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L'art. 446, pour faire cesser une controverse assez vive, a énuméré les hypothèques conventionnelles et judiciaires, et par suite écarte les priviléges et les hypothèques légales qui peuvent valablement prendre naissance dans les cas fixés par la loi (1); une réserve enseignée par M. Pardessus, équitable sans doute, dans certains cas, ne peut être admise en présence d'un texte positif (2) et sauf le cas de fraude.

1691. La Cour d'Orléans a jugé qu'on ne pourrait, sans une grave confusion des mots et des choses, transformer une simple novation qui substitue une nouvelle dette à l'ancienne (suprà, n. 524), sans libérer le débiteur, en un paiement ou une dation en paiement, et, par suite, que la constitution d'hypothèque et les autres clauses et garanties accessoires stipulées pour la nouvelle dette sont valables (3). Cet arrêt nous semble conforme à la rigueur du droit; mais l'opération devrait être annulée, conformément à l'art. 447 ci-après, si le créancier avait eu connaissance de la déconfiture du débiteur. L'art. 446 serait applicable si la novation s'opérait par la substitution d'un nouveau créancier à l'ancien, qui serait remboursé par celui au profit de qui serait faite la nouvelle constitution d'hypothèque (4). La fraude, dans tous les cas, devrait être réprimée.

1692. Il ne faut pas perdre de vue, ainsi que l'a fait observer M. Bédarride avec beaucoup de justesse, que l'art. 446 limite évidemment la disposition de l'art. 443. Si, aux termes de ce dernier article, le failli n'est dessaisi qu'à partir du jugement déclaratif de la faillite, il ne s'ensuit pas que, relativement à la masse, suivant l'expression de l'art. 446, il doive ètre regardé jusque-là comme étant dans l'intégrité de ses droits : « Si le failli, dit M. Bédarride, était réellement integri statûs, tant que le jugement déclaratif n'est pas rendu, il pourrait, sans contredit, payer par des ventes, cessions, transports

(1) Renouard, t. 1er, p. 382; Dalloz, Rép., n. 308; Cass., 7 nov. 1848 (S. V. 49.1.121).

(2) Droit comm., n. 1135.

(3) Orléans, 16 juin 1852 (D.P.54.2.222).

(4) Bédarride, n. 122; Dalloz, Rép., vo Faillite, n. 299; Nancy, 24 janv. 1842.

d'effets mobiliers ou immobiliers, ou compenser dans tous les cas avec ses créanciers. » Sans être dessaisi, la loi l'a donc frappé, dans une certaine mesure, d'incapacité pour la disposition de son actif. M. Bédarride examine cette question, à propos d'un arrêt de la Cour d'Aix, du 9 février 1843, qui avait maintenu la collocation de créanciers chirographaires, sur les sommes restant libres provenant de la vente des immeubles d'un commerçant faite après la cessation de paiements; quelque régulières que fussent, d'ailleurs, les opérations accomplies, elles ne pouvaient donc nuire aux créanciers protégés par l'art. 446 (1).

Dans une espèce où, à la suite d'une distribution par contribution de sommes déposées à la caisse des consignations, des bordereaux avaient été délivrés, la Cour de Bordeaux a maintenu le droit des porteurs; mais c'est en se fondant sur ce que l'obtention d'un bordereau équivaut à un paiement en espèces, et que c'était le cas, dès lors, d'appliquer l'exception admise par l'art. 446 (2).

1695. Le Code Napoléon porte que le privilége conféré au créancier sur la chose qui lui a été remise en nantissement ne s'établit, 1o qu'autant qu'il y a un acte public ou sous seing privé dûment enregistré (C. Nap., art. 2074); 2° qu'autant que cet acte, lorsqu'il s'agit de meubles incorporels, tels que des créances mobilières, a été signifié au débiteur de la créance donnée en gage (C. Nap., art. 2075).

La Cour de Montpellier disait en conséquence avec vérité « Qu'il résulte des dispositions formelles de l'art. 2075, C. Nap., que le privilége ne s'établit que par un acte public ou privé, enregistré, signifié au débiteur ; que, dès lors, la signification est une formalité substantielle de l'acte, sans laquelle il n'y a pas de privilége; jusque-là, l'acte de nantissement est demeuré incomplet, ou plutôt, il n'a pas eu d'existence légale » (3).

Ces principes ont été formellement consacrés par la Cour de

(1) Bédarride, n. 114 et s.

(2) Bordeaux, 16 nov. 1841; Dalloz, Rép., n. 291.

(3) Montpellier, 13 janv. 1845 (S. V.45.2.403),

cassation, quoique l'arrêt de la Cour de Montpellier, que nous venons de citer, ait été cassé; il est certain que la Cour de cassation a repoussé le système plaidé devant elle, et d'après lequel il importerait peu que la notification nécessaire pour donner effet au contrat de gage à l'égard des tiers ait eu lieų postérieurement à la cessation des paiements ou dans les dix jours qui ont précédé cette date; « En droit, porte l'arrêt de la Cour de cassation, aux termes de l'art. 2075, C. Nap., lorsqu'il s'agit de meubles incorporels ou de créances mobilières, le privilége ne s'établit sur le nantissement que par la signification de l'acle au débiteur de la créance donnée en gage, » Ce point est désormais admis; mais il ne faut pas oublier ce que nous avons dit tout à l'heure (suprà, n. 1690), que l'art. 446 n'annule les droits résultant du nantissement constitué depuis la date de la cessation des paiements et dans les dix jours qui l'ont précédée, comme les droits résultant de toute hypothèque conventionnelle ou judiciaire, ou d'antichrèse, que lorsqu'ils ont été accordés par le débiteur pour detles antérieurement contractées à la constitution même de la garantie accessoire; et, dans l'espèce soumise à la Cour de cassation et jugée par la Cour de Montpellier, il ne s'agissait pas d'un nantissement constitué pour une dette antérieurement contractée ; mais bien d'un nantissement constitué en même temps que la dette et comme condition du prêt : « Attendu, dit l'arrêt de la Cour de cassation, que le nantissement dont il s'agit a été contracté en même temps que la dette, et par le même acte, deux ans avant le jour auquel la cessation de paiements par le failli a été fixée, et qu'il n'a pas, dès lors, le caractère d'un privilége consenti, ou d'une préférence accordée à une créance qui, dans le principe, aurait été privée de cette garantie, seul cas auquel s'applique la disposition finale de l'art. 446, C. comm. » L'arrêt de la Cour de Montpellier, qui avait laissé de côté cette circonstance essentielle, devait donc être cassé, comme il l'a été en effet (1). Un nouveau pourvoi ayant été formé dans la même affaire, la Cour de cassa

(1) Cass,, 4 janv. 1847 (S.V.47,1,161), 4° espèce,

tion a maintenu sa jurisprudence, et par les mêmes motifs (1). Les règles sont donc faciles à établir; 1o si le nantissement a été constitué et signifié avant les dix jours qui ont précédé la date de la cessation de paiements, l'art. 446 ne peut pas être invoqué; 2° s'il a été signifié depuis la date de la cessation de paiements ou dans les dix jours qui l'ont précédée, l'acte sera nul s'il s'applique à une dette antérieurement contractée; l'acte sera valable si le nantissement a été constitué en même temps que la dette était contractée; 3° si la signification a été faite après que le jugement déclaratif a été rendu, le nantissement est nul dans tous les cas. C'est dans ce sens, et selon ces distinctions, que doit être entendu ce que nous avons dit sous l'art. 95 ci-dessus (suprà, n. 457), où la question n'avait pu être expliquée avec toute l'étendue qu'elle exige.

S'il s'agit du nantissement d'une chose corporelle, aucune difficulté ne semble possible, puisque le contrat est parfait par l'acte qui le constitue, accompagné de la tradition réelle de la chose donnée en nantissement.

1694. Une difficulté analogue se présentera pour le transport de créance dont il est question dans le deuxième paragraphe de l'art. 446.

«< Dans le transport d'une créance, dit l'art. 1689, C. Nap., << d'un droit ou d'une action sur un tiers, la délivrance s'o« père entre le cédant et le cessionnaire par la remise du titre. >> L'art. 1690 ajoute : « Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des « tiers que par la signification du transport faite au débiteur. « Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par « l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte «<authentique. » La masse ayant une double qualité et représentant le failli cédant en même temps qu'en qualité de créancière, elle doit conserver la qualité de tiers, on peut hésiter à décider si c'est l'art. 1689 ou l'art. 1690 qui lui est applicable.

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(4) Cass., 19 juin 1848 (S.V.48.1.465), et la note de M. Devilleneuve. Contra, Troplong, Nantissement, n. 276 et s.; Massé, t. 6, n. 518.- M. Troplong repousse toute distinction entre le cas où le nantissement est donné pour une dette antérieurement contractée et le cas où la dette n'a été contractée que sous la sauvegarde du gage.

Nous pensons que la masse ne peut jamais être considérée comme représentant, contre son intérêt même, le failli, son débiteur. Dans la réalité des faits, si les créanciers exercent les droits de leur débiteur, ils n'en sont pas moins des tiers; mais la question est controversée.

1695. « L'art. 446, C. comm. modifié, dit un arrêt de la Cour de cassation, se borne à déclarer nuls relativement à la masse, lorsqu'ils ont été faits par le débiteur depuis l'époque déterminée par le tribunal comme étant celle de la cessation de ses paiements ou dans les dix jours qui ont précédé cette époque, notamment tous les paiements, soit en espèces, soit par transport ou autrement pour dettes non échues, tous paiements faits autrement qu'en espèces ou effets de commerce; il suit de ces dispositions que les actes de transport pour dettes nouvellement contractées ne sont pas frappées de la même nullité, quoique faits depuis l'époque déterminée pour la cessation des paiements, ou dans les dix jours qui ont précédé cette époque » (1).

Dans toute autre circonstance que celle qui est relevée par l'arrêt que nous venons de citer, et lorsque les actes de transport ne sont pas la condition et la sauvegarde d'une dette nouvellement créée, ils sont nuls s'ils n'ont été signifiés que depuis la cessation de paiements ou dans les dix jours qui l'ont précédée : « Attendu, dit la Cour de cassation, qu'aux termes de l'art. 1690, C. Nap., les transports de créances ne sont valables qu'autant qu'ils ont été signifiés aux débiteurs des créances cédées; que le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers, que par cette signification, ce qui s'induit encore de l'art. 1691, lequel déclare valablement libéré le débiteur qui a payé le cédant avant qu'elle lui ait été faite; attendu que l'art. 446 de la loi du 28 mai 1838 sur les faillites déclare nuls relativement à la masse tous paiements, soit en espèces, soit par transports pour dettes non échues, parce que les actes établissant les paiements ou nantissements ont été faits par le débiteur depuis l'époque déterminée par le tribunal comme étant celle de la cessation de ses paiements, ou dans les dix

(4) Cass., 4 janv. 1847 (S.V.47.1.161), 3 espèce.

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