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tion. Mais quand il serait vrai que la liberté des catholiques n'est pas entière, qu'en pourrait-on conclure? Vous en faites un argument contre les religions nouvelles : pauvre argument qui conclut d'un mal à un autre mal; et nous, nous en faisons un argument irrésistible contre le concordat, et contre l'autorisation préalable.

On fait grand bruit des conséquences possibles de la suppression de l'autorisation préalable. Même sous le régime de la religion d'État, nous dit-on, le parlement avait le droit d'intervenir dans la police du culte, d'autoriser la publication des bulles du pape ou de la défendre, tant il est vrai qu'en aucun temps l'autorité civile n'a pu rester désarmée en face des prétentions religieuses. Mais personne ne demande l'impunité pour les prêtres d'aucun culte. Que leurs doctrines soient contraires au Code pénal, et la compétence de l'État sera entière pour prononcer une condamnation. Qui en doute? Et alors que signifient ces alarmes? Pourquoi parler d'un État dans l'État? Certes, il ne faut pas exagérer l'efficacité des lois de police en matière religieuse mais dès qu'il s'agit seulement de sauvegarder la morale générale et l'existence politique du gouvernement établi, les moyens répressifs sont évidemment suffisants; d'où il suit que le régime préventif n'a pas d'excuse, et que la liberté est de droit.

En fait, s'il y a une association religieuse qui puisse être ou devenir un danger pour le pouvoir temporel, c'est l'Église catholique, et elle seule. Je n'en fais pas un argument contre elle; loin de là: elle doit ce caractère à sa puissante et merveilleuse hiérarchie, au nombre immense de ses fidèles, à la grandeur de son dogme, à l'institution de ses sacrements. Est-il raisonnable de conclure de cette Église séculaire et puissante, à quelque doctrine nouvelle dont l'État surveillera les premiers pas, et qu'il arrêtera avec une évidente facilité dans ses commencements, si elle menace la morale et la paix publique? Les citoyens qui demandent la liberté de se réunir pour ado

rer Dieu, ne demandent pas apparemment que leurs réunions soient secrètes. Ils se réuniront en plein jour, dans un lieu public, sous les yeux de leurs concitoyens, sous la surveillance des magistrats'. Quand on vient, à propos de ces réunions solennelles, parler d'associations secrètes, de conciliabules politiques sous une forme religieuse, d'attentat à la morale publique, d'impuissance des lois répressives contre un culte naissant, publiquement professé, sans racines dans le sol, et sans autre appui qu'un troupeau d'adeptes nécessairement restreint, ne comprend-on pas à quelle exagération l'on s'abandonne, et quels misérables prétextes on oppose à la revendication d'un droit sacré ?

Oui, c'est un droit, et ce qui le prouve, c'est que ses adversaires invoquent contre lui, en plein dix-neuvième siècle, les mêmes arguments qu'on opposait à la liberté naissante, quand il s'agissait en 1789 d'ébranler le principe tyrannique des religions d'État. On nous parle d'unité religieuse, quand nous invoquons la liberté de penser. On nous menace d'un abaissement du sentiment religieux par le spectacle de sectes dissidentes 2! Vaine prudence, qui demande à la fois l'injuste et l'impossible;

1. Décret du 7 vendémiaire an IV. La Convention nationale considérant.... que les lois auxquelles il est nécessaire de se conformer dans l'exercice des cultes.... doivent exiger des ministres de tous les cultes une garantie purement civique contre l'abus qu'ils pourraient faire de leur ministère pour exciter à la désobéissance aux lois de l'État.

Art. 17. L'enceinte choisie pour l'exercice d'un culte sera indiquée et déclarée à l'adjoint municipal dans les communes au-dessous de cinq mille âmes; et dans les autres, aux administrations municipales de canton ou arrondissement. Cette déclaration sera transcrite sur le registre de la municipalité ou de la commune, et il en sera envoyé expédition au greffe de la police correctionnelle du canton. Il est défendu à tous ministres du culte et à tous individus d'user de ladite enceinte avant d'avoir rempli cette formalité.

2. « Qu'est-ce qui rehausse le caractère national? C'est la préoccupa tion des choses de l'âme. Il est important pour un pays que ces préoccupations soient vives et profondes. Malheur à un pays dont l'horizon se rétrécit et qui ne s'occupe plus que d'intérêts matériels! Mais la préoc

l'injuste, puisqu'elle va à supprimer la liberté; l'impossible, puisqu'elle. devrait, pour être logique, remonter au delà de 1789, et restaurer la religion d'État. Hélas! savent-ils si peu l'histoire, qu'ils osent encore alléguer cette chimère de l'unité religieuse? Ne voient-ils pas à toutes les pages de nos annales qu'il en coûte moins de souffrir un schisme que de l'écraser? Ont-ils oublié les scènes sanglantes de la Ligue et des Dragonnades? et tous les pouvoirs ébranlés, jusqu'au pouvoir royal, par les ridicules querelles qu'enfanta la bulle Unigenitus? Qu'espèrent-ils d'un système bâtard qui consiste à chercher l'unité religieuse dans un temps de scepticisme et, de discussion universelle, et à la chercher sans avoir même le seul secours qui puisse donner à des hommes politiques l'illusion d'y atteindre, le secours d'une religion d'État?

cupation des choses de l'âme, de la vérité religieuse, ne va pas sans discussion. Elle amène le choc des idées, elle provoque des divisions, elle ne se conçoit pas sans prosélytisme. Otez le prosélytisme, et vous aurez la paix, mais la paix des tombeaux, la paix de la mort. » (Procès de Jonsac, broch. in-8. Meyrueis, 1857. Plaidoyer de M. E. de Pressensé, p. 10.)

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CHAPITRE III.

La liberté des cultes n'est complète et possible que si elle coexiste avec la liberté de penser.

Quoi que puissent dire les partisans de l'alliance entre les deux pouvoirs, il n'y a de simple et de logigue que le régime des religions d'État, ou celui de la séparation absolue de la société civile et de la société religieuse.

En effet, établir une religion d'État, c'est sans doute fonder la société sur la négation de la liberté, ce qui est un crime en tout temps, et de plus, à l'heure qu'il est, une lutte contre l'impossible; mais une fois le principe posé, tout l'ordre social s'en déduit avec une logique admirable, parce que c'est un principe clair et complet. Du moment qu'on renonce à la religion d'État, comme il le faut bien par nécessité et par justice, la logique, si on la consulte seule, veut qu'on aille à l'extrémité opposée, et que l'on fonde l'État sur la liberté absolue et l'indifférence des cultes positifs; car c'est là aussi un principe complet, que tous les esprits saisissent, dont les conséquences sont évidentes, et qui n'engendre ni faux-fuyants ni compromis. On est vraiment trop heureux quand, le principe d'une loi étant posé, tous les esprits aperçoivent immédiatement les lois secondaires qui en dérivent.

Supposons un instant que les faits n'apportent aucune complication, et qu'on n'ait à compter qu'avec les principes

en matière de liberté des cultes. On écrirait dans la Constitution que tous les cultes sont libres, qu'ils ont tous des droits égaux et qu'ils ne sont assujettis qu'à l'observation des lois communes. Non-seulement l'État n'accorderait à aucun d'eux aucune prédominance, mais il ne leur donnerait ni budget, ni temple, ni aucun autre concours que la garantie qu'il doit à tout exercice de la liberté. Il ne serait pas athée pour cela, car il y a une religion naturelle formée des dogmes communs à toutes les religions, et sans laquelle il ne saurait y avoir ni société ni morale; mais il se tiendrait dans une impartialité absolue à l'égard des différents cultes positifs.

Malheureusement c'est là de la philosophie de table rase, ce n'est pas de la philosophie pratique, et surtout ce n'est pas de la législation. Nous sommes faits pour aimer la simplicité et pour vivre toujours dans les complications. La société humaine vient de loin; on ne peut nier ni le pouvoir de l'éducation, ni celui des mœurs, ni la force des traditions, ni la presque toute-puissante tyrannie des habitudes. C'est une œuvre excellente de chercher à simplifier le mécanisme qui fait mouvoir toute cette grande machine: mais il ne faut pas non plus s'exagérer la puissance d'un ressort au point de lui sacrifier tous les autres. Or il y a trois sources de complications dans la législation des cultes : la première tient aux conditions. matérielles d'existence de chacun d'eux, la seconde aux rapports nécessaires des cultes avec les circonstances principales de la vie, et la troisième à la nature du dogme et à l'organisation de la hiérarchie dans chaque Église. Parcourons rapidement ces trois ordres de difficultés.

1. Voici d'abord la question des édifices religieux, qui est fort grave. Dans l'état actuel de notre société, avec la division des fortunes, l'habitude de jour en jour plus générale de jeter ses capitaux dans l'industrie, l'indifférence subsistante en matière de religion, le manque absolu d'esprit d'association et d'initiative entretenu par la cen

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