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Laharpe, et nos meilleurs critiques, dont je suppose qu'ils connaissent les ouvrages, n'ont pu le faire? qu'ils meurent donc dans l'impénitence finale: leur conversion est une tâche au-dessus de mes forces, et d'ailleurs ceux qui n'ont pas versé de douces larmes à la lecture, de la Princesse de Clèves ne sont pas dignes de sentir le mérite et d'admirer les beautés de cet ouvrage, que sans ceux de Rousseau et de Richardson j'appellerais le chef-d'œuvre du genre.

Zaïde parut sous le nom de Segrais qui était incapable d'en écrire une page, et quelques critiques ont même prétendu qu'il en était réellement l'auteur. Il suffit cependant de comparer ce roman aux Nouvelles françaises et aux autres ouvrages de Ségrais pour se convaincre du contraire. D'ailleurs, le savant Huet qui a composé une dissertation sur l'origine des romans pour être mise en tête de Zaïde, s'exprime ainsi dans ses Origines de Caen.

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« Les Nouvelles françaises de Segrais furent bien re» çues du public, moins toutefois que Zaïde et quelques » autres ouvrages de ce genre qui parurent sous son nom >> et qui étaient en effet de la comtesse de La Fayette, » comme lui et la comtesse l'ont déclaré souvent à plu» sieurs de leurs amis, qui en peuvent rendre un assuré témoignage. Pour Zaïde, je le sais d'original, car j'ai » vu souvent Mme de La Fayette occupée à ce travail; et » elle me l'a communiqué tout entier, et pièce à pièce, » avant que de le rendre public. Comme ce fut pour cet » ouvrage que je composai le Traité de l'origine des » Romans qui fut mis à la tête, elle me disait souvent » que nous avions marié nos enfans ensemble.....

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» Mme de La Fayette négligea si fort la gloire qu'elle » méritait, qu'elle laissa paraître Zaïde sous le nom de >> Segrais mais lorsque j'eus rapporté cette anecdote, » quelques amis de Segrais qui ne savaient pas la vérité, » s'en plaignirent comme d'un outrage fait à sa mémoire; » mais c'était un fait dont j'avais été long-tems le témoin » oculaire; et c'est ce que je suis en état de prouver » par plusieurs lettres de Mme de La Fayette, et par l'ori

»ginal du manuscrit de Zaïde, dont elle m'envoyait lesion

» feuilles à mesure qu'elle les composait. >>

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Si l'on considère maintenant que Huet ami de Mede La Fayette l'était également de Segrais, on ne pourra disconvenir que son témoignage ne mérite une entière confiance. Segrais a dit, il est vrai, qu'il avait eu quelque part à la disposition du sujet, cela fait voir seulement que Mme de La Fayette lui communiqua son plan et qu'il indiqua les changemens à y faire. D'ailleurs on sait que Mme de la Fayette aimait à montrer ses écrits à ses amis, afin qu'ils les revissent, que de l'aveu de Huet elle lui fit part de cette même Zaïde à mesure qu'elle la composait, et que le manuscrit de la Princesse de Clèves fut remis au célèbre Larochefoucauld. Mais de tout cela on doit seulement conclure qu'elle s'adressait aux personnes qui pouvaient lui donner de bons conseils, et non pas qu'elle eût ce qu'on appelle un teinturier.

Le second ouvrage de l'auteur de Zaïde est celui qui est intitulé la Princesse de Montpensier. C'est un petit roman fort ingénieux, à qui Zaïde et sur-tout la Princesse de Clèves ont fait tort. Ce dernier ouvrage, qui est sans contredit' le chef-d'oeuvre de Mme de La Fayette, a été attribué à Segrais avec tout aussi peu de fondement que Zaide. Il suffit de lire quelque chose de ce bel esprit pour se convaincre qu'il était incapable, comme nous l'avons dit, d'écrire ces morceaux touchans et remplis d'une mélancolique sensibilité qui sont dans la Princesse de Clèves, et qui décèlent la plume et sur-tout le cœur d'une femme.

Ce roman que Fontenelle admirait fut attaqué dès sa naissance. Valincourt en publia une critique insignifiante lorsqu'elle n'est pas amère, et qui est intitulée: Lettres à M la marquise de ......, sur le sujet de la Princesse de Clèves. Il est à-peu-près reconnu aujourd'hui que la plupart de ces lettres furent composées par le jésuite Bouhours, dont Valincourt était l'élève. Bussy-Rabutin, homme d'esprit qui n'a fait que de mauvais ouvrages, a été aussi un des critiques les plus acharnés de Mme de La Fayette. Au reste, ces censeurs blâmaient l'une des situations les plus intéressantes du roman, c'est celle où la princesse

M

effrayée de sa violente passion pour Nemours prend enfin le parti désespéré de se jeter aux genoux de son mari pour lui faire l'avea d'un coupable amour qu'elle a vainement combattu. Il fallait avoir un goût bien étrange, j'ose dire même bien faux, pour oser critiquer une situation pleine d'intérêt et qui produit un effet étonnant sur l'ame des lecteurs sensibles.

Ces attaques acharnées ne restèrent pas sans réponse, et il parut un pelit ouvrage intitulé, Conversations sur la Princesse de Clèves, où elles étaient repoussées avec beaucoup de force. On crut long-tems que Barbier-d'Aucour en était l'auteur, mais on sait maintenant qu'elles sont de Descharnes.

La Princesse de Clèves n'est point un de ces romans historiques qui depuis quelques années infectent notre littérature. Elle n'a rien de commun avec ces misérables rapsodies où la majesté de l'histoire est dégradée au point de ne servir qu'à débrouiller des intrigues d'amour. Ces monstrueuses compositions qui sont à l'histoire et au roman ce que le mélodrame est à la comédie et à la tragédie, décèlent le manque d'imagination de leurs auteurs; elles n'ont joui que d'une vogue éphémère..

Mme de La Fayette ne répondit aux critiques de la ·Princesse de Clèves que par la Comtesse de Tende, nouvelle où les évènemens se pressent et amènent après diverses situations intéressantes un dénouement des plus pathétiques. L'auteur place son héroïne au point de ne plus intéresser que par ses remords, et lui fait révéler à son mari la faiblesse dont elle s'est rendue coupable. Cette confidence, bien plus délicate que celle de la princesse de Clèves, est si bien motivée, qu'elle ne choque ni la vraisemblance, ni les mœurs. Les autres ouvrages de Mme de La Fayette sont: Les Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689, qui sont remplis de railleries piquantes contre Mme de Maintenon, et une Histoire d'Henriette d'Angleterre. Elle en avait composé un plus grand nombre, dont l'insouciance de son fils a causé la perte; car il prêtait les manuscrits de sa mère à ceux qui les lui demandaient et ne les réclamait pas. Les contemporains de Mme de La Fayette nous

par

apprennent qu'elle n'était pas moins remarquable ses qualités morales que par son esprit. Ces témoignages universels réfutent assez Labeaumelle qui l'insulte dans ses mémoires sur Mme de Maintenon, comme il insulte plusieurs autres personnages extrêmement recommandables. J. B. B. ROQUEFORT.

ESPRIT DE SOPHIE ARNOULD.

- Un vol. in-18. A Paris, chez les libraires du Palais-Royal.

SOPHIE ARNOULD a obtenu, au Théâtre de l'Opéra, une réputation égale à celle qu'obtinrent, au ThéâtreFrançais, les Dumesnil, les Clairon et les Dangeville : elle a été contemporaine de ces actrices célèbres, et la mort l'a enlevée la même année que les deux premières. Les vieillards, qui dans leur jeunesse ont assidûment fréquenté les spectacles, aiment à se rappeler que M Arnould enlevait tous les suffrages dans le rôle de Proserpine, parce que son jeu réunissait les grâces au sentiment; que dans celui de Télaïre de l'opéra de Castor, elle déployait le pathétique le plus entraînant, et que dans Dardanus, où elle jouait le rôle de Céphise, elle avait des momens d'inspiration vraiment sublimes.

Cette actrice, de son tems, seule déesse au Théâtre des Arts, se fit encore remarquer par un esprit de saillie qui charmait les sociétés où elle était admise; ses réparties et ses bons mots étaient presque toujours pleins de finesse, de malice, et souvent même de causticité.

Un écrivain connu par des succès dans des genres très-opposés, s'est amusé à réunir ces bons mots, et en a publié le recueil sous le titre d'Esprit de Sophie

Arnould.

Il a fait précéder le recueil consacré à M. Arnould d'une notice qui se ressent un peu de l'aimable causticité de la personne à laquelle elle est consacrée; mais j'aime mieux reproduire ici quelques-uns des bons mots de cette actrice que de m'arrêter aux détails de sa vie: d'ailleurs ces détails sont bien connus. Je dirai șeule

ment que l'éditeur a su, par la manière dont il les raconte, les rendre aussi intéressans que s'ils étaient neufs ; mais je dois le féliciter d'avoir écarté avec sévérité tout ce qui se ressentait des mœurs de M. Arnould, vivant dans un siècle où les idées morales et religieuses n'étaient regardées que comme des préjugés. Cette actrice respira le vice au milieu de l'atmosphère empoisonnée qui l'environnait; peut-être même l'éditeur mérite-t-il le reproche d'avoir conservé trop de détails qui pourront alarmer la pudeur. Personne ne sait mieux que lui, que lorsqu'on écrit pour les femmes, il faut toujours respecter leur plus bel ornement.

Mais revenons à Sophie Arnould.

Quelqu'un lui disait après la première représenta» tion du Mariage de Figaro : C'est une pièce qui ne >> peut se soutenir. Oui, répondit-elle, c'est une pièce » qui tombera quarante fois de suite.

» Elle disait de l'opéra de Zémire et Azor ou la belle » et la bête : C'est la musique qui est la belle. »

L'épigramme est plaisante, mais elle est injuste; si la musique de Zémire est admirable, le poëme n'est point un ouvrage sans mérite, et il y a tel de nos auteurs d'opéras comiques qui a obtenu et qui obtient encore beaucoup de succès, sans avoir rien fait de comparable à la pièce que Sophie Arnould sacrifiait au plaisir de faire une épigramme.

« M. Clairon au sortir du Fort-l'Evêque quitta le >> théâtre : elle disait avec emphase que le roi était maître » de sa vie et de sa fortune, mais non de son honneur. » Vous avez raison, observa Sophie, où il n'y a rien le » roi perd ses droits. »

M. Lemazurier, dans la Galerie des Acteurs du ThéâtreFrançais, raconte autrement l'anecdote. On sait que l'emprisonnement de Me Clairon fut la suite d'une affaire scandaleuse occasionnée par le comédien Dubois et qui troubla la comédie française. Comme Mlle Clairon se prononça avec beaucoup de vigueur dans cette affaire, où pour ne pas jouer avec Dubois les acteurs firent manquer une représentation du Siége de Calais, la police fit mettre l'actrice en prison.

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