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plantées avec tant d'éclat sous la Restauration, furent partout renversées; Saint-Germain-l'Auxerrois fut saccagé, l'archevêché de Paris fut démoli par des sauvages. sous le regard impassible de la garde nationale en armes. Est-ce que ces excès eussent été possibles en 1814, à la chute de l'oppresseur de Pie VII? Est-ce qu'ils vinrent à l'esprit de qui que ce soit en 1848, à la disparition d'un gouvernement notoirement peu favorable à l'Église? Après 1830, il fallut attendre trois ans pour que l'habit ecclésiastique pût reparaître dans les rues de Paris; en 1848, il ne s'est pas caché un seul jour. Ce ne sont pas là des théories, ce sont des faits, et ils sont éclatants comme le soleil, ils sont péremptoires.

Sous la Restauration, bien des catholiques avaient déjà conscience de l'illusion que se faisaient la plupart des évêques de France sur la force qu'apportait à la Religion la protection du Roi, comme on disait alors. Mais ces catholiques n'étaient point écoutés. Et cela se comprend; l'expérience n'avait point encore prononcé. L'Église de France, malheureusement, avait, elle aussi, ses émigrés.

C'étaient ceux des évêques nommés par Louis XVI, qui n'étaient rentrés en France qu'avec Louis XVIII. Par une double susceptibilité (monarchique et gallicane), ces évêques avaient refusé au Pape de se démettre de leurs siéges, et ils avaient protesté contre le Concordat de 1801, qui les réputait démissionnaires. Leur insigne fidélité à la maison de Bourbon faisait d'eux, en matière de religion, les conseillers naturels de la monarchie restaurée.

Ils l'entraînèrent tout d'abord dans une voie malheu

reuse, dans une laborieuse et confuse négociation avec le Saint-Siége pour obtenir la mise à néant du grand acte de 1801. A leur sens, rien de ce qui avait été fait en France en l'absence du roi légitime ne devait subsister après son retour. Pie VII résista longtemps; il lui répu– gnait, on le conçoit, d'annuler lui-même l'acte culminant de son pontificat. Toutefois il finit par signer, en 1817, le rétablissement du concordat entre Léon X et François Ier. C'était reculer de trois cents ans en arrière, et c'en fut assez pour soulever contre le traité toute la France nouvelle. Le nombre des diocèses se trouvait porté de cinquante à quatre-vingt-douze; il y avait ainsi à doter quarante-deux évêchés de plus. Le concours des Chambres était nécessaire; il fut bientôt évident qu'on ne l'obtiendrait pas. La situation se trouva donc singulièrement fausse le Roi avait solennellement engagé sa parole au Saint-Siége et il ne pouvait la tenir. On finit par tomber d'accord d'un moyen terme : le concordat de 1817 ne fut point abrogé, il fut éludé. Le Pape déclara en consistoire que la convention nouvelle avec la France n'avait pu être exécutée; mais il la prit néanmoins pour base d'un remaniement général de la circonscription des diocèses de France, dont le nombre fut élevé à quatre-vingts.

Il y eut donc dans le royaume trente évêques de plus. L'Église de France pouvait en être comme renouvelée. mais à une condition : c'est que les évêques connaîtraient leur temps et seraient tout à la fois des hommes de gouvernement et des hommes d'apostolat. L'idée n'en vint à personne. On ne songea qu'à décrasser l'épiscopat, c'est-à-dire à faire évêques tout ce qu'il restait de gen

tilshommes ou d'anoblis dans les rangs du sacerdoce1 La plupart des élus étaient des vieillards, en qui le déclin de l'âge n'était guère racheté par aucune autre recommandation que celle de la naissance. Un souffle sénile et sans puissance se répandit ainsi dans l'Église. Partout, les plus stériles souvenirs du passé; l'intelligence du présent, nulle part. Un évêque pieux et éclairé. un peu surfait d'abord par les louanges publiques, mais trop diminué depuis par ceux qui ne l'ont point connu, M. Frayssinous, eut la pensée de ressusciter l'ancienne Sorbonne. « le concile permanent des Gaules. Au dixhuitième siècle, dans la seconde moitié surtout, la Sorbonne était bien déchue : elle s'en allait comme tout l'ancien régime. Mais enfin elle pouvait se relever et grandir. Il y avait place pour toutes les améliorations. C'était quelque chose de fonder à Paris, de nos jours, un centre d'études ecclésiastiques supérieur à celles qui se font communément dans les séminaires. Toutefois la conception de M. Frayssinous, un peu étroite peut-être . n'aboutit point. M. de la Mennais la mit à l'index. comme entachée d'arrière-pensées gallicanes. Molle ment accueillie d'ailleurs par les évêques, elle échoua définitivement devant les prétentions de l'archevêché de Paris.

Or, à l'époque dont je parle, en contraste avec cette vieillesse, avec cette insuffisance sur laquelle il m'a été

Lettre de l'abbé F. de la Mennais à M. Bruté (Paris, 6 août 1817). Le témoignage complaisant de Picot ne saurait prévaloir contre cette lettre tout à fait confidentielle, émanant d'un homme aussi bien informé et alors aussi bon juge.—Il s'agit seulement là des choix de 1817.

pénible d'insister, une séve d'une exubérance inattendue circulait dans les esprits. Sous la double excitation de la paix et de la liberté politique, la jeunesse des écoles enflait ses voiles, elle aspirait avec une ardeur sans limites à de nouveaux rivages, à de nouveaux horizons. Le vieux levain révolutionnaire fermentait chez les uns, l'ardeur de l'inconnu chez les autres. Mais tous sentaient que l'avenir n'était point aux vieillards, et que, tout en restant fidèle à l'Église, qui est de tous les temps, il fallait la distinguer des hommes de l'ancien régime, qui étaient mortels : la vérité demeure, mais les hommes passent, et avec eux le vêtement d'un jour qu'ils ont pu prêter à la vérité.

Voilà dans quelle disposition d'esprit Henri Lacordaire entra au séminaire. Sans doute la situation avait ses dangers, mais elle avait son frein. Quelles que pussent être, dans le jeune avocat qui s'improvisait séminariste, les ardeurs et les hardiesses de l'intelligence, on verra que la docilité du cœur et la piété filiale envers l'Église n'ont pas un instant cessé d'être les plus fortes. Seulement, quand on repasse dans son esprit la conduite de Napoléon I, particulièrement envers l'Église, on n'a pas peine à s'expliquer l'horreur persévérante de Lacordaire pour le despotisme; et lorsqu'on a vu le mal qu'a fait à la Religion, en France, la protection du roi Charles X, on s'étonne moins de l'attitude prise en 1830 par celui qui était appelé de Dieu à fonder, cinq ans après, l'œuvre des Conférences de Notre-Dame de Paris et à rétablir. de ce côté-ci des Alpes, l'ordre de Saint-Dominique

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Jean-Baptiste-Henri Lacordaire naquit à Recey, petit bourg des montagnes de la Bourgogne, assis sur le penchant d'une colline, au bord d'une rivière appeléc l'Ource, qui est un des affluents de la Seine. »

C'était le 12 mai 1802, l'époque même où les églises se rouvraient dans toute la France. Celle de Recey était encore fermée: Henri Lacordaire fut baptisé dans un village voisin, à Lucey, par le desservant du lieu. L'humble prêtre était loin de prévoir ce que devait être un jour cet enfant dans l'Église de Dieu '.

Le berceau des Lacordaire était un village de l'ancien

1 V. l'acte de baptême, Pièces justificatives, N 9.

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