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de ce qu'ils deviendront; le lecteur les retrouve avec 1 plaisir, mais il ne s'inquiète nullement des causes de leur disparution : ils ont été bien remplacés. Eh! qu'importe après tout que ce soit Freeman, Kerkabon ou M. Jay lui-même qui entretienne le lecteur! L'objet principal est de plaire, d'attacher ou d'instruire; il est difficile de rencontrer un livre qui, mieux que le Glaneur, remplisse à-la-fois ces importantes conditions.

G. M.

EUVRES COMPLÈTES DE BERTIN, nouvelle édition, ornée du portrait de l'auteur et de deux jolies figures. — Deux vol. in-18.- Prix, 2 fr. 50 c., et 3 fr. franc de port. Paris, chez Duprat-Duverger, rue des Grands-Augustins, n° 21.

SI M. de Parny a obtenu avec justice le surnom de Tibulle français, Bertin, son compatriote et son ami, semble avoir ambitionné l'honneur d'être notre Properce; on le lui a même accordé, quoiqu'il soit bien souvent au-dessous du chantre de Cinthie. Tibulle et l'amant d'Eléonore se font distinguer l'on et l'autre par un naturel plein de grâce, par une sensibilité vive et sans affectation, par une mélancolie douce qu'un heureux choix d'expressions conserve fidèlement. Leurs vers coulans et faciles ont la même harmonie, la même pureté et la même élégance; leurs pensées amoureuses ont le même charme, et leurs transports le même délire. Sans doute les Dames romaines savaient par cœur les élégies de Tibulle, comme nos aimables Françaises savent celles de son rival.

Properce, au contraire, moins tendre, et par conséquent moins naturel, mais doué d'une imagination vive et forte, prodigue les hors-d'œuvres, les descriptions, et se fait remarquer par la richesse et par la variété des détails; c'est bien plus l'esprit que le cœur qui parle dans ses élégies, et son style surchargé d'ornemens poétiques n'a pas la douceur, la mollesse et la grâce qui conviennent au genre élégiaque. Properce a servi de

modèle à Bertin, et il y a entr'eux une analogie de talens qu'on reconnaît bientôt en lisant leurs ouvrages. Si Bertin n'avait pas eu le bon esprit de bien choisir son modèle, si, par exemple, séduit par les grâces enchanteresses de Tibulle, il avait tenté d'imiter ce grand poëte, il est certain qu'il aurait complétement échoué, et que ses vers auraient grossi le nombre de ceux que dès leur naissance on a dévoués à l'oubli.

Il ne faut pas se dissimuler cependant que si, dans un grand nombre d'élégies, Bertin est un rival heureux de Properce, quelquefois aussi il n'est que l'émule de Dorat. Lié d'amitié avec ce versificateur petit-maître, ce pédant couleur de rose, ce ver luisant du Parnasse, comme l'ont ingénieusement nommé MM. Palissot et Le Brun, quelques-uns de ses vers se ressentent de ce commerce qui a dénaturé le talent de plusieurs jeunes poëtes, et leur a appris l'usage de je ne sais quel persifflage inintelligible qui, en brillantant leurs productions, les a dépouillées de la vérité sans laquelle il n'y a point de poésie.

Maintenant que le goût des bonnes études nous a complétement désabusés de l'éclat factice de l'école de Dorat, il nous a paru nécessaire de prévenir que si Bertin n'a pas toujours su s'en garantir, il faut du moins avouer que de semblables taches sont rares dans ses élégies, et que si elles se rencontrent plus fréquemment dans le recueil publié en 1773, c'est qu'il était fort jeune alors; mais de cette époque à l'année 1782 où parurent ces mêmes élégies, le talent de Bertin prit un caractère plus décidé, et une étude constante des grands modèles le ramena aux principes de la bonne école.

Bertin a peint son caractère dans les vers suivans'; quoiqu'ils soient bien connus, ainsi que toutes les productions de cet aimable poëte, on nous permettra sans doute de les citer, car ils le montrent sous un jour bien avantageux.

O vous qui lirez mes écrits,

Lecteurs trop indulgens, voulez-vous me connaître ?
Au sein de vastes mers l'Afrique m'a vu naitre :
Faible arbuste, à neuf ans, transplanté dans Paris,

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Et de mon premier ciel favorisé peut-être,
Je surpassai l'espoir de mes maîtres chéris.

Au Pinde et chez les Rois, dans les camps, à Cythère,
J'osai me montrer tour-à-tour.

Sincère et timide à la cour,

J'eus pourtant le bonheur de n'y pas trop déplaire.
En amitié, fidèle encor plus qu'en amour,

Tout ce qu'aima mon cœur, il l'aima plus d'un jour.
Lorsque j'entrai dans la carrière,

On caressa ma muse; on daigna l'accueillir,

Comme on accueille en France une jeune étrangère,
Qui d'un lointain climat dans nos murs vient s'offrir.
Le chantre de Ferney, sous son toit solitaire,
Voyait alors l'Europe à grands flots accourir:
Hélas! j'ai peu connu Voltaire;

Je l'ai vu seulement triompher et mourir.

Mais Dorat, mais Bonnard, mais cette foule aimable
De convives joyeux et d'esprits délicats,

Me rechercha long-tems: je leur versais à table

Les rubis du Pomar et l'ambre des muscats.

Ces vers ne dépareraient pas les œuvres de nos meilJeurs poëtes; à l'exception du dernier dont la pensée est trop recherchée, les autres sont corrects, faciles et harmonieux; la coupe en est heureuse, et ceux qui concernent Voltaire sont d'une élégance remarquable..

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Les Amours de Bertin, plusieurs fois réimprimés sont si connus, qu'il serait inutile d'en citer ici des passages sur le mérite desquels tout le monde est d'accord. Il n'est pas un ami des vers qui n'ait lu plusieurs fois ces élégies où le défaut d'abandon est compensé par un luxe peut-être trop abondant d'images poétiques, et où si l'amant n'est pas toujours passionné, il est presque toujours poëte habile.

Ce défaut d'abandon qu'on reproche à Bertin, n'est pas au reste si général que quelques personnes se l'imaginent. L'élégie qui commence par ces vers:

Elle est à moi ! Divinités du Pinde,

De vos lauriers ceignez mon front vainqueur, etc.

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images les plus voluptueuses sont voilées de la pudeur de l'expression, et plusieurs autres que nous pourrions citer, ont une chaleur qui, pour n'être pas aussi expansive que celle de Tibulle, n'a pas moins un charme particulier qui flatte et qui finit par séduire.

Ces élégies ont fait à leur auteur une réputation qui durera long-tems; ses autres productions se font lire, parce que, si elles ont beaucoup des défauts des disciples de Dorat, elles ont aussi des beautés qu'on ne rencontre dans aucun des nombreux versificateurs de cette école. On lira long-tems le Voyage en Bourgogne, et quelques jolies épîtres parfaitement rimées; des idées agréables élégamment exprimées, de la facilité, de la correction, une coupe heureuse et quelquefois savante, de l'harmonie et des détails gracieux sont les qualités qui les distinguent.

Le chantre d'Eléonore et celui d'Eucharis, quoique rivaux, furent toujours amis; jamais la jalousie n'altéra leur amitié, et ces deux poëtes qui obtinrent beaucoup de succès dans le même genre, y trouvèrent des motifs de resserrer encore davantage le lien qui les unissait. La supériorité même de M. de Parny n'affecta jamais l'amour-propre de Bertin, et les ouvrages de celui-ci contiennent des éloges qui durent toucher agréablement le poëte et l'ami auquel ils étaient adressés.

Nous avons cru devoir insister sur cette union si rare. Elle servira peut-être d'exemple dans ce siècle où la guerre civile règne dans la république des lettres, où les rivaux se déchirent impitoyablement et où la haine motive trop souvent les jugemens qu'on porte sur les ouvrages. Il faut espérer que cette anarchie, si fatale aux sciences et aux arts, finira enfin; l'amitié entre les gens de lettres leur fera obtenir plus de succès que la désunion. Boileau et Racine se communiquaient leurs productions et s'éclairaient mutuellement de leurs conseils. La sévérité de l'ami prévoyait les remarques de la critique et fournissait les moyens de les prévenir. De nos jours n'a-t-on pas vu les auteurs des Etourdis, du Vieux Célibataire, de Médiocre et Rampant, et d'une foule d'autres ouvrages qui ont rappelé le règne de la bonne

comédie, montrer l'exemple de cette amitié franche si nécessaire aux gens de lettres, mais si rare entre des rivaux fameux par de grands succès dans la même carrière? Il faut espérer qu'ils auront des imitateurs. J. B. B. ROQUEFORT.

VARIÉTÉS.

A M. le Rédacteur du Mercure de France.

MONSIEUR, Voltaire a écrit un chapitre charmant sur les contradictions de ce monde; mais il était loin d'en imaginer une de la force de celle dont je vais vous parler.

La Harpe, son disciple fidèle dans une partie de son Cours, semble le combattre, le réfuter dans l'autre, c'està-dire, depuis sa conversion. En voici un exemple bien remarquable.

Dans le tome 7, page 262, du Cours de Littérature, je lis les vers suivans:

Tout amour vient du ciel : Dieu nous chérit, il s'aime;
Nous nous aimons dans nous, dans nos biens, dans nos fils,
Dans nos concitoyens, sur-tout dans nos amis.

VOLTAIRE.

Voici les réflexions de La Harpe à ce sujet.

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« Cette doctrine est parfaitement conforme à la raison, et c'est en ce sens que Dieu nous ordonne expressément d'aimer notre prochain comme nous-mêmes. En effet, l'amour de soi ou l'amour-propre bien réglé, soit qu'on les confonde ensemble, comme ont fait la plupart des moralistes, soit qu'on les considère séparément, sont des sentimens naturels et légitimes, donnés à l'homme pour l'allacher au soin de sa conservation et lui inspirer le désir de se rendre meilleur. Si la Rochefoucauld a voulu dire que cet amour de nous entre dans l'amitié la plus désintéressée, c'est une vérité et non pas un reproche, car nul ne peut se séparer absolument de lui-même. Mais s'aimer ainsi dans un autre n'est point un commerce d'amour-propre, du moins dans l'acception vulgaire de ce mot, qui répond à celle d'intérêt personnel: c'est au contraire l'usage le plus noble de cette heureuse faculté d'étendre nos sentimens

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