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persuader à Sa Majesté Impériale que j'étais mal porté pour Elle, moi qui suis son fils et qui tient tout de l'Empereur. Je crus d'abord, Monseigneur, que cette observation tombait directement sur la légation française; mais Sa Majesté se hâta d'ajouter: « Je ne veux plus de M. Jollivet. J'ai demandé à Sa Majesté Impériale de le rappeler. On a surpris, il y a quelques jours, un huissier qui fouillait dans mes papiers et dans ce même secrétaire que vous voyez là. Mais, ai-je dit aussitôt, Votre Majesté est-elle bien sûre que cet huissier était gagné par M. Jollivet? » Le Roi, sans rien dire, ajouta : « L'Empereur m'a renvoyé de Stuttgard mon courrier sans me répondre. Vous en avez également reçu un, Monsieur; ne vous a-t-on rien communiqué touchant ma demande ? — Rien, Sire, ai-je dit, qui y ait rapport. »

« Je vous avoue, Monseigneur, que j'ai quelque peine à croire que M. le comte Jollivet ait pu se porter à une pareille action. Outre qu'elle sort des règles et des bornes du dévouement que tout sujet doit à son souverain, elle est au-dessus de ce que je connais de force et de hardiesse à M. Jollivet. Au moins cette affaire n'a-t-elle point transpiré dans le public, comme il arrive dans des circonstances aussi graves, et comme cela a eu lieu dans la ridicule affaire de M. Bercagny avec M. de Bulow. M. Jollivet lui-même n'en sait rien, et mon devoir ne m'oblige pas à lui en rien dire. Je ne serais donc pas éloigné de croire que quelques personnes qui soupçonnent l'éloignement du Roi pour M. le comte Jollivet, auraient cherché à le décrier dans son esprit.

« Le Roi m'a dit ensuite qu'il avait demandé à Sa Majesté Impériale la permission d'aller la voir, et que M. Cousin de Marainville avait été envoyé à Paris à eet effet; que, s'il l'obtenait, son absence ne durerait que peu de temps; qu'il souhaitait vivement que Sa Majesté Impériale ne s'y opposât point; qu'il ne pouvait plus douter qu'on ne fût parvenu à lui faire perdre l'affection de Sa Majesté Impériale, et qu'il regardait ce voyage comme le seul moyen qui lui restât de la regagner; qu'il espérait que quand Sa Majesté Impériale l'aurait vu, Elle se convaincrait qu'il méritait encore toute la tendresse qu'Elle lui avait témoignée dans des temps plus heureux, et qu'après tout il puiserait dans ses conseils et dans ses exemples des leçons nouvelles pour sa conduite à venir.

« Ce qui a le plus dominé, Monseigneur, dans cet entretien, c'est un sentiment de découragement mêlé de tristesse dont le Roi m'a paru profondément pénétré. Il est certain que l'idée d'avoir perdu l'affection de S. M. 1. lui est fort pénible. D'autres chagrins se mêlent à celui-là. M. de Furtenstein me disait avant-hier, qu'à l'occasion du rappel du général Gratien, le Roi de Hollande avait écrit à son frère une lettre dure et non méritée, à laquelle le Roi de Westphalie avait répondu par les assurances et les témoignages de la plus tendre amitié; mais qu'il paraissait que le Roi de Hollande en avait été peu touché, puisqu'il venait de rappeler son ministre, quoique M. le chevalier de Huygens eût toujours été traité avec les égards et les distinctions dus à un ministre de famille. Quoi qu'il en soit, Sa Majesté a voulu

montrer à l'occasion du départ de M. de Huygens, qu'Elle n'avait ou ne conservait aucun ressentiment. A l'audience de congé qu'Elle a donnée à ce ministre, avant-hier, Elle a paru très-émue et en lui remettant une boîte enrichie de diamants avec une lettre, Elle l'a chargé d'assurer le Roi, son auguste frère, du prix qu'Elle mettait à vivre avec lui dans la plus étroite intelligence. Elle a exprimé particulièrement à M. de Huygens tout le regret qu'Elle avait de le voir partir en effet, M. de Huygens s'est toujours conduit avec une prudence admirable, et il a mis tous ses soins à maintenir la bonne harmonie et à adoucir tout ce qui était propre à la rompre.

« Il s'est passé avant-hier, au conseil privé des ministres, une scène dont il est de mon devoir de rendre compte à Votre Excellence.

Elle se rappellera que dans le compte des sommes dont M. Reinhard lui a mandé que le Roi avait grossi la Liste civile, se trouve spécifiée celle de 600,000 francs que le Roi s'est adjugée en dédommagement d'autres domaines à lui appartenant, dont S. M. I. s'était emparée, ainsi que cela paraît vrai : avant-hier, le Roi reprocha hautement à M. de Bulow l'éclat qu'il avait fait à propos de cette légitime indemnité. Il lui dit qu'au lieu de se borner à lui faire des représentations à lui-même, lui (M. de Bulow) en avait parlé à tous les ministres, comme pour les ameuter contre lui. Les mots, dit-on, furent durs et le ton amer. M. de Bulow répondit tout ce que des motifs puisés dans une bonne intention ou dans la règle de ses devoirs, comme ministre responsable,

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pouvait lui suggérer. La chose en demeura là; mais hier matin, le Roi a renvoyé, me dit M. Siméon, le décret par lequel il s'était adjugé ces 600,000 francs, et cette somme entrera désormais dans les revenus de l'État. Cette restitution fait d'autant plus d'honneur au Roi, qu'à la rigueur il pouvait se prévaloir d'une sorte d'autorisation écrite de S. M. I. qui lui alloue un dédommagement pour la portion de domaines enlevée originairement à sa Liste civile.

« La plus sérieuse affaire qui occupe dans ce moment, c'est la prochaine tenue des États. La salle est sur le point d'être terminée, et déjà la statue de S. M. I. et R. y est placée. M. Bercagny m'a dit hier qu'il croyait qu'on s'occupait très-peu de s'assurer des dispositions des États; il paraît que le Roi désirerait que tous les membres fussent en costume, pour donner à cette cérémonie l'éclat et la pompe qu'elle doit avoir. C'est dans cette vue que, connaissant l'esprit d'économie qui règne dans ce pays, il a pris sur lui de faire faire tous les habits. Cette dépense, qui est tout entière à la charge de Sa Majesté, s'élève à cent vingt mille livres, mais M. Bercagny croit que les membres ne voudront pas porter ces costumes, et que les nobles et seigneurs, encore pleins de morgue, se croiraient humiliés de voir leurs baillis et leurs vassaux revêtus des mêmes habits qu'ils porteraient eux-mêmes.

« Le voyage de M. de Marainville ne paraît pas avoir seulement pour objet la permission que le Roi désire obtenir d'aller à Paris: on assure que M. de Marainville est aussi chargé d'offrir à S. M. I. et R. le grand

cordon d'un ordre qu'il serait question de créer en Westphalie. Tout ce qui a rapport à cette nouvelle dignité, dont la création est entièrement subordonnée à la réponse de S. M. I. et R., a été tenu fort secret. Il m'a été assuré que la croix était une sorte d'étoile. Il y aura six grands-cordons, vingt ou vingtquatre commandeurs, et deux cents chevaliers. Les chevaliers recevront une pension de 250 francs, les commandeurs rien, j'ignore absolument le reste.

Hier un Te Deum a été chanté dans l'église catholique pour célébrer l'heureux événement de la paix. Toute la Cour y a assisté, ainsi que les ministres étrangers. La chapelle n'ayant pas de dais sous lequel le Roi pût être reçu, S. M. n'a pu y assister. Après le Te Deum, il y a eu grande revue, le soir, illumination générale, et Leurs Majestés ont paru en grande loge au théâtre, où Elles ont été reçues au milieu des applaudissements et de la joie générale, qu'inspirait un si heureux événement.

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Des ordres viennent d'être donnés pour le prochain passage du Roi de Saxe qui se rend à Paris. »

Lefebvre au

comte de Cham

novembre 1809.

« Avant-hier au soir, un courrier étant arrivé de Paris à Sa Majesté Westphalienne, M. le comte de Fur- pagny. Cassel, 3 tenstein, chez qui je me trouvais alors, fut appelé en toute hâte. Dans la nuit, les voitures de voyage furent commandées avec beaucoup de secret, et hier à neuf heures du soir, Sa Majesté s'est mise en route pour Paris. Elle n'est accompagnée que de quatre personnes, M. de Furtenstein, M. de Papenheim, pre-. mier chambellan; M. de Zurwesten, aide de camp, et

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