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de la presse périodique en balanceraient les inconvéniens, et que ses excès se neutraliseraient par des exces contraires. Il n'en a pas été ainsi, l'épreuve est décisive, et la question est maintenant jugée dans la conscience publique. -A toutes les époques, en effet, la presse périodique n'a été, et il est, dans sa nature de n'être qu'un instrument de désordre et de sédition.· Que de preuves nombreuses et irrécusables à porter à l'appui de cette vérité ! C'est par l'action violente et non interrompue de la presse que s'expliquent les variations trop subites, trop fréquentes de notre politique intérieure. Elle n'a pas permis qu'il s'établît en France un système régulier et stable de gouvernement, ni qu'on s'occupât avec quelque suite d'introduire dans toutes les branches de l'administration publique les améliorations dont elles sont susceptibles. Tous les ministères depuis 1814, quoique formés sous des influences diverses et soumis à des directions opposées, ont été en butte aux mêmes traits, aux mêmes attaques et au même déchainement de passions. Les sacrifices de tout genre, les concessions de pouvoir, les alliances de parti, rien n'a pu les soustraire à cette commune destinée. Ce rapprochement seul, si fertile en réflexions, suffirait pour assigner à la presse son véritable, son invariable caractère. Elle s'applique, par des efforts soutenus, persévérans, répétés chaque jour, à relâcher tous les liens d'obéissance et de subordination, à user les ressorts de l'autorité publique, à la rabaisser, à l'avilir dans l'opinion des peuples et à lui créer partout des embarras et des résistances.-Son art consiste, non pas à substituer à une trop facile soumission d'esprit une sage liberté d'examen, mais à réduire en problème les vérités les plus positives; non pas à provoquer sur les questions politiques une controverse franche et utile, mais à les présenter sous un faux jour et à les résoudre par des sophismes.-La presse a jeté ainsi le désordre dans les intelligences les plus droites, ébranlé les convictions les plus fermes, et produit, au milieu de la société, une confusion de principes qui se prête aux tentatives les plus funestes. C'est par l'anarchie dans les doctrines qu'elle prélude à l'anarchie dans l'état. Il est digne de remarque, sire, que la presse périodique n'a pas même rempli sa plus essentielle condition, celle de la publicité. Ce qui est étrange, mais ce qui est vrai à dire, c'est qu'il n'y a pas de publicité en France, en prenant ce mot dans sa juste et rigoureuse acception. Dans l'état des choses, les faits, quand ils ne sont pas entièrement supposés, ne par、viennent à la connaissance de plusieurs millions de lecteurs que tronqués, défigurés, mutilés de la manière la plus odieuse. Un épais nuage, élevé par les journaux, dérobe la vérité et intercepte en quelque sorte la lumière entre le gouvernement et les peuples. Les rois vos prédécesseurs, sire, ont toujours aimé à se communiquer à leurs sujets : c'est une satisfaction dont la presse n'a pas voulu que votre majesté pût jouir.—Une licence, qui a franchi toutes les bornes, n'a respecté en effet, même dans les occasions les plus solennelles, ni les volontés expresses du roi, ni les paroles descendues du haut du trône. Les unes ont été méconnues et dénaturées; les autres ont éte l'objet de perfides commentaires ou d'amères dérisions. C'est ainsi que le dernier acte de la puissance royale, la proclamation, a été discrédité dans le public, avant même d'être connu des électeurs.-Ce n'est pas tout. La presse ne tend pas moins qu'à subjuguer la souveraineté et à envahir les pouvoirs de l'état. Organe prétendu de l'opinion publique, elle aspire à diriger les débats des deux chambres, et il est incontestable qu'elle y apporte le poids d'une influence non moins fâcheuse que décisive. Cette domination a pris, surtout depuis deux ou trois ans, dans la chambre des députés, un caractère manifeste d'oppression et de tyrannie. On a vu, dans cet intervalle de temps, les journaux poursuivre de leurs insultes et de leurs outrages les membres

dont le vote leur paraissait incertain ou suspect. Trop souvent, sire, la liberté des délibérations dans cette chambre a succombé sous les coups redoublés de la presse.-On ne peut qualifier en termes moins sévères la conduite des journaux de l'opposition dans des circonstances plus récentes. Après avoir eux-mêmes provoqué une adresse attentatoire aux prérogatives du trône, ils n'ont pas craint d'ériger en principe la réélection des deux cent vingt-un députés dont elle est l'ouvrage. Et cependant votre majesté avait repoussé cette adresse comme offensante; elle avait porté un blâme public sur le refus 'de concours qui y était exprimé; elle avait annoncé sa résolution immuable de défendre les droits de sa couronne, si ouvertement compromis. Les feuilles périodiques n'en ont tenu compte; elles ont pris, au contraire, à tâche de renouveler, de perpétuer et d'aggraver l'offense. Votre majesté décidera si cette attaque téméraire doit rester plus long-temps impunie.— Mais de tous les excès de la presse, le plus grave peut-être nous reste à signaler. Dès les premiers temps de cette expédition dont la gloire jette un éclat si pur et si durable sur la noble couronne de France, la presse en a critiqué avec une violence inouïe les causes, les moyens, les préparatifs, les chances de succès. Insensible à l'honneur national, il n'a pas dépendu d'elle que notre pavillon ne restât flétri des insultes d'un barbare. Indifférente aux grands intérêts de l'humanité, il n'a pas dépendu d'elle que l'Europe ne restât asservie à un esclavage cruel et à des tributs honteux. Ce n'était point assez : par une trahison que nos lois auraient pu atteindre, la presse s'est attachée à publier tous les secrets de l'armement, à porter à la connaissance de l'étranger l'état de nos forces, le dénombrement de nos troupes, celui de nos vaisseaux, l'indication des points de station, les moyens à employer pour dompter l'inconstance des vents et pour aborder la côte. Tout, jusqu'au lieu du débarquement, a été divulgué comme pour ménager à l'ennemi une défense plus assurée. Et, chose sans exemple chez un peuple civilisé, la presse, par de fausses alarmes sur les périls à courir, n'a pas craint de jeter le découragement dans l'armée, et, signalant à sa haine le chef même de l'entreprise, elle a, pour ainsi dire, excité les soldats à lever contre lui l'étendard de la révolte ou à déserter leurs drapeaux ! Voilà ce qu'ont osé faire les organes d'un parti qui se prétend national!-Ce qu'il ose faire chaque jour, dans l'intérieur du royaume, ne va pas moins qu'à disperser les élémens de la paix publique, à dissoudre 1 s liens de la société, et, qu'on ne s'y méprenne point, à faire trembler le sol sous nos pas. Ne craignons pas de révéler ici toute l'étendue de nos maux pour pouvoir mieux apprécier toute l'étendue de nos ressources. Une diffamation systématique, organisée en grand, et dirigée avec une persévérance sans égale, va atteindre, ou de près ou de loin, jusqu'au plus humble des agens du pouvoir. Nul de vos sujets, sire, n'est à l'abri d'un outrage, s'il reçoit de son souverain la moindre maroue de confiance ou de satisfaction. Un vaste réseau, étendu sur la France, enveloppe tous les fonctionnaires publics; constitués en état permanent de prévention, ils semblent en quelque sorte retranchés de la société civile ; on n'épargne que ceux dont la fidélité chancelle; on ne loue que ceux dont la fidélité succombe; les autres sont notés par la faction pour être plus tard sans doute immolés aux vengeances populaires. La presse périodique n'a pas moins d'ardeur à poursuivre de ses traits envenimés la religion et le prêtre. Elle veut, elle voudra toujours déraciner, dans le cœur des peuples, jusqu'au dernier germe des sentimens religieux. Sire, ne doutez pas qu'elle n'y parvienne, en attaquant les fondemens de la foi, en altérant les sources de la morale publique, et en prodiguant à pleines mains la dérision et le mépris aux ministres des autels. Nulle force, il faut l'avouer, n'est capable

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de résister à un dissolvant aussi énergique que la presse. A toutes les époques où elle s'est dégagée de ses entraves, elle a fait irruption, invasion dans l'état. On ne peut qu'être singulièrement frappé de la similitude de ses effets depuis quinze ans, malgré la diversité des circonstances et malgré le changement des hommes qui ont occupé la scène politique. Sa destinée est, en un mot, de recommencer la révolution dont elle proclame hautement les principes. Placée et replacée à plusieurs intervalles sous le joug de la censure, elle n'a autant de fois ressaisi la liberté que pour reprendre son ouvrage interrompu. Afin de le continuer avec plus de succès, elle a trouvé un actif auxiliaire dans la presse départementale qui, mettant aux prises les jalousies et les haines locales, semant l'effroi dans l'ame des hommes timides, harcelant l'autorité par d'interminables tracasseries, a exercé une influence presque décisive sur les élections. Ces derniers effets, sire, sont passagers; mais des effets plus durables se font remarquer dans les mœurs et dans le caractère de la nation. Une polémique ardente, mensongère et passionnée, école de scandale et de licence, y produit des changemens graves et des altérations profondes; elle donne une fausse direction aux esprits, les remplit de préventions et de préjugés, les détourne des études sérieuses, nuit ainsi au progrès des arts et des sciences, excite parmi nous une fermentation toujours croissante, entretient, jusque dans le sein des familles, de funestes dissensions, et pourrait par degrés nous ramener à la barbarie. Contre tant de maux enfantés par la presse périodique, la loi et la justice sont également réduites à confesser leur impuissance.—Il serait superflu de rechercher les causes qui ont atténué la répression et en ont fait insensiblement une arme inutile dans la main du pouvoir. Il nous suffit d'interroger l'expérience et de constater l'état présent des choses. - Les mœurs judiciaires se prêtent difficilement à une répression efficace. Cette vérité d'observation avait depuis long-temps frappé de bons esprits; elle a acquis nouvellement un caractère plus marqué d'évidence. Pour satisfaire aux besoins qui l'ont fait instituer, la répression aurait dû être prompte et forte; elle est restée lente, faible et à peu près nulle. Lorsqu'elle intervient, le dommage est commis; loin de le réparer, la punition y ajoute le scandale du débat. La poursuite juridique se lasse, la séditieuse presse ne se lasse jamais. L'une s'arrête, parce qu'il y a trop à sévir, l'autre multiplie ses forces en multipliant ses délits. Dans des circonstances diverses, la poursuite a eu ses périodes d'activité ou de relâchement. Mais zèle ou tiédeur de la part du ministère public, qu'importe à la presse? Elle cherche dans le redoublement de ses excès la garantie de leur impunité. --- L’insuffisance ou plutôt l'inutilité des précautions établies dans les lois en vigueur, est démontrée par les faits. Ce qui est également démontré par les faits c'est que la sûreté publique est compromise par la licence de la presse. Il est temps, il est plus que temps d'en arrêter les ravages. Entendez, sire, ce cri prolongé d'indignation et d'effroi qui part de tous les points de votre royaume. Les hommes paisibles, les gens de bien, les amis de l'ordre élèvent vers votre majesté des mains suppliantes. Tous lui demandent de les préserver du retour des calamités dont leurs pères ou eux-mêmes eurent tant à gémir. Ces alarmes sont trop réelles pour n'être pas écoutées, ces vœux sont trop légitimes pour n'être pas accueillis. Il n'est qu'un seul moyen d'y satisfaire, c'est de rentrer dans la charte. Si les termes de l'article 8 sont ambigus, son esprit est manifeste. Il est certain que la charte n'a pas concédé la liberté des journaux et des écrits périodiques. Le droit de publier ses opinions personnelles n'implique sûrement pas le droit de publier, par voie d'entreprise, les opinions d'autrui. L'un est l'usage d'une

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faculté que la loi a pu laisser libre ou soumettre à des restrictions, l'autre est une spéculation d'industrie qui, comme les autres et plus que les autres, suppose la surveillance de l'autorité publique.- Les intentions de la charte, à ce sujet, sont exactement expliquées dans la loi du 21 octobre 1814, qui en est en quelque sorte l'appendice; on peut d'autant moins en douter que cette loi fut présentée aux chambres le 5 juillet, c'est-à-dire un mois après la promulgation de la charte. En 1819, à l'époque même où un système contraire prévalut dans les chambres, il y fut hautement proclamé que la presse périodique n'était point régie par la disposition de l'article 8. Cette vérité est d'ailleurs attestée par les lois mêmes qui ont imposé aux journaux la condition d'un cautionnement. - Maintenant, sire, il ne reste plus qu'à se demander comment doit s'opérer ce retour à la charte et à la loi du 21 octobre 1814. La gravité des conjonctures présentes a résolu cette question. - Il ne faut pas s'abuser. Nous ne sommes plus dans les conditions ordinaires du gouvernement représentatif. Les principes sur lesquels il a été établi n'ont pu demeurer intacts, au milieu des vicissitudes politiques. Une démocratie turbulente, qui a pénétré jusque dans nos lois, tend à se substituer au pouvoir légitime. Elle dispose de la majorité des élections par le moyen de ses journaux et le concours d'affiliations nombreuses. Elle a paralysé, autant qu'il dépendait d'elle, l'exercice régulier de la plus essentielle prérogative de la couronne, celle de dissoudre la chambre élective. Par cela même, la constitution de l'état est ébranlée: votre majesté seule conserve la force de la rasseoir et de la raffermir sur ses bases. - Le droit, comme le devoir d'en assurer le maintien, est l'attribut inséparable de la souveraineté. Nul gouvernement sur la terre ne resterait debout s'il n'avait le droit de pourvoir à sa sûreté. Ce pouvoir est préexistant aux lois, parce qu'il est dans la nature des choses. Ce sont là, sire, des maximes qui ont pour elles et la sanction du temps et l'aveu de tous les publicistes de l'Europe. Mais ces maximes ont une autre sanction plus positive encore, celle de la charte elle-même. L'article 14 a investi votre majesté d'un pouvoir suffisant, non sans doute pour changer nos institutions, mais pour les consolider et les ren+ dre plus immuables. D'impérieuses nécessités ne permettent plus de différer l'exercice de ce pouvoir suprême. Le moment est venu de recourir à des mesures qui rentrent dans l'esprit de la charte, mais qui sont en dehors de l'ordre légal, dont les ressources ont été inutilement épuisées. Ces mesures, sire, vos ministres, qui doivent en assurer le succès, n'hésitent pas à vous les proposer, convaincus qu'ils sont que force restera à justice. Nous sommes avec le plus profond respect, sire, de votre majesté les très humbles et très fidèles sujets,

Le président du conseil des ministres,
Prince DE POLIGNAC.
Le garde des sceaux de France, ministre de la justice,
CHANTELAUZE.

Le ministre secrétaire d'état de la marine et des colonies,
Baron D'HAUSSEZ.

Le ministre secrétaire d'état de l'intérieur,

Comte DE PEYRONNET.

Le ministre secrétaire d'état des finances,

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N° 420, 25-25 juillet 1830. = ORDONNANCE du roi qui suspend la liberté de la presse périodique et semi-périodique (1). (VIII, Bull. CCCLXVII, n° 15135.)

Charles,...

Sur le rapport de notre conseil des ministres, · avons ordonné et ordonnons ce qui suit:

Nous

Art. 1er. La liberté de la presse périodique est suspendue. 2. Les dispositions des articles 1er, 2 et 9 du titre I de la loi du 21 octobre 1814 sont remises en vigueur. — En conséquence, nul journal et écrit périodique ou semi-périodique, établi ou à établir, sans distinction des matières qui y seront traitées, ne pourra paraître, soit à Paris, soit dans les départemens, qu'en vertu de l'autorisation qu'en auront obtenue de nous séparément les auteurs et l'imprimeur. Cette autorisation devra être re

nouvelée tous les trois mois. — Elle pourra être révoquée.

3. L'autorisation pourra être provisoirement accordée et provisoirement retirée, par les préfets, aux journaux et ouvrages périodiques ou semi-périodiques publiés ou à publier dans les départemens.

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4. Les journaux et écrits publiés en contravention à l'article 2 seront immédiatement saisis. Les presses et caractères qui auront servi à leur impression seront placés dans un dépôt public et sous scellés, ou mis hors de service.

5. Nul écrit au dessous de vingt feuilles d'impression ne pourra paraître qu'avec l'autorisation de notre ministre secrétaire d'état de l'intérieur, à Paris, et des préfets, dans les départemens. Tout écrit de plus de vingt feuilles d'impression, qui ne constituera pas un même corps d'ouvrage, sera également soumis à la nécessité de l'autorisation. Les écrits publiés sans autorisation seront immédiatement saisis. Les presses et caractères qui auront servi à leur impression seront placés dans un dépôt public et sous scellés, ou mis hors de service.

6. Les mémoires sur procès et les mémoires des sociétés savantes ou littéraires sont soumis à l'autorisation préalable, s'ils traitent en tout ou en partie de matières politiques, cas auquel les mesures prescrites par l'article 5 leur seront applicables.

7. Toute disposition contraire aux présentes restera sans effet.

8. L'exécution de la présente ordonnance aura lieu en conformité de l'article 4 de l'ordonnance du 27 novembre 1816, et de ce qui est prescrit par celle du 18 janvier 1817.

9. Nos ministres secrétaires d'état sont chargés de l'exécution des présentes. Donné à notre château de Saint-Cloud, le 25 juillet 1830, et de notre règne le sixième.

Signé CHARLES.

Le président du conseil des ministres, prince DE Polignac. Le garde des sceaux ministre secrétaire d'état de la justice, Chantelauze. Le ministre secrétaire d'état de la marine et des colonies, baron d'HAUSSEZ. Le ministre secrétaire d'état des finances, MONTBEL.

Le ministre de l'intérieur, comte DE PEyronnet. Le ministre secrétaire d'état des affaires ecclésiastiques et de l'instruction publique, comte de Guernon-Ranville.

Le ministre secrétaire d'état des travaux publics, baron Capelle.

(1) Cette ordonnance et celles qui suivent ont amené la révolution de 1830. Elles n'ont plus qu'un intérêt purement historique.

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