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neur à ses engagements, des ressources immédiates, il aurait cessé ses paiements » (1).

1658. Il semblait, qu'en pratique au moins, le cas ne pourrait se présenter où la faillite d'un commerçant serait poursuivie par son unique créancier; le contraire est arrivé, et les tribunaux ont dû décider que l'art. 437 était applicable dans ce cas: « Attendu, en droit, a dit la Cour de Rouen, que tout commerçant qui cesse ses paiements est en état de faillite; que l'état de faillite ne résulte donc pas du nombre de ses créanciers, mais bien de la situation réelle du commerçant débiteur ; attendu que lorsque la cessation de paiements est absolue et complète, tout créancier a le droit de provoquer la déclaration de la faillite de son débiteur commerçant, et que l'exercice de ce droit ne peut être paralysé par le fait, presque impossible d'ailleurs à vérifier, que le poursuivant serait l'unique créancier du débiteur; qu'en effet, la loi qui fait dépendre l'état de faillite de la seule cessation de paiements est générale, absolue, et ne peut être éludée par une circonstance accidentelle, qui, d'après le texte, comme d'après l'esprit de la loi, n'altère pas le caractère de le faillite; que si quelques-unes des formalités indiquées par la loi ne peuvent alors être observées, ces formalités ne sont pas constitutives de la faillite, et leur absence n'en détruit pas la base essentielle, la cessation de paiements » (2). Les auteurs qui ont examiné cette question approuvent tous cette doctrine, et l'on comprend aisément l'intérêt pour le créancier, même unique, à enlever à son débiteur la libre administration de ses biens, et à les mettre, ainsi que sa personne, sous la main de la justice et les liens d'une loi spéciale et protectrice.

1659. La Cour de cassation a eu occasion de faire une nouvelle application en sens inverse de cette règle, que l'intérêt est la mesure des actions, dans une espèce dont son arrêt fait suffisamment connaître les circonstances « attendu, a-t-elle dit,..... que tous les créanciers, excepté les deux demandeurs en cassation, se sont déclarés désintéressés et satisfaits, offrant

(1) Manuel de Droit comm. p. 517.

(2) Rouen, 22 mai 1842 (S,V.42.2.388).—Sič, Cass., 7 juill. 1841 (S.V.41.1. 570), et 6 déc. 1841 (S. V.42.1.77). .

auxdits demandeurs de les payer intégralement, sans que ces offres aient été contredites; et que dans ces circonstances, la Cour impériale a pu d'autant plus se refuser à prononcer la faillite du débiteur, qu'elle reconnaissait en fait, que les deux créanciers dissidents ont agi non par l'intérêt légitime, qui est la mesure des actions, mais par mauvais vouloir » (1). Dans tous les cas, celui qui poursuit la déclaration de faillite doit donc justifier de son intérêt, mais cette condition suffit.

1640. Les faits ont fait naître un état intermédiaire différent de la faillite, lorsqu'on peut croire qu'il n'y aura pas cessation mais suspension de paiements: la distinction serait un peu subtile, s'il avait fallu la faire passer dans la loi, ainsi que cela a été demandé à diverses reprises : «On a quelquefois, disait M. Renouard dans son rapport à la Chambre des députés, réclamé la création légale d'une situation intermédiaire entre la solvabilité et la faillite, et dont la destination serait d'offrir des garanties et des règles pour les simples suspensions de paiements et pour les contrats d'atermoiement qui peuvent en être la suite. Il nous a paru que toute disposition de ce genre est inadmissible. Si tous les créanciers d'un commerçant, dont les paiements se trouvent arrêtés, sont unanimes pour lui accorder du temps, l'intervention de la loi devient inutile; il n'y aura pas de poursuites; qui a terme ne doit rien. Aussi, n'est-ce pas pour ce cas que l'on désire le secours de la loi, mais pour celui où les créanciers ne s'accorderont pas tous à consentir des délais à leur débiteur. » Et, dans ce cas, M. Renouard n'a pas de peine à prouver qu'il en faudra revenir à toutes les mesures mêmes qui ont lieu en cas de faillite, sauf à recommencer ces opérations et les dépenses qu'elles entraînent, quand de nouvelles poursuites amèneraient la faillite judiciaire. Toute disposition relative à cet état, qu'on appelle dans, la pratique suspension de paiements, a donc été écartée de la loi nouvelle, comme elle l'avait été de l'ancienne rédaction, et est restée sous l'empire du droit commun qui veut l'unanimité des créanciers pour mettre le débiteur à l'abri de poursuites. Aucune décision de la majorité ne pourrait lier la minorité;

(1) Cass,, 21 mars 1855 (J.P.56.2.210).

mais, dans ce cas, il est évident que les créanciers, dont les créances ne sont pas échues encore, seraient sans droit pour s'opposer à l'atermoiement, sauf à agir au moment de l'exigibilité, s'ils n'étaient pas satisfaits.

1641. La loi nouvelle a tranché par l'art. 437, une question qui, agitée au conseil d'État sans y être résolue (1), était restée un sujet de très-vives controverses; et la faillite d'un commerçant pourra être déclarée après son décès, lorsqu'il est mort en état de cessation de paiements.

Ces derniers mots donnèrent lieu, dans la Chambre des députés, à une discussion très-animée; le retranchement en fut proposé, par le motif que, dans le cas où il y a insolvabilité réelle, il importe peu que le décès ait en effet précédé ou suivi l'état de cessation de paiements; c'était même, a-t-on dit, donner une prime d'encouragement au suicide, puisque le négociant insolvable était certain d'épargner par ce moyen à sa mémoire et à ses enfants, le blâme qui s'attache toujours à l'état de faillite. Des considérations plus puissantes firent maintenir la disposition attaquée (2). « Il a semblé à M. Duvergier (t. 58, p. 365), résulter de cette discussion, dit M. Dalloz, que dans l'intention du législateur, l'on ne peut déclarer la faillite du négociant, qui, à la veille de faillir, s'est donné la mort. Il nous parait qu'on doit adopter l'opinion contraire » (3). Le résultat de la discussion nous semble avoir clairement repoussé cette dernière interprétation, et si M. Renouard a cru inutile de se prononcer plus catégoriquement, c'est qu'il a pensé que le doute n'était pas possible après l'analyse qu'il avait donnée des débats. Il est de toute nécessité, pour que la faillite puisse être déclarée, que la cessation de paiements se soit réalisée avant le décès (4).

Quant à l'état de cessation de paiements, les règles pour apprécier s'il existe en fait seront les mêmes, que le commerçant à qui il est imputé soit encore en vie ou décédé. Les Cours

(1) Procès-verbaux, 26 fév. 1807; Locré, t. 19, p. 75.

(2) Séance du 27 mars 1838.

(3) Rép., vo Faillite, n. 59; Lainné, p. 17.

(4) Renouard, t. 1er, p. 246 et s.; St-Nexent, t. 2, n. 199; Esnault, t. 1er, n. 87; Bedarride, n. 22.

de Colmar et de Paris ont paru décider qu'il pouvait exister, même en l'absence de tout protêt ou acte judiciaire (1); mais cette interprétation nous paraît contraire à l'esprit et au texte même de l'art. 457, tel que nous venons de le faire connaître; le législateur a voulu distinguer l'insolvabilité de la cessation et de paiements; nous croyons avec la Cour d'Orléans, qu'un négociant ne peut être mis en faillite, qu'autant que la preuve est rapportée que ce commerçant n'a pas satisfait à des engagements échus et pour lesquels des poursuites avaient été exercées avant sa mort (2).

Toutefois, en pareille matière, comme il est incontestable qu'il s'agit d'un fait à apprécier, il peut y avoir mal jugé; mais sans doute le pourvoi en cassation ne pourrait être admis.

Peu importerait, du reste, que la succession eût été acceptée sous bénéfice d'inventaire (3).

1642. La déclaration de faillite d'un commerçant décédé ne peut être demandée aux tribunaux que dans l'année qui suivra son décès; ce délai expiré, quand même la preuve serait faite qu'il était avant sa mort en état de cessation de paiements, la déclaration de faillite ne peut plus être prononcée (4).

Le jugement même qui déclare la faillite, doit être rendu dans l'année, si le tribunal agit d'office; mais si la faillite est prononcée à la requête d'un créancier, il suffit que la demande ait été formée dans l'année et le jugement peut être rendu après l'expiration de ce délai (5).

1645. La faillite ne peut être déclarée que contre un commerçant et lorsqu'il a cessé ses paiements; le concours de ces deux conditions est indispensable.

Pour apprécier si la qualité de commerçant appartient à la personne qui a cessé ses paiements, il faut se reporter aux règles que nous avons données sous l'art. 1" (suprà, n. 1 et s.). L'état d'insolvabilité du débiteur non commerçant est régi par la loi civile et a reçu le nom de déconfiture.

(4) Colmar, 30 août 1838; Paris, 10 déc. 1839; Dalloz, Rép., n. 59.

(2) Orléans, 19 avril 1844; Dalloz, Rép., n. 59.

(3) Paris, 10 déc. 1839; Dalloz, Rép., n. 59; Pardessus, n. 1108.

(4) Douai, 15 avril 1840; Dalloz, Rép., n. 61.

(5) Renouard, t. 1er, p. 250; Bravard-Veyrières, p. 518,

S'il est vrai que la juridiction spéciale des tribunaux de commerce soit seule compétente pour déclarer l'ouverture de la faillite et en fixer l'époque, la jurisprudence a décidé, soit que cette formalité ait été ou non remplie, qu'il appartient aux tribunaux civils investis de la plénitude de juridiction, de reconnaître, en jugeant les procès qui leur sont soumis, si les faits signalés par la loi comme caractéristiques de l'état de faillite, c'est-à-dire la qualité de commerçant et la cessation de paiements ont existé et d'en appliquer les effets légaux, s'il y a lieu, aux contestations qui s'agitent devant eux.

Cette doctrine a été vivement combattue par M. Massé et MM. Delamarre et Lepoitvin (1), et peut, sans doute, quelquefois présenter des inconvénients réels. Mais si l'on refuse ce pouvoir aux tribunaux civils, on ne peut l'accorder aux tribunaux de répression; il n'est pas plus possible, en effet, d'être coupable de banqueroute qu'en état de cessation de paiements, si l'on n'est négociant et failli, et il faudra subordonner l'action publique à la déclaration de faillite prononcée par les tribunaux de commerce.

La jurisprudence et tous les auteurs, si l'on excepte ceux que nous venons de nommer, pensent, par suite, que les tribunaux civils, comme les tribunaux de répression, sont compétents pour décider si un individu est commerçant et failli, et appliquer les conséquences légales de l'état de faillite aux litiges dont ils se trouvent régulièrement saisis (2); mais ces autorités s'accordent aussi pour décider que les tribunaux civils ne peuvent déclarer la faillite que sous les mêmes conditions que les tribunaux de commerce, et n'ont plus le droit, par exemple, même incidemment, de la rechercher et de la constater, lorsqu'un an s'est écoulé depuis le décès. En outre, en dehors de ces questions spéciales, au jugement déclaratif seul sont attachés les effets généraux de l'état de faillite, et le tribunal de commerce est seul compétent pour constituer la faillite, conformément aux règles tracées par le Code de commerce.

(1) Massé, t. 3, n. 215; Delamarre et Lepoitvin, t. 5, n, 59 et s., et n. 68 et s. (2) Cass., 23 avril 1841 (S. V.42.1.243); 8 août 1848 (S.V.48.1.600); 9 août 1851 (S.V.52.1,281), et 4 décembre 1854 (J.P.55.2.45). Sic, Caen, 15 mai 1854(S.V.54.2.699).

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