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Beaucoup de ses condisciples et de ses contemporains lui survivent; aucun d'eux ne démentira ce témoignage : Qui vidit testimonium perhibet et scit quia vera dicit1. Eu se donnant à l'Église, Henri Lacordaire apportait à Dieu une âme ardente, mais des mœurs pures, une jeunesse austère et un coeur vierge.

Sa résolution prise, il lui restait à obtenir le consentement maternel. Henri le sollicita vers la fin de mars 2. Madame Lacordaire avait fondé sur son second fils d'autres espérances. Elle ne manquait pas d'ambition pour ce fils, qui était depuis longtemps l'orgueil de tous les siens elle avait rêvé pour Henri la simarre de Daguesseau; elle comptait sur lui pour l'honneur et pour la douceur de ses vieux jours; elle redoutait de le voir porter l'Évangile dans des contrées où elle ne pourrait le suivre. Peu préparée à la pensée de le voir quitter le monde, elle eut d'autant plus de peine à s'y résigner d'abord qu'elle se croyait autorisée davantage à se défier d'une vocation qui semblait si soudaine et si insuffisamment prouvée. Elle lui écrivit six lettres, où respire le combat entre la joie de la conversion de son Augustin et la tristesse de le perdre. Mais enfin, par-dessus tout, elle était chrétienne, courageuse et forte; craignant de résister à l'appel de la Providence, elle se rendit, au bout de cinq semaines, aux vœux de son fils 3.

Evangile de saint Jean, xix, 35.
Lettre à M. Foisset, du 2 mai 1824.

3 Dans la Notice, le Père présente la résistance de sa mère comme postérieure à sa démarche à l'archevêché. En ce point, sa mémoire l'a trompé en 1861, comme le prouve péremptoirement cette phrase de la

LACORDAIRE. I.

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Cependant celui-ci avait fait part à M. Guillemin de son désir d'entrer au séminaire de Saint-Sulpice et d'y obtenir une demi-bourse pour alléger autant qu'il était en lui les charges de cette mère, qui avait fait jusquelà pour lui, en pure perte, semblait-il, de si grands sacrifices. M. Guillemin le conduisit à l'un des grands-vicaires de l'archevêque de Paris, M. Borderies, depuis évêque de Versailles, homme d'aimable et sainte mémoire. Ce dernier, raconte M. Guillemin, après avoir pris le jeune Lacordaire à part, sans doute pour un examen plus complet, le ramena « avec cette joie du bon pasteur qui rayonne au milieu des larmes 1. » M. Borderies était logé à l'archevêché, dans ce magnifique palais si sauvagement détruit, sous les yeux de la garde nationale en armes, le 13 février 1831. Il introduisit immédiatement Lacordaire auprès de l'archevêque, M. de Quélen. Le prélat reçut le jeune néophyte avec bonté et avec grace. <<< Il me demanda, dit le P. Lacordaire, quel était mon diocèse, et si c'était bien ma volonté de m'agréger au sien. Sur ma réponse affirmative, il me dit qu'il en écrirait à l'évêque de Dijon, en m'invitant à le faire de mon côté. Puis il ajouta : « Vous défendiez au barreau des causes « d'un intérêt périssable; vous allez en défendre une << dont la justice est éternelle. Vous la verrez bien diver

lettre par lui écrite à M. Foisset le 2 mai 1824 : « J'ai instruit ma mère de mon projet sur la fin de mars. » J'ai d'ailleurs sous les yeux la lettre de madame Lacordaire à son fils, du 31 mars 1824, en réponse à la première confidence de sa vocation. Seulement, ne doutant pas de l'assentiment final de sa mère, il écrivit à l'évèché de Dijon avant de l'avoir définitivement obtenu.

Souvenir du Ciel, par M. Guillemin, p. 253.

<< sement jugée parmi les hommes; mais il y a là-haut << un tribunal de cassation où nous la gagnerons définiti<< vement 1»

L'archevêque de Paris ne pouvait faire les frais de l'éducation ecclésiastique d'un jeune homme destiné à un autre diocèse. Donc, avant de congédier Lacordaire, M. Borderies, sans perdre un seul instant, lui fit écrire, sous sa dictée, dans les termes les plus simples, une supplique à l'évêque de Dijon pour solliciter son excorporation, sur ce motif, que le signataire, né à Recey-surOurce, obtenait « des bontés de Mgr l'archevêque de Paris une demi-bourse au séminaire de Saint-Sulpice 2. » Cette démarche allait de soi. On ignore ce que l'archevêque de Paris avait ajouté de sa main à l'appui de la requête; mais il est permis de présumer qu'il écrivit de manière à en assurer le succès, qui, du reste, ne se fit point attendre. M. de Quélen jouissait dès lors de la plus haute autorité morale au sein de l'Église de France. L'évêque de Dijon, M. de Boisville, heureux d'avoir cette occasion d'être agréable à l'archevêque, envoya l'exeat sans prendre aucune information. Le Prélat, qui n'avait pris possession de son diocèse qu'après le départ d'Henri, et qui vivait d'ailleurs au milieu de nous dans une atmosphère toute patricienne, n'avait point entendu prononcer autour de lui le nom de Lacordaire il ne douta pas un instant qu'il ne s'agit d'un clerc obscur, né dans un coin reculé de son diocèse, mais élevé à Paris aux

:

I NOTICE.

Souvenir du Ciel, p. 253.

dépens de la charité archiepiscopale. « Que voulez-vous? disait-il, en s'excusant, plus tard: il m'avait écrit une lettre où il ne manquait que les fautes d'orthographe; je l'avais pris pour le plus grand nigaud de mon diocèse 1. »

1

<< Il en avait le droit, disait en riant le P. Lacordaire à l'Institut de Sorèze figurez-vous que j'avais commencé ma lettre par un participe présent. »

CHAPITRE II

PREMIÈRES ANNÉES DE SACERDOCE

Le Séminaire. - Premiers indices de vocation monastique: velléité de se faire jesuite. Ordination sacerdotale et refus d'une place d'auditeur de Rote à Rome. Projet d'émigrer aux Etats-Unis. Esprit du clergé français sous la Restauration.

Le 12 mai 1824, vingt-deuxième anniversaire de la naissance d'Henri Lacordaire, M. Gerbet, mort évêque de Perpignan, et M. de Salinis, décédé archevêque d'Auch, le conduisaient à Issy, succursale du Grand Séminaire de Paris, dirigée, comme le Grand Séminaire même, par la Compagnie de Saint-Sulpice. On l'y reçut froidement, peut-être pour éprouver sa vocation, peutêtre aussi à cause de ses deux introducteurs, notoirement attachés à l'abbé F. de la Mennais, dont les Sulpiciens ne goûtaient nullement, comme on sait, ni les idées philosophiques, ni les exagérations politiques et religieuses 1.

NOTICE. - On a vu, p. 57, les relations de Lacordaire avec M. Gerbet. M. de Salinis, inséparable de ce dernier, s'était trouvé naturellement en tiers dans ces relations. Ils offrirent à Lacordaire de le présenter à leurs anciens maitres, et il accepta.

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