tard la protection directe de Louis XIV. De ces trois causes, l'institution de l'Académie était la seule qu'il dût traiter dans son Introduction. Il la raconte avec briéveté, mais d'une manière très-satisfaisante. II n'a négligé aucune des sources qui pouvaient lui fournir des faits intéressans. En général, il a fait pour cette Introduction des recherches très-étendues, et, ce qui vaut mieux encore, loin d'en prodiguer les résultats, il ne les a offerts au public qu'avec une sage économie. Il a choisi parmi les anecdotes celles qui étaient les plus propres à caractériser les mœurs du tems, et parmi les vers il n'a cité que ceux qui pouvaient donner une idée bien positive, soit du mérite des poëtes, soit de leurs défauts. Ces citations ne peuvent manquer de plaire aux amis de la littérature, et ils sauront gré à M. Guizot d'avoir été les chercher dans des livres qui ne sont guère connus aujourd'hui que des littérateurs de profession.

Après avoir donné à notre auteur des éloges qu'il a si

bien mérités, je dois relever une inexactitude, ou plutôt une distraction qui lui est échappée, et je le ferai avec d'autant moins de répugnance qu'elle est la seule qui m'ait frappé, et qu'il lui sera facile de la réparer dans la seconde livraison de son ouvrage. Au nombre des grands écrivains du siècle de Louis XIV, qui ne sont point entrés à l'Académie française, il place Molière et La Fontaine. Molière, en effet, n'y fut point admis, et c'est déjà trop; mais La Fontaine y fut reçu le 2 mai 1684. Il faut rendre, non à La Fontaine, mais à l'Aca démie, ce qui lui appartient. Il y a aussi quelques obscurités dans l'Avertissement qui ouvre ce volume. Elles ne sont dues sans doute qu'à des fautes typographiques. M. Guizot pourra également y remédier dans un errata.

On assure que sa seconde livraison est sous presse, et qu'elle paraîtra incessamment. La vie de Corneille 'doit l'ouvrir et peut-être la remplir toute entière. Ceux qui connaissent le bon esprit, le goût sûr de M. Guizot, l'accueilleront avec empressement. Elle lui offre à décrire un spectacle du plus grand intérêt. Ce ne sera pas précisément celui dont parle Sénèque; l'homme de bien luttant contre la mauvaise fortune, vir bonus cum malá fortuna compositus, mais l'homme de génie luttant contre le mauvais goût. On peut se promettre d'avance que ce sujet sera bien traité par l'auteur, et l'on doit désirer qu'ensuite la personne qui coopère à son ouvrage nous donne la vie de quelqu'autre poete, où elle déploiera cette finesse de tact, et ce talent de découvrir aux objets des faces nouvelles qu'on a déjà si souvent admirés dans ses écrits. C. V.

THEATRE DE LA FONTAINE.

Edition stéréotype. - Un volume in-18.

LA FONTAINE est plus connu des gens du monde, comme fabuliste et conteur, que comme auteur dramatique. Les gens du monde, sinon les hommes de lettres, ignorent, pour la plupart, que le même écrivain qui narrait avec tant de charmes, a composé des scènes dignes

de Molière, et je gagerais volontiers qué parmi tant de personnes qui savent par cœur ses fables, et même ses contes, il en est plusieurs qui ne connaissent ni le Florentin, ni sur-tout la Coupe enchantée, qui ne se joue plus. Cependant on doit à La Fontaine cinq comédies, dont quatre furent jouées avec succès, trois grands opéras, et il avait même commencé une tragédie.

Il est vrai que quatre de ces pièces, le Florentin, la Coupé enchantée, le Veau perdu et retrouvé, et Je vous prends sans verd, ont été attribuées à Champmeslé, acteur célèbre, et auteur de plusieurs comédies qui sont mauvaises, à la vérité, mais dans lesquelles on rencontre quelques jolis détails. Les liaisons de La Fontaine avec cet acteur, qu'il chargeait de faire recevoir ses ouvrages au théâtre, donnèrent sans doute lieu à ces bruits qui n'étaient pas encore éteints un siècle après la mort de Champmeslé, ainsi que l'atteste l'épigramme suivante :

L

Que manque-t-il à Champméslé
Pour que sa gloire soit certaine
Puisqu'un siècle s'est écoulé,
Sans qu'on ait encor démêlé

́S'il ne fut pas l'auteur des pièces qu'à la scène
On attribue à La Fontaine?

Les hommes de lettres qui ont comparé les Grisettes ou Crispin Chevalier, sans contredit le chef-d'œuvre de Champmeslé, avec les pièces de La Fontaine qu'on attribue à cet auteur et dont trois seulement nous restent, car le Veau perdu n'a jamais été imprimé ; les hommes de lettres, dis-je, ont acquis la conviction que l'auteur des Grisettes était incapable de faire, je ne dis pas le Florentin, mais Je vous prends sans verd, qui ne s'élève pas au-dessus du médiocre.

Cette dernière pièce passe encore aujourd'hui, aux yeux de bien du monde, pour être de Champmeslé; cependant il est impossible, malgré un grand nombre de négligences et même malgré les défauts graves qui la déparent, de ne pas y reconnaître le cachet original de La Fontaine, principalement dans la scène où Saint

Amand surprend sa femme dans un tendre entretien avec Montreuil, scène que la fable de la Tourterelle et du Hibou rend extrémement ingénieuse, et que, parconséquent, Champmeslé aurait été incapable de faire : aussi les éditeurs qui, en 1791, publièrent les Chefsd'œuvre dramatiques de La Fontaine, y firent-ils entrer Je vous prends sans verd.

M. Fayolle, à qui nous sommes redevables de la nouvelle édition que j'annonce, a réuni en un volume l'Eunuque, le Florentin, Ragotin, la Coupe enchantée, et les deux actes de la tragédie d'Achille. Ces quatre comédies ne sont guères connues, comme nous l'avons dit, que des gens de lettres. Cependant le Florentin se joue encore assez souvent, et la Coupe enchantée a longtems été au courant du répertoire : je ne doute pas que si elle était reprise elle n'obtint un grand succès.

L'Eunuque est imité de celui de Térence, que Bruyeis a mis au théâtre sous le titre du Muet. Il ne paraît pas que la pièce de La Fontaine ait eu beaucoup de représentations, au lieu que celle de Bruyeis, dont la marche est plus rapide, a obtenu un succès d'estime qui s'est toujours soutenu. La Fontaine, admirateur zélé des anciens, s'est trop scrupuleusement attaché à traduire Térence en vers, tandis que Bruyeis se contenta de l'imiter dans une prose pleine d'enjouement et d'originalité; mais en transportant la scène à nos tems modernes, cet auteur a rendu le dénouement invraisemblable. D'ailleurs, son Frontin dégénère trop souvent en caricature, ce qui n'arrive pas au Parmenon de l'Eunuque, qui est un habile intrigant, mais non un farceur. Il n'y a, au reste, dans le Muet rien de comparable aux caractères de Trason et de Gnathon, tracés avec tant de force comique par La Foniaine. Je ne crains pas même d'assurer, qu'avec de légères corrections et en adoucissant quelques détails un peu trop vifs, l'Eunuque ne fût joué avec succès.

Le Florentin est le chef-d'œuvre dramatique de La Fontaine. L'intrigue de cette comédie est, il est vrai, un peu faible, et manque de vraisemblance, mais l'intérêt qu'elle excite, l'art avec lequel elle est conduite,

la manière dont les scènes et sur-tout celle d'Hortense et d'Harpagème sont filées, et les charmes du style, rachètent bien quelques défauts. Il existe une édition de 1740, où le Florentin est en deux actes. Dans le premier, Timante qui s'est introduit chez Harpagème, craignant d'être surpris, se cache dans un fauteuil, et son valet Gusman dans une horloge. De telles scènes plus plaisantes que comiques furent sans doute retranchées par l'auteur aux premières représentations. Ces suppressions, mais sur-tout celle du personnage de Gusman, réduisirent la pièce en un acte, et il paraît que l'édition de 1740 a été faite d'après un manuscrit où les scènes supprimées existaient encore.

Ragotin, comédie en cinq actes et en vers, dans laquelle La Fontaine a rassemblé, autant qu'il a été en lui, les événemens du Roman comique, pèche et par la conduite et par le style. Le poëte traduit, pour l'ordinaire, en vers faibles et communs la prose bizarre, maiş originale, de Scarron, et à peine rencontre-t-on dans sa pièce quelques détails où le génie du grand homme se laisse apercevoir. Ragotin est bien inférieur à Je vous prends sans verd, que je regrette beaucoup de ne pas trouver ici; et s'il faut absolument donner à Champmeslé une des pièces de La Fontaine, Ragotin me semble plús digne de l'auteur du Parisien et de la rue SaintDenis, que de celui du Florentin et de la Coupe enchantée.

Cette dernière comédie est tirée de la nouvelle de Boccace, intitulée : Les Oies de Frère Philippe, et de l'un des épisodes de l'Orlando Furioso, morceaux qui avaient déjà fourni à La Fontaine les sujets de deux de ses Contes; il les réunit ensuite, et en fit une très-jolie comédie. Le caractère de Lélie, qui n'a jamais vu de femme, est d'une naïveté charmante; celui de Tibaut est hien imaginé et mieux soutenu encore. On en peut dire autant de tous les autres. Les scènes sont parfaitement conduites, le dialogue est facile et naturel, et le dénouement bien amené.

Je ne dirai rien autre chose des deux actes d'Achille sinon que La Fontaine y fait parler les héros d'Homère

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